Orphelins et enfants vulnérables en Afrique
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Prise en charge des orphelins à cause du VIH/Sida

La prise en charge institutionnelle

Des réactions tardives face à la crise des orphelins

La communauté internationale n’a commencé que récemment à reconnaître et analyser le problème de la prise en charge des orphelins du sida Foster, 2002. Ce n’est qu’en 2001 que l’assemblée générale des Nations Unies sur le VIH/SIDA a adopté une déclaration d’engagement concernant les orphelins et autres enfants rendus vulnérables par le VIH sous la forme d’un cadre d’action Grassly et Timaeus, 2003

Ce cadre d’action a été approuvé en 2004 par les organismes des Nations Unies constituant le groupe ONUSIDA et accueilli par des partenaires internationaux ; il constitue une norme de base permettant une action collective et une réponse aux besoins de plus en plus urgent du nombre croissant d’orphelins et d’enfants vulnérables et de protéger leurs droits Gulaid, 2004, UNICEF, UNAIDS, USAID et Jorge Scientific Corporation. Population, 2004.

Au niveau national, les réactions des gouvernements africains face à la crise des orphelins ont aussi été tardives. A la fin de l’année 2003, sur les quarante pays de l’Afrique subsaharienne dans lesquels l’épidémie s’est généralisée, seuls 6 d’entre eux (15%) ont une politique nationale d’aide aux orphelins et autres enfants rendus vulnérables par le VIH/SIDA ; 8 pays (20%) élaborent actuellement de telles politiques et 26 pays (65%) ne disposent à cet égard d’aucune politique nationale UNICEF, UNAIDS, USAID et Jorge Scientific Corporation. Population, 2004

Ce retard en terme de mise en œuvre de politiques et stratégies nationales peut être dû au fait que des millions d’enfants ont été placés au sein des réseaux parentaux, ce qui a rendu la crise « moins visible ». Les familles ont assumé la plus grande partie des responsabilités jusqu'à ce que ces mécanismes de prise en charge soient saturés. Les réactions gouvernementales ont sans aucun doute tardé par la suite par manque de moyens financiers et de soutien extérieur.

Les réponses actuelles des institutions concernant l’amélioration de la prise en charge des orphelins

Selon la communauté internationale, la famille reste le meilleur lieu de prise en charge des orphelins. Renforcer la capacité des familles et des communautés à prendre en charge et à protéger ces enfants constitue ainsi une priorité, tout comme le renforcement des capacités institutionnelles des gouvernements africains afin qu’ils puissent élaborer des plans nationaux en faveur des orphelins et enfants vulnérables.

  • Renforcer les capacités des familles à protéger et à prendre en charge les orphelins et autres enfants rendus vulnérables par le VIH/SIDA

Les stratégies envisagées aujourd’hui par la communauté internationale, les gouvernements africains et la société civile en faveur des orphelins et autres enfants vulnérables touchés par le VIH/SIDA vont dans le sens du placement des enfants au sein du système de parenté Williamson, 2004

« Maintenir les  enfants au sein de leur famille élargie, de leur communauté et de leur milieu culturel – dans un esprit de continuité – fait maintenant l’unanimité sur le plan international dans la pratique moderne de la protection de l’enfance ; d’autant plus que cette option est fortement renforcée par le fait qu’il s’agit désormais d’un droit reconnu de l’enfance : en effet, selon l’article 20 de la convention relative aux droits de l’enfant « dans le choix entre ces solutions de placement, il est dûment tenu compte de la nécessité d’une certaine continuité dans l’éducation de l’enfant… » Service Social International et UNICEF, 2004

Cette nouvelle conception internationale de la prise en charge des orphelins a été fortement influencée par de nombreuses études menées en Afrique subsaharienne faisant apparaître le caractère inadapté des structures institutionnelles mises en place pour accueillir les orphelins telles que les orphelinats. Pendant de nombreuses décennies, la construction d’orphelinats était considérée comme une réponse au nombre croissant d’orphelins. Des recherches ont émis certaines critiques concernant la prise en charge des enfants au sein de telles institutions en constatant d’une part que cette forme de prise en charge n’était pas adaptée au contexte africain car elle représente une rupture avec les structures familiales et communautaires, entrave le bien être et la socialisation de l’enfant et ne répond pas à ses besoins Caldwell et al., 1993; et d’autre part que les orphelinats n’absorbaient finalement qu’une part minime des orphelins Mashumba, 1994, Ntozi et Nakayima, 1999

Lorsque le placement à l'orphelinat est inévitable, il devrait être considéré comme temporaire, et tous les efforts devraient être faits pour réintégrer l'enfant dans la communauté dès que possible. Landis, 2002

Par ailleurs, les coûts de la prise en charge institutionnelle en orphelinat sont élevés. Selon la Banque Mondiale, en République Unie de Tanzanie, les coûts des soins en institution étaient environ six fois plus élevés que le placement familial. UNICEF, UNAIDS, USAID et Jorge Scientific Corporation. Population, 2004

Il est ainsi recommandé de concentrer les efforts sur le soutien des mécanismes de prise en charge à travers les solidarités intergénérationnellles dans un contexte de VIH/SIDA Chevallier, 1994, Ntozi et Mukiza-Gapere, 1995, Foster, Makufa, Drew, Kambeu et Saurombe, 1996 

Par conséquent, les actions tendent vers le renforcement des capacités de ces familles à élever et protéger ces enfants ; ainsi, les stratégies et programmes d’intervention visent principalement :

  • à renforcer les capacités économiques des familles élargies afin de subvenir aux besoins des enfants orphelins à travers l’accès au micro crédit, à la formation professionnelle des enfants orphelins, et à travers la création d’activités génératrices de revenus par exemple : « une initiative communautaire novatrice est née dans les zones rurales de l’est de la Zambie, où les coutumes d’héritage traditionnel protègent les femmes et les enfants en leur permettant de demeurer sur leurs terres après la mort du mari ou du père. Le projet des orphelins du Kanyanga (KOP) a décidé d’améliorer les compétences agricoles et la nutrition des familles et des enfants vulnérables en leur fournissant des semences, des engrais et des outils. Lorsqu’il s’est avéré que les familles ne disposaient pas des connaissances nécessaires pour améliorer leur production alimentaire, le projet a recruté un agronome pour améliorer les techniques et les rendements agricoles. Le projet KOP procure désormais aux familles d’importantes sources de revenus qui permettent de régler les frais de scolarité des enfants à charge et donc d’alléger le fardeau financier de la communauté ». Fleshman, 2001
  • à améliorer la santé et prolonger la vie des parents à travers l’accès aux traitements antirétroviraux : « le Programme PTME-Plus, (Prévention de la transmission mère-enfant plus), [implanté en Afrique du Sud, en Cote d’Ivoire, au Kenya, au Mozambique, au Rwanda et en Zambie], offre un traitement antirétroviral aux mères séropositives au VIH, à leurs partenaires infectés et à leurs enfants » UNAIDS, 2004.
  • à apporter un soutien psychosocial aux enfants et aux personnes s’occupant d’eux à travers notamment de la création des centres SAS (Solidarité Action Sociale) , programme mis en œuvre par le Centre International de l’Enfance et le Ministère des Affaires Etrangères Français et implanté en Cote d’Ivoire, en République Centrafricaine et au Burkina Faso ayant pour mission principale d’offrir aux enfants et familles affectés par le VIH/SIDA un lieu d’accueil, d’orientation, de rencontre et de soutien Delcroix et Floury, 2000.
  • à faciliter la planification de la succession et éviter la perte de l’héritage : selon l’ONUSIDA, le Rwanda a récemment adopté une loi permettant aux femmes d’hériter des terres. Par ailleurs, en Zambie, les programmes de soins à domicile à assise communautaire sont entrés en partenariat avec l’unité de la police zambienne chargée du soutien des victimes, qui informe les femmes de leurs droits en matière d’héritage. Au Malawi, une activité en cours du CORE Group on the Wills and Inheritance Act (Groupe CORE sur la loi relative aux testaments et aux héritage) a organisé dans tous le pays des consultations avec les veuves, les veufs, les enfants orphelins ou non, les juges et autres responsables ainsi que les chefs traditionnels. L’une des pratiques abordées est la mainmise sur des terres et des propriétés lorsque des adultes peu scrupuleux tentent de dérober la propriété des orphelins quand les enfants n’ont aucun parent pour protéger leurs droits UNAIDS, 2002
  • à subventionner l’éducation à travers le paiement des frais de scolarité (primaire), la distribution d’uniformes, de manuels scolaires et autres matériels ou à assurer un enseignement professionnel ou formation professionnelle informelle pour les adolescents orphelins. La gratuité des frais de scolarité a été adoptée par certains pays africains tels que le Malawi, l’Ouganda, le Kenya, le Cameroun, la Tanzanie et la Zambie.
  • Mobiliser et renforcer les initiatives communautaires

Il s’agit de développer des programmes de sensibilisation des acteurs locaux et de la société civile sur l’impact du VIH et la situation des orphelins et enfants vulnérables, afin de renforcer la mobilisation communautaire, et favoriser le dialogue au sein des communautés concernant le VIH/SIDA, pour rompre avec les préjugés de la maladie

 Des activités collectives de soutien aux familles sont mises en place : programme de soutien communautaire, visite à domicile pour un soutien psychosocial, jardins communautaires, programmes communautaires de garde d’enfants, aide au travail, prise en charge ponctuelle des enfants Ntozi et Mukiza-Gapere, 1995 Ntozi et Nakayima, 1999

En Tanzanie, des villageois ont créé des comités pour les enfants les plus vulnérables qui recueillent et distribuent les dons alimentaires et financiers des villageois et mettent en place des activités productrices de revenus et d’autres formes d’appui.

Au Swaziland, un programme a permis la mise en commun des ressources communautaires, la création d’une boutique au sein de l’école dont les revenus financent les frais de scolarité de plusieurs enfants ainsi que la création de garderies gérés par des bénévoles, qui gardent les enfants pendant la journée White, 2003

Enfin  la communauté peut prendre en charge des enfants privés de tout appui familial : développement des possibilités de placements en familles d’accueil, d’adoption au niveau local, foyers de type familial intégrés dans la communauté.

Parallèlement à ces actions, il est important de souligner le placement des orphelins au sein d’institutions religieuses qui jouent également un rôle croissant : par exemple dans les cultures musulmanes, il est fréquent d’envoyer les garçons apprendre le Coran dans une école coranique Isiugo-Abanihe, 1985 ; cette pratique est ancienne et courante en Afrique subsaharienne mais s’amplifie avec le nombre croissant d’orphelins Madhavan, 2004.

Ce sont généralement les communautés qui sont en première ligne pour créer les programmes destinés à assurer une meilleure prise en charge des orphelins et enfants vulnérables. La plupart de ces projets et programmes existent grâce aux efforts de groupes féminins, de groupes religieux et d’organisation non gouvernementales. Un nombre considérable d’associations locales en faveur des orphelins et enfants vulnérables à cause du VIH/SIDA ont vu le jour en Afrique Subsaharienne, révélant une forte mobilisation des communautés. L’Afrique de l’Est et Australe compte une floraison d’associations qui sont pour la plupart regroupées en réseaux tels que par exemple, « Children in Need » (CHIN) en Zambie constituant une confédération d’associations locales qui soutiennent et aide les orphelins et les enfants vulnérables, ou le réseau « CINDI » qui représente un Consortium informel d'organisations non gouvernementales basé à Pietermaritzburg en Afrique du Sud.

  • La nécessité des plans d’action nationaux en faveur des orphelins et enfants vulnérables

L’USAID à travers le projet Policy Project apporte un appui institutionnel aux gouvernements en terme de lutte contre le VIH/SIDA. Les informations citées ci dessous proviennent ainsi d’un rapport du Policy Project publié en 2003 intitulé « Politiques pour les orphelins et enfants vulnérables : un cadre pour progresser » de R.Smart.  Smart, 2003.

Ce document présente des exemples de plans nationaux et des alternatives politiques concernant les orphelins et enfants vulnérables.

Les plans d’actions s’effectuent à plusieurs niveaux :

a) En aval de l’action, l’analyse situationnelle :

L’analyse situationnelle est nécessaire à l’élaboration de plans nationaux car elle permet d’évaluer l’ampleur du phénomène et de le décrire au niveau national d’un point de vue autant quantitatif que qualitatif : évaluer le nombre d’orphelins à cause du sida, et l’impact du VIH/SIDA sur les enfants, définir les droits non respectés, identifier les acteurs, les structures de soutien et de prise en charge, faire des recommandations en vue de formuler une politique nationale à l’intention des orphelins.

b) Des plans d’actions en terme de politique nationale :

Au niveau des stratégies nationales de lutte contre le VIH/SIDA, développer une orientation explicite pour les orphelins et enfants vulnérables :

La mise en œuvre de stratégies nationales de lutte contre le VIH/SIDA constitue une première réponse des gouvernements pour combattre la pandémie du VIH/SIDA. Les stratégies nationales mettent en général l’accent sur le soutien aux orphelins et enfants vulnérables comme étant une priorité.  Par exemple « en Ouganda les objectifs couvrant les orphelins et enfants vulnérables dans le cadre de leur stratégie nationale de lutte contre le VIH/SIDA sont de réduire la vulnérabilité des individus et communautés face au VIH/SIDA en accordant la priorité aux enfants, aux jeunes et aux femmes et de promouvoir les soins liés au Sida, le soutien social et la protection des droits des personnes vivant avec le VIH et des individus et familles touchés. Au Nigeria, l’objectif de la stratégie nationale est de prendre en charge et conseiller ceux infectés et affectés par le Sida et apporter une assistance technique aux orphelins ». Smart, 2003

Développer des  directives et des structures nationales spécifiques aux  orphelins et enfants vulnérables :

Ces politiques élaborent un cadre d’action, en décrivant les catégories d’enfants concernés, les modèles de soins et de soutien les mieux adaptés aux contextes, le rôle des intervenants et organisations. Ces politiques déterminent également les outils et mécanismes d’évaluation, de compte rendu et de suivi car toute mise en œuvre d’une politique nationale nécessite un suivi régulier pour être efficace.

Le soutien de l’état pour les orphelins et enfants vulnérables (éducation, santé, sécurité alimentaire..) :

Le soutien de l’état peut prendre maintes formes : exonérations des frais de scolarité, repas scolaires, services de santé gratuits…et dépend de la volonté politique du pays.

L’Afrique du sud,  le Bénin, le Botswana, le Kenya, la Namibie et la Zambie sont les rares pays ayant mis en place un système de soutien en faveur des Orphelins en Enfants Vulnérables.

Des alternatives inexploitées sur le plan politique

Les documents de stratégie pour la réduction de la pauvreté (DSRP) sont établis par les gouvernements des pays à faible revenu selon un processus participatif dans lequel s'impliquent à la fois les parties prenantes au niveau national et les partenaires extérieurs du développement. Le DSRP décrit les politiques et les programmes macroéconomiques, structurels et sociaux qu'un pays mettra en œuvre pendant plusieurs années pour promouvoir la croissance et réduire la pauvreté. Jusqu’à présent les orphelins et les enfants vulnérables, qui constituent une des conséquences les plus graves de la pandémie du VIH/SIDA, ne sont pas mentionnés ou traités explicitement dans les documents de la stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP). Pourtant, intégrer la problématique des orphelins et enfants vulnérables aux DSRP pourrait constituer une possibilité de soutien.

c) Des plans d’action en terme de mécanismes de coordination : la création d’une structure multisectorielle axée sur les besoins des orphelins et enfants vulnérables

Citons à ce propos l’exemple du Malawi qui est le premier pays africain à avoir mis en œuvre une équipe nationale spéciale pour les orphelins. Cette équipe est constituée de représentants du gouvernement national et des collectivités locales, d’ONG et d’organisations communautaires et de représentants d’organismes clés des Nations Unies. Cette équipe nationale a élaboré en 1992 les Directives de politiques pour le soutien aux orphelins du Malawi et la coordination de l’assistance aux orphelins.

d) Des plans d’actions en terme de protection législative adéquate des orphelins : au niveau juridique, développer des lois protégeant les droits de tous les enfants :

Ces lois comprennent les constitutions nationales, les lois se rapportant spécifiquement aux enfants ou des lois relatives aux droits de l’enfant tels que l’accès à l’éducation, à la santé...

Depuis l’élaboration de la Convention Relative aux Droits de l’enfant des Nations Unies en 1989, un grand nombre de pays ont des législations axées sur les enfants qui réglementent leur protection, par exemple la Loi pour les enfants au Kenya ou le statut de l’enfant en Ouganda. Cependant, peu de pays ont des politiques spéciales pour les orphelins (le Botswana, le Malawi, le Rwanda et le Zimbabwe étant des exceptions). En revanche, de nombreux pays sont sur la voie de l’élaboration de telles politiques. Smart, 2003, Bhargava et Bigombe, 2003 UNICEF, 2003, Gulaid, 2004 .

Le tableau 8 situe les différents pays africains par rapport à la réalisation d’un tel plan d’action :   
Tableau 8 : Réactions des gouvernements africains

Pays Analyse de la situation nationale  Politique nationale OEV Mécanismes nationaux de coordination Protection législative
 adéquate des orphelins
Bénin En cours En cours non
Burkina Faso oui non non
Cote d’Ivoire oui non oui
Guinée En cours non oui
Sénégal non non non
Niger En cours oui oui
Togo oui oui non
Afrique de l’Ouest 5 / 16 2 / 16 6 / 16  
Soudan partiel En cours Oui oui
RDC non non non
République
Centrafricaine
oui En cours non
Tchad oui non En cours
Congo oui oui non
Afrique centrale 3 /  9 1 / 9 2 / 9 1 / 1
Burundi Oui non non oui
Kenya non non non En cours
Ouganda oui En cours non oui
Rwanda oui oui non En cours
Erythrée oui En cours oui En cours
Tanzanie non non oui non
Afrique de l’est 4 / 11 1 / 11 3 / 11 2 / 10
Afrique du Sud oui non oui En cours
Malawi oui oui oui non
Namibie oui En cours oui En cours
Botswana oui non non non
Zambie oui En cours oui En cours
Zimbabwe oui oui non oui
Afrique australe 8 / 10 2 / 10 6 / 10 1 / 10

UNICEF, 2003

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