Ce colloque sur l'asile au Sud prend place dans un contexte international dont on retiendra trois aspects essentiels : la fin de la guerre froide qui a bouleversé l’intérêt stratégique de l’asile ; la mondialisation des échanges économiques qui réduit les distances matérielles et culturelles ; la politique d’endiguement des flux migratoires Sud-Nord qui n’a pas épargné les flux d’asile et s’est accompagnée d’une politique de rejet massif des demandes d'asile. De plus et depuis quelques années, les pays du Nord intensifient les pressions à l'égard des pays du Sud pour qu'ils développent leurs systèmes d'asile et freinent ainsi l'arrivée de demandeurs d'asile au Nord. Dans ce contexte, l’intérêt des gouvernements du Nord et des institutions internationales pour l’asile au Sud a évolué puisqu’il ne s’agit plus de gérer des camps de réfugiés dans une optique de conflits entre les deux blocs mais de contrôler les flux migratoires et conforter leur propre conception de l’ordre mondial.
C'est dans une tout autre perspective, celle des sciences de l'homme et de la société, que ce colloque contribuera à l’analyse du système d’asile mondial en participant aux études et aux réflexions sur l'asile au Sud. Il s'agit d'abord de prendre la mesure des expériences humaines, des contraintes économiques et des enjeux politiques considérables liés à une réalité ancienne, mais qu'il devient aujourd'hui plus urgent de mieux connaître : l'immense majorité des réfugiés du Sud trouvent refuge au Sud, et ce refuge prend alors des formes sociales très diverses qui se réduisent rarement aux catégories juridiques et aux procédures de la Convention de Genève. Les migrations liées à l’asile, sujet central de ce colloque, s’intègrent dans un contexte migratoire mondial complexe caractérisé par l’importance des migrations de travail. Ce contexte et son influence sur l’asile devront être largement présents dans les analyses.
Le domaine d'étude ainsi décrit est vaste et n'exclut aucune spécialité des sciences de l'homme et de la société. Trois thèmes ont été retenus, qui orientent les débats sur certains sujets transversaux tout en offrant place aux présentations de situations concrètes ainsi qu'à l'analyse des dimensions humaines de l'exil et du refuge. Des questions théoriques, conceptuelles et de mesures traversent ces trois thèmes et devront faire l’objet d’une grande attention.
Qu'ils soient protecteurs, persécuteurs, les deux à la fois, ou simplement en difficulté pour protéger leurs ressortissants, les États sont au centre de toutes les histoires d’asile.
Tous les États du Sud, forts ou faibles, démocratiques ou non, centralisés ou pas, jouent un rôle fondamental dans l’organisation de l’asile, ne serait-ce que par la place qu’ils accordent au HCR et aux ONG de l’humanitaire. La question immédiate qui se pose alors est de savoir quelles sont exactement leurs politiques en matière de protection ? Sont-elles très différentes d’un pays à l’autre ? Y a-t-il des différences notables dans les législations nationales ? Bien entendu, l’action des États ne se limite pas au droit et englobe potentiellement toutes les facettes de l’asile. Par exemple, quel est le rôle des États dans la répartition spatiale des réfugiés, dans le choix du type de regroupement (camps ouverts ou fermés, sites urbains ou agricoles), dans la gestion des camps, dans l’évolution de l’opinion publique sur l’asile ? Quelle place accordent-ils à l’hospitalité privée ? Comment tolèrent-ils les « clandestins » et quelle image en donnent-ils ?
Les niveaux d’intervention de l’État sont également très variés et, des ministères aux administrations locales, la mise en œuvre de la politique d’asile n’est pas toujours parfaitement homogène ni comprise de la même manière par les différents acteurs (fonctionnaires de l’État), ce qui relativise parfois la notion même de politique nationale en matière d’asile.
Les questions liées à la raison d’État sont également nombreuses. L’asile est très souvent un enjeu entre les parties en conflits. C’est aussi un enjeu dans les relations entre les grandes puissances qui tentent de s’imposer en gendarme du monde. Comment les États du Sud acceptent-ils l’ingérence ou la présence « humanitaire » des grandes puissances ? Coopèrent-ils à la politique d’externalisation de l’asile des pays les plus riches ? L’aide internationale est aussi un enjeu important et, dans ce domaine, les relations entre les États, les institutions internationales et les ONG, sont complexes et parfois opaques. Comment se fier, par exemple, aux statistiques nationales sur les réfugiés lorsqu’elles sont le support des demandes d’aides internationales ? De même, quelle est l’autonomie de l’aide en faveur des réfugiés lorsque les pays du Nord subordonnent l’aide au développement à la coopération des pays du Sud en matière de contrôle des flux migratoires ?
Quels sont les effets réels des politiques d’asile (production d’une vision nationale et souveraine des choses) lorsqu’elles sont mises en œuvre par des États-Nations qui sont encore très peu ancrés localement, en particulier dans les zones frontalières ? Ainsi, est posée la question des frontières et de leur rôle dans le cas d’États-Nations fragiles ou en construction.
Les réfugiés, déplacés, exilés, vivent des situations de crises caractérisées par une grande instabilité psychologique, sociale et économique. L’errance entre statuts, entre camps, villes, campagnes ou même entre pays est courante. La description de ces situations mouvantes par les catégories opérationnelles classiques telles que statutaires, clandestins, urbains, ruraux, etc., ne donne au mieux que des images instantanées incapables de rendre compte de la perméabilité et des multiples passages entre ces catégories. Nous proposons d’appréhender cette mobilité par l’étude des itinéraires des réfugiés. Suivre le fil conducteur des cheminements avec les allers-retours et les arrêts provisoires ou durables, qui matérialisent en quelque sorte la complexité des situations, permet de mieux comprendre le flou et l’indétermination qui fondent la figure et la vulnérabilité des individus. On accordera dans cette perspective une attention particulière aux situations des exilées victimes de persécutions spécifiques aux femmes.
Cette démarche, proche des méthodes biographiques, doit permettre d’explorer comment les itinéraires des réfugiés qui se dessinent à l’échelle individuelle ou familiale s’articulent autour de plusieurs espaces géographiques, juridiques, sociaux et même médicaux : le camp, la ville, les pays du Sud, les pays du Nord, etc. Qui part, qui reste, et pour quelles raisons ? Quelles relations existe-t-il entre les réfugiés restés dans les camps et ceux qui sont installés dans les villes ou dans les pays occidentaux ? Quels sont les lieux d’implantation durable ou, au contraire, les nouveaux lieux de transit qui ouvrent la porte à l’émigration clandestine ? Quels sont les supports de ces mouvements migratoires (réseaux familiaux, religieux, villageois) et comment franchissent-ils les multiples obstacles liés à l’existence des frontières, des législations, des contrôles policiers, etc.
Les notions « d’espace de transit » ou de « réseaux transnationaux » élaborés dans d’autres cadres théoriques seront certainement utiles à la compréhension de ces mouvements et de leurs causes. Peut-être, même, pourra-t-on parler de « transnationalisme forcé » en combinant les éléments de répulsion (conflits, absence de droits humains, misère) et d’attraction (paix, respect des droits humains, prospérité). Quel que soit le paradigme mobilisé, on ne pourra échapper à l’analyse des rapports entre l’errance et l’intégration dans les réseaux sociaux complexes qui traversent les pays d’origine, de transit et d’accueil. Le retour, qui n’est pas nécessairement la dernière étape du voyage des réfugiés, occupe une place privilégiée dans leurs parcours. Qu’il soit souhaité ou contraint, ses conditions sont rarement simples et devront être étudiées.
Les dimensions économiques et territoriales de l’asile dans les pays du Sud sont multiples, complexes, parfois contradictoires mais toujours significatives pour les pays d’accueil. Ceux-ci le perçoivent toujours comme un coût dont ils amplifient les effets. Ils considèrent les réfugiés comme un fardeau à partager (principe du « burden sharing ») avec les pays du Nord. Se limiter à une analyse des dimensions économiques et territoriales de l’asile par une seule approche des divers coûts et notamment ceux du « charity business », c’est risquer de n’offrir qu’une vision partielle de la réalité. Si l’asile a souvent un coût, économique ou environnemental, il représente aussi des gains, généralement passés sous silence. Ce n’est pas là une caractéristique propre aux pays d’accueil, les pays fournissant l’aide internationale sont également très pudiques sur les intérêts qu’ils en retirent. Nous proposons d’appréhender les retombées de l’asile en termes de coûts mais aussi de gains.
L’arrivée massive de réfugiés n’est pas sans conséquences sur le marché du travail. Les réfugiés, qu’ils soient qualifiés ou non, réussissent à contourner les restrictions d’accès au travail et constituent une main d’œuvre disponible et bon marché du fait de leur condition précaire. Quelles sont les conséquences de leur présence sur le marché de l’emploi et dans quels secteurs font-ils concurrence aux nationaux ? A l’inverse, l’activité engendrée par la présence de milliers de réfugiés ne se traduit-elle pas par des créations d’emplois pour les nationaux ?
À l’échelle régionale, les répercussions économiques et environnementales de la présence de camps sont des thèmes encore peu explorés. Par leur offre de services et leurs divers dons qui ne profitent pas exclusivement aux réfugiés, le HCR et les ONG transforment parfois le camp en un pôle dont l’aire d’attraction est rarement étudiée. Quelles relations s’instaurent entre réfugiés et autochtones notamment dans le domaine du foncier ? D’autre part, on parle beaucoup de la revente des dons qui contribue à alimenter un marché parallèle, perturbant les circuits commerciaux classiques, mais peu d’études quantitatives ont été menées sur ce sujet. Au-delà du caractère éphémère et artificiel de la présence d’un camp, quelles sont les particularités du dynamisme régional qu’il induit ? Quant aux répercussions environnementales des grands camps implantés en milieu rural, toujours qualifiées en termes de dégradation, elles demandent à être étudiées scientifiquement.
À l’échelle nationale, les raisons de l’implantation des camps aux marges des territoires doivent être explorées. Les États d’accueil ne tirent-ils pas parti de l’asile pour désenclaver et mettre en valeur les marges de leur territoire en laissant des pans entiers de leur économie à la charge des agences de l’ONU et notamment du HCR, du PAM et du PNUD ? Finalement, quels sont les effets déstructurants et restructurants des mouvements importants de réfugiés sur l’économie et le territoire des pays d’asile ? Ces mouvements ne sont-ils pas souvent des accélérateurs des changements économiques et sociaux, pouvant même parfois être le moteur d’un développement lorsque les conditions favorables sont réunies ?^ Haut
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