Les conséquences sanitaires et sociales de l’avortement

Conséquences pour les femmes et les familles

Le coût pour le budget des familles

L’avortement a un impact économique important sur le budget des femmes et de leurs familles, en particulier pour les secteurs de la population les plus défavorisés, qui payent non seulement les frais de l’avortement, mais aussi le plus souvent les coûts médicaux entraînés par les complications. A cela s’ajoutent les coûts économiques indirects, comme ceux du transport, ou ceux liés à l’absence des femmes de leurs activités économiques et domestiques, ou celle des parents qui les accompagnent. D’après Pine (2003), les avortements clandestins faits par des praticiens peuvent représenter entre un quart et la moitié du salaire moyen mensuel de la femme. Cependant, Langer (2003) signale que “Dans certains contextes, le coût d’un avortement clandestin effectué par un médecin en clinique privée équivaut aux revenus annuels d’une famille moyenne ». Il existe donc des services d’avortement clandestin de coûts très différents, mais lorsqu’ils sont rendus par un personnel médical spécialisé, ils sont en général inaccessibles à de nombreuses femmes, surtout aux adolescentes des groupes les plus défavorisés. On doit aussi considérer comme coût l’absence ou la perte de la mère de famille (Langer, 2003).

Dans une étude sur les lois qui affectent la vie reproductive des femmes, en particulier celles qui concernent l’avortement, le Centre Légal pour les Droits Reproductifs et les Politiques Publiques signale que l’interruption volontaire de grossesse « est une pratique qui, malgré son interdiction légale, s’étend aux femmes de toutes les classes sociales, avec de graves conséquences pour les femmes pauvres » (Centro Legal para Derechos Reproductivos y Políticas Públicas, 2001; Center for Reproductive Law and Policy, 2000). Comme l’indique une autre étude, les femmes à bas revenus ont alors recours à des avortements clandestins, lorsqu’en réalité elles ont droit à un procédé sûr, gratuit et à faibles coûts (Pine, 1993) (p. 80). Malgré ce droit, l’accès à l’avortement d’un grand nombre de femmes de la région, même dans les cas prévus par la loi, dépend encore de la volonté du personnel des services médicaux publics, dont les patientes sont, dans une large mesure, issues de milieux défavorisés (Faúndes et Hardy, 1997).

Plusieurs études rendent compte de l’étendue et de la variété des coûts financiers de l’avortement clandestin dans les pays de la région. D’après les données d’une enquête d’opinion sur l’avortement dans six pays de la région, ces coûts vont du paiement en espèces d’une dizaine de dollars pour l’achat de plantes médicinales, à des sommes très élevées. (Alan Guttmacher Institute, 1994). D’après cette étude, un avortement effectué par une personne qualifiée semble être beaucoup moins onéreux en Colombie (environ 44 dollars) que dans d’autres pays de la région, ce qui s’explique apparemment par le fait que dans ce pays, une plus grande proportion de femmes urbaines pauvres ont accès aux services proposés par un personnel qualifié. D’après Strickler et al (2001), le coût d’un service urbain d’avortement clandestin en Amérique du Sud va de 20 à 200 dollars.

Au Mexique s’ajoute le fait que les femmes qui sollicitent les services de santé publique après avoir avorté n’ont qu’un arrêt de travail de 10 jours en moyenne (López García, 1994). Le coût de l’avortement est moindre lorsque des produits prescrits en pharmacie sont employés (entre 30 centimes de dollar et trois dollars), mais on estime qu’il est beaucoup plus élevé si l’on achète des produits proposés par les vendeurs des plantes médicinales (entre 13 et 23 dollars), qui utilisent souvent comme abortifs une ou plusieurs des dix plantes employées pour ce cas, en plus de certains médicaments. Ces coûts sont élevés si on les compare au salaire minimum mexicain, d’environ 4 dollars par jour. Ces procédés sont pourtant plus accessibles que ceux réalisés en hôpital, dont le coût est alors d’environ 160 dollars, ou parfois le double étant donné le caractère clandestin de l’avortement (Pick, 1999).

Au Chili, les coûts d’un avortement pour les femmes de milieux défavorisés peut varier entre 50 et 200 dollars, ce qui représente une charge considérable pour leur budget (Casas Becerra, 1997). Une étude régionale signale l’existence de nombreuses cliniques d’avortement clandestines en Uruguay. Si une femme a des ressources suffisantes, elle peut bénéficier d’un avortement sans risque, même s’il est illégal. Dans le cas contraire, les femmes font appel à des thérapeutes traditionnels, à des praticiens non qualifiés ou même tentent d’avorter par elles-mêmes. On estime q’en Uruguay un avortement sans risque mais illégal coûte entre 200 et 800 dollars (Rayas et Catotti, 2004; Rayas et al, 2004) (le salaire minimum actuel est d’environ 110 dollars par mois). Cette même étude signale qu’en Bolivie, le prix des services d’avortement au marché parallèle fluctue entre 50 et 300 dollars. Malgré cette somme, ces services présentent des risques pour la vie et la santé des femmes, en particulier les plus pauvres et les adolescentes, ce qui augmente les coûts pour les services de santé et pour la société en général.

Au Brésil, bien que le Cytotec ne se vende que sur ordonnance médicale et que son utilisation dans un but abortif ait été explicitement interdite, ce médicament peut s’obtenir clandestinement pour environ 70 dollars. On calcule que sur les 600 000 femmes qui, selon certaines estimations, avortent chaque année au Brésil (l’IAG parle de près de 1 400 000), 75% utilisent ce médicament (Coeytaux, 2002; Rayas et Catotti, 2004 ; Rayas et al., 2004).

L’AMIU est utilisée dans des cliniques uruguayennes. Son coût est de quelques 400 dollars par patiente. Sanseviero (2003) signale que “des praticiens d’avortement […] estiment les coûts de la prise en charge dans certaines cliniques ou du prix des soins intensifs pour les urgences à 13 500 – 25 000 dollars” (p. 54).

Au Pérou, Li (1994) signale que les coûts de l’avortement constituent un élément déterminant pour la qualité des soins, et ont un impact important sur le budget des familles. Elle estime que le coût par avortement oscille entre un demi et onze salaires au minimum et que, si l’on ajoute les frais de la femme avant l’hospitalisation, le tout peut atteindre de 214 à 278 dollars.

Au Nicaragua, les prix des cliniques privées vont de 500 à 1 000 dollars, ce qui est totalement inaccessible pour la majorité des femmes. Le prix d’un avortement pratiqué dans des conditions à risque, en revanche, va de 7 à 150 dollars (McNaughton et al., 2003; Rayas et Catotti, 2004; Rayas et al., 2004).

Cependant, le calcul du coût relatif à un avortement à risque ne doit pas se limiter à l’intervention, ce serait alors un indicateur trompeur du coût financier total que représente une interruption de grossesse. La femme passe souvent par plusieurs étapes, chaque fois plus dangereuses et plus coûteuses que la précédente, jusqu’à l’avortement: cela va de la chute volontaire dans un escalier à l’ingestion d’herbes ou l’achat de produits soi-disant abortifs ou abortifs dans les pharmacies. Elle peut aussi payer les services de personnes non qualifiées ou d’un médecin diplômé. A tout cela s’ajoute le coût des services médicaux éventuellement issus de l’avortement ou de ceux occasionnés par un avortement incomplet (Alan Guttmacher Institute, 2004).

Conséquences sociales et psychologiques

Comme on l’a dit, l’avortement a entraîné une pratique discriminatoire envers les femmes, en particulier celles des milieux les plus défavorisés. En Amérique Latine, comme on l’a aussi souligné dans le Chapitre 2 – Le débat public sur l’avortement-: « L’avortement est devenu un problème de justice sociale dans les pays qui pénalisent cette pratique. Les femmes des classes défavorisées qui ne disposent pas des moyens suffisants sont contraintes d’avorter clandestinement, contrairement à celles qui peuvent payer un avortement sans risque ou se déplacer jusque dans des pays où l’avortement est légal ». De la même manière, comme les lois qui punissent l’avortement ne s’appliquent que dans des cas exceptionnels, ce qui rend ces lois inopérantes par rapport au nombre total d’avortements faits chaque jour. Les femmes pauvres courent aussi un risque plus grand d’être dénoncées aux autorités et d’être sanctionnées par des peines de prison, puisque dans les cas de complications suite à un avortement à risque elles doivent aller dans une institution publique sanitaire, d’où provient la majorité des délations” (Center for Reproductive Law and Policy, 1999). Le comportement des professionnels médicaux viole aussi le droit des femmes à l’intimité et à la confidentialité, puisque les lois qui pénalisent l’avortement entraînent un dilemme éthique difficile à résoudre, en plaçant le médecin entre son devoir de citoyen de signaler un fait illicite aux autorités et son devoir de médecin de respecter le secret médical (Center for Reproductive Law and Policy, 2000).

Les conséquences d’un avortement mal fait peuvent aussi déteindre sur la vie des femmes: en perturbant leurs activités économiques ou scolaires et en compromettant leurs opportunités futures. La crainte d’un abandon scolaire suite à une grossesse non prévue est un motif d’avortement fréquemment signalé par les adolescentes et les jeunes (Díaz Sánchez, 2003). De même, les décès pour cette cause sont le fait de femmes jeunes, très souvent en charge d’enfants en bas âge ou d’autres membres de la famille (Langer, 2003).

La pratique de l’avortement entraîne aussi des conséquences psychologiques, qui dépendent de la liberté de décision de la femme et des possibles pressions dont elle peut être l’objet. Certaines femmes ressentent des sentiments négatifs comme la culpabilité, la dépression, l’anxiété et la peur, spécialement lorsque l’avortement a été réalisé dans des circonstances traumatisantes (Langer, 2002). On signale aussi que si l’avortement est fait sans la volonté affirmée de la femme (pression familiale, problèmes financiers, etc.), il peut constituer une cause de dépression (GIRE, 2000). Cependant, les conséquences psychologiques de l’avortement peuvent aussi être positives lorsque la femme interrompt une grossesse dans de bonnes conditions sanitaires et surtout lorsqu’elle le décide de façon consciente, libre et informée (GIRE, 2005). Dans une étude sur l’avortement clandestin au Mexique (Amuchástegui et Rivas, 2002), les auteures ont inclus les témoignages de femmes qui déclaraient avoir ressenti une grande paix après avoir avorté illégalement mais de façon sûre et en étant traitées avec respect par le personnel médical.

Il ne faut pas oublier beaucoup de femmes se sentent soulagées après un avortement, parce que l’obligation de poursuivre une grossesse non prévue a des conséquences affectives plus profondes que son interruption (Langer, 2003). L’auteure souligne aussi que le cas des femmes qui finissent par se suicider, étant donné la tension qu’elles vivent lors d’une grossesse non désirée, ou qui sont assassinées par leur conjoint ou d’autres personnes opposées à la poursuite de la grossesse, est un aspect non traité des études sur la mortalité maternelle et sur l’avortement.

D’autres recherches mettent l’accent sur le dilemme ressenti par les femmes par rapport aux valeurs sociales, culturelles et religieuses sur la maternité (Cardich et Carrasco, 1993), et sur les sentiments de culpabilité et une tendance à l’auto-punition qu’ont certaines femmes qui avortent (Kennedy, 1994). En ce sens, ajoutons que beaucoup de femmes vivent des situations de fort conflit affectif face à une grossesse non désirée, favorisées par des schémas culturels qui interdisent ou rendent difficile la possibilité de décisions autonomes sur la sexualité et la reproduction. Elles sont en plus la cible d’une stigmatisation sociale et sont perçues comme transgressant les valeurs religieuses et morales, fortement ancrées dans les sociétés latino-américaines (Rivas et Amuchástegui, 1998).

Soulignons également les conséquences psychologiques et sociales du refus de pratiquer l’avortement, en particulier lorsqu’il s’agit d’une grossesse suite à un viol, comme cela a été le cas pour Paulina au Mexique ou Rosa au Nicaragua qui ont été contraintes de poursuivre leur grossesse, face à la pression des autorités civiles et religieuses, bien que dans le dernier cas l’avortement ait pu être finalement pratiqué.

Cependant, après une longue bataille légale et grâce au soutien d’organisations de la société civile, les autorités mexicaines ont accepté de réparer les dommages infligés à Paulina en l’empêchant d’avorter, suite à un viol commis en l’an 2000. L’intervention de la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme a cependant été nécessaire pour que, en mars 2006, le gouvernement de l’État de Basse Californie, au nord du Mexique, où le viol avait eu lieu, et le gouvernement fédéral reconnaissent qu’une injustice avait été commise envers Paulina et qu’elle devait être dédommagée.

Comme dans les autres pays latino-américains, le viol est assez courant au Mexique, puisqu’en 2001 “il occupait la septième place selon la fréquence du délit », d’après des sources gouvernementales (GIRE, 2004). Ajoutons à cela les enfants nés de grossesses non désirées, qui courent le risque de souffrir d’un rejet ou de maltraitance maternelle et qui ont de plus grandes difficultés dans leurs relations sociales et interpersonnelles (Faúndes et Barzelatto, 2005).

Notons aussi que la qualité des services sanitaires où vont les femmes pour avorter n’est pas toujours optimale: les patientes peuvent faire l’objet de critiques, être stigmatisées ou traitées sans respect par le personnel médical, et doivent souvent attendre longtemps avant d’être reçues. L’étude qualitative de Steele et Chariotti en Argentine, comprend des témoignages sur le traitement humiliant et cruel que reçoivent les femmes dans les centres de santé, où elles souffrent d’isolement, de manque de soins bien qu’elles arrivent dans de mauvaises conditions physiques (saignements par exemple); elles ne reçoivent pas toujours de médicaments anti-douleur ou d’anesthésie pour les opérations. A cela s’ajoute le manque de respect de leur vie privée, et elles subissent aussi des punitions en raison des soupçons qui pèsent sur le fait qu’elles aient cherché à provoquer l’avortement (Steele et Charotti, 2004).

Comme le signalent à juste titre plusieurs études, le nombre élevé de femmes hospitalisées pour des complications suite à un avortement montre que les motivations pour interrompre la grossesse sont aussi fortes ou encore plus fortes aujourd’hui que par le passé (Alan Guttmacher Institute, 1994). De même, l’utilisation de méthodes totalement inefficaces et risquées reflète le désespoir de nombreuses femmes face à l’urgence de mettre fin à une grossesse non désirée (Langer Glas, 2003).

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