Les conséquences sanitaires et sociales de l’avortement

Les lois restrictives et leurs conséquences sur les droits des femmes

L’existence de lois restrictives sur l’avortement et la stigmatisation des femmes qui avortent qui en découle obligent beaucoup d’entre elles à avorter clandestinement et dans la majorité des cas, dans des conditions à risque (Centro de Derechos de Mujeres, 2004).

Le contexte de pénalisation de l’avortement encourage d’une façon générale la stigmatisation de cette pratique, y compris dans les cas autorisés par la loi. Les restrictions légales ont aussi une influence sur les structures de santé publique, puisqu’elles interdisent la création d’un climat favorable qui permette aux professionnels de la santé de recevoir la formation nécessaire pour les soins relatifs aux avortements, et l’utilisation dans des cliniques et hôpitaux de méthodes abortives reconnues à l’échelle internationale. Tout ceci affecte la santé et peut même constituer une menace sur la vie de beaucoup de femmes, qui sont contraintes d’avorter dans des conditions inadaptées. L’attitude du personnel médical et l’offre insuffisante de services sanitaires ne permettent pas de donner aux femmes des services d’avortement suffisants ou de bonne qualité (World Health Organization, 2004). De même, “de nombreux professionnels de la santé refusent aux femmes qui y ont pourtant droit légalement, un avortement sûr par ignorance des exceptions légalement stipulées” (Organización Mundial de la Salud, 1998).

La législation sur l’avortement porte atteinte aux droits des femmes dans la majorité des pays d’Amérique Latine, et elle est contraire aux codes médicaux et éthiques des professionnels de la santé. Elle favorise aussi de sérieuses contradictions dans la pratique médicale, puisque les normes légales ne sont pas en relation avec les faits. D’après une des études précédemment citées, faite au Chili mais représentative de l’Amérique Latine “Les lois qui punissent l’avortement violent non seulement les droits reproductifs de la femme, mais aussi leur droit à la santé, à la liberté, à la sécurité et potentiellement leur droit à la vie ». La même recherche indique comment “la manière de dénoncer les femmes qui décident d’avorter, les pourvoyeurs d’avortements et autres « complices » violent en plus d’autres droits humains qui, comme ceux cités plus haut, sont aussi protégés par des instruments internationaux, comme le droit à l’avortement, à l’intimité, à la défense légale et au secret professionnel » (p. 8) (Centro de Derechos Reproductivos, y Foro Abierto de Salud y Derechos Reproductivos, 1998). L’étude révèle aussi “que le groupe de femmes qui ont avorté est composé en majorité de femmes pauvres, ce qui transgresse le droit qu’a la femme de ne pas subir de discriminations en raison de sa situation économique” (p.8) (Centro de Derechos Reproductivos, y Foro Abierto de Salud y Derechos Reproductivos, 1998).

Ces lois restrictives favorisent l’inégalité dans les relations de genre, puisqu’elles ne punissent que les femmes, et non les hommes qui ont un rôle égal dans l’origine de la grossesse (Centro de Derechos de Mujeres, 2004).

Aux barrières légales à l’accès à l’avortement s’ajoute le poids des institutions politiques et religieuses et de certains groupes de pression qui obligent de nombreuses femmes à avorter clandestinement (Becker et al., 2002). De même, l’obligation d’un certificat d’un ou plusieurs médecins comme préalable à l’avortement, ou de déclaration à la police dans les cas de viol, sont encore d’autres obstacles à l’accès à l’avortement. Une recherche menée au Mexique (Erviti et al., 2005) décrit comment les médecins “évaluent moralement” les femmes qui souhaitent avorter, en les soumettant fréquemment à des interrogatoires humiliants au cours desquels leur conduite est implicitement disqualifiée.

D’autre part, l’emprisonnement des femmes qui avortent, dans les rares pays latino-américains où les lois restrictives sont appliquées, a de nombreuses  conséquences néfastes, tant pour les accusées que pour leur famille. Dans le cas chilien, on signale que, étant donné que “l’avortement est puni en toute circonstance, les études réalisées sur le sujet indiquent que l’emprisonnement crée une certaine stigmatisation qui affecte la femme aux niveaux personnel et social, puisqu’il entraîne entre autres une perte de son estime personnelle, une perte de son emploi, une perte de son logement à cause des préjugés de son propriétaire, les moqueries de ses collègues» (p. 49) (Casas Becerra, 1996). Dans cette étude on ajoute aussi que “la détention de la mère affecte aussi ses enfants, qui doivent être reçus par des parents ou placés dans des écoles en internat. Les enfants des femmes détenues présentent souvent des problèmes de conduite, résultats directs de l’instabilité familiale à laquelle ils sont confrontés à cette occasion” (p. 97) (Casas Becerra, 1996). On indique aussi que la possibilité de délations de femmes qui avortent ou qui participent à l’avortement viole d’autres droits humains, comme le droit à l’avortement, à la vie privée, à la défense légale et au secret professionnel. De même, Casas-Becerra signale que la culpabilité réelle des femmes n’a été démontrée que dans 37% des cas considérés dans son étude, et dans la moitié des cas pour les personnes ayant pratiqué l’avortement. Quant aux sanctions infligées, elles peuvent atteindre en moyenne 41 jours de prison pour les femmes et 133 jours pour le personnel médical concerné (Casas Becerra, 1997). Il est important de rappeler que, comme on l’a vu, la condamnation ne s’applique jamais à l’auteur de la grossesse, mais bien uniquement à la femme et à la personne qui effectue l’avortement.

La rupture du secret médical constitue une autre atteinte aux droits des femmes, et va à l’encontre du code des professionnels de la santé. Elle reflète les injustices sociales qui prévalent en Amérique Latine. Dans la grande majorité des cas, ce sont les femmes pauvres qui sont dénoncées, qui pour des raisons financières n’ont accès qu’aux services sanitaires publics. Cette situation se manifeste très durement au Salvador, où en 1998 le code pénal sanctionnant toute forme d’avortement est entré en vigueur, y compris l’interruption de grossesse pour sauver la vie de la femme. Cela a engendré une augmentation du nombre de délations, de la part du personnel de santé contre les femmes qu’ils soupçonnaient d’avoir avorté (McNaughton, 2004). Tandis que dans les hôpitaux publics chiliens, fréquentés essentiellement par les femmes les plus défavorisées, plus des trois quarts des avortements ont été reportés à la police, les femmes de milieux plus aisés ont pu accéder des avortements sans risque où le respect de la confidentialité leur est garanti (Casas Becerra, 1997). Au Mexique au contraire, non seulement les cas de dénonciation par des médecins sont rares, mais ils enregistrent comme fausses couches les avortements pratiqués illégalement (Rayas et Catotti, 2004 ; Rayas et al., 2004). De fait, un texte qui aborde la nécessité de changer la législation en la matière (GIRE, 2006) signale que dans la période 1995-2001 au Mexique, 51 sentences seulement ont condamné des avortements, bien que, d’après les chiffres de l’Institut Alan Guttmacher, plus de 553 000 avortements illégaux soient pratiqués chaque année dans le pays. Une situation similaire existe en Uruguay, où le nombre de procédures pour avortement illégal est infime (0,2% du total des délits qui passent en justice), ce qui fait que seulement 0,04% du total des avortements illégaux finissent par être condamnés à des sanctions pénales. Cependant, la “peur de la dénonciation” existe dans l’imaginaire collectif (Sanseviero, 2003).

Le refus de pratiquer des avortements aux femmes qui ne désirent pas poursuivre leur grossesse a des conséquences désastreuses et pose entre autres le problème de l’acceptation de l’enfant qui va naître. C’est d’autant plus important lorsqu’on refuse le droit à l’avortement à une femme victime d’un viol ou d’un inceste, comme l’ont montré les cas précités de Paulina et de Rosa, auxquels s’ajoute parmi beaucoup d’autres celui d’une petite fille bolivienne (Farmer, 2000; Gómez et al., 2000; Grupo de Información en Reproducción Elegida, 2000; Lamas, 2000; Taracena, 2002). Empêcher une femme d’interrompre sa grossesse issue de telles situations viole sa dignité en tant que personne et porte atteinte au libre exercice de ses droits.

Au Mexique, la procédure pour obtenir l’autorisation légale d’avorter suite à un viol est extrêmement bureaucratique et, d’après les études sur le thème, 22% seulement des femmes enceintes dans cette situation ont eu accès à l’avortement légal. Cela montre que l’accès à l’avortement pour viol est limité, en grande partie à cause du refus des médecins. Aussi, parce que les femmes laissent passer la période de la grossesse durant laquelle on peut avorter sans grand risque (Lara et al., 2003). Ni le gouvernement, ni l’Église Catholique, ni les opposants à la dépénalisation de l’avortement n’ont à charge l’éducation et la vie des enfants que les femmes sont contraintes d’avoir (GIRE, 2003). C’est pour cela que les restrictions à l’avortement, même dans les cas autorisés par la loi, affectent en premier lieu les femmes.

Le caractère le plus souvent illégal de l’avortement viole comme on l’a dit le droit des femmes à l’accès à des procédés sans risque, en particulier pour les classes sociales les plus pauvres. Plusieurs études dans la région démontrent que le cadre légal restrictif et punitif affecte la qualité des services de santé où sont traitées les complications d’avortements, puisque la menace de la sanction légale plane toujours sur ceux qui interviennent dans l’interruption de grossesse (Llovet et Ramos, 2001).

Comme le signalent différents auteurs, les femmes soupçonnées d’avoir avorté sont souvent l’objet de mauvais traitements ou d’indifférence de la part des professionnels de la santé. Les attitudes punitives de beaucoup d’entre eux envers les femmes qui avortent sont liées non seulement aux préjugés sur l’interruption de grossesse ou à son interdiction légale; les mauvais traitements infligés aux femmes dans les hôpitaux publics sont liés aussi à la subordination des femmes par rapport aux hommes, à leur situation sociale souvent précaire lorsqu’elles souffrent de complications et à l’inégalité des relations de pouvoir habituellement établies entre les médecins et leurs patients (González de León et al., 2002).

Dans certains pays d’Amérique Latine et des Caraïbes, des modifications légales ont facilité l’accès à l’avortement. C’est le cas des Barbades et de la Guyane, où les admissions à l’hôpital suite à des complications d’avortement ont considérablement diminué après les modifications légales en la matière au cours des années 1990 (Anonymous, 2005; Nunes et Delph, 1997). Cependant, le simple changement du cadre légal est insuffisant pour le plein exercice des droits reproductifs des femmes, comme celui d’avoir des services d’avortements sans risque. À Puerto Rico, où l’avortement est autorisé depuis 1973 puisqu’il s’agit d’un État Libre Associé aux États Unis, beaucoup de femmes, en particulier les plus pauvres, croient toujours que l’avortement est interdit. De même, les services d’avortement sont encore insuffisants dans le pays (Azize Vargas et Avilés, 1997). Sur ce thème, comme le signale Mundigo, un soutien solide des services sanitaires doit exister pour que les lois sur l’avortement soient réellement appliquées dans les pays où il est autorisé (Mundigo et Indriso, 1999).

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