Avortement et contraception

L’accès à la contraception après un avortement : les soins post-avortement

Le consensus dominant sur le fait que l’avortement dans des conditions à risque est un grave problème de santé publique a conduit depuis plusieurs années différents organismes internationaux et nationaux à mener des actions pour améliorer la qualité et l’accès aux services de soins post- avortement. Des engagements, pris lors de conférences internationales dans les années 1990 par pratiquement tous les pays du monde et pour lesquels on a assuré un suivi pour s’assurer de leur respect insistent énormément sur le besoin de “garantir l’accès de la femme aux soins post-avortement” (Naciones Unidas, 1995; et 1996).

Environ 3,7 millions de femmes meurent chaque année dans la région de complications liées à l’avortement. Pour chaque décès, un nombre incalculable de femmes souffrent de lésions et de handicaps à long terme (WHO, 2004). Le nombre important des avortements à risque et leurs conséquences tragiques montrent l’immense nécessité de soins post-avortement adaptés et de qualité, disponibles pour toutes les femmes d’Amérique Latine et des Caraïbes, où l’incidence de l’avortement est encore très élevée. Les soins post-avortement, un terme qui date du début des années 1990, désignent l’ensemble des services de santé de la reproduction, regroupés en cinq composantes principales: le traitement adapté des complications suite à un avortement qui mettent en danger la vie de la femme; le conseil pour identifier et répondre aux besoins de santé, psychologique ou physique, et aux autres inquiétudes des femmes; les services de contraception et de planning familial; les services de santé de la reproduction et d’autre type fournis par le même établissement de santé ou par le transfert à d’autres services; les accords entre la communauté et les prestataires des services de santé, afin de traiter les problèmes de la grossesse non désirée et de l’avortement à risque. L’Organisation Mondiale de la Santé recommande, pour des soins appropriés pour l’avortement, l’utilisation de l’aspiration manuelle intra-utérine (AMIU) plutôt que le curetage utérin instrumental, la première méthode étant plus efficace et plus sûre. Dans un grand nombre d’établissements de santé, les services ont été réorganisés pour proposer les soins post-avortement comme un procédé ambulatoire, ce qui a considérablement réduit les coûts et la durée d’hospitalisation des femmes (Billings et Benson, 2005).

Plus encore, on considère que la mise en place de services de contraception post-avortement est fondamentale pour éviter les avortements à répétition, en particulier dans les pays où la pratique est illégale et où il existe peu de services de conseil où l’on oriente aussi vers le planning familial. Chambers (1994) signale que les services de planning familial doivent être associés à celui du traitement des complications suite à un avortement, afin de rompre le cercle des avortements à répétition, puisque ces patientes seront hautement motivées pour accepter des méthodes contraceptives après avoir vécu un avortement (p. 85).

Dans l’étude de quatre pays latino-américains de Lafaurie et al. (2005) on a observé une augmentation de l’usage contraceptif après l’avortement. Dans une autre étude réalisée en Colombie en 1993, la plupart des femmes interrogées après leur avortement, ont manifesté clairement leur intention d’utiliser une méthode sûre, comme le DIU, si possible dès le jour du traitement de l’avortement incomplet. Les adolescentes ont choisi des méthodes de barrière (Mora Téllez et al., 1999).

Une autre étude sur les soins post-avortement en Amérique Latine aboutit aux mêmes conclusions. Elle a analysé les résultats des dix principaux programmes de recherche appliquée dans des hôpitaux publics dans sept pays de la région entre 1991 et 2002. Elle montre qu’en introduisant l’utilisation de techniques adaptées, comme l’AMIU, et en centrant la prise en charge des femmes, de nombreuses vies peuvent être sauvées et la santé de la reproduction améliorée; les coûts peuvent aussi être réduits pour le système de santé de la région. (http://www.ipas.org/spanish/womens%5Fhealth/postabortion%5Fcare/)

Dans une étude réalisée entre fin 1987 et mi 1990 à Nairobi (Kenya), à Harare (Zimbabwe), à Lusaka (Zambie), à Lagos et à Jos (Nigeria), et à Mexico, auprès de femmes hospitalisées suite à un avortement provoqué ou une fausse couche, on constate qu’il faut tout autant améliorer les services d’avortement que diffuser l’information et les services disponibles des programmes de planning familial. On voit aussi que les services de conseil n’ont pas forcément beaucoup d’influence sur l’acceptation de la pilule dans des contextes où les taux d’acceptation sont déjà élevés. L’étude montre aussi que l’utilisation de contraceptifs est liée à une diminution importante de grossesses répétées et que si le conseil ne réduit pas directement l’incidence des avortements à répétition, il joue un rôle indirect puisqu’il contribue à réduire le nombre de grossesses non désirées à répétition. L’auteur attribue ce paradoxe apparent à la forte motivation pour avorter qu’ont les femmes qui vivent des grossesses non désirées (Mati, 1993).

Plusieurs pays de la région ont mis en place des programmes post-avortement avec des résultats variables. Mais on considère en général que ces services sont bien acceptés et chaque fois plus accessibles (Rayas et Cattoti, 2004; Rayas et al., 2004). Dans le rapport de ces auteures, qui s’appuie sur une revue de la littérature et sur une enquête auprès de personnes clefs sur ce sujet provenant de Bolivie, du Brésil, du Mexique, du Nicaragua et d’Uruguay, des progrès importants sont notés depuis 1994 dans le traitement de l’avortement à risque grâce aux services post-avortement, même si des obstacles persistent. En Bolivie par exemple, la règlementation technique pour le traitement d’une hémorragie au cours du premier semestre de grossesse, publiée en 2001, comprend les traitements des urgences, les services de conseil –y compris ceux de contraception- et le référé vers d’autres services. Ces services sont en général disponibles dans des établissements sanitaires spécialisés (de niveau deux et trois). De même, 7 universités publiques régionales du pays sur onze avaient inclus l‘AMIU dans les services de soins post-avortement.

De nombreuses études réalisées dans la région évaluent la qualité des soins fournis aux femmes victimes de complications suite à un avortement, qui montrent les obstacles persistants et les défis à relever.

Faúndes et Barzelatto (2005) analysent les expériences boliviennes qui montrent bien les restrictions dans l’accès aux services de soins post-avortement, puisque certains hôpitaux, en particulier ceux qui sont gérés par l’Église catholique, n’acceptent pas les femmes soupçonnées d’avoir pratiqué volontairement un avortement (Camacho et al., 1996). En Argentine on observe également la discrimination et le mauvais traitement envers les femmes qui sollicitent des soins pour des complications suite à un avortement (Chiarotti et al., 2003). Dans une autre étude qualitative auprès de femmes hospitalisées pour des complications suite à un avortement en Argentine encore, Ramos et Viladrich (1993) ont constaté le peu d’information donnée aux patientes. Ils affirment ainsi que “les ressources matérielles (méthodes contraceptives), et les ressources cognitives (informations sur ce qu’il faut utiliser et où l’on peut s’adresser) n’ont pas changé de façon notoire après l’utilisation de services médicaux. Aucun effort n’est fait dans ces services pour modifier les habitudes contraceptives des femmes après un avortement: elles restent donc exposées à des grossesses non désirées”.

Dans le cas du Brésil, Rayas et Cattoti (2004) signalent que, bien que les services de soins post-avortement devraient exister dans tous les centres sanitaires, en pratique ils ne sont proposés que dans les principaux centres urbains. Ils observent aussi que la technique de curetage utérin est toujours exclusivement utilisée, bien que l’on ait constaté depuis 1999 une augmentation du nombre des procédés ambulatoire avec l’AMIU.

Au Nicaragua, un rapport réalisé en 2003 a révélé plusieurs problèmes liés aux services post-avortement : leur qualité laisse parfois à désirer, le matériel est en mauvais état, le personnel n’a pas de formation continue, il n’y a pas de système d’information précise et les cas sont sous-enregistrés, les dossiers médicaux incomplets, ce qui rend tout le suivi difficile. Il a aussi montré que la moitié des établissements ne disposaient pas du matériel nécessaire et que les femmes qui venaient dans les services de soins post-avortement subissaient parfois des traitements inhumains. Il signale ainsi que les soins leur étaient parfois refusés lorsque les prestataires médicaux diagnostiquaient une complication d’avortement provoqué et donc probablement illégal (Rayas y Cattoti, 2004; Rayas et al., 2004).

Benson et al. (1998) signalent que dans un hôpital de Lima, des services post-avortement ont été mis en place, avec un personnel spécialement formé à l‘AMIU, au planning familial et aux relations interpersonnelles. Le remplacement presque total du curetage utérin par l’AMIU a eu pour effet de réduire la durée d’hospitalisation moyenne (de 33,3 à 6,4 heures) et le coût des soins par patiente (de 199 dollars à 45 dollars). D’autres avantages notables pour les patientes ont été la diminution de leur perception de la douleur et une plus grande satisfaction des services reçus. L’utilisation de contraceptifs est en plus passée de 31% à 64% chez ces patientes après l’avortement.

Au Guatemala, des services de soins post-avortement ont été mis en place dans les hôpitaux après 1996 et les prestataires ont été formés (Ministerio de la Salud Pública y Asistencia Social, 2005). Dans une enquête réalisée entre juillet 2003 et décembre 2004 dans 22 hôpitaux publics, on a constaté une augmentation des procédés d’AMIU (de 38% à 68%) et une diminution du curetage utérin, ainsi qu’une augmentation du conseil de méthodes contraceptives efficaces (de 31 à 78%) et du nombre de femmes sorties de l’hôpital avec désormais une méthode contraceptive (de 20 à 49%). La grande majorité (86%) des femmes interrogées ont déclaré que les prestataires leur avaient expliqué l’usage de plusieurs méthodes: 80% ont cité la pilule, 59% le préservatif et les contraceptifs injectables. Dans une autre enquête réalisée dans 178 établissements sanitaires du pays, les contraceptifs proposés étaient principalement la stérilisation féminine et la vasectomie (71 et 74% des patientes), le DIU (67%), le préservatif (62%), les implants (61%), et le rythme (60%). Quant aux méthodes hormonales, les injectables ont été proposées à 58% des femmes et la pilule à 55%. Celles ci ont aussi pu choisir selon les cas entre les spermicides, la contraception d’urgence et les préservatifs féminins (Prada et al., 2005).

En Uruguay, l’accessibilité et la couverture des soins post-avortement se limitent aux zones urbaines et ils ne sont pas spécifiquement considérés comme partie intégrante des programmes de santé de la reproduction. Les soins post-avortement sont réglementés depuis peu et l’AMIU s’utilise très peu. Le curetage utérin est employé en cas d’urgence, avec anesthésie et hospitalisation. Lorsqu’une femme présente des complications, elle est en général traitée mais on lui propose rarement des méthodes contraceptives ou une orientation vers d’autres services. Aucun programme d’études universitaires des carrières de médecine, d’infirmerie ou d’obstétrique ne considère la santé sexuelle ou de la reproduction. Des programmes hors cursus ont été créés malgré tout, et en 2003 les internes en médecine ont commencé à prendre des cours sur la contraception et les soins post-avortement, bien que très peu de professionnels de la santé aient été formés à l’AMIU (Rayas y Cattoti, 2004; Rayas et al., 2004).

Au Mexique, l’introduction de l’AMIU a également réduit les coûts, la durée d’hospitalisation et les éventuelles conséquences négatives de l’avortement sur la santé des femmes (Johnson et al., 1993) Les sages-femmes peuvent maintenant la pratiquer et elle n’est plus l’apanage exclusif des médecins. Dans une autre étude sur le même pays, on signale que les services de soins post-avortement font partie des programmes du Ministère de la Santé. Toutes les femmes ont en principe accès aux services publics lorsqu’elles souffrent de complications suite à un avortement ou d’un avortement incomplet. Cependant la majorité des cas se résolvent par le curetage utérin plutôt que par l’AMIU. Une autre étude rend compte de la mauvaise qualité des soins fournis aux femmes qui ont des complications suite à un avortement au Mexique (Langer et al., 1999). Au Chili et au Salvador, on a montré que les femmes étaient dénoncées par le personnel de l’hôpital où elles étaient soignées après un avortement et que beaucoup étaient incarcérées (Casas et al., 1996; McNaughton et al., 2004).

Une étude décrit la formation de prestataires de planning familial dans le domaine du conseil post-avortement pour le personnel de l’Hôpital Universitaire de Cali en Colombie. Elle décrit aussi la mise en place d’un nouveau programme pour les patientes des services post-avortement, qui comprend le conseil en planning familial et la remise de contraceptifs avant la sortie d’hôpital. Elle signale aussi que les femmes ont été informées sur les lieux où elles pourraient se procurer des contraceptifs dans leur lieu de résidence. De même, l’obligation a été établie de référer les femmes qui souhaitaient une stérilisation à des structures sanitaires de niveau deux. Cet hôpital cherche aussi à améliorer les relations entre les patientes et les professionnels et à couvrir les besoins spécifiques de la population indigène qui n’a pas l’habitude de ces milieux hospitaliers et ne connaît pas le planning familial (Barnett, 1997).

Dans une enquête réalisée auprès des patientes des services post-avortement d’une clinique de Bogota, dans le but d’évaluer de nouvelles stratégies de soins, les résultats ont révélé une augmentation du pourcentage de femmes ayant choisi une méthode contraceptive suite au contrôle médical après la fin du traitement. Cela montre bien l’intérêt d’inclure dans ce service les explications sur la pratique contraceptive, en particulier le mode d’emploi de la méthode recommandée et ses possibles effets secondaires (Mora Téllez et al, 1999).

De même, on a constaté au Panama une plus grande efficacité d’une technique de conseil qui comprenait des aspects sur le risque de reproduction et le planning familial post-avortement, par rapport à une technique d’information qui proposait une orientation superficielle et minimale. Avec la première technique les patientes ont mieux accepté l’utilisation de contraceptifs (Farfán et al., 1997)

A partir de ces résultats, plusieurs auteurs recommandent de réaliser des recherches pour la standardisation des services complémentaires qui peuvent être octroyés comme faisant partie des soins post-avortement et du planning familial. Ils recommandent aussi d’étudier l’effet d’un counselling plus complet, et de services de suivi pour les femmes identifiées avec des grossesses à haut risque et/ou des avortements à répétition (Mati, 1993).

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