Le débat sur l’avortement: positions, opinions, perceptions et arguments

Quels sont les principaux arguments sur la dépénalisation de l’avortement ?

Les termes du débat sur l’avortement ont peu à peu évolué, surtout grâce à la progression des développements conceptuels et des arguments féministes. Depuis la position en faveur de la dépénalisation / légalisation, ce débat s’est construit autour des notions d’autonomie des femmes; de la responsabilité individuelle et la liberté de conscience ; des droits sexuels et reproductifs ; de l’empowerment des femmes ; de leur santé physique et mentale ; des relations de pouvoir et entre les genres ; du public et du privé ; de l’éthique ; de la citoyenneté et la démocratisation des sociétés. Depuis l’autre position, contre sa légalisation / dépénalisation, la consécration de la vie dès le moment de la conception a été le principal terme du débat, ou du moins le plus visible.

L’intensité et les résultats du débat n’ont pas été identiques dans tous les pays de la région et en cela, comme on l’a dit, l’accès aux cercles de pouvoir des différents acteurs et l’avancée du processus démocratique ont joué. En général, les propositions dans les différents pays se sont adaptées aux circonstances politiques et légales locales (Profamilia, 1993).

Le mouvement féministe

"Les mouvements féministes de la seconde vague ont peut-être été le phénomène subversif le plus significatif du XXème siècle, de par leur profonde remise en cause des pensées uniques et hégémoniques sur les relations humaines et les contextes sociopolitiques, économiques et culturels et sexuels dans lesquels ils évoluaient. Les féminismes latinoaméricains ont joué une part active et fondamentale de ce processus dans la région" (Vargas Valente, 2002).

La lutte pour la légalisation de l’avortement a joué un rôle central dans les mouvements de libération féminine des années soixante-dix et quatre-vingt aux États-Unis et dans les démocraties européennes. Elle symbolise le droit de la femme à se réaliser dans différents domaines, à être une personne avec des droits propres au delà de la maternité, et à refuser de poursuivre une grossesse imprévue et non désirée. Dans les années soixante-dix, la légalisation de l’avortement s’est érigée en standard des luttes féministes et a revêtu un caractère de défense de la vie des femmes, de telle sorte que les féministes de cette époque effectuaient des campagnes spécifiques sur le droit à l’avortement (Durand et Gutiérrez, 1999). D’après ces auteurs, les pionnières du féminisme considéraient le contrôle de la fécondité comme un bien moral, “la liberté et la responsabilité de choisir”, dont les femmes ne pouvaient être privées et auquel elles devraient avoir accès sans mettre leur santé en péril, argument qui, lié au mouvement pour la légalisation de l’avortement, a été présent de façon permanente dans la lutte pour la légalisation de la contraception.

Dans de nombreux pays d’Amérique Latine et des Caraïbes le mouvement féministe a acquis une présence visible dans le débat sur l’avortement à partir des années soixante-dix, entres autres par le succès qu’obtenait le mouvement aux États-Unis et en Europe, et à l’organisation de la Conférence sur les Femmes des Nations Unies qui aurait lieu à Mexico en 1975. Depuis, le discours et la façon de plaider en faveur d’un changement législatif a beaucoup varié (Lamas, 2003). On présentera ici les principaux arguments utilisés par ces acteurs.

Le droit à décider

Dans les années soixante-dix, le féminisme de la région s’est caractérisé par l’autodétermination, reprenant le concept de maternité volontaire qu’avaient utilisé les italiennes, et par la lutte pour l’abrogation des lois sur l’avortement en vue d’obtenir sa légalisation, en basant son argumentaire sur la justice sociale et la santé publique (Lamas, 2001). A l’échelle mondiale dans les années quatre-vingt, le mouvement féministe a adopté une stratégie centrée sur “le droit à décider”, plaçant dans la majorité des cas la question du droit à l’avortement comme une condition d’autodétermination et de liberté des femmes. Le concept de droits reproductifs est repris par de nombreuses féministes qui exigent le respect des nouveaux et des anciens droits, au moment même où les politiques de population sont à leur apogée dans de nombreux pays. Dans ce contexte, dans les années quatre-vingt-dix, le langage des droits sexuels et reproductifs a obtenu une légitimité internationale, comme résultat des discussions et des accords issus des Conférences des Nations Unies et du processus qu’a impliqué l’adoption de ces termes, d’abord dans l’espace universitaire et au sein du mouvement des femmes, puis dans les documents internationaux des Nations Unies, dans les lois nationales et dans le discours public des décideurs.

La position défendue par les féministes qui luttent pour la dépénalisation de l’avortement prend racine dans l’idée du droit qu’ont les femmes de décider si elles veulent être mères et de définir le nombre et l’espacement de leurs enfants, question intimement liée à l’autonomie des femmes ou son absence. Elles revendiquent ainsi le libre accès à la contraception et à l’avortement et insistent sur le fait que les femmes sont maîtres de leur corps avant tout autre et sont donc celles qui doivent en décider librement. (Tarrés Barraza, 1993; www.decidir.org.mx). Pour celles qui défendent cette position qui implique la pratique de l’avortement, le droit de la personne présente, de la femme qui est enceinte, doit passer avant le projet de vie du foetus (Ortiz Lemus, 1992). Elles prônent une rupture avec l’idéologie imposée par la religion catholique tout au long de l’histoire, qui soutient l’idée selon laquelle la sexualité féminine ne peut pas exister, ne se justifie pas par le plaisir sexuel, mais uniquement par la maternité, c’est-à-dire si celle-ci a pour objet la procréation ; et avec tout ce qui est lié aux contraintes imposées aux femmes qui leur retirent la possibilité de proposer et d’opter pour d’autres styles de vie dans l’espace social (Hierro, 2003).

La question des grossesses imprévues ou non désirées et de leurs coûts affectifs, économiques et sociaux dans la vie des femmes et de leur famille, s’est dressée comme l’un des principaux arguments des féministes, étroitement lié au droit à décider (De Barbieri, 2003; Lamas,2001; et 2003). Le fait d’évoquer l’importance du produit, pour la position féministe, revient à penser que tous les enfants qui naissent soient réellement désirés (Ortiz, Lemus, 1992). Les féministes considèrent ainsi que dans les contextes actuels « les rencontres sexuelles se multiplient et les obstacles idéologiques et matériels à une responsabilisation de la vie sexuelle conduisent non seulement à des centaines de milliers d’avortements, mais aussi a des milliers de naissances d’enfants non désirés. Ces êtres, auparavant bienvenus en tant qu’assurance vieillesse, sont vécus comme un fardeau dans une société qui n’offre aucun soutien au travail ardu qu’est élever un enfant » (p. 112) (Lamas, 2003). La résistance des femmes devant de possibles excommunions indique ainsi que, même lorsque l’avortement est considéré comme un péché par la religion catholique, et tout illégal qu’il soit, il signifie pour les femmes qui choisissent d’interrompre une grossesse non désirée “que pour elles, d’abord, il y a leur conscience ; et que décider la maternité est un droit qui leur appartient” … (donc) « une maternité volontaire est la seule possibilité légitimement éthique » (p. 113) (Lamas, 2003). Signalons en plus que le discours lié à la liberté de la femme est associé à la justice sociale, puisque ce sont les femmes des groupes de population les plus pauvres qui sont les principales victimes des séquelles de l’avortement (Tarrés 1993).

Le droit à la santé

Le langage des droits sexuels et reproductifs se conjugue aussi à celui de la santé sexuelle et reproductive. Ce binôme, santé et droits, est conceptuellement indivisible puisque l’un implique l’autre. L’argument de l’avortement comme problème de santé publique a été utilisé de façon récurrente puisqu’il renvoie aux conséquences adverses des avortements à risque. Bien qu’il soit impossible de quantifier les avortements à risque, les estimations réalisées sont éloquentes sur leurs répercussions et sur la morbimortalité qu’ils entraînent. Leurs coûts comme problème de santé impliquent de plus la famille, le secteur santé, le secteur du travail, la société dans son ensemble (voir chapitre 7). « Les arguments de santé publique cherchent à créer une conscience des répercussions et la prédominance des avortements à risque, évoquent la capacité ou le manque de capacité des systèmes de santé à pourvoir des avortements sans risque, identifient des brèches dans la disponibilité du service et estiment leurs coûts » (p. 89) (Hessini, 2005). La publication sur le manque de réglementation de l’avortement thérapeutique, le seul autorisé au Nicaragua, et ses effets, qu’a fait Ipas Amérique Centrale et la Société Nicaraguayenne de Gynécologue et d’Obstétrique (SONIGOB), constitue un exemple de l’utilisation de ce type d’argumentaire (McNaughton et al., 2003). Relevons que les arguments de santé s’appliquent même dans certains pays où l’avortement est légal (Nunes, 2001).

Certaines organisations qui ont traditionnellement travaillé de près avec le secteur santé, comme Ipas ou le Population Council, ont produit des documents et des publications dont l’objectif est la prise de conscience des professionnels du secteur (Ipas, 2001), et ont même co-participé dans des ateliers, des campagnes de défense et des publications. Le rôle fondamental du personnel de santé dans les avortements sans risque lorsqu’il existe des causes légales, ainsi que leur responsabilité médicale et éthique sont évoqués. Dans ce contexte, les argumentaires sur la bioéthique, comprise de manière progressiste et libérale, ont élargi un horizon supplémentaire pour approfondir le débat sur l’avortement (www.andar.org.mx, www.gire.org.mx).

Dans les pays où les lois sont restrictives, les causes qui autorisent l’avortement se basent principalement et de façon quasiment unanime sur des questions liées à la santé, invoquant ainsi le même principe que celui qui a présidé aux débuts des programmes de planning familial : la préservation de la santé de la mère et de l’enfant. Comme on l’a montré dans le chapitre précédent, l’avortement est autorisé dans de nombreux pays pour sauver la vie de la femme, pour préserver sa santé physique et mentale ou en raison de malformations du foetus. C’est aussi le cas de la récente dépénalisation de l’avortement pour trois causes en Colombie: risque sur la vie ou la santé de la femme; malformations foetales sévères et viol (ce dernier cas comprend aussi la protection de l’autonomie et de l’intégrité personnelle) (The Economist, 2005). La problématique sur la violence sexuelle est liée à l’avortement et à la santé physique et mentale des femmes. Au Mexique et au Brésil par exemple certaines organisations de défense ont prôné l’avortement légal en cas de viol comme partie intégrale des services de prise en charge des victimes de violence. Il s’agit là d’un axe très important du débat dans la région, puisque les législations de neuf pays d’Amérique Latine et des Caraïbes autorisent l’avortement si la grossesse est le résultat d’un viol ou d’un inceste (Hessini, 2005) (voir chapitre 1).

Un axe d’arguments plus récent, nourri par différents acteurs institutionnels et personnels, évoque le droit à l’avortement comme faisant partie des droits de l’homme. Différents documents récents comprennent des listes de certains droits et leur application à l’avortement. On trouve parmi les droits cités: le droit à la santé, à la vie, à vivre sans discrimination, à ne pas subir de traitement inhumain ou dégradant, à l’information, à vivre sans violence, aux bénéfices du progrès scientifique, à l’égalité, à la liberté de conscience, à l’intimité et la confidentialité, à décider du nombre et de l’espacement des enfants (www.decidir.org; HRW, 2005).

Cet axe argumentaire, relativement neuf, a comme préalable le travail sur les droits reproductifs liés à une perspective de droits de l’homme pour laquelle “la promotion et la protection de la santé requiert des efforts concrets et explicites pour promouvoir les droits de l’homme et la dignité » (Gruskin et Grodin citées p. 275 par Yanda et al., 2003). La prise en compte de ce point de vue implique de relever les effets négatifs sur la santé de facteurs comme la disparité sociale, la discrimination et la violence de genre par exemple.

Une affaire de justice sociale

La lutte des féministes dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive des femmes ne s’est pas seulement manifestée par leurs tentatives de dépénaliser l’avortement ; la discussion se joue actuellement sur les conditions dans lesquelles les femmes avortent et pourraient avorter, puisqu’elles le font en dépit de l’interdiction légale. Dans la région on a observé que même dans les cas où la loi autorise l’avortement, de multiples facteurs se conjuguent pour rendre l’exercice de ce droit extrêmement difficile. Le discours féministe met l’accent sur l’exigence démocratique d’un accès égalitaire au service médical d’interruption de grossesse non désirée comme une question de justice sociale, puisque l’obtention d’un avortement sans risque dépend de la capacité économique des femmes (Women’s Global Network for Reproductive Rights Newsletter, 1994). Tandis qu’une minorité qui dispose des moyens économiques et de l’information nécessaire pour un accès à l’avortement dans des conditions optimales, la grande majorité des femmes a recours à des voies à haut risque ou clandestines, qui produisent des conséquences sérieuses sur leur santé physique et mentale, en plus du coût économique élevé que cela représente. « Concevoir l’avortement comme un service de santé réglementé dans les hôpitaux publics est la seule façon de ne pas persister dans une brèche d’inégalité injuste pour des raisons économiques qui détermine les risques (différentiels et non équitables) de mortalité et de morbidité maternelles associés à la pratique de l’avortement et son illégalité » (p. 111) (Lamas 2003).

Les inégalités de genre, la démocratisation et la citoyenneté

Dans les années quatre-vingt-dix, le féminisme se présente comme un mouvement social qui permet aux femmes de se transformer en sujets politiques actifs ; il apporte des revendications et une légitimité à leurs aspirations tout en dénonçant leurs conditions de subordination et d’inégalité. C’est ainsi qu’apparaissent des concepts clefs au sein du féminisme, comme l’empowerment et la titularité. Le premier défie la domination masculine et la subordination féminine, pose la transformation des structures et des institutions qui renforcent et perpétuent les discriminations de genre et les inégalités sociales, et exige l’accès et le contrôle des femmes sur les ressources matérielles et l’information. Le second, comme son nom l’indique, renvoie à la définition de titularité des droits (Durand et Gutiérrez, 1999). C’est dans ce cadre que s’élabore une révision conceptuelle d’un thème fondamental pour toute revendication politique et tout langage de droits, et dont le mouvement des femmes n’est pas exclu: la citoyenneté, qui est en plus reprise comme une de leurs principales bannières.

Un des piliers du débat plus récent se concentre sur l’analyse de l’avortement comme une question étroitement liée au processus de redéfinition de l’identité féminine face à la masculine, des relations de genre et du rôle que jouent les hommes dans la pratique de l’avortement et en général dans le domaine reproductif. A ce sujet Scavone (1999) indique que “l’axe théorique le plus influent qui oriente le débat sur la contraception, l’avortement et les techniques contraceptives en Amérique Latine vient de différents courants de la critique féministe et se base sur les domaines de la santé reproductive, des droits reproductifs et de l’éthique ou bioéthique analysés dans une logique de relations sociales de sexe/genre” (p.23). Les féministes ne considèrent pas l’avortement comme souhaitable, et le signalent même comme une expérience qui peut être traumatisante, mais elles voient dans sa dépénalisation / légalisation un pas important à franchir dans la récupération du corps des femmes, non seulement face à l’idéologie conservatrice et face à l’État, mais aussi face aux hommes en termes de relations de genre dominantes (Lamas, 2001; Bernal, 2003). Castañeda Salgado (2003) signale (p. 21) que le questionnement par rapport au rôle des hommes –dans leurs rôles de médecins, prêtres, dirigeants d’associations religieuses et de sociétés, de pères de famille, avocats, juges, parquet, conjoints, partenaires occasionnels, etc.- se pose non seulement à partir de leur participation directe aux grossesses avortées, mais aussi à partir de leur position comme sujets qui s’attribuent le droit de juger et de punir les femmes qui avortent: “où sont les hommes qui ont participé aux grossesses des femmes qui avortent? Signalons que dans la majorité des cas ils jouent un rôle contradictoire: ils sont la présence qui oblige à prendre cette décision (d’avorter), mais ils sont absents; et en tous cas, la présence masculine continue à être fondamentalement patriarcale et à condamner les femmes. La participation croissante d’hommes sensibles dans la revendication des droits humains des femmes et dans la construction de paternités engagées est aussi une preuve des paradoxes qui se produisent actuellement dans ce débat » (voir le chapitre 9).

Le mouvement féministe a depuis ses débuts, aux États-Unis comme en Europe et en Amérique Latine, avancé dans les propositions qui unifiaient la lutte des femmes et la lutte pour la “requalification” et/ou la récupération démocratique, en associant le manque de démocratie dans la sphère publique à la condition des femmes dans la sphère privée. Cet argument constitue aujourd’hui un autre pilier central du débat. Cette lutte pour l’affirmation des droits reproductifs en Amérique Latine s’inscrit dans le domaine des droits élémentaires de la citoyenneté et cela constitue une spécificité de la région (Vargas, 2002; Scavone, 1999). Comme le dit Lamas, "l’interruption volontaire de grossesse renvoie à des questions centrales de la notion moderne de citoyenneté, telles que l’autonomie personnelle, la non-intervention de l’État dans la vie privée et la liberté de conscience" (p.115). Cela signifie selon l’auteure que devant l’absence d’un vaste débat public et d’un climat politique qui permette de discuter publiquement les contenus spécifiques des priorités du gouvernement, les modifications légales sur l’avortement contraignent à la protestation citoyenne pour obtenir que ce thème reçoive un traitement juridique respectueux et socialement égalitaire (Lamas, 2003). C’est pourquoi, au XXIème siècle, l’exigence de dépénalisation de l’avortement renvoie à la laïcité de l’État et à l’importance que cela revêt dans la construction de la citoyenneté de toutes les femmes, le dilemme actuel s’inscrivant entre la liberté individuelle et la responsabilité sociale (Castañeda Salgado, 2003; Lamas 2003).
Enfin, la reconnaissance du droit au plaisir est un autre argument du débat sur l’avortement. Il est indispensable d’admettre que la sexualité et les relations de genre ont une grande transcendance, et donc de mettre l’accent sur la nécessité de proposer une formation sur la sexualité, qui comprenne les composantes de genre et de pouvoir, dans différents moments de la vie et à toutes les femmes, et non uniquement aux femmes mariées ou en union libre. Renforcer l’autonomie féminine dans la sphère publique renforce son autonomie dans la sphère privée (Bono Olvera, 1999).

Enfin, la tension entre les deux positions contraires, -en faveur ou contre la dépénalisation / légalisation de l’avortement- traduit des projets distincts. Les deux peuvent être d’accord sur la nécessaire prévention des avortements. Une différence centrale et radicale entre les deux réside dans le fait que l’une considère qu’il faut interdire tous les avortements, tandis que l’autre défend la légalisation et la dépénalisation de sa pratique comme mesure sanitaire et de respect des droits. Alors que l’une prône une large éducation sexuelle, un vaste accès et une forte diffusion des méthodes contraceptives ainsi que l’accès aux services de santé, l’autre argumente qu’il faut restreindre l’activité sexuelle au mariage et lutte pour l’abstinence sexuelle prémaritale en particulier chez les jeunes (Lamas, 2003). En ce sens, le mouvement féministe a soutenu que la pratique de l’avortement ne devrait pas être un thème traité par le Code Pénal, mais devrait être régulé par des normes d’autres instances et d’autres domaines puisqu’il s’agit d’un problème de santé publique, d’inégalité sociale, d’inégalité des relations entre les sexes et de respect de l’exercice des droits reproductifs et sexuels (Bernal, 2003; Barsted, 1997).

La hiérarchie de l’Église Catholique et sa position sur l’avortement

"La prétention de faire croire au monde que l’Église Catholique est une entité homogène masque la diversité des positions qui existent en son sein sur de multiples thèmes, en particulier sur la sexualité, la reproduction et l’avortement…" (p. 71) (Mejía, 2003).

La hiérarchie de l’Église Catholique a été l’un des acteurs les plus visibles et les plus forts en termes de poids et de pouvoir dans le débat sur l’avortement. La position de la pensée officielle est aujourd’hui absolument anti-avortement (celle-ci comprise comme l’opposition à sa pratique et à sa dépénalisation / légalisation dans toutes les situations et en toutes circonstances) et ses manifestations les plus “réussies” dans le débat public visent à transmettre l’idée d’unicité de critères sur la criminalisation totale de la pratique de l’avortement, basée sur le respect de la vie dès l’instant de la conception du produit non-né. Cependant elle ne constitue ni n’a constitué une appréhension unique de la question de l’avortement dans une perspective chrétienne ni même catholique (Mejía, 2003; Cazes Menache, 2001; Maguire, 1991; Hume, 1993; Munera, 1994; Fisher, 2000; Encuentro de Investigadores sobre Aborto Inducido en América Latina y el Caribe, 1994). Comme l’indiquent Mejía et Careaga (1996), la doctrine officielle de l’Église Catholique part d’un argument strict qui inscrit le problème moral dans des limites extrêmement étroites en considérant que “dès l’instant même de la fécondation de l’ovule par le spermatozoïde, un nouvel être humain existe, sujet de tous ses droits inaliénables" (p.387). A partir de cette cosmovision de l’origine de la vie humaine, et d’après la position bien connue de ces acteurs, l’interruption de grossesse représente un homicide. La discussion tourne autour du fondement incertain et complexe de cet argument, où concourent différentes perspectives scientifiques, comme la perspective biologique, la génétique, la physiologique, l’embryologique, la psychologique, la philosophique, l’éthique, la théologique et la juridique.

La position de l’Église sur l’avortement a évolué et ses arguments pour la soutenir ont changé eux aussi au cours du temps. Hurst, dans son essai sur l’histoire des idées sur l’avortement de l’Église Catholique Romaine (Hurst, 1993), signale les incohérences et les questions non résolues dans le traitement donné par l’Église à l’avortement. Parmi celles-ci, deux préoccupations au moins ressortent: se pratique-t-il pour couvrir des péchés sexuels, et cette pratique implique-t-elle un homicide. A ce sujet et en plaçant la discussion dans un domaine plus large du christianisme, l’auteur explique que ce débat doit prendre en compte, d’abord la conception hilomorfique que constitue le dogme chrétien essentiel et qui assume l’intégrité du corps et de l’âme et s’oppose à toute idée qui sépare les natures corporelle et spirituelle. En second lieu, et en étroite relation avec le dogme de la conception hilomorphique, on doit considérer la question du moment où l’embryon se convertit en être humain ou hominisation. Pour illustrer l’importance de cet argument dans le débat sur l’avortement au sein du christianisme, Hurst cite le théologien moderne Joseph Doncel, qui exprime l’idée selon laquelle il ne peut y avoir de mente avant que l’organisme ne soit prêt à la recevoir et il ne peut y avoir d’esprit avant que la mente soit capable de le recevoir. Ce dernier soutient qu’il n’y a pas d’âme humaine tant que l’embryon se trouve dans l’état végétatif de son développement et par conséquent il n’y a pas non plus de personne humaine pendant les premières semaines de grossesse.

Un autre aspect remarquable de la position sur l’avortement de la hiérarchie de l’Église Catholique renvoie à la relation entre sexualité et procréation, soit l’espace dans lequel s’affronte la perception archaïque de la sexualité associée à une fin de procréation qui sous-tend dans l’enseignement de l’Église. Pour l’Église, l’avortement a toujours été un péché s’il sert à couvrir les évidences d’actes sexuels dont l’intention ne serait pas la procréation, c’est à dire la fornication et l’adultère (Hurst, 1993; Güereca Torres 2003; Fisher, 2000; Gudorf, 2004).

Les groupes conservateurs guidés par la hiérarchie de l’Église luttent pour éliminer l’autodétermination de la femme sur sa sexualité et sa reproduction. Ils ont eu et possèdent la force politique suffisante pour peser sur la réduction des fonds internationaux d’assistance à des programmes de santé reproductive dans les pays en voie de développement (Mundigo, 2005) favorisés, par exemple, par les mesures d’impact multinational développées depuis le gouvernement américain, comme la Loi Bâillon ou de Mexico qui interdit aux ONGs qui reçoivent des fonds de la USAID (Agence pour le Développement du gouvernement américain) de développer des programmes ou des interventions qui touchent au thème de l’avortement (Mollmann et Chávez, s.f.).

Différents auteurs ont manifesté qu’il n’y avait pas moyen de parvenir à un accord au sein de l’Église sur l’interprétation de l’avortement, même si la perspective hégémonique sur le thème est le refus absolu. Pour Melo l’important est de « prouver qu’il n’y a pas d’unanimité dans l’Église sur l’interprétation de l’avortement en termes d’homicide et que les courants idéologiques d’antan sur l’animation du foetus se reflètent clairement dans la législation pénitentiaire ecclésiastique, en faisant varier les peines sur l’avortement" (Melo, 1994). Comme le signale Mejía « ....cela fait encore plus mal de savoir que l’Église officielle de nos jours nie la richesse et la variété des positions existantes en théologie morale dans l’histoire du catholicisme. Dans certains aspects vitaux, l’Église constitutionnelle et le peuple de dieu nous parlons un langage commun : c’est le cas de la justice sociale et des droits de l’homme, mais dans d’autres domaines les désaccords sont chaque jour plus profonds » (pp. 70-71) (Mejía, 2003).

La dépénalisation de l’avortement et le droit à décider chez les groupes progressistes d’orientation chrétienne

"En dehors de l’Église, dans les cercles féministes et du mouvement des femmes, Catholiques pour le Droit de Décider (CDD) est le seul groupe qui se définit comme catholique, et qui a produit dans cette perspective des études sur l’histoire et les conséquences de la morale catholique traditionnelle sur la vie quotidienne des femmes et sur les valeurs culturelles latinoaméricaines. Pour les autres groupes féministes, polémiquer avec l’Église n’a pas de sens; devant le harcèlement clérical ils se posent dans une logique de défense de la laïcité: une église ne peut imposer ses critères qu’à ses fidèles, et non les convertir en loi pour la société civile. CDD d’Amérique Latine partage cette distinction, mais reconnaît la nécessité de discuter au sein de la propre Église le poids idéologique et culturel de 500 ans d’évangélisation chrétienne ibérique en Amérique Latine, qui fait partie de notre identité et transcende la pratique religieuse concrète ; en d’autres termes, la culpabilisation de l’Église sur la sexualité et le développement personnel des femmes dépasse largement les limites des catholiques pratiquants et se confond à une morale sociale, cette morale doit être travaillée et modifiée à partir de ses racines" (Católicas por el Derecho a Decidir, s/f). A travers cette mission, CDD a fourni de solides arguments à inclure dans leurs publications aux différents groupes laïcs de défense des droits des femmes, comme le montre par exemple une étude auprès des prestataires de services de santé au Honduras, dont le deuxième chapitre reprend les affirmations proposées par ce groupe (Centro de Derechos de Mujeres, 2004). La présence de CDD en Amérique Latine est un bastion d’une énorme importance.

Dans la région latinoaméricaine, CDD dont le bureau régional a été fondé en 1987 représente, comme on l’a dit, un mouvement très important, pas forcément en nombre mais en termes de diversification et divergence des termes du débat dans l’Église Catholique et des actions développées depuis le christianisme en faveur de la dépénalisation de l’avortement. Comme l’affirment Rosado Nunes et Soares (1999), membres de CDD au Brésil, « en contrepied des propositions qui condamnent l’avortement, un autre discours catholique existe, plus nuancé, qui va de l’explicitation de la mise en doute de la position de l’Église jusqu’à la justification de la décision pour l’interruption de grossesse comme comportement moral et même religieux défendable » (p.272). Ces mêmes auteures affirment que (p.287-288) « parallèlement aux documents officiels de l’Église, il existe toute une série de textes de caractère théologique et pastoral qui valident la décision des femmes pour l’avortement sur les plans éthiques et religieux. Ces arguments sont cependant peu connus du public, étant donné la répression de l’Église sur les voix qui s’écartent du discours officiel » (Rosado Nunes et Soares 1999; CDD, 1998; Franzoni, 2002).

A l’origine ce groupe formé de femmes catholiques avait pour objet central de travailler dans le domaine de la santé, dans l’intention de « contribuer à la réflexion et à la construction d’une éthique de la sexualité et de la procréation fondée sur la justice sociale et engagée dans une recherche de dignité et de meilleure qualité de vie pour les femmes » (p.289) (Rosado Nunes et Soares, 1999). S’est ajoutée à cette proposition et à ces actions, l’axe du droit de décider des femmes en tant qu’agents moraux capables et du droit à ne pas être d’accord avec les enseignements de l’Église qui n’ont pas été déclarés infaillibles. L’argumentaire, en tant que choix éthique et moral, se centre sur la défense de l’accès aux méthodes contraceptives sans risque et efficaces et sur la dépénalisation de l’avortement comme expressions de la liberté de conscience (Alanis, 2001; Mejía, 2003; Anónimo, 2002). Dans les pays où l’État est laïc, comme le Mexique, CDD défend la laïcité étatique et sociale comme un élément fondamental pour la protection des garanties individuelles et pour le plein exercice de la citoyenneté des femmes (Mejía, 2006; CDD, 2003).

Les résultats de plusieurs études, réalisées par CDD, sur les opinions, les attitudes et les comportements des catholiques dans différents pays du monde, sur des aspects de la vie sexuelle et reproductive et sur l’avortement montrent la légitimité et le fondement de ses arguments, qui s’exprime dans un climat séculier prédominant dans les sociétés catholiques (Católicas por el Derecho a Decidir 2004; Catholics for a Free Choice et Católicas por el Derecho a Decidir, 2003).

Les résultats de ces études montrent clairement l’énorme brèche et la divergence qui existent entre les normes imposées par la doctrine catholique et les façons de penser de la majorité des fidèles sur des thèmes liés à leur sexualité, le divorce, l’avortement, l’éducation sexuelle, l’usage de contraceptifs, entre autres. De même, les résultats indiquent une différenciation qu’établit la population catholique entre la sphère religieuse, ou publique, et la sphère privée, où l’accent est mis sur la liberté de conscience.

Sur l’avortement, les résultats des enquêtes réalisées en Bolivie, en Colombie et au Mexique (qu’on peut consulter dans le texte “Que pensent les catholiques de l’avortement?”) montrent que l’opinion d’une grande partie des fidèles marque une distance avec la norme établie par la hiérarchie: près de la moitié et pratiquement les deux tiers des personnes interrogées déclarent que les avortement doivent être autorisés dans certaines ou en toutes circonstances (49, 56 et 60 pour cent respectivement pour chaque pays); pourcentages qui augmentent considérablement pour des causes spécifiques, comme lorsque la vie de la femme est en péril, lorsqu’il existe un risque sur sa santé, lorsque la femme a le sida, lorsque le fœtus présente des malformations et lorsque la grossesse est la conséquence d’un viol. La majorité des catholiques considèrent d’autre part que la décision revient exclusivement à la femme et au couple (79, 70 et 88 pour cent) et ne doit pas être laissée à l’Église. Et même, la proportion de ceux qui pensent que la décision revient uniquement à la femme n’est pas négligeable, en particulier au Mexique (17, 22 et 33 pour cent), si l’on considère la forte influence des normes religieuses et culturelles qui domine dans ces pays. De nombreux catholiques affirment également qu’une femme qui a recours à l’avortement n’est pas pour autant une mauvaise catholique (50, 37 et 53 pour cent respectivement), ni les personnes qui l’ont soutenue (50, 39 et 55 pour cent). Une majorité s’oppose à l’expulsion d’une femme de l’Église Catholique pour avoir subi un avortement (74, 67 et 81 pour cent respectivement). Sur la pratique contraceptive, une très grande majorité de catholiques ont utilisé des méthodes contraceptives et pensent en plus que les services de santé publique devraient proposer ces méthodes gratuitement et promouvoir l’usage du préservatif pour combattre le virus du sida. Pour ce qui est des adolescent(e)s, les résultats des enquêtes indiquent qu’ils devraient avoir accès à toute une série de méthodes contraceptives, y compris celles que l’Église Catholique interdit (Católicas por el Derecho a Decidir 2004; Catholics for a Free Choice et Católicas por el Derecho a Decidir, 2003; Catholics for a Free Choice, 2004).

Les arguments ou positions des professionnel(le)s de la santé

Les différentes positions des professionnels de la santé, qui vont du médecin à l’aide-soignante, ne proviennent pas uniquement de leur formation professionnelle et sont aussi le reflet de leur idéologie et de leurs croyances religieuses. Même lorsque l’interruption de grossesse est autorisée pour certaines causes, les convictions personnelles de ces acteurs influencent la façon dont ils se soumettent aux dispositions légales. De fait, une attitude peu favorable des praticiens à l’interruption légale de grossesse contribue à aggraver les conséquences possibles de cette pratique. Les institutions et les médecins qui s’occupent des complications dues à des avortements à risque contrôlent aussi l’accès à l’avortement légal et l’attention fournie aux femmes s’accompagne souvent de discours moralisants et culpabilisants et donc d’un manque de respect complet envers elles.

La littérature rend compte des significations que la communauté médicale attribue à l’avortement, ainsi que des perceptions à ce sujet : il est avant tout reconnu comme un problème de santé publique, en grande partie à cause de son statut légal restrictif et comme l’un des principaux facteurs qui contribuent à des taux de mortalité et de morbidité maternelles élevés, et de fréquentes allusions sont faites aux ressources importantes qu’il faudrait pour faire face aux complications des avortements (Faúndes et Ardí 1997; Faúndes et al, 2004; Langer, 1999; 2002; et 2003; Langer et al., 2000; et 2002; Elú, 1992; Gogna et al., 2002; McNaughton et al., 2002; González de León-Aguirre, 1990; 1993; et 1994; Llovet et Ramos,1998; Faúndes et Barzelatto, 2005). Cependant, ces arguments n’ont pas été suffisants pour mobiliser et faire des praticiens et professionnels de la santé des acteurs permanents et actifs du débat, exception faite de quelques remarquables membres de la communauté médicale qui ont rejoint les activités visant la diminution des inégalités et des injustices occasionnées par l’avortement illégal et à risque. Les raisons qui sous-tendent cette participation mineure dans le débat vont des considérations éthiques et religieuses personnelles, à l’ignorance du cadre juridique et/ou la compréhension ou l’interprétation erronée de ce cadre, en passant par les craintes réelles ou supposées de possibles sanctions. D’autres raisons invoquées sont la formation médicale qui manque d’orientations pour sensibiliser les futurs professionnels sur les besoins et les droits des femmes, et l’avantage économique qu’implique pour certains professionnels de la santé la réalisation clandestine de l’avortement. Ces professionnels sont de plus confrontés à des dilemmes éthiques entre leurs convictions, les normes médicales en vigueur et parfois obsolètes et le développement technologique. C’est par exemple le cas face aux transplantations d’organes, au prolongement ou à la suspension définitive de la vie des patients atteints de maladies incurables et dans le coma, de la reproduction assistée, de la manipulation des grossesses, questions aujourd’hui hautement débattues, qui sont du domaine de la bioéthique, et dont l’avortement fait partie (http://www.andar.org.mx/).

Deux aspects fondamentaux des positions des médecins sur l’avortement sont à considérer. Le premier est la dimension institutionnelle médicale, dont la structure autoritaire verticale implique pour le personnel de l’hôpital le respect des dispositions en matière d’avortement, même si “l’objection de conscience” est reconnue comme un élément que certains médecins utilisent pour refuser de réaliser des avortements. Au niveau institutionnel dans certains pays comme le Salvador les médecins ont l’obligation de signaler les femmes qui se présentent dans leurs services avec un avortement inachevé et les preuves de sa pratique. Cela constitue non seulement une violation des droits de la femme, mais aussi une atteinte à l’obligation de respecter le secret professionnel qu’a le personnel de santé (McNaughton et al., 2004). Le second aspect est culturel, moral et idéologique, et les professionnels ne partagent pas tous la position de la hiérarchie catholique ou celle qui peut dominer en général dans leurs pays respectifs sur la sexualité et la reproduction. Ainsi par exemple, tandis que la grande majorité d’entre eux est d’accord sur l’utilisation des méthodes contraceptives modernes, ils le sont beaucoup moins sur la pratique de l’avortement dans certaines circonstances, même les plus liées à leur travail (sauver la vie d’une femme, protéger sa santé physique et mentale).

Les opinions et les attitudes des professionnels de la santé sur l’avortement sont très importantes, non seulement pour leur autorité médicale et leur participation technique à différents aspects liés à l’avortement –tels que les complications qui peuvent surgir ou sa pratique clandestine légale ou illégale-, mais aussi en tant qu’acteurs clefs qui peuvent peser sur les réformes légales et les conditions dans lesquelles il est réalisé. Dans la région plusieurs études ont été effectuées sur les opinions et les attitudes médicales sur l’avortement, qui révèlent la coexistence de positions diverses et variées, même si la présence massive d’une attitude plus conservatrice domine face à une minorité de professionnels qui ont une conscience large et claire du problème.

La prestation institutionnelle des services pour l’interruption de grossesse est une affaire qui polarise les médecins et génère entre eux d’importantes controverses. Le fait de refuser ou de proposer ces services, même dans les cas autorisés par la loi, dépend en grande mesure de l’avis personnel des professionnels de la santé et/ou de celui des autorités médicales des institutions où ils travaillent, mais ces avis sont très influencés par les groupes religieux et conservateurs (comme cela a été le cas au Mexique avec Paulina ou au Nicaragua avec Rosa) (Reproductive Health Matters 2003; Lamas et al., 2000; Lamas et Bissell, 2000; Gonzáles de León Aguirre, 1994).

Dans une étude CAP (connaissances, attitudes et pratiques) auprès des praticiens des associations de IPPF dans six pays d’Amérique Latine aux lois restrictives sur l’avortement (le nom des pays est maintenu secret pour protéger la confidentialité de ceux qui ont répondu à l’enquête), on a cherché à savoir dans quelle mesure ces praticiens souhaitaient ou pouvaient participer à des activités visant à augmenter l’accès aux services d’avortement sans risque. 799 réponses ont été prises en compte, qui correspondent à des praticiens cliniques, c’est-à-dire des médecins, des infirmiers et infirmières, des aides-soignantes et autres personnes qui fournissent directement les services (Dabash, et al., s.f.). Concordant avec les résultats d’autres recherches, celle-ci montre que, malgré le fait que les praticiens perçoivent comme approprié de proposer le service d’avortement au sein des services de santé reproductive, ils manifestent aussi une certaine gêne à l’idée de pouvoir être directement concernés par sa prestation. Une importante majorité (67%) est d’accord sur le fait que l’expansion des services nécessaire à l’intégration des services d’avortement de qualité est un pas fondamental pour diminuer les coûts des avortements à risque, mais seulement la moitié a considéré que leur institution devrait offrir ces services. Près de la moitié également (44%) ont exprimé qu’ils ne seraient pas à l’aise s’ils travaillaient dans un lieu offrant le service d’interruption de grossesses.

D’autres résultats montrent l’influence des normes religieuses, légales et culturelles en vigueur. Sur le lien entre croyances religieuses et avortement, un praticien sur trois affirme croire que l’avortement est un péché, et quatre sur dix disent qu’ils appuieraient la décision d’un ami ou parent de mettre fin à une grossesse non désirée. Sur la perception des femmes qui ont recours à l’avortement, 57% des praticiens pensent qu’elles sont irresponsables. Sur les raisons pour lesquelles l’avortement devrait être autorisé, l’enquête concorde avec les autres enquêtes effectuées auprès des praticiens, puisque les résultats indiquent une acceptation élevée (92%) lorsqu’il s’agit de sauver la vie d’une femme, dans les cas de viol ou d’inceste (85%), de malformation fœtale (82%) et en cas de risques pour la santé de la femme (69%). La moitié a été d’accord sur des raisons économiques, mais une partie seulement a estimé qu’on devrait l’autoriser dans le cas d’une défaillance contraceptive (28%). Notons qu’une petite minorité a manifesté qu’on devrait autoriser l’avortement pour des raisons professionnelles (4%). Cette étude offre aussi des perspectives intéressantes sur la préférence des méthodes d’interruption de grossesse au sein de la population interrogée.

En Argentine, les résultats de l’étude réalisée entre 1998 et 1999, auprès de 467 obstétriciens et gynécologues d’hôpitaux publics de l’agglomération de Buenos Aires, ont montré que la grande majorité d’entre eux considérait l’avortement comme un sérieux problème de santé publique ; que les médecins devraient proposer leurs services pour les avortements qui ne sont pas illégaux; que l’avortement ne devrait pas être pénalisé s’il s’agit de sauver la vie d’une femme ou dans les cas de viol et de malformation foetale; et que les femmes qui demandent un avortement illégal et ceux qui le pratiquent ne devraient pas aller en prison. De même, près de 40% des personnes interrogées ont estimé que l’avortement ne devrait pas être puni lorsqu’il s’agit d’une décision autonome de la femme, et ceux qui ont fait preuve d’une attitude plus positive envers la dépénalisation de l’avortement citent une série de raisons aussi bien de santé publique que d’équité sociale qui, selon eux doivent être prises en compte (Gogna et al., 2002).

Au Brésil, une étude réalisée en 2003 auprès de nombreux gynéco-obstrétriciens qui ont déclaré avoir aidé des patients ou des parents à avorter, ou ayant eux-mêmes été confrontés personnellement à une grossesse non-désirée, révèle que le fait d’avoir vécu l’expérience de l’avortement entraîne une meilleure compréhension des circonstances dans lesquelles l’avortement est la meilleure ou l’unique solution d’une grossesse non désirée. Près d’un quart des femmes médecins et un tiers des médecins avaient été personnellement confrontés à au moins un cas de grossesse non désirée et 80% de ces cas se sont conclus par un avortement. Les causes pour lesquelles la grande majorité des médecins pensent que l’avortement devrait être autorisé sont le viol (77%), le péril sur la vie de la femme (79%), et la malformation fœtale (77%) (Faúndes et al., 2004). De plus, les auteurs constatent un lien étroit entre le degré de religiosité et le fait d’avoir pratiquer un avortement, et encore plus pour les médecins qui avaient personnellement subi (ou leur conjointe) une grossesse non désirée.

D’autre part, le secteur des professionnels de la santé a participé aux discussions suscitées par l’utilisation du Cytotec (Misoprostol) comme produit abortif. Bien que ce médicament ait été approuvé dans plus de 70 pays pour le traitement des ulcères gastriques, l’ampleur de son utilisation abortive au Brésil lui a fait gagner une visibilité et a généré un débat sur le sujet. Dans ce contexte, les gynécologues ont plaidé pour son maintien sur le marché, étant donnée son importance thérapeutique pour déclencher des accouchements et des fausses couches inachevées, et étant donné aussi son importance pour la diminution des risques de réalisation d’avortements illégaux (Scavone, 1999). Ils ont considéré que le Cytotec diminuait les risques de complications pour les femmes et facilitaient pour les médecins le traitement de ces complications (Barbosa et Arilha, 1993).

Au Honduras, le Centre des Droits des Femmes (2004) a fait une enquête nationale auprès d’un groupe représentatif de gynéco-obstétriciens en différenciant les données des hommes et des femmes de la profession. Dans ce pays où l’avortement est absolument interdit, il est intéressant de noter qu’une majorité de gynéco-obstétriciens trouve au moins une raison qui justifie médicalement l’avortement (80,6%) et qui pense que l’indication médicale contribuerait à réduire la mortalité maternelle (69,5%).

Au Mexique la posture des médecins en tant que corporation a en général été conservatrice, ambiguë et réservée sur le problème de l’avortement, même si certains médecins en ont une conception plus large, en particulier lorsque des circonstances liées à leur pratique professionnelle sont évoquées. Là-dessus Elú (1992) pose que « à partir de considérations éthiques ou morales, de nombreux médecins se sont opposés à la modification des lois qui régulent la pratique de l’avortement, et la majeure partie des prestataires de services d’assistance dans les institutions publiques de santé sont restés en marge du débat public sur le sujet » (cité p. 190 dans González de León Aguirre, 1994). La recherche de González de León Aguirre, réalisée dans ce pays en 1994, indique que la corporation médicale accepte dans une large mesure l’interruption de grossesse pour raisons médicales, pour sauver la vie d’une femme ou préserver sa santé ; dans les cas de viol et de malformation du foetus en revanche, une minorité seulement se montre favorable, ainsi que pour les circonstances plus larges comme les conditions socio-économiques des femmes, les défaillances contraceptives ou la décision personnelle d’avorter. Dans certains cas, la persistance d’un double discours est à noter : dans les services des institutions de santé ils s’opposent publiquement à l’avortement et le condamnent, tandis que dans la pratique privée ils le réalisent dans des fins lucratives et sans aucune considération ou responsabilité éthique ou morale quant aux besoins de ceux qui paient ces services.

Les résultats d’une autre étude menée à Mexico auprès de 193 médecins de différentes spécialités (médecine interne, pédiatrie, gynécologie et neurologie) ont montré que seulement 15% du total des médecins est d’accord avec l’avortement, même si le procédé est plus accepté en médecine interne et en pédiatrie qu’en obstétrique et en neurologie. En revanche, la proportion d’acceptation de l’avortement a atteint presque 60% pour les cas de malformations du fœtus (Casanueva et al., 1997). D’autres études exploratoires auprès de femmes et d’hommes médecins internes dans des hôpitaux du District Fédéral réalisés en 2000 et en 2001 ont révélé une connaissance limitée de la situation juridique de l’avortement : un tiers seulement savait que l’avortement est légal pour certaines causes à Mexico.

L’analyse des attitudes et des opinions sur l’avortement montrent la prédominance d’une attitude plus favorable à l’interruption de grossesse pour certaines causes légales, comme les raisons médicales, et moins favorable lorsqu’il s’agit de raisons personnelles et de conscience, la condition socio-économique de la femme, sa décision personnelle, la défaillance des contraceptifs et l’abandon ou la mort du conjoint étant les circonstances qui génèrent la plus grande opposition (González de León et Billings, 2001).

Quant à la personne qui doit prendre une décision sur l’avortement, les données sont contrastées : dans certains cas une position plus libérale et favorable à ce que ce soit la femme qui décide, et dans d’autres cas une attitude plus conservatrice qui renvoie la décision au couple et parfois avec la participation du médecin. De plus, la nécessité d’avoir certaines garanties légales pour la pratique de l’avortement est relevée, puisque les médecins qui seraient prêts à le pratiquer ne le feraient que dans des conditions sans risque et dans d’autre cas avec le soutien de l’institution. D’autres résultats mettent en évidence la nécessité de considérer la formation des médecins pour l’analyse du rôle de ces professionnels, laquelle ne leur offre pas d’éléments suffisants pour situer la pratique de l’avortement comme problème social et de santé publique ou pour comprendre ses aspects juridiques et ses effets psychologiques (González de León Aguirre, 1994).

Les résultats d’une autre enquête, menée à l’échelle nationale auprès de médecins dans les localités urbaines du Mexique en 2002, montrent que la majorité d’entre eux identifie correctement certaines circonstances légales qui autorisent l’avortement (84%), tandis qu’une minorité pense que l’avortement est illégal en toutes circonstances (16%). Les opinions de ce secteur sur les circonstances dans lesquelles l’avortement devrait être légal renforcent les opinions précédentes et sont étroitement liées à l’exercice de leur profession, puisqu’une majorité d’entre eux exprime que l’avortement devrait être légal lorsque la vie ou la santé de la femme est en péril ou lorsque le produit présente des malformation congénitales sérieuses, et en même temps ils reconnaissent qu’il doit être pratiqué lorsque la grossesse est la conséquence d’un viol (93%, 87%, 82% et 86% respectivement). Face à une femme qui présenterait un avortement incomplet ou des complications post avortement ou une femme qui aurait besoin d’un avortement légal, seulement 23% des médecins interrogés ont affirmé qu’ils s’occuperaient personnellement de ces cas, tandis que 22% traiteraient une partie de ces cas et rapporteraient les autres. Ce résultat est intéressant et à la fois préoccupant puisqu’il met en évidence les divergences entre le cadre légal, institutionnel ou public et la pratique médicale. Une proportion importante (40%), d’un autre côté, rapporterait tous les cas cités. Le besoin de formation exprimé par cette corporation est à noter: 81% ont manifesté leur intérêt de disposer de plus d’informations sur les aspects légaux, 65% sur les aspects éthiques et 56% sur les méthodes et techniques de réalisation des avortements légaux (García et al., 2003; Lara et al., 2004).

Au Nicaragua, les résultats d’un sondage auprès de 198 gynéco-obstétriciens, effectué en 2001 par la Société Nicaraguayenne de Gynécologie et d’Obstétrique (SONIGOB) sur une norme –en débat à l’époque- qui régulerait l’avortement thérapeutique et ses conséquences médicales et éthiques, ont montré que seulement neuf personnes sur le total des personnes interrogées considéraient que l’avortement devrait être pénalisé, et la grande majorité trouvaient qu’il existait des cas dans lesquels l’avortement thérapeutique était nécessaire pour sauver la vie d’une femme (plus de 90%). De nombreuses personnes interrogées ont aussi soutenu une réforme législative qui autoriserait l’avortement dans les cas de viol et de malformation du foetus (McNaughton et al., 2002). Dans une autre étude récente de cette auteure et d’autres collègues (McNaughton et al., 2005) sur le rôle joué par les médecins dans la pratique de l’avortement, les inconsistances et les conséquences du cadre légal jugé ambigu sur l’avortement thérapeutique au Nicaragua sont exposées ; ce cadre favoriserait l’accès aux services d’interruption légale de grossesse et la pratique réalisée par les professionnels de la santé. Les résultats sont remarquables et sans aucun doute valables pour de nombreux pays aux législations restrictives, puisqu’ils montrent que les professionnels de la santé décident de pratiquer un avortement en fonction d’autres facteurs que les critères de risque et de santé établis comme faisant partie de la logique médicale. Parmi ces facteurs sont cités le comportement contraceptif de la femme, l’âge gestationnel, l’évaluation de la crédibilité des motifs exprimés par la femme. Une telle situation, comme l’affirment les auteures, ne reflète pas seulement la subjectivité et la précarité des décisions des médecins devant leur capacité limitée de prédire les risques sur la santé ou de diagnostiquer une grossesse issue d’un viol ; elle conduit aussi remettre en cause, en termes d’équité et de crédibilité, la possibilité de laisser aux mains de ce secteur la décision d’interrompre ou non une grossesse pour des raisons thérapeutiques. Plus encore, ces données impliquent de reconnaître la complexité qui entoure la signification du terme de grossesse désirée ou non désirée, et surtout l’impossibilité de séparer l’importance et le rôle de cette grossesse dans l’évaluation des risques maternels. Face à cette situation, les auteures soulignent l’importance de garantir l’exercice des droits des femmes à la vie et à la santé, et la nécessité d’un cadre politique qui protège les femmes et les praticiens pour éviter d’abandonner l’accès à l’avortement légal à l’influence des idéologies politiques (et religieuses), à l’ignorance de la loi ou aux interprétations erronées sur les critères pris en compte pour l’obtention d’un avortement thérapeutique.

En dehors des opinions rapportées dans les enquêtes, on compte plusieurs manifestations publiques de certains professionnels de la santé dans la région et parfois même d’associations médicales qui se prononcent contre l’avortement dans des conditions à risque (Anonymous, 2005). Leur influence se perçoit aussi à travers la publication de différents documents descriptifs et explicatifs de divulgation (Faúndes et Barzelatto, 2005), et l’élaboration de véritables traités qui visent à la fin des pratiques risquées de l’avortement (Sanseviero, 2003). Pour tout ce qui a été dit précédemment, Pour tout ce qui a été mentionné précédemment, leur intervention et une plus grande implication dans le débat et dans les instances publiques en rapport avec la pratique de l'avortement est particulièrement remarquable.

L’acceptabilité et la légitimité de l’avortement dans la population

En dehors des études précédemment citées, réalisées auprès des catholiques et des professionnels de la santé, quelques recherches ont été effectuées dans l’objectif de saisir les attitudes, les perceptions et les opinions de la population en fonction de certaines de ses caractéristiques. Leurs résultats constituent un apport remarquable qui nous permet d’analyser le contexte culturel et le climat idéologique et politique issu du cadre légal imposé sur la pratique de l’avortement, des normes sociales et culturelles construites et des conditions du recours à sa pratique (Profamilia, 1993; Bailey, 2003; Barrig, 1993; Becker et al., 2002; García et Becker, 2001; Gutiérrez et al., 1996; Llovet et Ramos, 2001; Encuentro de investigadores sobre aborto inducido en América Latina y el Caribe, 1994; Htun, 2003; Pick de Weiss et David, 1990; Weisner et al., 1994; Amuchástegui Herrera, 2002; García Romero et al., 2000; www.chasque.net/frontpage/comision/dossieraborto/cap5_1.htm). Certaines de ces enquêtes permettent en plus de cerner l’opinion publique sur le rôle des autres –l’État, l’Église, le secteur médical, le couple- dans les décisions privées des femmes.

Les résultats de ces études révèlent, en général, une attitude plus ouverte et positive des différents secteurs de la population interrogés que celle de ceux qui n’admettent l’avortement sous aucun concept, et en même temps plus conservatrice que la position que défendent ceux qui plaident pour l’avortement sur demande de la femme. La majorité de la population se situe entre ces deux positions extrêmes et accepte la pratique de l’avortement sous des circonstances déterminées et limitées, fondamentalement pour problème de santé (vie ou santé de la femme en péril, grossesse issue d’un viol et malformations fœtales). Ceci reflète que les situations liées à l’autonomie de la femme, son libre arbitre et l’exercice de ses droits sont des circonstances encore peu légitimes et socialisées dans la population. De même, les résultats des enquêtes appuient le processus de sécularisation en cours dans la majorité des pays de la région, quant à l’ingérence de l’église sur la vie privée, et bien que la connaissance de la loi ne soit pas très précise, il existe apparemment dans certains cas une distinction claire entre ce qu’est la loi et ce qu’elle devrait être.
En Argentine, l’enquête sur la contraception et l’avortement effectuée auprès de la population féminine de niveau socio-économique bas qui habite dans l’agglomération de Buenos Aires en 1992-1993, offre des résultats sur les opinions des femmes, leur accord et leur désaccord quant à une série de circonstances dans lesquelles l’avortement est mené à bien, en fonction de certaines caractéristiques des femmes interrogées (López, 1997). Quelles que soient leurs caractéristiques, les circonstances qui bénéficient d’une opinion plus favorable pour toute la population interrogée se concentrent sur les cas de grossesse issue d’un viol, mise en péril de la vie ou de la santé de la femme et malformation du foetus. Les profils d’approbation de l’avortement montrent que les circonstances liées à la santé et à la grossesse produit d’un viol sont principalement soutenues par des femmes de plus de 35 ans, tandis que les moins de 25 ans se montrent plus en accord avec les situations associées à l’autonomie et à la décision des femmes. Lorsqu’on examine le niveau d’éducation des personnes interrogées, on constate que ce sont les femmes qui ont les niveaux de scolarité les plus bas qui soutiennent dans une moindre mesure la pratique de l’avortement dans toutes les situations. L’analyse en fonction de l’état civil des personnes interrogées montre que les femmes en union libre sont celles qui présentent les niveaux les plus élevés de réponses favorables sur les différentes circonstances, en particulier celles liées aux problèmes de santé de la mère et du fœtus et dans les cas de viol, suivies des femmes mariées. Enfin, les réponses des femmes interrogées en fonction de l’usage ou non de méthode contraceptive indiquent que les femmes qui n’en ont jamais utilisé sont celles qui ont exprimé la plus faible acceptation de l’avortement, tandis que celles qui en avaient déjà utilisé ou en utilisaient une au moment de l’enquête appuyaient plus les circonstances liées aux problèmes de santé des femmes, aux viols et dans une moindre mesure lorsque la taille souhaitée de la famille a été atteinte (López, 1997). Une autre enquête réalisée auprès des habitants de Buenos Aires révèle que tandis que plus de la moitié des personnes interrogées prônent l’avortement dans des circonstances limitées, un peu plus du quart plaide en faveur d’une décision de la femme (Htun, 2003).

Au Brésil, un sondage effectué en 1997 auprès des habitants de Sao Paulo, a montré que plus de la moitié des personnes interrogées considéraient que la législation sur l’avortement devait être maintenue telle quelle, chiffre qui a diminué à un tiers en 1994 ; tandis qu’un cinquième a estimé que la loi devait être plus permissive (par rapport à deux cinquièmes des personnes interrogées dans une autre étude en 1994), et une autre proportion un peu inférieure a prôné une dépénalisation de l’avortement. Au Chili, les résultats d’une enquête menée en 2000 par un journal ont révélé que la grande majorité de ceux qui avaient répondu étaient en faveur de l’avortement légal lorsque la vie de la femme était en danger, plus de la moitié dans le cas d’un viol et une proportion similaire pour des malformations foetales, ce qui indique que la majorité de la population était pour une législation moins restrictive (Htun, 2003).

Au Mexique, le Population Council a mené une enquête nationale en l’an 2000 dont l’objectif était de connaître les opinions et les attitudes de la population sur la législation sur l’avortement et les thèmes associés. La population interrogée était composée d’un échantillon de trois mille personnes entre 15 et 65 ans et dont la quasi totalité (90%) se considérait catholique. Les résultats montrent que plus des deux tiers des personnes interrogées ont trouvé que l’avortement devait être légal sous certaines circonstances, une personne sur dix a affirmé que le droit à l’avortement était une décision de la femme, et le reste a dit que l’avortement devait être interdit dans tous les cas. Les circonstances pour lesquelles la majorité des personnes interrogées étaient d’accord sur la légalité de l’avortement sont similaires à celles des études citées précédemment, c’est-à-dire lorsque la vie de la femme est en péril, lorsque des risques pèsent sur sa santé, lorsque la grossesse est la conséquence d’un viol, et lorsque le produit présente des malformations (80,75, 63 et 52% respectivement). Les circonstances pour lesquelles l’opinion était moins favorable sont la minorité légale de la femme, le manque de ressources économiques, les cas de mère célibataire et la défaillance de la méthode contraceptive (20 et 17, 11 et 11% respectivement). Quant aux personnes les plus appropriées pour conseiller une femme sur une décision d’interruption de grossesse, on a observé une plus grande inclination vers le milieu familial (famille 31% et conjoint 27%), même si une certaine responsabilité a aussi été attribuée aux médecins (26%). Une minorité seulement a considéré que les représentants de l’Église Catholique étaient les plus à même de conseiller les femmes (12%). Sur l’influence que la société doit avoir dans le domaine législatif, près de la moitié des personnes interrogées a estimé que les voix des femmes sont celles qui doivent être le plus écoutées, suivies celles de la société et en une proportion moindre celle des médecins (48, 29 et 14% respectivement). Une minorité seulement a indiqué que l’Église devait être considérée comme domaine d’influence (7%), indication reprise par la grande majorité des personnes interrogées qui avait pensé qu’il n’était pas bon que les législateurs votent des lois en fonction de leurs croyances religieuses. Sur les interventions des institutions de santé, l’étude a révélé que la grande majorité de la population était d’accord sur le fait que tous les hôpitaux publics devraient proposer des services d’avortement légal (García Sandra, 2001; García et Becker, 2001). Un article écrit ultérieurement et fondé sur l’analyse de l’enquête décrite ici (García et al., 2004) comprend des recommandations pour les stratégies en faveur de l’avortement sans risque. Parmi celles-ci, le fait qu’il est nécessaire de diffuser au sein de la population mexicaine les causes d’avortement légales et les démarches à suivre pour obtenir ce service ; l’importance d’informer que les avortements ne comportent aucun risque lorsqu’ils sont réalisés légalement ; le fait que les opinions religieuses et personnelles des législateurs ne doivent pas entrer en ligne de compte dans le travail et les décisions législatives ; et la nécessité de réduire les stigmatisations liées à la sexualité.

Une enquête antérieure de 1991, menée à bien dans trois zones de Mexico (Palma et Núñez, 1991, citée dans Palma et al., 2000) confirme que grosso modo l’avortement est mieux accepté lorsque les raisons sont liées à la santé de la femme ou du fœtus : lorsque la femme souffre d’une maladie infectieuse, comme le sida (87%) ; lorsque la mère souffre d’alcoolisme extrême (76%), lorsqu’il existe un risque de troubles physiques ou mentaux (72%), lorsque la santé de la mère est en danger (70%), et lorsque la grossesse est le produit d’un viol (70%). Les auteures mettent l’accent sur l’acceptation élevée de l’avortement dans les cas de maladies infectieuses de la femme. Notons également dans cette enquête que les raisons que la population interrogée identifie comme moins légitimes pour l’avortement sont celles relatives au bien-être général et à l’autonomie de la femme : lorsque la femme n’a pas de conjoint (7%) ; lorsqu’une jeune souhaite terminer ses études avant d’être mère (14%) ; lors d’une défaillance de la méthode contraceptive (15%), lorsqu’une mineure tombe enceinte mais ne souhaite pas encore être mère (17%) ; et lorsqu’une femme ne sent pas encore capable ou mure pour être mère (23%). Cette même étude indique que plus les deux tiers de la population est en désaccord ave l’interdiction totale de l’avortement que prône l’Église (70%), et spécialement si l’on prend en compte la profonde influence du catholicisme au Mexique en particulier en relation avec le thème de l’avortement.

L’opinion et la connaissance des adolescent(e)s et des jeunes sur le cadre légal de l’avortement au Mexique a été l’objet d’une enquête nationale réalisée en l’an 2000. L’analyse a porté sur les données d’un échantillon représentatif à l’échelle nationale de 907 hommes et femmes dont l’âge était compris entre 15 et 25 ans. Les résultats laissent transparaître la connaissance insuffisante que les personnes interrogées ont de l’avortement, puisque plus de la moitié ne connaissait pas sa situation légale dans leurs États respectifs. Parmi ces derniers, la majorité (82%) croyait que l’avortement n’avait jamais été légal, et le reste ne savait pas ou pensait qu’il était légal, situation accrue chez les personnes interrogées de moindre niveau de scolarité et les résidents de zones rurales ou hors de Mexico. La majorité des personnes interrogées a jugé que l’avortement devait être légal lorsqu’il était la conséquence d’un viol ou que la vie ou la santé de la femme était en danger, et une proportion minoritaire a soutenu sa pratique légale dans les cas de mères célibataires ou mineures, celles qui vivent dans des conditions économiques adverses et lorsque la grossesse est due à une défaillance dans l’usage de méthodes contraceptives (Becker et al., 2002).

Lors du conflit pour dépénaliser l’avortement dans l’État du Chiapas au Mexique en 1990, plusieurs enquêtes nationales ont été menées pour savoir si l’opinion publique était pour ou contre la dépénalisation l’avortement et sous quelles circonstances cette opinion tendait vers l’une ou l’autre réponse. L’une d’entre elles, réalisées en trois moments entre 1990 et 1991, a montré que la grande majorité des personnes sondées (82%) l’approuvait lorsque la santé de la mère était en danger, avec une approbation plus élevées chez les hommes, en particulier d’un niveau d’études élevé et en moindre mesure chez les veufs. Dans le cas de malformations fœtales, plus de la moitié était d’accord, avec un taux d’approbation plus grand chez les femmes, en particulier les plus âgées et celles de revenus moyens. A nouveau les veufs sont ceux qui sont le moins d’accord sur cette circonstance comme sur toutes les autres. En revanche seulement un cinquième l’approuvait lorsque le couple ne souhaitait pas avoir d’autre enfant, avec là encore une plus grande proportion d’hommes et particulièrement ceux qui avaient entre 30 et 50 ans. Une proportion légèrement inférieure au cinquième a manifesté être d’accord si la mère n’était pas mariée, avec une plus grande acceptation des jeunes et des niveaux socio-économiques les plus élevés (Este país, 1991).

En Uruguay, en l’an 2000, une enquête a été menée auprès de 998 uruguayens de 15 ans ou plus. « Les personnes interrogées dans cette enquête, constituent un échantillon représentatif de la population de ces tranches d’âge vivant dans des villes de tout le pays de plus de 10 000 habitants. Les résultats indiquent que si 31% seulement répondent spontanément que la solution au problème de l’avortement est tout simplement de le légaliser, d’énormes différences apparaissent en fonction du niveau d’études des personnes interrogées. 18% seulement de ceux qui ont une éducation primaire proposent la légalisation, pourcentage qui monte à 38% pour les personnes ayant terminé des études secondaires et à 52% chez les universitaires. A l’inverse, à peine 5% des universitaires penchent pour l’interdiction des avortements, soit trois fois moins que chez les personnes au niveau de scolarité inférieur » (www.chasque.net/frontpage/comision/dossieraborto/cap7_2.htm).

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