Avortement et contraception

L’avortement et le contrôle de la fécondité

L’avortement et la contraception sont deux des déterminants proches dans la réduction de la fécondité au cours de la transition démographique. Dans la plupart des pays, les deux méthodes co-existent et peuvent même parfois être complémentaires. Les schémas observés indiquent dans certains cas une probable transition d’un taux d’avortement élevé à un taux plus réduit. Les pratiques contraceptives s’améliorent avec le temps et l’avortement diminue, même s’il ne disparaît jamais entièrement (David et Pick de Weiss, 1992). L’impact de l’avortement est particulièrement important dans les pays où l’utilisation des méthodes contraceptives est faible (Singh et Sedgh, 1997). A l’inverse, l’augmentation de la pratique contraceptive ou le recours à des méthodes plus efficaces entraînent une diminution de l’avortement (Marston et Cleland, 2003).

D’après Mundigo (1993) “plus la transition de la fécondité et la motivation pour limiter la taille de la famille progressent, plus les familles auront recours à l’avortement pour mettre fin à une grossesse non désirée”. Il considère aussi que la plus grande prévalence de l’utilisation des contraceptifs est un élément déterminant de l’avortement dans la région, puisque, malgré le développement des programmes de planning familial, on est encore loin d’une couverture intégrale qui réponde aux besoins de la population en matière de santé de la reproduction. Il signale aussi de sérieuses lacunes dans l’information sur l’utilisation correcte des méthodes. Il ajoute que les femmes qui utilisent des méthodes naturelles connaissent mal leurs périodes fécondes, ce qui réduit encore plus leur efficacité.

En Amérique Latine, les conditions socio-économiques et l’évolution accélérée des schémas culturels ont eu entre autres comme conséquences: un nombre inférieur d’enfants dans la famille, une plus grande participation de la population féminine aux activités autres que domestiques, la dissociation de la sexualité et de la procréation, et un désir chaque fois plus généralisé d’un meilleur niveau de vie. Tout cela a conduit les femmes à utiliser de plus en plus les méthodes contraceptives. L’avortement reste cependant dans de nombreux cas une solution pour limiter, espacer ou même reporter la maternité.

Les programmes de planning familial dans des pays comme la Colombie, le Brésil et le Mexique ont créé ces dernières années une large “culture contraceptive”, qui pourrait avoir contribué à la réduction du taux d’avortement. Cependant, même lorsque les programmes de planning familial ont été développés dans de nombreux pays, les femmes rencontrent souvent des problèmes dans l’utilisation efficace des méthodes contraceptives. La discontinuité de son usage reste donc élevée (Alan Guttmacher Institute, 1996).

En ce sens, d’autres auteurs signalent que “les études réalisées dans des pays développés et en développement montrent que quand la femme est suffisamment motivée pour contrôler la taille de la famille, elle a recours à l’avortement et à d’autres méthodes contraceptives: les femme qui ont employé des méthodes contraceptives ont une plus forte probabilité de recourir à l’avortement que celles qui n’en ont jamais utilisées, et celles qui ont avorté recherchent des formes plus efficaces de contraception. Ce schéma s’observe en Colombie, où l’on est parvenu à une connaissance généralisée de la contraception. Le large emploi des contraceptifs dans tous les secteurs de la société colombienne reflète probablement, non seulement la disponibilité des services de planning familial, mais aussi un réel changement socio-culturel. La grossesse non prévue et non désirée n’est pas aussi bien acceptée qu’avant. Avec des services d’avortement sans risque, faits par un personnel expérimenté et à des prix raisonnables, la femme dispose d’une manière de contrôler sa fécondité en cas d’échec de contraception” (David et Pick de Weiss, 1992).

Comme le signale Rayas (1998), le sens de l’avortement dans chaque société dépend des différences qui existent dans des aspects comme l’origine de ses lois et les conditions dans lesquelles se sont développés les programmes de planning familial (PF). A Puerto Rico, où la législation n’est pas restrictive, la forte prévalence de l’usage de méthodes contraceptives et leur ample connaissance peuvent expliquer la faible incidence de l’avortement. Elle dépend aussi de la mise en oeuvre des programmes de contrôle de la population qui datent de 1927, soit bien avant qu’ils n’existent dans l’immense majorité des pays de la région. En 1982, 69% des femmes en couple employaient un moyen de contraception, et le plus surprenant est que 49% des femmes en âge reproductif (de 15 à 49 ans) avaient été stérilisées. Les femmes de Puerto Rico ont aussi accès à des services de santé de qualité (Henshaw et al., 1999).

La situation est différente à Cuba, où, comme le rappellent Álvarez Vázquez et Martínez (2000), l’avortement a été légalisé en 1979. Cette pratique a été de facto, un moyen de contrôler la fécondité, étant donné l’offre limitée de méthodes contraceptives due au blocus économique imposé par les États-Unis. C’est aussi pour cela que l’éventail des méthodes contraceptives disponibles sur l’île est limité et sa disponibilité irrégulière, les DIU sont de mauvaise qualité et difficilement accessibles à de nombreuses personnes pour des raisons économiques. On estime actuellement que l’avortement est le second déterminant proche de la fécondité dans le pays (Álvarez, 2005).

Bien que les cas de Puerto Rico et Cuba soient différents, ils montrent bien que l’accès à des méthodes contraceptives sans risque et à des services d’avortement de qualité sont étroitement liés à la réduction des niveaux de fécondité. Cet accès est en plus fondamental pour que les femmes puissent décider librement et de façon autonome de leur vie reproductive.

Le passage à l’utilisation de l’avortement comme méthode principale de contrôle de la fécondité a été confirmé par une étude menée à une vaste échelle du Bureau de Population de l’Agence des États Unis pour le Développement International (USAID, pour son sigle en anglais) au Mexique, en Colombie, au Pérou et au Venezuela. D’après cette étude, l’avortement est très lié au manque de contraceptif ou à la faible efficacité de la méthode contraceptive employée (USAID, 1997). Les conclusions de l’étude signalent entre autres que les taux d’avortement ont diminué au cours des premiers 15 ou 20 ans postérieurs à la normalisation de la contraception. Les pays où sont utilisées surtout des méthodes contraceptives modernes ont présenté des taux d’avortement plus bas que ceux où les méthodes contraceptives employées étaient moins fiables. La diminution des taux d’avortement n’est apparue que lorsque la contraception était largement disponible et utilisée correctement. Les taux d’avortement et d’usage de contraceptifs peuvent augmenter simultanément pendant de courtes périodes, jusqu’à ce que la taille souhaitée de la famille soit atteinte. Par exemple, l’expérience dans certains pays comme la Colombie, le Mexique et le Chili montre que le nombre d’avortements a diminué suite à l’augmentation de l’emploi de contraceptifs et lorsque ces derniers ont été largement disponibles. En ce sens, il est révélateur que 73% des femmes hospitalisées pour des avortements à risque suite à une grossesse non prévue ou non désirée dans ces pays n’avaient pas utilisé de contraceptifs (USAID, 1997).

Une autre étude réalisée au Brésil, en Colombie et au Mexique signale que, dans les premières étapes de la transition démographique, l’avortement a probablement joué un rôle important dans la diminution de la fécondité. Cependant, étant donné les spécificités de chaque pays, des schémas différents ont été observés tant entre les pays qu’à l’intérieur de chaque état. Ainsi, en Colombie et au Mexique l’incidence des avortements s’est stabilisée parallèlement à l’augmentation de la pratique contraceptive. En revanche, l’avortement n’a cessé d’augmenter au Brésil jusqu’au début des années 1990, en dépit de l’utilisation croissante de contraceptifs. Singh et Sedgh (1997) indiquent que le taux général de fécondité dans le pays sud-américain aurait été d’environ 13%  plus élevé cette année-là si le ratio d’avortement n’avait pas augmenté.

A ce sujet, Oliveira (1994) affirme que l’avortement provoqué et la stérilisation chirurgicale ont provoqué une baisse de la fécondité des femmes brésiliennes à partir des années 1970. S’appuyant sur une étude effectuée à Sao Paulo en 1993, De Souza e Silva et González de Morell (2001) soutiennent que la décroissance de la fécondité a été atteinte par le processus nommé “modernité perverse”. Ce processus comprend un schéma séquencé d’utilisation inappropriée de pilules qui mène à des grossesses non désirées et à des avortement illégaux, puis finalement à des stérilisations définitives, réalisées lors de césariennes injustifiées. Ils suggèrent donc que la conception et le fonctionnement erroné des programmes de planning familial ont perpétué le problème de l’avortement, puisque les femmes très motivées pour contrôler leur descendance ont recours aussi bien à l’avortement qu’à la contraception.

Au Mexique, le Conseil National de la Population affirme que tandis que l’indice synthétique de fécondité a diminué d’un peu plus de la moitié entre 1976 et 1997 (il est passé de 5,6 à 2,7 enfants par femme en moyenne), celui d’avortement s’est réduit de 12 fois pendant la même période (de 1,2 à 0,1). On peut en conclure que la réduction du nombre d’avortements s’est faite parallèlement à la rapide augmentation de l’usage des méthodes de planning familial (Consejo Nacional de Población, 2000). Cette situation s’explique par l’efficacité des programmes de planning familial dans ce pays.

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