Il est important de rappeler que l’existence d’un nombre important d’orphelins est antérieur à l’épidémie du sida en Afrique subsaharienne ; en effet, la faible espérance de vie, l’écart d’âge important entre les parents et les enfants, les crises (conflits armés, crise de subsistance, sécheresse…) ont rendus de nombreux enfants orphelins Dozon et Guillaume, 1994 ; en revanche le système traditionnel de prise en charge les absorbait, car le nombre d’orphelins était moins important qu’aujourd’hui.
Ce n’est que depuis l’apparition de l’épidémie du VIH/Sida que les chercheurs ont commencé à s’alerter sur l’ampleur du phénomène des orphelins en Afrique Subsaharienne ; les premières études concernant les orphelins du sida ont été effectuées au début des années 90 Mukiza-Gapere et Ntozi, 1995
Bien que le nombre croissant d’orphelins dû à l’épidémie du VIH/SIDA ait saturé le système de prise en charge traditionnel, et que d’autres systèmes de prise en charge se soient mis en place, il faut souligner que « la famille élargie reste l’unité d’assistance aux orphelins prédominante ; les populations africaines conservent une vision du monde qui met en avant l’intégrité de la famille élargie et encourage les hommes du clan et leur lignage à rester, à travailler et à survivre ensemble plutôt que fonctionner de manière indépendante »Foster, Drew et al., 1995.
Afin de comprendre les mécanismes de prise en charge mis en œuvre pour accueillir les orphelins, rappelons quelques principes régissant les systèmes familiaux en Afrique subsaharienne.
Les systèmes familiaux africains reposent sur trois caractéristiques majeures et convergentes concernant la place de l’enfant au sein de la famille :
« Dans beaucoup de sociétés africaines, de nombreux enfants sont placés dans d’autres familles, soit par entente entre les deux familles, soit par décès ou absence prolongée ou divorce des parents biologiques de l’enfant. Cette mobilité des enfants entre familles qu’on appelle confiage, don ou prêt d’enfants ou parfois enfants adoptés, est très ancienne et assez répandue en Afrique (…) Le confiage des enfants était perçu comme une confirmation des alliances ou des amitiés entre deux familles, ou entre deux personnes. La famille adoptive percevait cela comme une faveur. La notion de père ou de mère renvoyait à un groupe d’individus chez lesquels l’enfant pouvait « circuler » ».Antoine and Guillaume, 1984 « Il n’y avait presque pas de calcul économique dans cette mobilité ». Dabiré, 2001.
La pratique du confiage représente effectivement une pratique ancienne et fréquente en Afrique et constitue encore de nos jours une des formes de solidarité les plus courantes. Il existe ainsi de nombreuses raisons de confiage d’enfants ; la prise en charge des orphelins ne représente qu’une seule raison parmi tant d’autres: Caldwell écrivait en 1997 « sur 90 millions d’enfants affectés par le Sida, 33 millions d’entre eux ont au moins déjà une fois vécu sans leurs parents et 15 millions n’ont vécu ni avec l’un ni avec l’autre » Caldwell, 1997; il est alors important de rappeler que la pratique de confiage des enfants ne s’inscrit pas seulement dans des contextes de crise.
« Parce que le confiage est ici enraciné dans les structures de parenté et les traditions, les enfants ne sont pas envoyés seulement en cas de crise familiale ou lorsqu’aucun des deux parents naturels ne peut, pour une raison quelconque, les élever. En fait, le placement d’enfants est pratiqué, à la fois par des familles stables et instables, par des mères mariées ou vivant seules, par des parents en bonne santé ou handicapés, par des ménages ruraux et urbains, par des parents riches et pauvres. » Isiugo-Abanihe, 1985
Cependant, cette pratique subit des changements profonds face aux mutations socio-économiques telles que le développement et la crise des économies, l’urbanisation croissante, la scolarisation ou les migrations ; le mécanisme de circulation d’enfants s’est ainsi adapté à ces changements socio-économiques et s’est éloigné de son rôle traditionnel fondé sur des processus de socialisation.
Cette pratique persiste aujourd’hui principalement pour des raisons d’entraide économique, d’une part en réponse aux besoins de la famille d’accueil en terme de main d’œuvre par exemple, et d’autre part selon les besoins de la famille d’origine afin de l’alléger des responsabilités qu’elle ne peut assumer telle que la scolarisation des enfants par exemple.
En effet, selon JP. Dozon et A. Guillaume, cette pratique « répond en partie à des nécessités économiques ou à des stratégies de capitalisation de dépendants ou encore au besoin de nouer ou de renforcer les liens politiques entre communautés locales (…) Nombre d’enfants servent ainsi de main d’œuvre dans le secteur agricole, dans les activités commerciales et artisanales ; ils peuvent aussi être employés pour des travaux domestiques auprès de parents installés en ville ou tout simplement dans des familles d’accueil, mais ils peuvent être aussi confiés afin de poursuivre normalement leur scolarisation » Dozon and Guillaume, 1994.
La crise économique a orienté le confiage d’enfants vers un échange de main d’œuvre, en effet, « sous l’emprise des difficultés, les réticences se font de plus en plus fortes à accueillir un enfant confié pour scolarisation par un parent » Pilon et Vignikin, 1996
Ce contexte de crise a porté un sérieux préjudice aux solidarités familiales et au système de circulation des enfants. « Les systèmes familiaux semblent être à la croisée de deux mouvements opposés, la solidarité dans la crise et la crise des solidarités » Pilon et Vignikin, 1996
Parallèlement à la crise économique, l’apparition du VIH/SIDA a également transformé ces mécanismes de placement d’enfants et a suscité des modifications spécifiques:
D’une part, le VIH/SIDA a augmenté le nombre de décès parentaux et le nombre d’orphelins. D’autre part, la crainte de la maladie, de la contamination par les contacts quotidiens ont suscité des comportements de rejet et d’exclusion des malades et de leur famille au sein même du réseau de parenté. La saturation du système et la stigmatisation ont ainsi provoqué des situations de refus et d’incapacité de prise en charge et un affaiblissement profond des solidarités familiales, rendant les orphelins de plus en plus seuls et vulnérables.
Le statut d’orphelin signifie traditionnellement la dépossession des biens et propriétés ; d’où la perte de l’héritage surtout si l’enfant est encore mineur.
Les biens de la personne défunte sont traditionnellement saisis par la famille élargie ou la communauté. Si l’enfant est orphelin de père et qu’il continue de vivre avec sa mère, ce problème persiste également.
En Ouganda, par exemple, une veuve sur quatre affirme avoir perdu son droit de propriété lorsque son mari est mort. Bien qu’il s’agisse d’une pratique traditionnelle, elle n’en est pas moins une violation des lois et droits d’héritage des femmes et des enfants, renforçant la vulnérabilité des familles et des orphelins. Gilborn et al., 2001
En effet, traditionnellement, les femmes et les jeunes enfants ne possèdent ni n’héritent de biens. Population Council et Horizons, 2003
Ainsi, en Afrique subsaharienne, la rédaction d’un testament officiel n’est pas une pratique courante, ce qui accroît le risque que d’autres membres de la famille élargie se partagent les biens d’une personne décédée au détriment de ses enfants .UNICEF, 2003
Une étude au Botswana montre également des problèmes de desheritage par les parents adoptifs Muchiru, 1998
Selon une étude réalisée en Ouganda auprès de familles affectées par le VIH/SIDA, la moitié des adultes estimait que la dépossession de biens était un problème.Gilborn, Nyonyintono, Kabumbuli et Jagwe-Wadda, 2001
En revanche, le gouvernement fédéral du Nigeria a prévu de formuler et d’appliquer les lois concernant la protection de l’héritage et les droits de propriété des orphelins Smart, 2003.
Figure 2: Les orphelins face au risque de dépossession de l’héritage en Ouganda
Orphans at risk of property dispossession % who experienced property grabbing, Uganda, 1999
Source: Making a Difference for Children Affected by AIDS:Baseline Findings from Operations Research in Uganda. Laelia Zoe Gilborn, Rebecca Nyonyintono, Robert Kabumbuli, Gabriel Jagwe-Wadda. June 2001 Gilborn, Nyonyintono, Kabumbuli et Jagwe-Wadda, 2001
| Remerciements |