L'asile au Sud : Afrique, Méditerranée...

L’asile au Burkina Faso : une forme entropique de l’hospitalité ?

« Du Takchïf. C’est là le nom que l’on donne à tout individu des Messoûfah que la caravane paye pour la précéder à Îouâlâten. […] Celui qui n’a pas d’amis à Îouâlâten adresse sa missive à un négociant de cette place connu par sa bienfaisance, lequel ne manque pas de faire pour cette personne comme pour les autres de sa connaissance ».
Extrait de Ibn Battûta. Voyages, III. Inde, Extrème-Orient, Espagne et Soudan, La Découverte, 1997, p. 399.

Benoit Hazard
ATER en Anthropologie EHESS. Centre d’Etudes Africaines.
5, place Jules Verne, 93380 Pierrefittes / Seine
benpasco@free.fr

Mots clés: Burkina Faso / Migration de travail / Réseaux sociaux/ Politiques d’hospitalités/ Reproduction sociale/ Réfugiés. 

Historiquement, le sens commun s’accorde à définir l’asile comme un lieu refuge, caractérisée par l’inviolabilité, où des individus considérés, ou se considérant, en danger, trouvaient protection et secours. Vu sous l’angle de ses caractéristiques, le principe de l’asile tend à se décliner de façon multiforme, et recouvre une multitude de relations sociales à travers l’histoire des sociétés. Pourtant la réapparition d’une problématique du « droit d’asile » en sciences sociales s’est largement focalisée sur les codifications sociales les plus récentes, notamment celles élaborées dans le cadre des institutions et des espaces disciplinaires. Il n’est d’ailleurs pas anodin de remarquer que l’actualité de ce débat suit, au moins en partie, un chemin parallèle à la reformulation du concept de diaspora et à l’émergence des « nouvelles migrations ».

Bien que la grande majorité des réfugiés du sud se trouve au sud, l’asile, en tant que règle de droit établie par la convention de Genève de 1951, semble, à priori, demeuré étranger à l’Afrique de l’ouest, ou tout au moins, à la préoccupation de ses états. Cette remarque, qu’il conviendra d’expliciter, appelle une série de questions. Tout d’abord, peut-on parler de l’asile et des réfugiés au sud sans évoquer les trajectoires de l’État en Afrique, et s’interroger ainsi sur la portée heuristique des espaces disciplinaires? Ensuite, ne doit-on pas s’interroger sur l’existence de représentations et de pratiques, dit autrement de politiques de l’asile, ou de substituts à celles-ci, mises en œuvre par les dynamiques des sociétés. En d’autres termes, ne peut-on reformuler la question de l’asile au sud en s’interrogeant sur les conditions historiques et anthropologiques dans lesquelles cette notion émerge au sein de sociétés particulières. Enfin, pour aborder les politiques de l’asile, ou leurs substituts, ne faut-il pas envisager cette notion comme le produit de relations et d’interactions, plutôt que, comme une règle de droit universelle, établie ad vitam aeternam.

La trajectoire historique des migrations de travail des Burkinabés en Côte d’Ivoire, fournit un cas d’étude particulièrement pertinent pour une telle approche, puisqu’elle permet de revenir sur les conditions d’émergence de l’asile et de la catégorie de réfugié au Burkina Faso, mais aussi sur la mobilisation et la signification du droit d’asile dans un contexte, a priori, « hors-cadre » : celui des migrations de travail.

Bien qu’une politique burkinabé de l’asile soit attestée depuis, bien avant les tensions avec la Côte-d’Ivoire, les catégories de l’asile ont pris une tournure particulière avec les « événements de Tabou » (Sud ouest de la Côte d’Ivoire) qui ont marqué le début d’un retour massif, et précipité, des travailleurs au pays à partir de 1999. Assimilés à une « diaspora » dans les premiers temps de la crise, les « rapatriés », « kaoswese », ou encore migrants de retour, furent rapidement assimilés à des « réfugiés » par les autorités burkinabés, dans un second temps. Derrière l’utilité politique évidente d’un tel signifiant, puisqu’il assimile les migrants à la figure de la victime, les événements de Tabou ont aussi cristallisé, de façon brutale, un processus lent d’effondrement de l’économie de plantation, et des relations sociales, comme les constructions historiques de l’hospitalité, instituées autour de la figure du tuteur, de l’hôte ou du diatigui. Signifiant la rupture des flux migratoires à destination de la Côte d’ivoire, ces événements ont, par ailleurs, conforté l’essor des réseaux sociaux de la migration de travail vers l’Italie où, à l’initiative d’anciens burkinabés de Côte d’Ivoire, l’hospitalité s’était déjà recomposée sous une autre forme autour de nouvelles figures du passage comme les passeurs et les caponeri. Au reste, les processus de recomposition des réseaux sociaux de la migration vers l’Italie, ou d’autres pays, n’ont pas suffi pour absorber la main d’œuvre burkinabé rapatriée.

Dans ce contexte, l’asile et ses figures périphériques semblent dorénavant devoir s’appliquer à ceux qui, parce qu’ils n’ont plus eu accès aux réseaux sociaux des nouvelles migrations symbolisées par « l’aventure », n’ont pu tenter un autre « ailleurs ». En ce sens, « l’asile au sud » reformule le problème de l’alternative aux migrations de travail, tout en n’ignorant pas que les réseaux sociaux alimentant différents systèmes de production de l’Italie en force de travail sont devenus étroits, professionnels, sinon mafieux. En reprenant les termes d’un jeune burkinabé, l’hospitalité se décline aujourd’hui sous cette sentence: « Si tu es pauvre, tu n’as pas d’amis ». Ou quand l’exil intérieur réclame l’asile… ?

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