La variété des méthodes d’avortement

Les « fournisseurs d’avortements »

Certains professionnels de la santé facilitent la pratique de l’avortement, qu’il soit autorisé ou non, ce qui les expose au risque de sanctions légales ou d’un autre type. Ils ont ainsi une attitude positive envers les femmes qui désirent interrompre leur grossesse. Mais il y a aussi des praticiens qui s’y opposent, même dans les cas permis par la loi, principalement au nom de leurs convictions morales et religieuses. L’objection de conscience est parfois invoquée pour ne pas pratiquer les avortements. Cette situation affecte particulièrement les adolescentes, dont la situation de plus grande vulnérabilité fait qu’elles ignorent leurs droits reproductifs. On voit aussi des cas où les médecins ou les institutions sanitaires dénoncent les femmes qui viennent à l’hôpital pour des complications suite à un avortement (Cortés, 2005; McNaughton, 2004).

Le niveau de formation professionnelle du personnel de santé –médecins généralistes, sages-femmes, gynécologues, etc.- varie selon leurs fonctions. Il peut aussi dépendre de leur perception de ce problème de l’avortement et donc de leur attitude envers les femmes qui interrompent une grossesse. Plusieurs recherches rapportent la maltraitance, la stigmatisation et les critiques que subissent les femmes lorsqu’elles sont soignées par un personnel « anti-avortement » (Blanco Muñoz et Castañeda Camey, 1999; Abernathy, et al., 1994). Une recherche sur les opinions des étudiants en médecine sur l’avortement, réalisée dans une université de Mexico (González de León et Salinas, 1997), a aussi montré comment le manque de préparation des médecins à cette pratique peut être imputé en grande partie au fait qu’ils reçoivent une information très limitée sur ce sujet pendant leurs études. Dans une autre étude, toujours à Mexico (Acuña, et al., 2005), les auteures soulignent que les médecins manquent souvent de formation pour pouvoir donner des conseils en cas d’avortement. En conséquence, disent-elles, ils cherchent souvent à dissuader les femmes qui avortent, parfois même en les trompant, au lieu de respecter leur décision d’interrompre leur grossesse.

Comme on l’a dit, les femmes font appel non seulement aux médecins mais aussi aux pharmaciens, aux vendeurs de plantes médicinales, et à des « fournisseurs d’avortements » même lorsqu’ils ne sont pas qualifiés, ou interrompent elles-mêmes leur grossesse, malgré tous les risques que cela comporte. La recherche très souvent difficile de ces « pourvoyeurs d’avortement » explique la pratique d’avortement tardifs, ce qui contribue à augmenter les risques (Strickler et al., 2001). Persaud (1994) insiste sur les difficultés des adolescentes pour trouver quelqu’un qui puisse leur pratiquer un avortement, ce qui les conduit à avorter tardivement, et les incite d’autre part à tenter elles-mêmes l’avortement.

Dans une étude sur les expériences des femmes de quatre pays latino-américains (Mexique, Pérou, Equateur et Colombie) où des avortements médicamenteux ont été pratiqués, Lafaurie et al. (2005) mettent en lumière le rôle des réseaux d’amis ou de relations pour permettre aux femmes de trouver une façon d’avorter.

La littérature rend compte de la grande diversité des situations dans lesquelles l’avortement se fait et de la qualité et de la sécurité d’une telle pratique. Au Mexique, d’après Lovera (1990), les avortements illégaux ont lieu aussi bien dans des hôpitaux très propres que dans des cabinets médicaux qui n’offrent pas les conditions d’hygiène nécessaires. Dans ces deux cas, le coût et les risques encourus seront très différents. Au Mexique où l’avortement est illégal à quelques exceptions près, les femmes vont voir les sages-femmes ou les étudiants en médecine pour avorter, en général avec des méthodes risquées (plantes, introduction d’objets, etc.), tandis que les femmes des classes aisées peuvent utiliser des services médicaux de qualité (Brito de Marti, 1994).

D’autres études signalent l’attitude négative des sages-femmes par rapport à cette pratique (Castañeda et al., 2003; Blanco Muñoz et Castañeda-Camey, 1999; Billings et al. 1999). Dans la recherche de Pick et al. (1999) le rôle des pharmaciens et des vendeurs de plantes est précisé, en tant qu’acteurs importants qui fournissent aux femmes des produits (supposés) abortifs. De même au Paraguay une étude souligne le rôle des pharmaciens dans la diffusion de ces produits soi-disant abortifs (Krayacich de Oddone et al., 1991).

Les auteurs d’une recherche menée au Brésil auprès de femmes qui travaillent à l’université ont constaté que même si 20% des avortements clandestins étaient faits par des médecins en cliniques, ceux qui étaient réalisés hors des structures sanitaires étaient pratiqués par les femmes elles-mêmes ou des personnes non qualifiées, ce qui dans les deux cas augmente les risques de complications (Hardy et al., 1993).

En Haïti, où l’avortement est illégal, l’intervention est souvent pratiquée par des charlatans dans l’arrière-boutique de certains établissements (Guest, 1994).

De même, au Pérou, 84% des femmes des zones rurales et 64% des femmes pauvres des zones urbaines qui souhaitent interrompre leur grossesse tentent elles-mêmes l’avortement ou font appel à des sages-femmes non qualifiées. En revanche 95% des femmes riches des zones urbaines font appel à des professionnels de la santé (Ferrando, 1994; Espinoza Barco, 1994). D’après Fort (1993), dans ce dernier cas de figure, les médecins privés et les infirmières sont les prestataires de service les plus sollicités et parfois aussi les professionnels des institutions de santé publique. Les curetages, signale l’auteur, sont faits par des médecins.

En Uruguay on a montré que les médecins pratiquaient plus de la moitié des avortements (58%), les sages-femmes 40% des cas et les femmes elles-mêmes 2% des cas (Comisión Nacional de Seguimiento de Beijing, 1995).

En Bolivie, les médecins pratiquent 75% des avortements, dont 28% se font dans leur cabinet et 25% en clinique. De même, 15% des femmes doivent être hospitalisées pour le traitement de complications suite à un avortement (Dávalos et Mojica, 1995).

Les résultats d’une enquête réalisée auprès de médecins de quatre pays (Honduras, Mexique, Nicaragua et Puerto Rico) évaluent la connaissance de ces professionnels sur les méthodes pour avorter (Espinoza et al., 2004). Parmi les plus citées, on trouve la dilatation et le curetage. Pour les utilisations médicamenteuses, l’emploi du misoprostol est particulièrement fréquent. Cependant, les connaissances de ces professionnels sur les posologies sont insuffisantes. Les médecins eux-mêmes se limitent à signaler que l’usage du misoprostol permet de déclencher un avortement, et que la femme doit aller dans un service de santé immédiatement pour terminer cet avortement. Dans cette étude, les avantages et les inconvénients du misoprostol sont à nouveau précisés, tout comme le risque d’échec de cette méthode en cas d’automédication de la femme ou de prescription sans avis médical. Mais mention est aussi faite de l’avantage que représente la diminution des risques de complications graves avec ce produit, par rapport aux autres méthodes clandestines.

Les résultats d’une enquête faite au Mexique sur les connaissances, les attitudes et les pratiques des médecins et des gynécologues sur l’avortement, montrent des opinions plutôt controversées et qui dépendent dans une large mesure de la légalité ou non de l’interruption de grossesse. Dans l’étude, seulement 20% des personnes consultées ont été d’accord avec l’avortement « si la femme le souhaite », contre 93% qui acceptent cette pratique « si la femme enceinte court un danger de mort » et 87% dans les cas de « péril grave pour sa santé ». Face à une femme souffrant d’un avortement incomplet, de complications suite à un avortement ou qui souhaiterait avorter légalement, 40% des médecins ont déclaré qu’ils référeraient le cas à d’autres personnes, tandis que 23% s’en chargeraient directement et que 22% traiteraient une partie des cas et transfèreraient à d’autres médecins les cas restants. A l’inverse, 63% des gynécologues ont dit qu’ils traiteraient eux-mêmes cette patiente. Les participants à l’enquête ont fait preuve de connaissances assez limitées sur les méthodes d’avortement, mais ont aussi émis leur désir de recevoir une formation sur ces méthodes (García et al., 2003). Une autre étude confirme qu’au Mexique la qualité des soins que reçoit une femme admise à l’hôpital pour des complications suite à un avortement doit sans aucun doute être améliorée (Elú, 1999).

Dans leur étude sur l’utilisation du misoprostol comme produit abortif (Cohen et al., 2005), les auteures abordent le thème de la formation du personnel soignant et indiquent que l’utilisation de ce médicament avec un dosage incorrect et sans respecter le protocole de prescription peut entraîner de graves problèmes. Les auteures concluent que les médecins sont les plus à même d’informer les femmes sur l’usage du misoprostol et de garantir la confidentialité de la femme et de celui qui prescrit le médicament. En revanche, les sages-femmes, les pharmaciens et les autres personnes qui recommandent l’usage du misoprostol jouent plus un rôle de conseillers que de prescripteurs. Les pharmaciens reconnaissent qu’ils n’ont pas la formation requise pour une telle pratique et l’acte illégal qu’elle implique. Ils sont cependant les principaux fournisseurs du produit, en particulier dans le cas des avortements auto-pratiqués. Comme on l’a dit, ils prescrivent fréquemment des doses incorrectes, inefficaces ou induisant des effets secondaires, comme cela a été constaté au Mexique.

D’autre part, l’accès à l’avortement n’est pas toujours facile, même dans les pays où il est légal. C’est par exemple le cas au Puerto Rico où 93% des avortements sont effectués dans des cliniques privées à des coûts élevés, ce qui limite son accès pour les adolescentes (Azize Vargas, 1994; 1993). Les femmes des classes sociales défavorisées doivent ainsi faire appel aux services des sages femmes et d’infirmières peu qualifiées (Marchand-Arias, 1998).

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