Cadre juridique de l’avortement

Conclusions

L’analyse de la législation sur l’avortement dans la région est un reflet de la situation historique de chaque pays: la législation héritée des pays colonisateurs, l’idéologie dominante de l’époque où elle a été promulguée, et les changements selon les différentes positions des forces sociales qui exercent une influence sur cette question. Parmi celles-ci, notons la forte influence de l’Église Catholique et des groupes conservateurs dans la grande majorité des pays latino-américains. Dans les années 1970 et 1980 du siècle passé, même si des modifications ont été faites à la législation dans le sens d’une égalité entre l’homme et la femme, le droit à décider du nombre et de l’espacement des enfants et l’accès aux services publics de planning familial dans presque tous les pays, ces changements ne semblent pas avoir eu des répercussions dans la législation sur l’avortement dans la région. Plus récemment, les débats, les accords et les résolutions sur les droits sexuels et reproductifs qui ont précédé et suivi les réunions et les conférences internationales de la décennie antérieure, en particulier ceux sur les femmes (le droit à décider de son propre corps, le droit à une vie sans violence, le droit à l’accès aux services d’avortement sans risque dans les cas autorisés par la loi) ont eu pour résultats des tentatives de changement dans la législation, mais les pays qui sont parvenus à assouplir leurs lois sur l’avortement et à proposer des services de qualité sont rares. Dans ces efforts, il faut reconnaître la lutte constante des mouvements progressistes de la société civile (Women's Health Journal, 2003; IPAS, 2002; Rayas et Catotti, 2004; Rayas et al., 2004). De même, certains comités de suivi des accords et des traités internationaux, comme le Comité des Droits de l’Homme du Pacte International des Droits Civils et Politiques, ont émis des observations qui identifient nettement que les lois restrictives sur l’avortement entraînent une morbimortalité chez les femmes, ou que l’interdiction  à une femme enceinte d’avorter suite à un viol constitue un traitement inhumain (Cook et Dickens, 1999). Reste à voir si ces recommandations ont joué et/ou joue un rôle dans la libéralisation des lois sur l’avortement.

Il est important de souligner à nouveau que les propositions et les changements juridiques réalisés par quelques pays ont émergé non seulement en reconnaissance des droits reproductifs des femmes, mais aussi en raison de l’impact négatif produit par les législations restrictives sur la santé et sur les conditions économiques, sociales, et psychologiques des femmes et de leurs familles dans différents pays, comme l’ont montré les observations des comités de suivi des conventions internationales. Ces conséquences négatives conditionnent fréquemment la qualité de la prise en charge des complications d’avortement, puisqu’une menace latente de sanction légale plane en général sur la femme si le prestataire du service en vient à la dénoncer, et sur le professionnel de la santé lui même (Llovet et Ramos, 2001). De même, on reconnaît qu’il y a une exclusion de nombreuses femmes qui n’ont pas les ressources économiques suffisantes pour payer des services de santé sans risque, et un traitement dénigrant du personnel de santé qui les traite lorsqu’elles arrivent à l’hôpital avec des avortements incomplets ou des complications (Rahman, 1998). Il est important d’insister, étant donné son importance, sur l’influence forte et croissante de l’Église Catholique et des groupes conservateurs et de droite, qui ont amené plusieurs pays à intégrer dans leurs lois les droits du non-né et la protection du foetus dès l’instant de la conception.

En termes généraux on peut conclure que le statut de la législation sur l’avortement est plutôt restrictif dans la région. En 2003, huit pays constituaient l’exception (dont quatre étant constitués de départements ou territoires d’outre mer français), en autorisant l’avortement sans restriction et en ayant des législations où se reflétaient la préoccupation et l’intérêt de respecter les droits de la femme pour obtenir des services d’interruption volontaire de grossesse qui lui garantissent un avortement dans des conditions sans risque et libre de poursuites de la part des autorités. Dans d’autres pays, comme par exemple l’Uruguay, où l’avortement est considéré comme un délit et où sa pratique est illégale, on observe une situation ambiguë mais avec une tendance à un certain assouplissement, dans la mesure où des causes spécifiques pour lesquelles l’avortement n’est pas pénalisé sont intégrées. En revanche, l’Argentine et le Salvador ont durci leur position sur l’avortement, ce qui reflète principalement l’influence de l’Église Catholique. Il est important de noter que même si la majorité des pays autorisent la pratique de l’avortement, au moins pour sauver la vie de la femme, une situation d’injustice sociale persiste puisque la vie et la santé des femmes, ainsi que leur bien-être familial, sont toujours mis en danger (Freitas, 2003) : en 2003 seulement deux pays autorisaient l’avortement pour des raisons économiques, 7 en cas de malformation fœtales, 9 en cas de viol, 17 pour préserver la santé physique et mentale et 27 pour sauver la vie de la femme.

Cependant, il faut signaler que malgré des exceptions, des causes atténuantes, malgré le manque de spécifications légales et de précisions de situations particulières dans lesquelles l’avortement est pénalisé ou non pénalisé, de sérieux obstacles demeurent pour obtenir des services d’avortement. Soulignons le manque de réglementations indiquant qui sont les responsables qui doivent fournir ces services et quelle est la marche à suivre dans ces services pour y accéder. Lorsqu’elles existent, elles sont insuffisantes ou méconnues et se prêtent à des dérives bureaucratiques qui freinent la prestation d’un service alors que le temps est compté. De plus, l’objection de conscience, un droit reconnu au niveau individuel peut être une source supplémentaire de résistance qui limite l’accès à l’avortement. Dans ce cas, il est fondamental que des règles indiquent clairement la nécessité de référer les cas d’avortement à des collègues non objecteurs, et le fait que les services sanitaires en tant que tels ne peuvent pas faire objection (Cook et Dickens, 2000).

D’autre part, soulignons le fait que plusieurs pays stipulent l’obligation d’obtenir l’autorisation du mari pour pratiquer l’avortement, même dans le cas où la vie de la femme enceinte est en danger. Dans la plupart des pays on note aussi une grande carence de réglementations claires sur les prestations de service d’avortement aux adolescentes, et l’autorisation requise des parents ou époux pour qu’elles y accèdent ; selon ce qu’indique la loi, cette situation reflète aussi qu’elles n’ont pas le droit de décider librement de leur propre reproduction ni d’exercer une sexualité sans risque. Ces exigences et ces lacunes de la loi, ainsi que le manque de réglementation pour réaliser les avortements dans les cas où la loi le permet, le pouvoir excessif de discrétion des médecins pour décider sur la vie et la mort des femmes, le grand bureaucratisme auquel elles sont confrontées se traduisent sans aucun doute en de lourds obstacles pour l’exercice des droits des femmes. Les femmes qui sont en situation de plus grande vulnérabilité et marginalité sont particulièrement affectées. C’est aussi une source de discrimination et d’aggravation des inégalités sociales qui existent dans toute la région. Comme le conclut Guillaume pour le cas de l’Afrique, les droits reproductifs des femmes, tels qu’ils ont été définis dans les conférences internationales du Caire et de Beijing, et qui ont mis l’accent sur la possibilité des femmes de mener une sexualité sans risque et de décider librement du moment de leur procréation, ne sont pas non plus respectés dans la majorité des pays de la région, puisque le recours à l’avortement y est encore très limité et ses conséquences pour les femmes sont graves (Guillaume, 2004).

Il faudrait également considérer les contradictions existantes entre les droits reconnus dans les conférences et adoptés par les différents pays, comme le droit à la santé, à la libre détermination de la descendance, à l’égalité, entre autres, et ceux qui régissent la législation sur l’avortement. Ainsi, par exemple, en termes de protection du droit à la santé, l’avortement en cas de danger pour la santé de la femme devrait être autorisé dans tous les pays. En termes de garantie des droits reconnus lors de la Conférence Mondiale de la Population de Bucarest en 1974, l’avortement devrait être très sévèrement puni lorsqu’il est pratiqué sans le consentement de la femme enceinte et il devrait être autorisé lorsque la femme le sollicite, en particulier quand la grossesse est le résultat d’un acte non souhaité ou non consenti par la femme (viol, inceste, insémination artificielle); ou bien lorsque la poursuite de la grossesse met en danger la vie et la santé de la femme; pour des raisons eugéniques, pour des motifs socio-économiques et en cas d’échec de contraception (Salas Villagómez, 1998). En ce sens, signalons les recommandations émises par différentes instances de suivi des normes internationales, comme le Comité pour l’Élimination de Toutes les Formes de Discrimination contre la Femme (CEDAW) dans lesquelles on stipule le droit de toute personne à jouir du meilleur niveau possible de santé physique et mentale. Ainsi, elles ont soumis à plusieurs pays de la région des propositions allant dans le sens d’une révision de leurs lois en vigueur sur l’avortement pour éviter la morbidité et la mortalité que sa pratique illégale implique, pour un meilleur accès à des services d’avortement sans risque lorsqu’il est légal, et pour supprimer les sanctions envers les femmes qui ont avorté (pp. 91-92) (Hessini, 2005).

Finalement, et cela a été largement constaté, l’interdiction de l’avortement n’empêche pas sa pratique mais contraint à la réalisation d’avortements à risque. Comme le signalait à juste titre une autre étude, l’avortement est une pratique qui, malgré son interdiction légale, concerne les femmes de toutes les classes sociales, avec des conséquences plus graves pour les femmes les plus pauvres. La majorité des législations de la région ont tenté de résoudre le problème de l’avortement provoqué en l’interdisant, ce qui s’est traduit par des conséquences économiques, sociales, de santé publique et de justice sociale très graves pour les femmes de ces pays, sans parvenir pour autant à une réduction du taux élevé d’avortements de la région. C’est pour cela qu’une révision législations sur l’avortement est urgente. En effet, il est important de prendre en compte les informations qui démontrent que dans les pays où la loi sur l’avortement est plus libérale, les avortements à risque sont moins fréquents et le taux de mortalité maternelle pour cette cause plus bas (Berer, 2004).

Il faut aborder le thème dans une autre perspective, en prenant en compte la réalité sociale et les besoins des femmes, et en encourageant un débat dans les espaces de participation publics et privés qui conduirait à une réflexion et permettrait d’analyser cette question avec toutes les implications et les alternatives pour un accès à des services sans risque (Center for Reproductive Law and Policy, 2000).

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