Les numériques du CEPED - Analyser les représentations sexuées dans les manuels scolaires

Table des matières

Introduction

Carole BRUGEILLES

Université de Paris X-Nanterre-CERPOS

Sylvie CROMER

Université de Lille 2

Thérèse LOCOH

INED - Paris

1. Représentations sexuées, manuels scolaires et comportements démographiques

2. Réseau International de Recherche sur les Représentations sexuées dans les manuels scolaires (RIRRS)

3. Méthode

4. Cinq recherches sur les représentations sexuées et une sur les représentations des identités culturelles

Bibliographie

 

1. Représentations sexuées, manuels scolaires et comportements démographiques

Les rapports sociaux de sexe occupent une place croissante dans l'analyse des évolutions ou des résistances des différents phénomènes démographiques, qu'il s'agisse de la mortalité, de la fécondité, de la nuptialité, des migrations et de leurs conséquences sur les structures et dynamiques des populations (Bozon et Locoh, 2000 ; Locoh, 2007). Les comportements démographiques peuvent ainsi être expliqués au regard des identités sexuées, des rôles, des fonctions et des représentations, qui les sous-tendent. Prendre en considération les rapports sociaux de sexe permet aussi de saisir et de comprendre l'élaboration de ces identités et leur transmission par les processus éducatifs familiaux et institutionnels.

L'éducation scolaire joue un rôle essentiel dans ces processus. Elle transmet les connaissances nécessaires à l'insertion économique et sociale de chacun-e et assure aussi la promotion de valeurs et de normes sociales afin qu'elles deviennent communes aux membres d'une société. Connaissances, valeurs et normes sociales sont fixées dans le cadre de politiques éducatives et sont inscrites au cœur des manuels scolaires. Ainsi, en synthétisant et en rendant accessible l'état des connaissances d'une discipline donnée pour assurer les bases d'un même apprentissage à un âge donné, le manuel scolaire participe à l'instruction ; il concourt aussi à la socialisation par la transmission de modèles de comportements sociaux, de normes et de valeurs. Il contribue à la diffusion d'une culture partagée et à la création de liens sociaux entre les membres d'une société : " Créer un manuel revient donc à choisir des valeurs, des normes, des représentations sur lesquelles se fondent les espérances d'assurer la cohésion sociale, l'harmonie des rapports entre les hommes et les institutions ; la littérature constituée par les manuels scolaires demeure intentionnelle et engagée " (Mollo-Bouvier et Pozo-Medina, 1991 : 12). Dès lors, le manuel scolaire peut être analysé comme un vecteur participant à la construction des identités sexuées et des rapports sociaux de sexe dans une société par le biais des représentations sexuées et des relations entre les sexes qu'il donne à voir.

La promotion de relations égalitaires entre les sexes et de l'éducation des filles et des femmes, fait l'objet d'un vaste consensus international dont témoigne la signature de nombreux textes telles la " Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l'enseignement " (1960), la " Convention des Nations unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination envers les femmes (CEDEF, 1979), la Conférence sur l'éducation pour tous (Jomtien, 1990) ou encore le Programme d'action adopté à la Conférence internationale sur la population et le développement au Caire (CIPD, UNFPA, 1994). L'égalité entre les sexes est de surcroît considérée comme une condition essentielle au développement, notamment par son influence sur les comportements démographiques : " (…) Doter la fille et la femme africaine des outils intellectuels et mentaux de développement constitue les meilleurs gages pour réduire, à terme, la pauvreté en Afrique, accroître les revenus familiaux, planifier les naissances, réduire la mortalité infantile, améliorer l'état de santé de toute la famille, réduire les chances de conflits, augmenter l'espérance de vie et donner plus de dignité aux Africaines et aux Africains " (Bah Diallo, 2003).

Les potentialités du manuel scolaire en matière de promotion de l'égalité entre les sexes sont manifestes, elles ont aussi été reconnues par la communauté internationale[1]. Des études soulignent la relation entre la sous-scolarisation des filles d'une part, leur moindre dotation en livres que les garçons et les représentations défavorables aux filles contenues dans les manuels d'autre part (Djangone et al., 2001 ; Montagnes, 2001). De plus, l'effet du manuel est accru dans un contexte de pauvreté. Sa suprématie, en situation de pénurie de livres et de matériels pédagogiques, reste incontestée comme source d'accès à l'information et au savoir, étant donné les difficultés d'accès aux nouvelles technologies. Il est un élément central de la pratique pédagogique et l'un des facteurs les plus efficaces pour améliorer la qualité de l'enseignement et la réussite scolaire. Pour les enseignant-es, le manuel s'avère une ressource pédagogique essentielle : il présente les connaissances du programme et met en ordre la progression pédagogique. Il peut participer à l'autoformation et pallier l'insuffisance de qualification. Pour les élèves et leurs familles, le manuel est parfois la seule source d'initiation à l'écrit et au savoir dans les foyers où le livre est absent. Il permet l'accès à toutes sortes d'informations et la pratique autonome d'activités scolaires : lectures, exercices…

L'analyse des valeurs et normes sociales transmises, notamment par rapport à la problématique du genre, présente un autre intérêt pour les démographes et les sociologues : éclairer les modalités d'action de l'éducation sur les comportements démographiques. En effet, l'éducation est unanimement reconnue comme une variable explicative clé et ses modalités d'action sont documentées ; elles sont à la fois matérielles et culturelles. On peut citer en exemple l'effet sur la fécondité du retard de l'âge au mariage des filles qui prolongent leurs études, leur plus grande aptitude à mettre en œuvre des méthodes de planification familiale ou encore les conséquences de la maîtrise de la lecture et de connaissances basiques en hygiène sur la mortalité infanto-juvénile. Cependant, si de nombreuses corrélations entre instruction et comportements ont été établies, les mécanismes ne sont pas toujours bien répertoriés et compris ; peu d'études mettent en relation la politique éducative, en particulier le contenu de l'éducation, et son effet sur les phénomènes démographiques [2]. Ce champ d'analyse reste largement à défricher.

On comprend tout l'intérêt de mener dans le cadre des études de population des recherches scientifiques pour analyser la construction des identités sexuées et des rapports sociaux de sexe, mais aussi celle d'autres identités, les identités culturelles par exemple.

 

[1]Ces potentialités sont affirmées lors de nombreuses conférences internationales et sont inscrites dans de multiples textes édités par les Nations unies, l'UNFPA, l'Unesco et cités précédemment.

[2]La littérature sur la corrélation entre instruction et comportements démographiques est très abondante et le constat de carence d'analyse précise sur les mécanismes en jeu est souvent fait. On peut citer sur ces thématiques Joshi H. et David P., 2002 ; Masuy-Stroobant G., 2002 ; Charbit Y. et Kébé M., 2006. Plus spécifiquement sur l'impact des politiques éducatives et du contenu des enseignements sur la scolarisation et ses influences voir Martin J-Y., 2006.

2. Réseau International de Recherche sur les Représentations sexuées dans les manuels scolaires (RIRRS)

La rencontre de chercheurs et chercheuses africanistes s'intéressant aux manuels scolaires, d'une démographe et d'une sociologue ayant analysé les représentations sexuées dans la littérature de jeunesse en France (Brugeilles et al., 2002) a constitué le noyau initial d'un réseau de recherche sur les représentations sexuées dans les manuels scolaires africains.

Lors du congrès de l'Union pour l'Étude de la Population Africaine (UEPA) à Tunis en décembre 2003, les premières analyses de manuels de mathématiques de l'enseignement primaire utilisés en Afrique francophone ont été présentées (Brugeilles et Cromer, 2006) et une méthode originale a été exposée lors d'un atelier parallèle organisé par le Centre Population et Développement (CEPED). Fondée sur la sociologie des rapports sociaux de sexe et le concept de représentation sociale, adossée à une approche quantitative, cette méthode permet d'appréhender " objectivement " les représentations sexuées proposées aux jeunes élèves dans les manuels. Ces présentations ont suscité un grand intérêt et l'idée de former un réseau international de recherche sur les représentations sexuées dans les manuels scolaires (RIRRS) est née, avec une double ambition :

Quatre équipes africaines s'engagent alors dans des études sur les manuels scolaires de mathématiques de leur pays :

Grâce au soutien du Centre français sur la population et le développement (CEPED), de l'Institut national d'études démographiques (INED), de l'Union pour l'étude de la population africaine (UEPA), ainsi que du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) par ses représentations d'Abidjan et de Yaoundé, et de l'Unité de recherche démographique de Lomé, plusieurs rencontres auront lieu et rythmeront leur travail de 2004 à 2006 : un atelier méthodologique de collecte des données à Lomé en mai 2004, un séminaire d'analyse des premiers résultats à Paris au CEPED en novembre 2004, un atelier de coordination éditoriale à Paris au CEPED en juin 2006. Les équipes ont présenté leurs résultats au Séminaire international " Problématiques de recherche et orientations politiques, dix ans après la Conférence du Caire ", au CEPED, le 30 novembre 2004, et au XXVe Congrès international de la population UIESP, à Tours, en juillet 2005. Parallèlement, en 2005, la publication de la méthode (Brugeilles et Cromer, 2005) suscite de nouvelles études sur les manuels du Mexique, du Sénégal, d'Algérie, de la République Démocratique du Congo, de Chine, de Madagascar.

Afin de satisfaire au second objectif du RIRRS, à savoir la modification des manuels scolaires, un partenariat est développé avec l'UNESCO pour la diffusion des résultats et la sensibilisation des acteurs et actrices de la chaîne du manuel scolaire. Plusieurs actions de formation ont été réalisées, rassemblant à chaque fois plusieurs pays africains : au Cameroun en novembre 2005, au Togo en décembre 2006, en République Démocratique du Congo en juillet 2007. À la suite de ces séminaires un guide a été publié (Brugeilles et Cromer, 2008) et un kit de formation est en cours d'élaboration.

De ces activités du RIRRS est née l'idée de rassembler les recherches dans un CD-Rom.

3.Méthode

Nombre d'études se sont intéressées au sexisme dans les manuels scolaires, c'est-à-dire aux discriminations fondées sur le sexe, dévalorisantes le plus souvent pour le sexe féminin. Apparues dans les années 1960, elles se multiplient à partir de 1981 sous l'impulsion de l'UNESCO, suite à la Conférence mondiale de la décennie des Nations unies pour la femme, égalité, développement et paix (Copenhague 1980).

Ces études menées sur des manuels de toutes disciplines et de tous niveaux, dans des pays d'Afrique, d'Amérique, d'Asie et d'Europe sont unanimes à dénoncer le sexisme et la présence de nombreux préjugés en défaveur des femmes : faiblesse numérique des personnages féminins dans les enseignements généraux ou, au contraire, surreprésentation dans les formations professionnelles sanitaires et sociales (Kom et Ngaba Zogo, 2005) ; femmes et hommes cantonnés dans des fonctions sociales, familiales ou socioprofessionnelles qui leur sont traditionnellement assignées. Les femmes, souvent anonymes, sont ainsi enfermées dans la sphère domestique et gardent le monopole de la coquetterie, de la faiblesse, de l'affectivité, de la dépendance, les hommes incarnant la force physique et morale, l'autorité, l'autonomie.

Ces études visent essentiellement à dévoiler les stéréotypes liés au sexe, à savoir des représentations simplifiées, réductrices et figées de certaines caractéristiques attribuées à un individu ou à un groupe défini par son sexe. Les informations sont souvent relevées, et l'analyse est parfois faite, grâce à des catégories pré-établies telles que " rôle traditionnel/rôle non traditionnel ", " rôle valorisant/rôle dévalorisant ". Le risque pour ces études, dont la pertinence est indéniable et qui ont permis des avancées dans la lutte contre le sexisme dans les manuels, est d'être perçues comme trop subjectives et d'être peu susceptibles de faire la démonstration de la récurrence de biais dans les représentations des identités et des rôles sexués au-delà de la dénonciation des stéréotypes les plus évidents. En effet, le relevé des stéréotypes de sexe ou de la discrimination demande une définition, difficile à fixer, de toutes les formes de sexisme par rapport à un idéal d'égalité. Dès lors, le relevé des informations dépend, d'une part, du contexte culturel, et, d'autre part, de la sensibilité de la personne qui réalise la collecte. Et cela d'autant plus qu'un autre problème de définition se pose : les catégories pré-établies telles que " traditionnel/non traditionnel ", " valorisant/dévalorisant ", varient selon les études. Par ailleurs, seuls les stéréotypes et les situations discriminatoires apparents peuvent être notés ce qui introduit un biais méthodologique. En effet, comment relever des manques qui induisent un sexisme, une discrimination " en creux " ? Enfin, fondées sur des extraits et centrées sur des points spécifiques, ces approches offrent peu de possibilités de comparaison. Elles ne permettent pas l'étude et la comparaison rigoureuse de vastes corpus, ni de cerner les évolutions. D'une part, les stéréotypes les plus criants peuvent avoir disparu, sans pour autant que le manuel montre des relations égalitaires entre les sexes, et, d'autre part, les définitions utiles au relevé des informations évoluent forcément.

Une nouvelle approche inscrite dans une sociologie des rapports sociaux de sexe et reposant sur la notion de représentation sociale a été élaborée pour tenter de limiter les risques de biais énoncés plus haut. Elle propose de révéler les représentations liées aux deux catégories sociales du masculin et du féminin et à leurs relations asymétriques, au-delà de la mise en évidence des stéréotypes sélectionnés a priori. Proposer l'étude des représentations sexuées, c'est en fait proposer de décrire le système de genre véhiculé, à savoir les rapports prescrits entre hommes et femmes.

Pour ce faire, il s'agit de décrypter la construction du sexe social. Dans les écrits pour enfants, celle-ci s'opère par la médiation du personnage, support d'identification et de projection, qui " incarne " des qualités, des rôles, des statuts et développe des activités, des relations, etc. Les indices du sexe social sont nombreux : le sexe, l'âge, la forme -personnage individuel ou collectif de personnages-, les modes de désignation, les activités ou les actions, les attributs, les traits de caractère, les relations avec d'autres personnages, la fonction pédagogique, la posture, la mise en scène dans un lieu, etc.

De plus, l'inscription du personnage dans le manuel scolaire fait partie des variables qui participent à l'élaboration des représentations sexuées. En effet, le personnage peut apparaître soit dans les textes, soit dans les images. Cette distinction est importante pour plusieurs raisons. Les caractéristiques du personnage s'expriment différemment dans les images et dans les textes. Les images ont une plus grande visibilité ; moins nombreuses, occupant un espace plus important dans la page, elles sont plus faciles à contrôler. Les textes et les images ne renvoient pas forcément la même représentation du masculin et du féminin. Il faut donc s'intéresser à chacun de ces espaces et à leur articulation. Le personnage peut aussi apparaître dans des " parties " de manuels, le cours ou les exercices, aux finalités pédagogiques différentes. Son emplacement lui donne un impact spécifique. Ainsi, un personnage placé dans la partie cours, étudiée avec l'enseignant-e par l'ensemble de la classe, aura plus de visibilité que celui qui est inclus dans les exercices.

C'est donc au travers de l'ensemble des caractéristiques du personnage, celles qui lui sont attachées directement et celles qui sont liées à sa place dans le manuel scolaire, que l'on va découvrir ce qu'est être un homme, une femme, une fille, un garçon dans une société donnée. Il convient de préciser rigoureusement la liste et les définitions de l'ensemble de ces caractéristiques.

Afin de recueillir toutes les informations, les personnages sont soumis à une grille de lecture. Ils sont ensuite traités comme des individus statistiques appartenant à des populations. Cette méthode quantitative évite toute sélection à l'intérieur du support, de parties de documents ou de personnages. De plus, elle autorise l'analyse et la comparaison de corpus importants et permet de révéler des éléments non identifiables à une lecture même la plus attentive et la plus sensibilisée au sexisme. Une fois les représentations sexuées analysées, les discriminations à l'encontre de l'un ou l'autre sexe pourront être mises en exergue.

4. Cinq recherches sur les représentations sexuées et une sur les représentations des identités culturelles

La méthode a été testée puis appliquée en premier lieu à des manuels de mathématiques. Plusieurs raisons ont présidé à ce choix. La discipline mathématique, dans les recherches menées en France, est souvent désignée comme discriminatoire envers les filles avec un déficit d'orientations des adolescentes dans les voies scientifiques et des difficultés d'accès à des professions valorisées économiquement, socialement et symboliquement pour lesquelles la sélection est fondée sur les capacités en mathématiques. Les raisons expliquant le manque d'investissement en mathématiques des filles sont multiples : faible utilité sociale pour des élèves dont on anticipe la moindre implication professionnelle compte tenu du primat de la famille dans la vie des femmes (Duru-Bellat et Jarlégan, 2001) mais aussi naturalisation des aptitudes intellectuelles à comprendre les mathématiques qui pose que les garçons et les hommes sont doués " naturellement " pour les disciplines scientifiques et techniques, alors que les filles et les femmes le sont pour les lettres et les sciences sociales. Aussi est-il intéressant de vérifier si les manuels scolaires de mathématiques relaient ces assertions et par là même contribuent à les légitimer et à perpétuer la difficulté pour les femmes d'accéder aux carrières scientifiques ou aux professions pour lesquelles a minima un baccalauréat scientifique est indispensable. De plus, ce choix permet d'apporter la preuve qu'il est important de considérer toutes les disciplines. Les manuels de lecture, d'histoire, de géographie ou d'instruction civique sont considérés comme riches en représentations sociales. De fait, ils ont été beaucoup plus étudiés que les manuels de mathématiques. Or si les cours de mathématiques sont en apparence neutres et semblent pauvres en représentations, les notions abstraites se traduisent, pour faciliter l'apprentissage, en exemples puisés dans la vie quotidienne de l'enfant. Ils mettent alors en scène des personnages, porteurs d'identité sexuée. L'hypothèse peut être faite que les manuels de mathématiques véhiculent de nombreuses représentations sur la société, qui imprègnent d'autant plus qu'on y est consciemment peu attentif.

Les trois premières études présentées dans cette publication appartiennent à la première vague d'application de la méthode et analysent les représentations sexuées dans la collection de manuels scolaires de mathématiques la plus utilisée ou la seule existante dans l'enseignement public au Togo, en Tunisie et au Cameroun. Dans les trois textes, les auteures présentent un recensement des personnages qui montre l'importance numérique de leur population et une très forte surreprésentation des protagonistes masculins. Puis une problématique spécifique est développée pour chacun des pays.

Dans " Les relations entre les personnages dans les manuels togolais de mathématiques " Justine Adzowavi Nomenyo, Atavi Mensah Edorh et Thérèse Locoh explorent les relations développées entre les personnages et répondent à deux questions : les personnages sont-ils seuls ou en relation ? Quelle est la nature de leurs relations ? Il s'avère que l'insertion dans le tissu social des uns et des autres est différente : les hommes sont plus autonomes, les fillettes participent souvent à des comparaisons dont elles sortent rarement victorieuses, les personnages féminins ont une expérience plus restreinte des relations, la nature des interactions et des comparaisons auxquelles elles participent étant moins diversifiée.

L'article " Les manuels scolaires en Tunisie reflètent-ils la réalité tunisienne ? ", de Ibtihel Bouchoucha et Thérèse Locoh, est centré sur les populations adultes. Les auteures cherchent à savoir si les manuels suivent l'évolution de la société tunisienne ou, au contraire, s'ils continuent à projeter une image conforme aux modèles traditionnels, en retrait des changements qui traversent la société. Pour ce faire, elles considèrent l'inscription sociale, familiale ou professionnelle des femmes et des hommes et comparent parents et adultes non parents. Les femmes sont préférentiellement inscrites dans la sphère familiale et les taux de féminisation des professions restent nettement inférieurs à la réalité. Si les femmes non désignées comme des mères travaillent, les mères sont limitées dans leurs rôles privé et familial et exclues du monde du travail reflétant en partie la réalité tunisienne puisque les mères tendent à se retirer du marché de l'emploi. Au contraire, les pères, très peu nombreux, circulent entre sphères privée et publique.

Hélène Kamdem Kamgno analyse l'" Évolution des représentations sexuées au fil du cycle primaire dans les manuels de mathématiques au Cameroun " en étudiant les désignations, les attributs et les activités des personnages. Elle montre que la population des personnages n'évolue pas selon les lois du hasard, le système de genre changeant au fil du cursus par la composition de la population et par les caractéristiques des personnages. Ainsi le monde du travail est de plus en plus présent pour ouvrir les élèves sur leur future vie active. Originalité du corpus camerounais : les femmes sont fortement impliquées dans l'activité économique, mais le plus souvent de façon informelle, ce qui n'en fait pas tout à fait les égales des hommes, ceux-ci étant davantage dans le secteur formel.

Les trois recherches suivantes abandonnent les manuels de mathématiques -ou les intègrent dans des corpus plus vastes- vérifiant par leur démarche l'adaptabilité de la méthode à d'autres champs disciplinaires, mais aussi à d'autres représentations sociales que celles fondées sur le sexe.

Bénédicte Gastineau et Juliette Rafanjanirina à Madagascar et Gabrielle Seguin au Mexique ont fondé leur recherche sur un choix identique, l'étude des illustrations. Premier contact ludique avec le manuel, les illustrations sont tout de suite repérables en feuilletant le livre et sont accessibles à tous les enfants, y compris ceux qui ne maîtrisent pas encore la lecture.

Bénédicte Gastineau et Juliette Rafanjanirina analysent " Les activités économiques et domestiques masculines et féminines dans les manuels scolaires de Madagascar ". Elles ont choisi de ne privilégier aucune discipline et traitent de treize ouvrages, de tous les niveaux de l'école primaire, concernant l'apprentissage de la langue malgache, de la langue française, du calcul, de la géographie et des " connaissances usuelles ". Elles confrontent les représentations des emplois du temps des enfants et des adultes, notamment des activités économiques et domestiques, en milieu urbain et en milieu rural, à la réalité du partage sexué des tâches. Les manuels donnent à voir deux mondes : une société rurale traditionnelle où les rôles, notamment dans la production agricole, dépendent du sexe et de l'âge des individus, et une société urbaine, où la place des femmes est restreinte à un rôle de ménagère participant peu au marché du travail. Si la peinture du monde rural reflète assez fidèlement la réalité, celle du monde urbain, présentée comme un modèle de modernité, est en net décalage par rapport aux évolutions que connaît la société malgache citadine.

Les manuels d'instruction civique destinés aux populations Tsetsal, analysés par Gabrielle Séguin dans son article " Le masculin et le féminin dans les images des manuels mexicains destinés aux " Indigènes " ", relaient les principes de la politique éducative : ces manuels bilingues Espagnol-Tsetsal visent la formation d'une identité nationale mexicaine forte, respectueuse de la pluralité des populations qui la composent. Il s'agit aussi de favoriser l'éducation indigène tout en introduisant la perspective du genre afin de réparer la marginalisation socio-économique des Indigènes, a fortiori les femmes. Incontestablement, l'attention a été portée à la mixité sans aboutir à une réelle égalité contrairement aux engagements du Ministère de l'Éducation : les lieux fréquentés, les activités menées, les relations entre les personnages marquent toujours des différences discriminantes à l'encontre des femmes et les filles.

Dans son article " L'implicite hiérarchie des identités culturelles dans deux manuels de lecture sénégalais ", Sylvan Lemaire propose une adaptation de la méthode à l'analyse des représentations des identités culturelles dans les textes et les illustrations des livres de lecture, tout en les articulant avec les représentations sexuées. Il s'interroge sur les appartenances culturelles mises en scène, sur la façon dont elles sont caractérisées et finalement sur les conceptions idéologiques qui sous-tendent les représentations de ces identités. Trois milieux sont peints : le monde rural sénégalais, le monde urbain dakarois et le monde urbain parisien. Les identités dévoilées dans ces trois espaces sont opposées et hiérarchisées de façon subtile à travers les fonctions sociales, privées ou publiques, les activités menées, les appartenances " ethniques " et les relations développées entre les personnages. La composition sexuée des populations participe aussi à cette classification. Le milieu villageois, lieu de prédilection des garçons qui fait néanmoins une petite place aux femmes et aux fillettes, est plus traditionnel, les différenciations ethniques y sont importantes et les relations plus autoritaires. Dakar est un monde moderne, actif, dominé par les hommes, dans lequel les distinctions d'identité se fondent sur la différenciation nationale et continentale. Monde également moderne, l'espace parisien met en scène un équilibre plus important entre les sexes, des rôles sociaux moins strictement répartis entre les hommes et les femmes et des relations plus ouvertes et harmonieuses entre les protagonistes.

Décalages observés avec la réalité, représentations sexuées souvent en retrait des évolutions qui traversent les sociétés, les six recherches menées dans des contextes nationaux différents d'Afrique subsaharienne, du Maghreb ou d'Amérique Centrale démontrent qu'il y a encore loin entre les pétitions de principes énoncées dans les conférences et conventions internationales, et ainsi acceptées par les décideurs des politiques éducatives, et leur application réelle dans le contenu des manuels scolaires. La promotion de l'égalité entre les sexes, au cœur des droits humains et du développement socio-économique, passe incontestablement par une vigilance aiguë dans la conception des manuels scolaires.

Bibliographie

Note : nous avons limité cette bibliographie aux ouvrages les plus récents, et/ou présentant une analyse pertinente sur les trois thèmes suivants : démographie et genre ; manuels scolaires, éducation et genre ; les guides de sensibilisation au genre. Nous mentionnons également des articles qui ne sont pas cités dans le texte.

 

Démographie et genre

Bozon M. et Locoh T. (dir.), 2000 - Rapports de genre et questions de population. T. 2 Genre et développement, France 2000. Paris, INED, 198 p. (Dossiers et recherches, n° 84).

Charbit Y. et Kébé M., 2006 - Éducation et changements démographiques. in Pilon M. (Ed), Défis du développement en Afrique subsaharienne. L'éducation en jeu. Ceped, collection Rencontres : 25-36.

Joshi H., David P., 2002 - Le contexte économique et social de la fécondité. in Caselli G., Vallin J., Wunsch G., (Eds), Démographie : analyse et synthèse II. Les déterminants de la fécondité, INED : 327-374.

Locoh T. (dir), 2007 - Genre et sociétés en Afrique. Les cahiers de l'INED, n° 160, Paris, INED, 429 p.

Martin J.Y., 2006 - Quelles politiques éducatives pour quelle éducation dans les pays pauvres ? in Pilon M. (Ed), Défis du développement en Afrique subsaharienne. L'éducation en jeu. Ceped, collection Rencontres : 147-131.

Masuy-Stroobant G., 2002 - Théories et schémas explicatifs de la mortalité des enfants. in Caselli G., Vallin J., Wunsch G., (Eds), Démographie : analyse et synthèse III. Les déterminants de la mortalité, INED : 421-438.

Pilon M., 2006 - Défis du développement en Afrique subsaharienne. L'éducation en jeu. Ceped, collection Rencontres, 246 p.

 

Sur la question des manuels scolaires, de l'éducation et de la prise en compte du genre

Bah Diallo A., 2003 - Préface de l'ouvrage d'Alice Tiendrébéogo/Kaboret. Inventaire des expériences novatrices en matière d'éducation des filles et des femmes en Afrique de l'Ouest et Centre. Ouagadougou, CIEFFA.

Brugeilles C., Cromer I. et Cromer S., 2002 - Les représentations du masculin et du féminin dans les albums illustrés ou Comment la littérature enfantine contribue à élaborer le genre. Population, vol. 57, n° 2 : 261-292.

Brugeilles C. et Cromer S, 2005 - Analyser les représentations du masculin et du féminin dans les manuels scolaires. Paris, CEPED, Collection Les Clefs pour, 136 p.

Brugeilles C. et Cromer S., 2006 - Les manuels scolaires de mathématiques ne sont pas neutres. Le système de genre d'une collection panafricaine de l'enseignement primaire ". Autrepart, 39 : 149-166.

Brugeilles C. et Cromer S., 2008 - Promouvoir l'égalité entre les sexes par les manuels scolaires. Un guide pour les acteurs et actrices de la chaîne du livre. Paris, Unesco : 98 p. Téléchargeable sur unesco.doc http://unesdoc.unesco.org/images/0015/001588/158897f.pdf

Bruillard E., 2005 - Les manuels scolaires questionnés par la recherche. in E. Bruillard (dir.), Manuels scolaires, regards croisés. CRDP de Basse Normandie, Documents, actes et rapports de l'Éducation : 13-36.

Djangone R., Talnan E. et Irié M., 2001 - Système scolaire et reproduction des rôles sexués : une analyse du manuel scolaire du Cours Préparatoire deuxième année en Côte d'Ivoire. Colloque Genre, Population et Développement en Afrique. Abidjan, ENSEA, IFORD, INED, UEPA, 16-21 juillet, CD-Rom, www.ined.fr

Duru-Bellat M. et Jarlégan A., 2001 - Garçons et filles à l'école primaire et dans le secondaire. in Thierry Bloss (éd.), La dialectique des rapports hommes-femmes, : 73-88. Paris, PUF, 292 p.

Dunnigan L., 1975 - Analyse des stéréotypes masculins et féminins dans les manuels scolaires du Québec. Québec, Conseil du statut de la femme, 184 p.

Kabré M.B., 1999 - Éducation et scolarisation, enjeux majeurs des rapports de genre et changement social. in Locoh Thérèse et Koffi N'Guessan (Eds), Genre, Population et Développement en Afrique de l'ouest. Abidjan, ENSEA, FNUAP : 73-85.

Kom D., Ngaba Zogo S., 2005 - Rapport d'analyse genre des manuels et outils d'économie sociale et familiale au Cameroun. Téléchargeable sur le site web : http://www.wagne.net/acesfca

Michel A., 1986 - Non aux stéréotypes : vaincre le sexisme dans les manuels scolaires et les livres pour enfants. Paris, UNESCO, 114 p.

Montagnes I., 2001 - Manuels et matériels pédagogiques 1990-1999. Études thématiques. UNESCO, Forum mondial de l'Éducation, 2000, 76 p.

Ouedrago A., 1998 - Les contenus sexistes des manuels scolaires. Au malheur des filles et des femmes dans les manuels. in Lange M.F. (Ed.), L'école et les filles en Afrique. Paris, Khartala : 121-140.

Stromquist N., 1997 - Faire davantage participer les filles et les femmes à l'éducation. Paris, UNESCO, Institut international de planification de l'éducation, n° 56, 122 p.

UNESCO, 2005 - Stratégie globale d'élaboration des manuels scolaires et matériels didactiques, 38 p.

UNESCO, 2005 - Éducation Pour Tous. L'exigence de qualité. Rapport mondial de suivi sur l'EPT. 462 p.

UNESCO, 2003-2004 - Éducation Pour Tous. Le pari de l'égalité. Rapport mondial de suivi sur l'EPT. 432 p.

Verdelhan-Bourgade M., Bakhouche B., Boutan P. et Etienne R., (Eds), 2007 - Les manuels scolaires, miroirs de la nation ? Paris, L'Harmattan, 298 p.

Manuels de sensibilisation au genre

ADEA, 2000 - Gender sensitive editing. Working group on Books and Learning materials, n°11, 108 p.

CONFEMEN, 1993 - Rédaction de manuels scolaires. Guide de formation. Module 5. Les stéréotypes discriminatoires, 70 p.

Mollo-Bouvier S. et Pozo-Medina Y., 1991 - La discrimination et les droits de l'homme dans les matériels didactiques : guide méthodologique. Paris, Unesco, Études et documents d'éducation n° 57, 79 p.

UNESCO, 2002 - Gender sensitivity. A training manuel for sensitizing educational managers, curriculum and material developpers and medias professionals to gender concerns. Compiled by Namtip Askornkool, 202 p.

UNESCO, 2003 - Gender in Education Network in Asia (GENIA). A toolkit for promoting Gender Equality in education (fiches).

Sitographie

UNESDOC et UNESBIB sur www.unesco.org

L'Institut international pour la planification de l'Éducation (IIPE) : www.unesco.org/iiep

L'association pour le développement de l'éducation en Afrique (ADEA) : www.ADEAnet.org

Georg Eckert Institute for international textbook research: www.gei.de

L'Association internationale de recherche sur les manuels et les médias éducatifs (IARTEM): www.iartem.no/index.htm