Orphelins et enfants vulnérables en Afrique
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Qui sont les « orphelins du sida » ? Une définition à géométrie variable

Prendre en compte les spécificités du contexte africain ?

Compte tenu du rôle déterminant des solidarités intergénérationnelles et de la circulation des enfants au sein de la famille élargie, on peut  se demander ce qu’est un orphelin dans un contexte africain.

En effet, en Afrique, un grand nombre d’enfants ne vivent pas avec leurs parents biologiques et ne sont donc pas élevés par eux ; ils sont confiés à la famille élargie : par exemple au Sénégal, le confiage d’enfants est extrêmement courant avec 25% des enfants en dessous de 15 ans ne vivant pas avec leurs parents biologiques, sachant que cette proportion passe à 35% pour la tranche d’âge 10-14 ans. Au Cameroun, on estime la proportion d’enfants confiés à 22%. Locoh, 2002 Le placement des enfants au sein des réseaux de parenté et de relations est une pratique très ancienne en Afrique et fréquente. Ainsi, de nombreux enfants, lorsqu’ils deviennent orphelins, ne vivaient pas forcément avec leurs parents biologiques.

Même si un enfant vit avec ses parents biologiques, et que l’un des deux meurt, il peut ne pas être considéré comme orphelin car les règles traditionnelles régissant les sociétés africaines facilitent la prise en charge de ces enfants notamment à travers la circulation des enfants au sein des systèmes de parenté. Thérèse Locoh (2002) souligne à ce propos que « l’accueil d’enfants apparentés a toujours été un moyen de gérer les crises sanitaires et de protéger les enfants en cas de décès des parents. C’est ce que l’on voit avec l’épidémie de sida. Les grands parents mais aussi des oncles et des tantes, des frères et sœurs plus âgés, sont en première ligne dans l’accueil des orphelins. La circulation d’enfants entre différents ménages apparentés n’est pas limitée aux orphelins. C’est une pratique assez généralisée qui contribue à inscrire l’enfant dans sa grande famille et non dans le seul giron de ses parents biologiques. » Locoh, 2002.

En effet, dans la plupart des cultures africaines, l’enfant appartient à la communauté et celle ci prend soin d’un enfant dans le besoin, respectant ainsi les obligations et règles de la solidarité intergénérationnelle. Aussi, la non reconnaissance du statut d’orphelin est assez courante dans la plupart des communautés en Afrique subsaharienne Skinner, Tsheko, Mtero-Munyati, Segwabe et Chibatamoto, 2004.

Par exemple, tous les dialectes zambiens ont un mot pour désigner un orphelin, mais il n’est pas utilisé pour les orphelins pris en charge par des membres de la famille UNICEF et UNAIDS, 1999.  Dans une étude menée par Skinner et al. auprès de communautés du Botswana, du Zimbabwe et de l’Afrique du Sud, il est ainsi apparu que pour ces communautés, la notion d’orphelin ne renvoie pas uniquement au décès des parents mais aussi à l’incapacité ou au refus de la parentèle élargie à prendre en charge l’enfant. Par contre, un orphelin n’est jamais vraiment considéré comme orphelin tant qu’il est pris en charge par le reste de la famille. Selon la plupart des groupes interrogés, un orphelin ne devient pas nécessairement vulnérable, tout dépend de la qualité de la prise en charge.

Par ailleurs, à travers cette étude Skinner et al. montrent que pour les communautés interrogées, il n’existe pas de limite d’âge pour définir un enfant orphelin Skinner, Tsheko, Mtero-Munyati, Segwabe et Chibatamoto, 2004. En effet, l’âge auquel on est considéré comme sorti de l’enfance varie selon les contextes et les sociétés : « le passage de l’enfance à l’âge adulte (…) varie en fonction des cultures et (…) n’est pas forcément déterminé par l’âge mais plutôt par un moment de la vie particulier tel que le mariage par exemple. » Appaix et Dekens, 2005

Une autre étude menée par l’UNICEF et effectuée en Zambie en 1999 a également révélé un problème de définition du statut d’orphelin au sein des communautés interrogées. De nombreuses communautés zambiennes considèrent qu’un enfant est orphelin uniquement lorsqu’il ne vit pas avec un membre adulte de sa famille. Dans certaines communautés, les orphelins qui ont perdu leurs parents, mais qui sont pris en charge par d’autres membres de la famille, ne sont pas supposés recevoir d’assistance spéciale, sauf s’ils sont très pauvres. Ainsi, certaines communautés préfèrent le terme « d’enfant vulnérable » à celui « d’orphelin » parce que les conditions de vie des enfants dont les parents sont vivants ne sont guère meilleures que ceux dont les parents sont décédés et ont autant besoin de soutien. L’étude constate que si 75% des enfants orphelins vivent en dessous du seuil de pauvreté, c’est également le cas de 73% d’enfants qui ont encore leursparents. Fleshman,2001.

Enfin, il est également important de préciser que les différents pays africains ont des définitions juridiques différentes de ce qu’est un orphelin. En Namibie, un orphelin est un enfant de moins de 18 ans qui a perdu sa mère, son père ou les deux, ou la personne qui s'occupait de lui. En Ethiopie, il s’agit d’un enfant de moins de 18 ans qui a perdu son père et sa mère, alors qu’en Ouganda, un enfant de moins de 18 ans qui a perdu l’un ou l’autre des parents aura le statut juridique d’orphelin Smart, 2003.

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