Cadre juridique de l’avortement

Les droits des femmes et l’avortement dans les conférences et les instruments internationaux

À partir des années 1990, de nombreux pays, dont certains latino-américains, ont procédé à d’importants changements législatifs concernant la reconnaissance de certains droits des femmes, mais relativement peu celui de l’avortement, comme on va le voir dans ce chapitre. Les changements pour la reconnaissance de certains droits des femmes se sont basés sur les trois conférences internationales qui se sont tenues durant la décennie et sur les résultats de leurs réunions de suivi cinq à dix ans plus tard. Il s’agit de: la Conférence Mondiale sur les Droits de l’Homme, à Vienne en Autriche en 1993 ; la Conférence Mondiale sur la Population et le Développement, au Caire en Égypte en 1994 ; et la Conférence Mondiale sur la Femme à Beijing en Chine en 1995. C’est aussi à cette époque que la Convention Interaméricaine pour la Prévention, la Sanction et l’Éradication de la Violence contre la Femme a été adoptée (1994), ainsi que le Statut de la Cour Pénale Internationale (1998), et que le protocole facultatif de la Convention pour l’Élimination de Toutes les Formes de Discrimination contre la Femme (CEDAW -Convention for the Elimination of All Forms of Discrimination Against Women-) a été impulsé, en 1999.

Ces événements internationaux ont été précédés d’autres conférences mondiales sur la population et sur la femme, où l’égalité juridique de l’homme et de la femme, et le droit des couples et des individus à décider librement du nombre et de l’espacement de leurs enfants avaient été reconnus. Cette reconnaissance s’est effectuée pour la première fois à la Première Conférence Mondiale sur les Droits de l’Homme, réalisée à Téhéran en 1968, puis lors de la Conférence sur la Population à Bucarest en 1974, où la nécessité que l’État garantisse les moyens d’exercice de ces droits a été établie. Il faut aussi mentionner la reconnaissance du droit à l’intégrité physique des femmes et à décider de leur propre corps, y compris la maternité choisie, ajoutée lors de la Conférence Mondiale de l’Année Internationale de la Femme à Mexico en 1975. Les changements réalisés dans le domaine des droits des femmes se basent également sur d’autres documents et réunions internationales et régionales (tableau 1).

Dans les années 1990, les conférences du Caire et de Beijing ont établi que la santé et les droits sexuels et reproductifs, en particulier ceux des femmes, étaient fondamentaux pour l’exercice des droits de l’homme et pour le développement. De plus, la communauté internationale a reconnu l’importance d’aborder le sujet de l’avortement à risque puisqu’il constituait un grave problème de santé publique qui mettait en danger la vie de nombreuses femmes, et a recommandé que les femmes qui ont avorté soient traitées rapidement et avec humanité. En ce sens, comme le signalent le Programme d’Action du Caire et la Plateforme d’Action de Beijing, “tous les gouvernements et les organisations intergouvernementales et non gouvernementales sont tenus de renforcer leurs engagements sur la santé de la femme et de prendre en charge les effets sur la santé des avortements réalisés dans des conditions inadéquates qui constituent un important problème de santé publique (Nations Unies, 1994). Les femmes devraient avoir accès dans tous les cas à des services de qualité pour le traitement des complications issues d’un avortement”. (Programme d’Action de la CIPD, §8.25 et Plateforme d’Action de Beijing (§106, (b) et (k), dans CRLP, 1999). La conférence de Beijing a également recommandé aux gouvernements de considérer la possibilité de réviser les lois qui établissaient des mesures punitives contre les femmes ayant avorté illégalement (§106 - k).

Le respect des traités internationaux sur les droits de l’homme et des engagements pris dans les conférences internationales récentes, qui ont amené à une reconnaissance accrue des droits sexuels et reproductifs comme partie intégrale des droits de l’homme, ont guidé la majorité des changements législatifs des pays de la région, ainsi que la conception de politiques et de programmes dans le domaine de la population, en particulier ceux liés à la reproduction. Cependant, la législation et les services d’avortement n’ont pas connu cette évolution dans la majorité des pays d’Amérique Latine. Cela peut s’expliquer par plusieurs raisons :

  • La vision limitée et insuffisante de l’avortement en tant que problème social. Ces conférences traitent principalement de l’avortement comme d’un problème de santé publique, et non comme d’un droit des femmes. L’avortement n’est pas non plus considéré comme une méthode pour contrôler le nombre et l’espacement des enfants, ou comme ultime procédé disponible pour limiter la descendance dans certaines circonstances, comme l’échec de contraception ou la qualité déficiente des services de planning familial (PF) qui sont monnaie courante dans certains pays et pour certains groupes de population. Pour améliorer les conditions de santé reproductive des femmes, les recommandations aux pays se contentent de leur suggérer de créer des services d’avortement sans risque dans les cas où il est autorisé. D’autre part, comme le signale le Comité d’Expertes de suivi sur le respect de la Convention pour l’Élimination de Toutes les Formes de Discrimination contre la Femme (CEDAW), on ne reconnaît pas explicitement que les législations restrictives et punitives envers les femmes qui avortent et envers les interventions médicales sont discriminatoires à l’égard des femmes et limitent leur droit à l’autodétermination sur leur corps. Ces législations représentent donc un obstacle pour atteindre de meilleures conditions dans le domaine de la santé reproductive.
  • La forte culture patriarcale qui caractérise la région et qui marque la législation de la majorité des pays d’Amérique Latine. Elle est étroitement liée à la prédominance de la religion catholique et la persistance, encore aujourd’hui, de la législation espagnole, et portugaise dans le cas du Brésil, imposée à l’époque de la conquête et basée sur le Droit Romain et le Code Napoléonien. Il n’est donc pas surprenant que les lois sur l’avortement, dans ces pays latino-américains, se distinguent par leur vision des femmes comme des êtres que le “pater familias” doit garder sous leur tutelle légale ou morale, et dont l’honneur est primordial pour la famille. Cela explique par exemple que la peine soit moindre pour la femme qui avorte lorsque c’est pour sauver son honneur ou celui de son nom. Dans les pays des Caraïbes colonisés par l’Angleterre, en revanche, la situation est différente: leur législation est régie par la “Common Law”, dont les principes et les règles proviennent uniquement des us et coutumes. La principale différence entre le système du Common law et le système légal romain tient dans le rôle des tribunaux. Alors que dans les régimes de Common law, les décisions juridiques créent la norme légale, dans le système romain la loi écrite est la principale source du droit (Center for Reproductive Law and Policy and DEMUS, 1997).

Le fait que la législation sur l’avortement n’ait pas évolué avec la reconnaissance juridique des autres droits reproductifs a généré des tensions et des conflits dans les débats. On y signale le manque de cohérence entre la législation restrictive sur l’avortement et les obligations souscrites par les pays qui ont signé les traités internationaux des droits de l’homme et les plans d’action issus des conférences (tableau 1) (Center for Reproductive Law and Policy, 2001).

Signalons enfin, en raison de leur importance, que les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), adoptés en septembre 2000 par l’Assemblée Générale des Nations Unies, abordent à peine le thème des droits reproductifs. L’objectif numéro 5 “Améliorer la santé maternelle” les évoque, par le biais d’indicateurs qui incluent : la réduction du taux de mortalité maternelle, l’augmentation du nombre d’accouchements assistés par un personnel de santé spécialisé, et l’augmentation du taux d’utilisation de la contraception. On peut supposer que la baisse de la morbimortalité chez les femmes en raison d’avortements réalisés dans de mauvaises conditions contribue à l’amélioration de la santé maternelle, mais aucun indicateur particulier dans l’élaboration des OMD ne prend en compte le thème des droits (Machinea et al., 2005). Cependant, certaines auteures comme Marge Berer (2004) signalent que si 13% des décès maternels sont dus à des complications d’avortement, alors rendre l’avortement sans risque devient un point crucial pour atteindre cet objectif des OMD. D’autre part, le Projet de Développement du Millénaire, un groupe de conseil indépendant mandaté par le Secrétaire Général des Nations Unies pour développer des stratégies pour atteindre les OMD, a produit un rapport qui reconnaît que la santé sexuelle et reproductive est un élément clef dans la recherche du bien-être global et de la réduction de la pauvreté (SIECUS, 2005).

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