Orphelins et enfants vulnérables en Afrique
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Sources de données et mesures

La difficulté de la mesure et de l’estimation des effets du VIH/SIDA sur le nombre d’enfants orphelins

Jusqu’en 2002, différentes organisations et institutions internationales ont produit des estimations variées des enfants rendus orphelins à cause du sida pour différents pays ou régions du monde United Nations et Division, 1995, Hunter et Williamson, 2000, UNAIDS, 2000.

Les divergences de ces estimations provenaient principalement des différences de définitions comme nous avons pu le voir dans le chapitre précédent ; mais également des différences d’échelles géographiques concernant les statistiques, et enfin des différences d’hypothèses démographiques et épidémiologiques WHO et UNAIDS, 2002. Par exemple, 56% des différences d’estimations des orphelins de mère entre les Nations Unies et le Census Bureau sont dues aux différentes estimations de la prévalence du VIH, 14% sont dues à la différence de période présumée de survie avec le VIH et 7% dues aux différentes hypothèses sur les probabilités de transmission périnatales Hunter et Williamson, 2000.

Par conséquent, ces écarts persistent entre les projections du nombre d’orphelins basées sur des modélisations de l’épidémie du VIH, et les estimations provenant des enquêtes de démographie et de santé (EDS) et les enquêtes en grappe à indicateurs multiples WHO et UNAIDS, 2002.

Ces divergences sont dans la plupart des cas considérables comme l’ont montré Hunter et Williamson  en comparant des estimations d’orphelins de sources différentes Hunter et Williamson, 2000. Le tableau 1 ci dessous montre clairement ces divergences d’estimations :

Tableau 1 : Estimations du nombre d’orphelins pour cause de VIH/SIDA selon diverses sources

Source Définition retenue Nombre de pays couverts Année Nombre (milliers)               Projections
Horizon Nombre (milliers)
ONUSIDA Enfants de moins de 15 ans, orphelins de mère ou des deux parents 78 (répartis dans le monde entier) 2001 14 000    
Census Bureau Enfants de moins de 15 ans, orphelins de mère ou des deux parents 87 (répartis en Afrique subsaharienne, Asie, Amérique Latine et Caraïbes) 1990
1995
2001
903
4 523
13 440
2005
2010
20 106
25 296
Neil Monk/AFXB Enfants de moins de 18 ans, orphelins de mère ou des deux parents, quasi orphelins, enfants affectés Extrapolations à partir des données publiées dans « Children on the Brink 2000 » 2001 40 000 2010 100 000
Census Bureau (2004) Enfants de moins de 18 ans, orphelins de mère ou des deux parents, 39 (tous en Afrique subsaharienne) 1990
1995
2000
2003
550
3 000
8 500
12 300
2010 18 400

(Source : Appaix et Dekens, 2005 )

Afin de mettre de l’ordre dans cet imbroglio statistique et méthodologique, les membres de l’ONUSIDA,  (groupe de référence sur les estimations, les modélisations et les projections) se sont réunis en juillet 2001 d’une part pour adopter une définition commune du terme d’orphelin du sida et d’autre part pour élaborer des méthodes standardisées et communes d’estimation et de projection du nombre d’orphelins WHO et UNAIDS, 2002.

Ainsi, en 2002, une nouvelle approche d’estimation du nombre d’orphelins de mère, de père et d’orphelins doubles a été validée par l’ONUSIDA et mises au point par Grassly et Timaeus Grassly et Timaeus, 2003. Cette méthode était déjà utilisée par le Census Bureau pour les estimations du nombre d’orphelins en Afrique, Asie et Amérique Latine ; elle a dorénavant été adoptée par l’ONUSIDA, l’UNICEF et l’USAID WHO et UNAIDS, 2002.

En 2004, les estimations ont été affinées : dorénavant, elles tiennent compte des orphelins de moins de 18 ans, mais également du nombre d’enfants devenus orphelins l’année précédente, appelés aussi nouveaux orphelins, et enfin du nombre estimatif d’orphelins classés par tranche d’âge UNICEF, UNAIDS, USAID et Jorge Scientific Corporation. Population, 2004.

L’estimation du nombre d’orphelins de mère, de père et d’orphelins doubles dus à des causes de sida ou autres fait intervenir de nombreux indicateurs que nous détaillons dans les paragraphes suivants.

  Les orphelins de mère

Selon l’ONUSIDA et l’UNICEF, « Les orphelins de mère sont ceux qui ont perdu leur mère et dont on ne sait pas si le père est en vie ou non (il est peut être en vie, mort du sida ou d’autres causes). Le nombre d’enfants nés de femmes qui sont mortes du Sida pendant les 17 années précédentes est estimé d’après les taux de fécondité par pays et par âge, et le nombre de ces enfants encore en vie et âgés de moins de 18 ans est calculé à l’aide d’une table de mortalité propre à chaque pays (…) Ces méthodes de calculs prennent en considération l’impact du VIH sur la fécondité, la transmission du virus de la mère à l’enfant, ce facteur intervenant sur la survie de l’enfant. (…) La sérologie VIH de la mère pendant les années qui ont précédé le décès causé par le sida doit être calculée rétrospectivement, à l’aide d’estimations du taux de progression de la maladie.. Ces calculs tiennent également compte de l’impact du décès de la mère sur la survie de l’enfant dans l’année précédant et suivant la naissance, indépendamment de la sérologie de l’enfant Crampin, Floyd et al., 2003, Nakiyingi, Bracher et al., 2003, Ng'weshemi, Urassa et al., 2003 » UNICEF, UNAIDS et al., 2004.

  Les orphelins de père

Depuis 1990, Hunter & Williamson travaillent à l’élaboration d’une méthode d’estimations des orphelins de père toutes causes confondues en appliquant un ratio empiriquement dérivé des orphelins de mère et d’orphelins doubles aux orphelins de père Hunter and Williamson, 2000.

Ces estimations se fondent sur le taux de fécondité masculine.

Selon l’ONUSIDA et l’UNICEF, « Les projections démographiques fondées sur les tables de fécondité féminine donnent par déduction un taux de fécondité totale pour les hommes qui, associé aux tables de fécondité masculine standard, peut permettre d’estimer la fécondité des hommes par groupe d’âge (…) Le taux de fécondité masculine peut alors servir à estimer le nombre d’enfants dont le père est mort du sida dans les 17 années précédentes, tout comme on estime le nombre d’enfants ayant perdu leur mère à cause du sida » UNICEF, UNAIDS et al., 2004. Cependant, les estimations des orphelins de père sont effectuées plus difficilement compte tenu du manque de données sur la fécondité masculine WHO and UNAIDS, 2002.

« Pour tenir compte de l’impact du VIH sur la fécondité de la partenaire d’un homme et de l’impact de la transmission de la mère à l’enfant sur la survie de l’enfant, il faut disposer d’information supplémentaires sur la concordance de la sérologie VIH des parents » UNICEF, UNAIDS et al., 2004

  Les orphelins doubles

Selon l’ONUSIDA et l’UNICEF, « Le nombre d’orphelin doubles à cause du sida peut être estimé à partir du nombre total d’enfants ayant perdu leurs deux parents (toutes causes confondues) auquel on soustrait le nombre d’enfants dont aucun parent n’est mort du sida (…) Le décès du père et celui de la mère sont liés, car ils font tous deux face à des facteurs de risques communs tels que la situation socio-économique ou la transmission hétérosexuelle du VIH (…) Le nombre d’orphelins doubles est donc supérieur à ce qu’on obtiendrait si ces décès étaient indépendants. Ce « risque supplémentaire » de perdre ses deux parents a été estimé en ajustant un modèle de régression multi-niveaux à des données relatives aux nombres d’orphelins de mère, de père et des deux parents provenant des enquêtes démographiques et de santé (EDS) effectuées dans 31 pays. Ces analyses font apparaître que le risque supplémentaire, et donc le ratio d’orphelins doubles par rapport aux orphelins de mère et aux orphelins de père, dépend de l’âge de l’enfant, de la prévalence du VIH cinq ans avant l’étude et de la nuptialité (proportion de femmes célibataires de 15 à 19 ans et prévalence de la polygamie) » UNICEF, UNAIDS et al., 2004

  La validation des estimations

Afin de vérifier leur validité, selon l’ONUSIDA et l’UNICEF « les estimations du nombre d’orphelins obtenues par les méthodes de calcul précédemment citées, sont comparées aux estimations du nombre d’orphelins des pays d’Afrique subsaharienne provenant des enquêtes ménages Grassly et Timaeus, 2005» UNICEF, UNAIDS et al., 2004.

« Les estimations du nombre total d’orphelins âgés de 0 à14 ans provenant des enquêtes EDS et des enquêtes en grappes à indicateurs multiples sont relativement proches des estimations obtenues à partir des modèles démographiques, une fois que l’on a pris en compte l’estimation excessive de la mortalité adulte due à des causes autres que le sida » » UNICEF, UNAIDS et al., 2004. On peut donc en conclure que ces estimations restent fiables.

 « Le degré d’exactitude des estimations du nombre d’orphelins dépend bien évidemment du degré d’exactitude des données démographiques et épidémiologiques sur lesquelles se fondent ces estimations »UNICEF, UNAIDS et al., 2004.

Les divergences de données et d’hypothèses démographiques et épidémiologiques ont engendré diverses estimations du nombre d’orphelins dus au sida élaborées par différentes institutions United Nations et Division, 1995, UNAIDS, 2000, Hunter et Williamson, 2000. Ces données et hypothèses ont évolué dans le temps, de plus les méthodes se sont standardisées. Ainsi, les estimations à l’échelle mondiale du nombre d’orphelins et de l’impact du VIH/SIDA se sont homogénéisées.

  Des données biaisées

Malgré la standardisation des méthodes d’estimations et de projections, les divergences persistent et des données semblent être oubliées.

La crise des orphelins en Afrique est appréhendée à partir des projections démographiques mais aussi au travers des enquêtes auprès de ménages, ce qui pose la question de la survie des parents. « Si ces deux méthodologies, la modélisation et les enquêtes auprès des ménages, donnent dans l’ensemble des résultats similaires pour le nombre total d’orphelins, on constate pour certains pays des différences non négligeables. Ces différences proviennent des imperfections des deux méthodes ». UNICEF, 2003.

Ainsi selon Grassly et Timaeus « depuis 1990, la plupart des enquêtes auprès des ménages collectent des données sur la survie des parents de tous les enfants vivant dans le foyer au moment de l’enquête afin de repérer les orphelins (orphelins de père, de mère, double). Ces études révèlent 6,5% de non réponse à propos de la survie des parents » Grassly et Timaeus, 2003 ; de plus ces estimations réalisées à partir d’enquêtes de ménages ne tiennent pas compte des enfants vivant en dehors d’un cadre familial.

En effet, un certain nombre d’orphelins vivent dans la rue ou travaillent en tant que domestique ou autre. Il est difficile d’évaluer l’ampleur de la totalité des orphelins du sida, en tenant compte de ces enfants qui ne sont pas pris en charge par la communauté ou la famille élargie ; cela entraîne une sous estimation du nombre d’orphelins UNICEF, 2003.

Par ailleurs, comme nous l’avons expliqué dans la première partie, les orphelins encore nourrissons pris en charge par la famille élargie sont souvent non reconnus comme orphelin et accueillis par la famille comme étant un enfant biologique Timaeus, 1998 ;  De même, il peut arriver que chez les orphelins de père, lorsque le père se remarie, sa nouvelle épouse considère les enfants de son mari comme les siens Bicego, Rutstein et Johnson, 2003, Urassa et al., 1997.

Enfin il peut être difficile dans les enquêtes d’avoir des informations sur la survie des parents ne vivant pas avec leurs enfants. Cela pose un problème de surestimation du nombre d’orphelins dans le cas où l’absence prolongée des parents est considérée comme un décès. En revanche, on note une sous-estimation du nombre d’orphelins lorsque le décès des parents n’a pas été déclaré ou que le foyer n’a pas été informé ; en effet, il arrive que les personnes interrogées donnent des informations incorrectes sur le décès ou la survie des parents. On peut ainsi se demander quelles sont les conséquences, mais également l’ampleur de ces données oubliées Grassly et Timaeus, 2003.

Par ailleurs, on ne connaît pas le nombre d’enfants vivant avec des parents infectés par le VIH/SIDA. Pour la plupart des pays africains, aucune estimation n’existe concernant le nombre d’enfants vivant avec des parents infectés par le VIH. Pourtant, elles pourraient éclairer l’ampleur future de la crise des orphelins  World Bank, 1997, Sengendo et Nambi, 1997.

Concluons avec le Programme Alimentaire Mondial :

Recenser le nombre d'orphelins est au mieux un exercice imprécis. Les chiffres varient considérablement selon que l'on compte ceux qui ont perdu leur mère, ceux qui ont perdu leur père ou ceux qui ont perdu père et mère; ceux qui ont moins de 15 ans ou moins de 18 ans; et selon que l'on tienne compte uniquement des parents qui sont morts du SIDA ou de ceux qui sont morts de causes diverses. Landis, 2002

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