Le débat sur l’avortement: positions, opinions, perceptions et arguments

Qu’en est-il du débat sur l’avortement dans les pays où sa pratique est dépénalisée ?

Un des aspects marquants de la revue bibliographique menée à bien pour cette publication est l’absence relative de littérature qui rende compte de l’existence ou non d’un débat public sur l’avortement dans les pays où, comme à Cuba, Puerto Rico, les Barbades et la Guyane, l’avortement est permis sur demande de la femme. Si l’on considère qu’un avortement masque souvent une grossesse imprévue et que cela implique des événements non désirés et parfois évitables de la vie des femmes, on pourrait poser au moins quatre questions : le débat sur l’avortement conclut-il avec sa dépénalisation et sa légalisation complètes ? L’important progrès que constitue un cadre légal sans restriction pour la pratique de l’avortement se reflète-t-il aussi dans l’éducation sexuelle et en matière de droits reproductifs, en particulier pour la population adolescente ? Ce cadre, permet un plus grand accès à des services de santé de qualité pour mener à bien des avortements avec de plus petits risques et plus petites conséquences défavorables au niveau individuel, familial et social ?Qu’en est-il de la présence de groupes et d’acteurs qui s’opposent à ce que l’avortement soit accessible sur demande de la femme ?

Au Puerto Rico les arguments employés par les forces anti-avortement et les réfutations des pro-avortement se situent dans un contexte fait des lois qui règnent dans le pays et de l’influence des États Unis. Bien que l’avortement soit légal au Puerto Rico, le droit à l’avortement a été attaqué et son accès affecté. Le débat sur l’avortement a adopté un caractère symbolique et ses arguments font allusion à des situations plus larges de la société, telles que l’identité et les rôles féminins et masculins, la sexualité, la reproduction, la famille et les problèmes sociaux. L’argument principal de l’offensive anti-avortement réside, comme dans d’autres pays de la région d’Amérique Latine et des Caraïbes, sur le fait que la vie humaine commence dès le moment de la conception et dans le droit qu’a le foetus de protection de sa vie, tandis que le contrôle des femmes sur leur capacité reproductive et leurs droits sur leur corps et leur propre vie sont perçus comme des thèmes secondaires. Les forces sociales qui soutiennent la pratique légale de l’avortement expliquent que le choix est essentiel pour que les femmes soient traitées de façon équitable, comme des personnes dotées de tout leur potentiel et leurs prérogatives humaines, et l’accent est mis sur les conséquences adverses de l’avortement effectué dans des situations illégales et risquées, qui se traduisent par des centaines de milliers de lésions et morts maternelles. D’autres questions sont abordées dans le débat, comme la nécessité de respecter les différentes positions sur la définition de la vie humaine et la séparation de l’Église et de l’État, le réductionnisme biologique sur le fait que le foetus est un être humain et la déshumanisation des femmes qui s’insinue dans l’humanisation du foetus (Cólon Warren et al., 1998; Cólon Warren et Planell Larrinaga, 2001; Profamilia, 1993; Azize Vargas, 1993).

Dans le cas de Cuba, étant donné que l’avortement n’est ni puni par la loi ni poursuivi, il n’y a pas de débat public sur le sujet. L’importance de la légalisation et de la dépénalisation qui ont eu lieu en 1965 est reconnue, ainsi que le droit inviolable de la femme d’y recourir (González Labrado et al., 2001; Mayo Abad, 2001). Cependant, signalons que malgré la diminution significative de la mortalité maternelle en général et en particulier de celle qui est liée à la pratique de l’avortement, la morbidité associée n’a pas diminué de façon drastique (MINSAP, 1999). Devant le maintien de taux élevés d’avortement, les préoccupations et les discussions, principalement entre professionnels de la santé, se concentrent sur l’accès et l’utilisation insuffisants et inadéquats des méthodes de planning familial (González Labrador et al., 2001) et sur les carences des actions des programmes d’éducation sexuelle, en particulier chez les adolescents, qui reçoivent une éducation pauvre et insuffisante à cet égard (Aguilar Acebal et Neyra Reyes, 1999; Cortés Alfaro et al., 1999; Fonseca Fernández de Castro et al., 1999; Libertad et Reyes Días, 2003). Comme l’indique Mayo Abad (2002) « si l’usage conscient et responsable des moyens contraceptifs pour éviter des grossesses inopportunes est la forme la plus appropriée de planning familial, nous devons accepter que ces possibilités ne sont actuellement pas exploitées de façon satisfaisante. Notre obligation est de diminuer le nombre (d’avortements), par des mesures éducatives coordonnées à l’accès à une vaste gamme de méthodes contraceptives pour toute la population. La situation actuelle représente un défi pour notre Système National de Santé » (p. 130).

En accord avec Álvarez (2001), dans ce pays, où l'avortement est légal et où il est effectué dans des institutions qui offrent des garanties médicales et de services, l'avortement est considéré un problème à différents points de vue. L'auteure souligne, que « c’est un problème économique, parce que (pour sa pratique) on investit de nombreuses ressources matérielles et humaines; psychologiques et sociales, parce que un grand nom de femmes recourt à cette pratique en majorité des jeunes qui n'ont pas encore commencé à  procréer » (p.88).

La Guyane représente un bon exemple du fait que l’approbation d’une loi libérale est à peine un début dans l’accès aux services d’avortement de qualité. Le débat dans ce cas se poursuit sur la mise en place des services et sur le fait que le gouvernement doit présider cette mise en place, tel que le reporte Nunes (2001). Cinq ans après la promulgation de la loi, son application était encore pauvre, d’après ce que notent Nunes et Delph (1995), qui retracent l’histoire de cette réforme légale. Le Groupe Pro Reforma, leader du mouvement qui a obtenu la dépénalisation, s’est concentré sur la ministre de la santé mais a laissé de côté les équipes techniques du ministère. Ce groupe soutenait en l’an 2000 que l’avortement sans risque n’était pas une priorité de santé publique puisqu’aucun hôpital public de Guyane ne proposait ce service conformément à la loi, ni ne transmettait d’informations sur les cas de complications suite à un avortement au Ministère de la Santé. Les femmes pauvres de Guyane savent qu’elles ne peuvent interrompre leur grossesse dans les hôpitaux publics du pays puisque ce service n’est pas proposé. La situation se prête à des abus de la part des administrateurs des hôpitaux et l’on doute de leur autorité pour donner ce service. D’autres thèmes de discussion étaient les méthodes abortives proposées par la loi (aspiration manuelle plutôt que dilatation et curetage), l’élaboration de registres d’avortement pour présenter des rapports au Ministère de la Santé, la période d’attente et le conseil obligatoire.

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