Cadre juridique de l’avortement

La législation sur l’avortement en Amérique Latine et dans les Caraïbes

Quelques remarques préliminaires

L’avortement est considéré comme un délit dans la plupart des législations des pays d’Amérique Latine et des Caraïbes, dont la sanction, qui comprend des durées d’emprisonnement, est consignée dans les ordonnances pénales. Ces législations ont souvent été implantées au XIXème siècle ou au début du XXème. L’influence de l’Église Catholique s’est faite sentir depuis l’époque de la colonisation dans ces pays principalement colonisés par l’Espagne (ou le Portugal pour le Brésil), et la majorité des législations sur l’avortement en Amérique Latine sont le produit des racines extrêmement conservatrices qui dominent dans la région.

Si très peu de pays autorisent l’avortement à la demande de la femme en Amérique Latine, plusieurs législations de la région autorisaient déjà l’avortement à la fin du XIXème et au début du XXème siècle pour certaines des causes suivantes: pour sauver la vie de la femme, ou dans le cas d’une grossesse suite à un viol, comme on le verra plus loin. À partir des réunions internationales où les droits au planning familial et à la santé reproductive ont été reconnus, les causes autorisant l’avortement ont été élargies, y ajoutant la protection de la santé physique ou mentale de la femme enceinte et non plus uniquement la protection de la vie comme c’était le cas depuis le début du XXème siècle.

A l’inverse, on a aussi observé des modifications récentes de certaines législations qui tendent à revenir sur les changements intégrés depuis de nombreuses années et obtenus depuis la Conférence Mondiale de la Population du Caire en 1994. Ces transformations restrictives sont le résultat de la puissante influence de l’Église Catholique (Borland, 2002), et des groupes influents de droite, soutenus par le gouvernement américain sous la présidence de George W. Bush; une des principales conséquences de cette influence a été le retrait de l’aide financière aux gouvernements et aux ONGs qui soutenaient la pratique de l’avortement. Une des stratégies centrales et les plus débattues pour revenir sur les progrès législatifs a consisté à promouvoir la reconnaissance constitutionnelle des droits du non-né dans les différents pays latino-américains. Ces changements ont provoqué des débats centrés sur le sens du droit à la vie ou du droit à l’existence, qui est traditionnellement un droit qui s’exerce lorsqu’il y a vie, ce qui est le point essentiel de la discussion: tandis que pour certains groupes la vie commence au moment de la conception et le foetus est un sujet de droit, pour d’autres en revanche les droits ne s’acquièrent qu’une fois né. Dans les pays où l’avortement est autorisé sous certaines conditions, on reconnaît tacitement que, comme tous les droits de l’homme, le droit à la vie n’est pas absolu et qu’il peut être restreint lorsqu’il entre en conflit avec d’autres droits, ou d’autres circonstances, comme le danger sur la vie ou la santé de la femme. Dans d’autres systèmes juridiques et politiques, on reconnaît aussi que les droits de la femme prévalent, au nom de principes comme la dignité humaine, le respect de l’intégrité physique et mentale, le libre développement de la personnalité et l’auto-détermination.

D’autres aspects à prendre en compte dans l’analyse des lois sur l’avortement tiennent à une série de principes généraux du droit qui, même s’ils varient d’un pays à l’autre, ont suffisamment de points communs pour que l’on puisse s’y référer avec une marge raisonnable de certitude juridique. Citons parmi eux : la définition de l’avortement, c’est–à-dire le type de pénalité définie en cas d’avortement provoqué; les différentes situations dans lesquelles un avortement provoqué peut se pratiquer; la sanction ou la peine attribuée au délit en fonction des circonstances qui l’entourent et qui sont décrites dans l’ordonnance pénale concernée, ainsi que les causes qui excluent la responsabilité (voir les différents types d’avortement et leur définition dans l’annexe 1).

Dans ce texte on parlera exclusivement de l’avortement provoqué, c’est-à-dire de l’interruption volontaire et délibérée de la grossesse, qui est l’avortement sanctionné dans les législations. La conduite réprimée dans le délit d’avortement est celle qui consiste à provoquer intentionnellement la mort du produit de la conception avant une étape déterminée de la grossesse ou pendant tout le temps de la grossesse, selon la définition pénale de chaque législation. La sanction concerne aussi bien la femme qui avorte ou se fait avorter, que la personne qui pratique l’avortement, même si c’est sur demande de la femme et avec son consentement. Lorsqu’une personne provoque un avortement à une femme enceinte sans son consentement, en utilisant ou non la force physique ou morale, la femme n’est pas sanctionnée et la personne ayant provoqué l’avortement est en revanche sévèrement punie. C’est ainsi le cas à Cuba et en Guyane. Les avortements spontanés ou dus à une imprudence ne sont pas considérés comme un délit et ne sont donc pas sanctionnés (annexe 1). Il est intéressant de noter la discrimination de genre implicite dans les lois sur le sujet, puisque c’est uniquement la femme enceinte, et jamais l’auteur de la grossesse, qui est punie.

La diversité des législations pénales sur l’avortement à l’intérieur des pays fédéraux composés d’états libres et souverains mérite également d’être signalée. Cette situation est bien illustrée par le cas du Mexique, pays constitué de 32 états (tableau 3).

Il existe en plus un élément qui rend difficile l’analyse des législations de l’avortement dans la région. Même si la source est une loi écrite, celle-ci, comme les lois en général, est sujette à interprétation, et sa lecture peut varier selon les contextes ou les personnes qui l’interprètent. On peut même trouver différentes versions des lois d’un même pays. On trouve ainsi fréquemment peu de cohérence, de clarté et de précision dans la littérature sur le statut légal de l’avortement. De même, on trouve parfois dans la littérature des références à des sources sur le statut légal de l’avortement qui ne se basent pas sur les lois proprement dites, et qui donnent l’impression que l’avortement est dans une situation différente de sa situation légale. C’est par exemple le cas au Honduras, où l’avortement est interdit mais où apparaissent fréquemment dans certaines références des allusions à des exceptions; elles s’expliquent par le fait que le Code d’Éthique Médicale de ce pays envisage la possibilité de ne pas sanctionner un médecin qui pratique l’avortement pour sauver la vie d’une femme enceinte. Ce code n’a cependant aucune valeur légale au niveau national.

Statut juridique de l’avortement en 2003 comparé à 1994

En Amérique Latine et dans les Caraïbes, comme dans bien d’autres régions du monde, les lois sur l’avortement diffèrent considérablement selon les pays. Certaines législations autorisent sans aucune restriction la pratique de l’avortement au cours du premier trimestre de grossesse, et une fois dépassée cette durée, l’avortement ne peut s’obtenir que sous certaines conditions. C’est par exemple le cas à Cuba et en Guyane où la législation est mise en place dans une optique de protection de la santé de la femme.

On considère d’un point de vue médical qu’au cours du premier trimestre de la grossesse, la pratique de l’avortement par un personnel qualifié est sans risque et a peu ou pas des effets secondaires sur la santé. À Puerto Rico cette limite de durée n’existe pas et la restriction se réfère à la viabilité du foetus, c’est-à-dire que l’avortement n’est autorisé que jusqu’au moment où le foetus serait viable hors du ventre de sa mère. A l’opposé, d’autres législations ne permettent l’avortement sous aucune condition, comme c’est le cas au Chili, au Salvador, au Honduras, en République Dominicaine et à Sint Maarten, ainsi qu’en Colombie jusqu’en 2006. Dans les autres pays de la région, soit la majorité, l’avortement est considéré comme un délit, mais est autorisé dans des situations particulières et sous certaines conditions.

Comme on l’a vu, des changements de législations ont eu lieu au cours des années 1970 en Amérique Latine, pour protéger la santé des femmes et non uniquement leur vie comme le prévoyaient déjà les législations dans certains pays. Le tableau 2 compare la législation de l’avortement dans la région en 2003 (voir la carte) à celle qui existait en 1994. Il est important de signaler que les périodes ne sont pas strictement comparables, puisque d’un côté les sources consultées diffèrent sur le statut juridique de l’avortement dans certains pays, et que d’un autre côté, pour d’autres pays, on ne dispose pas de l’information nécessaire pour les deux périodes. Cependant et malgré ces réserves, on peut se faire une idée de la situation législative à ces deux dates.

Tandis qu’en 1994 les Barbades, trois pays des Antilles Françaises et la Guyane Française, Cuba et Puerto Rico autorisaient l’avortement sans aucune restriction à condition qu’il soit pratiqué avec le consentement de la femme, en 2003 seule la Guyane rejoint ce groupe de pays. L’avortement volontaire y a en effet été dépénalisé entre 1994 et 2003. D’après l’information disponible, on peut affirmer qu’en presque 10 ans aucun progrès important n’a été observé. Cependant, il faudrait prendre en compte les informations qui démontrent que dans les pays où la loi sur l’avortement est plus libérale, les avortements à risque sont moins fréquents et le taux de mortalité maternelle pour cette cause plus bas. (Berer, 2004). On observe en même temps, entre 1994 et 2003 une relative stagnation voire un recul du nombre de pays où l’avortement était totalement interdit. En 1994, cinq pays interdisaient totalement l’avortement: le Honduras, le Chili, la Colombie, la République Dominicaine et Sint Maarten. Le Salvador a rejoint ce groupe en 1997 en modifiant sa législation dans le sens d’une restriction totale. (Centro de Derechos Reproductivos, 1998; United Nations, 2001). La situation de la Colombie a évolué en mai 2006, lorsque la Cour Constitutionnelle a dépénalisé l’avortement dans les cas suivants: lorsque la grossesse met en danger la vie de la femme, en cas de grave malformation du foetus, en cas de viol, d’insémination artificielle, de transfert de l’ovule fécondé non consenti ou d’inceste (http://www.ipas.org/english/default.asp; communiqué officiel de la Corte Constitucional de la República de Colombia, envoyé par María Mercedes Lafaurie et Cristina Villareal).

Les changements observés entre 1994 et 2003, dans les pays qui autorisaient l’avortement au moins pour une cause, montrent que tandis qu’en 1994 l’avortement était autorisé pour sauver la vie de la femme dans 27 pays, 7 d’entre eux ne le permettaient que dans cette circonstance; dans 16 pays, il était autorisé pour cette cause et pour des motifs de santé; dans 8 pays on le permettait également en cas de viol ; dans 4 pays les lois l’autorisaient  aussi en cas de malformations foetales et dans un pays pour des raisons socio-économiques (voir tableau 2). Neuf années plus tard, en 2003, l’avortement est autorisé pour au moins une cause dans 27 pays (dont les Îles Caïmans qui ne faisaient pas partie de ce groupe en 1994), pour au moins deux causes dans 17 pays, le danger pour la vie de la femme et la préservation de sa santé physique et mentale; dans neuf pays il est autorisé en cas de viol, dans sept pays en cas de malformations foetales et dans deux pays pour des raisons socio-économiques entre autres causes.

Hormis les changements déjà signalés dans les pays où la législation s’est durcie et dans ceux où elle s’est libéralisée, force est de constater que ce sont les mêmes pays qui autorisaient l’avortement pour sauver la vie de la femme en 1994 et en 2003 (avec comme exception Le Salvador, la Colombie à cause des changements mentionnés antérieurement).

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