Les numériques du CEPED - Analyser les représentations sexuées dans les manuels scolaires

Table des matières

Les activités économiques et domestiques, masculines et féminines, dans les manuels scolaires de Madacasgar

Bénédicte GASTINEAU

Démographe - Unité mixte de recherche IRD-Université de Provence 151

Juliette RAFANJANIRINA

Géographe - Université d'Antananarivo

Ny fianarana no lova tsara indrindra
L'éducation est le plus précieux des héritages

(proverbe malgache)

Conclusion

Bibliographie

 

En termes de scolarisation, Madagascar occupe une place particulière en Afrique subsaharienne : les taux de scolarisation à l'école primaire sont élevés et ne révèlent aucune discrimination entre les sexes. Les classes sont mixtes et les élèves sont dotés des mêmes manuels scolaires. Que nous disent ces manuels des relations entre les adultes et les enfants de chaque sexe ? Pour répondre à cette question, nous allons nous focaliser sur un des aspects de relations entre les sexes, à savoir la participation des hommes et des femmes, des filles et des garçons aux activités domestiques et économiques, en analysant les illustrations des manuels. En confrontant les illustrations et la réalité saisie à travers les enquêtes nationales, nous verrons en quoi les manuels confortent certains stéréotypes sur les rôles masculins et féminins.

1. Les manuels scolaires à Madagascar

1.1. Histoire de l'école primaire et des manuels scolaires à Madagascar

À Madagascar, il est possible de dater très précisément les débuts de l'enseignement : la première école a été ouverte le 3 décembre 1820, sous le règne du roi Radama I, par les révérends Jones et Griffiths de la " London Missionary Society " (Ravelomanana, 2005). À cette date, l'enseignement est réservé à une élite et la quasi-totalité des enfants malgaches n'accèdent pas à l'école. La première loi scolaire date de 1876 (Loi des 101 articles). Elle instaure l'obligation scolaire pour tous les enfants de 8 à 16 ans. Elle ne sera pas mise en application avant le code des 305 articles de 1881 qui prévoit des amendes pour les parents qui ne respecteraient cette obligation. L'instruction est alors entièrement à la charge des missions catholiques et protestantes et les textes religieux tiennent lieu de manuels scolaires (Ravelomanana, 2005). Les écoles de la " London Missionary Society " accueillent des jeunes filles pour en faire, non pas des intellectuelles, mais des " Christian Ladies ". Au programme de ces enseignements, il y a la langue malgache, la langue norvégienne ou anglaise selon les missions, l'algèbre, la lecture, l'écriture, mais aussi la broderie, la dentelle, les confitures, le savoir-vivre ainsi que l'étude de la bible (Randriamandimby, 1985).

En 1896, lorsque Madagascar est annexé par la France, le Général Gallieni (gouverneur de Madagascar de 1896 à 1905) doit mettre en place des écoles officielles, sous la responsabilité de l'État. Dans un contexte où catholiques et protestants se disputent le secteur de l'éducation, Gallieni souhaite que les écoles coloniales soient laïques sans aucun enseignement religieux (Lupo, 1982). Le 12 février 1897, le décret donnant naissance à l'école officielle est publié ; il instaure la gratuité de l'éducation, l'enseignement en français et la neutralité en matière religieuse de l'école comme de l'administration. Les décrets de 1904 (25 janvier 1904) relatifs à l'organisation du système scolaire officiel réaffirme la laïcité de l'école et dès lors les établissements privés cessent totalement d'être aidés par l'État (Lupo, 1982). Pendant la colonisation, les principes de l'obligation scolaire et de la gratuité de l'école sont en vigueur, mais ils ne peuvent s'appliquer que dans les régions où l'offre scolaire est suffisante pour accueillir les enfants, limitant de fait l'accès à l'école pour la majorité des populations rurales. Deux systèmes scolaires coexistent tout au long de la colonisation : un réseau dit " indigène " et un réseau " français " réservé aux élites (Deleigne et Kail, 2004). Le programme officiel dans les écoles primaires prévoit un enseignement général et un enseignement professionnel : dessin pour tous les élèves, travaux manuels ou agriculture pour les garçons et travaux de couture pour les filles. Les manuels scolaires qui accompagnent ces enseignements témoignent de cette division sexuée des tâches, correspondant à l'image que les colons se font de la représentation des rôles et attributions de chacun des sexes. Aux garçons, il s'agissait de donner un enseignement à caractère industriel, agricole et commercial, de manière à former la main-d'œuvre nécessaire à l'exploitation des richesses naturelles et au développement industriel de l'Ile (Ravelomanana, 2005) ; quant aux filles, l'enseignement ménager " destiné en général à former des femmes au foyer, épouses, mères…, a constitué la clé de voûte de toute la politique coloniale en matière d'éducation féminine " (PNUD, 2004 : 40).

Jacqueline Ravelomanana a consacré sa thèse à la question de la politique coloniale et des manuels de l'enseignement primaire à Madagascar entre 1896 et 1915 (Ravalomanana-Randrianjafinimanana, 1978). Elle montre que les livres scolaires, rédigés alors par les colonisateurs, ne reflètent en rien la réalité, mais représentent " la femme malgache " telle que souhaitée par les colonisateurs : elle met la maison en ordre, elle pile le riz, elle va chercher l'eau à la fontaine, etc. Le travail domestique est, dans les manuels, entièrement dévolu à la femme dont on magnifie le rôle d'épouse, de mère, de femme au foyer. Les manuels sont là pour inculquer aux élèves une répartition des rôles, des métiers selon les sexes, selon des stéréotypes importés par les colonisateurs. Dans l'ensemble des textes étudiés par l'auteur, sur 23 métiers cités, seuls deux concernent des femmes : une sage-femme et une couturière. Les manuels dont disposent les enfants laissent penser que " la femme malgache " est " attachée à sa maison ", que seules les veuves, les femmes divorcées ou celles dont le mari ne peut travailler peuvent légitimement prétendre à un emploi.

L'effort des autorités coloniales pour développer la scolarisation porte ses fruits. En 1960, au moment de l'Indépendance, avec un taux brut de scolarisation à l'école primaire de 56 %, Madagascar se situe parmi les pays d'Afrique où les enfants sont les plus scolarisés (Lange, 2000). Dès 1960, l'État malgache affirme le droit à l'éducation pour tous les enfants, la gratuité de l'école primaire et l'obligation scolaire (Ordonnance 60-044 du 15 juin 1960). L'enseignement est théoriquement entièrement dispensé en français. En 1972, la langue malgache redevient la langue d'enseignement et il faut attendre 1992 pour que les cours soient de nouveau dispensés en français dans les écoles primaires. Par conséquent, depuis 1992 et jusqu'à aujourd'hui, les manuels scolaires sont en langue française, à l'exception bien évidemment de l'enseignement de la langue malgache. Il faut cependant préciser que certains enseignants actuels ayant été eux-mêmes formés en malgache éprouvent des difficultés à enseigner dans la langue française et qu'un projet de manuels bilingues est en cours.

Le taux net de scolarisation à l'école primaire pour l'année 2002-2003 est de 79 % (PNUD, 2005). Lorsque l'on compare Madagascar aux autres pays africains, une spécificité apparaît : la parité entre les filles et les garçons à l'école primaire. En 2002-2003, on compte 96 filles pour 100 garçons : ce ratio varie de 94 en classe de 11ème (Cours Préparatoire) à 102 en classe de 7ème (Cours Moyen deuxième année) (MENRS, 2006). Cette parité est loin d'être acquise dans l'ensemble des pays du Sud et Madagascar fait plutôt figure d'exception (PNUD, 2005).

L'école primaire est obligatoire à partir de six ans. Les enfants entrent alors en Cours Préparatoire (11ème) qui dure deux ans. La classe suivante s'appelle Cours Elémentaire (une année) puis Cours Moyen (deux années). Le premier cycle de l'Éducation fondamentale -l'école primaire- dure donc cinq ans. À la fin de ce cycle, les élèves passent un examen : le Certificat d'Études Primaire Élémentaire (CEPE). Sans cet examen, les élèves ne peuvent accéder au collège. Ceux qui n'obtiennent pas ce diplôme redoublent ou s'orientent vers des écoles privées qui acceptent les enfants ayant échoué au CEPE. Certains arrêtent définitivement leur scolarité malgré l'obligation scolaire jusqu'à 16 ans.

Au niveau national, un peu moins de 20 % des élèves à l'école primaire sont inscrits dans des écoles privées. Les établissements privés sont soumis à l'autorisation et au contrôle de l'État et ils sont tenus d'appliquer les programmes officiels en vigueur dans les établissements publics (Loi n° 94-033 du 23 mars 1995 portant orientation générale du système d'éducation et de formation à Madagascar). Quand ces écoles privées sont confessionnelles, s'ajoutent aux disciplines habituelles un enseignement religieux.

L'histoire de la mise en place du système scolaire malgache permet de mesurer tout l'intérêt de l'analyse des manuels scolaires actuels qui ont remplacé la bible et les textes religieux du XIXe siècle. Les programmes scolaires et le matériel pédagogique ont toujours été le support de normes, de valeurs que les autorités religieuses ou politiques ont voulu diffuser dans la société malgache. Textes religieux ou manuels laïcs valorisant la femme épouse, mère ou fée du logis, les manuels sont, à Madagascar comme ailleurs, un bon indicateur de la place sociale des femmes en général et plus précisément des relations entre les hommes et les femmes à un moment donné de l'histoire. Aujourd'hui, en l'absence de discrimination en matière d'accès à l'école, filles et garçons vont donc être confrontés au même titre à l'enseignement primaire et aux manuels scolaires, aux images et aux stéréotypes véhiculés.

1.2. La politique, les programmes et les manuels scolaires en 2006 à Madagascar

Avant 2002, il n'y avait pas de politique nationale concernant les manuels scolaires. Chaque instituteur était libre de choisir les supports pédagogiques de ses cours. Les manuels utilisés étaient édités à Madagascar ou importés de France. Depuis 2002, le Ministère de l'Éducation Nationale et de la Recherche Scientifique (MENRS) a instauré au sein des écoles publiques des règles strictes concernant le choix des manuels scolaires. Dans le cadre du Plan " Éducation pour Tous ", le MENRS s'est fixé comme objectif de doter chaque élève d'un manuel dans les disciplines principales (Repoblikan'i Madagasikara, 2005).

Après une redéfinition des programmes scolaires, le MENRS a rédigé un cahier des charges précis concernant le contenu des manuels. Un appel d'offres a été lancé pour l'édition d'ouvrages scolaires, conformes aux programmes scolaires officiels. De grandes maisons d'édition françaises, comme Edicef (Hachette), ont décroché ce marché avec l'aide de bailleurs internationaux. Les manuels ont été édités pour être distribués gratuitement aux écoles publiques et privées. Tous les niveaux (du Cours Préparatoire au Cours Moyen) et toutes les disciplines (langues française et malgache, mathématiques, géographie, connaissances usuelles) sont concernées. Cette opération va prendre évidemment du temps, le nombre d'écoles et d'élèves à approvisionner étant important (en 2003-2004, il y a 2,856 millions d'enfants inscrits en primaire). Parallèlement le MENRS recommande certains manuels édités à Madagascar pour les écoles publiques en attente des manuels du ministère ou pour les écoles privées ne bénéficiant pas de programmes nationaux de distribution gratuite de manuels. Pour qu'un ouvrage soit recommandé par le ministère, son contenu doit conforme aux programmes officiels d'enseignement. Parmi les manuels recommandés par le MENRS, citons la collection rédigée par Maxime Ratoejenahary qui traite presque toutes les disciplines pour tous les niveaux (de la Maternelle au Cours Moyen). Ce sont des ouvrages très fréquemment utilisés dans les écoles primaires, en vente dans les librairies. Ils sont édités par une maison d'édition d'Antananarivo (Sédico) et se vendent 2,5 euros pièce [1]. De plus, sont apparus récemment dans les librairies et sur les étals des marchés aux livres principalement à Antananarivo, deux manuels français : " La méthode Boscher : La Journée des Tout-petits [2] " et " La méthode de lecture traditionnelle : Daniel et Valérie [3] ". Ces manuels sont vendus neufs, d'occasion, mais aussi photocopiés à un prix relativement faible. Ils sont utilisés dans certaines écoles primaires de la capitale.

Avant d'analyser plus précisément comment les manuels scolaires utilisés aujourd'hui représentent les hommes et des femmes, il convient de rappeler quelques éléments des relations de genre à Madagascar, éléments permettant ensuite de mettre en perspective les résultats de notre étude.

 

[1] Le salaire minimum appliqué dans le secteur privé est d'environ 23 euros par mois, dans la fonction publique, le SMIG est de 40 euros.

[2] Ce manuel édité par Belin est un manuel d'apprentissage de la lecture, paru pour la première fois après la seconde guerre mondiale. La version actuellement en usage est légèrement différente de la première édition mais elle reste " désuète ".

[3] Ce manuel est édité par Nathan et la première édition date de 1970 et c'est toujours celle-ci qui est diffusée.

1.3. Les relations de genre à Madagascar. Effets de la colonisation et de la christianisation sur la société malgache et les rapports de genre

La littérature historique, sociologique, anthropologique qui traite des relations entre hommes et femmes à Madagascar s'accorde sur le fait que les femmes avaient traditionnellement, jusqu'au XIXe siècle, un statut nettement meilleur que beaucoup de femmes africaines. Depuis longtemps elles jouent un rôle actif dans l'économie, dans l'agriculture et leur pouvoir de décision au sein de leur famille est important (Skjortnes, 2000). La contribution des femmes à l'économie des ménages est élevée ce qui leur permet de peser lourdement dans les décisions, au même titre que leur mari (Skjortnes, 2000 ; Raharinjanahary et Rasoarinaivo, 2000). Les droits coutumiers permettent aux femmes d'hériter, de posséder de la terre, ce qui accroît leur pouvoir dans leur ménage mais aussi plus généralement dans la société (Skjortnes, 2000). La différenciation des activités économiques et domestiques est fondée plus sur la complémentarité que sur une hiérarchie entre les sexes.

Les bouleversements socioculturels et socio-économiques liés à la christianisation du pays (XIXe siècle), puis à la colonisation (1896-1960) vont avoir un effet sur la représentation et la réalité des relations entre hommes et femmes. L'œuvre évangélique menée par les missionnaires protestants et catholiques au XIXe siècle implante de nouveaux stéréotypes liés au sexe importés des sociétés françaises et anglaises " aux antipodes des traditions malgaches " (PNUD, 2004 : 38) et la colonisation va rompre " le subtil équilibre des responsabilités et des tâches " établi coutumièrement entre les hommes et les femmes à Madagascar (Ravelomanana, 1995 : 300). Dans un contexte où l'Église se préoccupe de la vertu des femmes et où l'autorité coloniale s'inquiète de la faible croissance démographique de la grande île, c'est l'image de la femme mère ou future mère et femme au foyer qui est valorisée et diffusée dans l'éducation des filles (Ravelomanana, 1995 ; Rabenoro, 2003). Les rares écoles professionnelles pour filles forment des infirmières, des institutrices, des sages-femmes et des ménagères (destinées à être des employées de maison chez les Européens). La représentation des relations entre les sexes est défavorable aux femmes et l'image idéalisée est celle de l'épouse soumise à son mari, mère, femme au foyer. La colonisation privilégie le travail des hommes. Lars Vig (1907), contemporain de la colonisation et acteur de la christianisation, note que, en important à bas coût des produits comme les tissus, les colons ont rendu peu rentable l'artisanat traditionnel malgache, source principale d'emploi et de revenu féminins. De plus, les nouveaux types d'emplois ont été donnés en priorité aux hommes et les rémunérations sont discriminatoires : par exemple, celles des instituteurs sont deux à 2 à 6 fois plus importantes que celles des institutrices (Vig, 1907). Lorsque les femmes doivent travailler, elles doivent se limiter à des métiers supposés féminins dans les secteurs sanitaires et éducatifs. Pendant la colonisation, l'image de la femme au foyer, se consacrant prioritairement à l'éducation de ses enfants et à son espace domestique, est associée à une certaine modernité et à un modèle européen.

Cependant, la christianisation et la colonisation n'ont pas concerné toute la population de la même façon. Dans les campagnes, dans les milieux traditionnels, les principes de division du travail ainsi que les règles de résidence et d'héritage sont demeurés à peu près intacts. C'est dans les grandes villes, notamment la capitale et dans les villes des Hautes Terres où l'administration et les missionnaires étaient les plus présents, que les changements ont été les plus visibles à la fois dans les stéréotypes et dans la réalité de la division sexuée des activités économiques et domestiques. Jusqu'à aujourd'hui, l'idéal de " la femme à la maison " persiste sur les Hautes Terres ; L. Andrianjafitrimo (2003) observe que la société voudrait que la femme " joue le rôle de la femme au foyer en y élevant ses enfants et en dépendant financièrement de son époux " (Andrianjafitrimo, 2003 : 184).

L'analyse des illustrations des manuels scolaires doit permettre de voir quels sont les modèles proposés aux jeunes élèves concernant la division du travail domestique et l'insertion des hommes et des femmes sur le marché du travail économique. Du fait de l'évolution différentielle entre le milieu rural et le milieu urbain, nous distinguerons ces deux milieux et nous confronterons les images des manuels à la réalité afin de mieux dégager quels sont les présupposés idéologiques attachés aux activités des femmes et des hommes.

2. Les représentations des activités féminines et masculines dans les manuels scolaires à Madagascar

2.1. Méthodologies

Nous avons choisi d'appréhender les représentations du masculin et du féminin dans les manuels à travers les activités exercées par les uns et les autres dans les illustrations. Par activité, nous entendons les activités économiques qu'elles soient formelles ou informelles, agricoles ou non agricoles, les activités scolaires, les activités familiales, les tâches domestiques, les activités sociales, les loisirs. La représentation des activités par sexe est un moyen de saisir les référents culturels en termes de genre.

L'étude que nous présentons porte sur treize manuels fréquemment utilisés à l'école primaire à Madagascar, dont huit sont issus de la collection Maxime Ratoejenahary (encadré 1). Nous avons choisi de couvrir toutes les classes de l'école primaire : du Cours Préparatoire (11ème) à la classe de CM2 (7ème). Ils concernent l'apprentissage de la langue malgache, de la langue française, du calcul, de la géographie et des " connaissances usuelles ". Ils sont tous édités à Madagascar pour les écoles malgaches. Six des treize ouvrages sont en couleurs, les autres en noir et blanc et tous sont illustrés. La majorité des illustrations sont des dessins ; on trouve cependant quelques photos dans trois manuels et, hormis les quatre manuels d'enseignement de la langue malgache, les textes sont en français. Les manuels sont généralement organisés en leçons regroupant des textes, des " lectures " et de nombreux exercices.

Dans ces livres, nous avons analysé la totalité des images sur lesquelles figuraient un ou plusieurs individus ; nous n'avons utilisé le texte que pour aider à l'analyse des images (par exemple, savoir l'âge ou le sexe de l'individu si le dessin laissait un doute). Nous disposons donc de 312 illustrations. Sur les 312 images, 1 274 personnages ont été observés. Il faut noter que, sans exception, tous les personnages dans les manuels sont des humains (il n'y a pas de personnages animaux mis en scène) et que généralement il est assez facile de déterminer le sexe et le groupe d'âges (enfant ou adulte) du personnage. Pour chaque individu, différentes données ont été saisies, parmi lesquelles : le sexe, le groupe d'âges (adulte/enfant), l'activité précise qu'il exerce, le milieu dans lequel il est représenté (ville, campagne, mer).

Encadré 1 - Présentation des manuels du corpus

1) Maxime Ratoejanahary, " Teny mamiko " 7ème, Édition Sédico-Madagascar, 268 p. Manuel de langue malgache pour la classe de 7ème (CM2) en noir et blanc proposant des leçons et des exercices de grammaire et de conjugaison, 287 personnages.

2) Maxime Ratoejanahary, " Teny mamiko " 8ème, Édition Sédico-Madagascar, 205 p. Manuel de langue malgache pour la classe de 8ème (CM1) en noir et blanc proposant des textes, des leçons et des exercices de grammaire et de conjugaison, 196 personnages.

3) Maxime Ratoejanahary, 2002, " Le français du nouveau programme " 7ème, Édition Sédico-Madagascar, 235 p. Manuel de français pour la classe de 7ème (CM2) en noir et blanc proposant des textes, des leçons et des exercices de grammaire et de conjugaison, 159 personnages

4) Maxime Ratoejanahary, " Le français du nouveau programme ", Édition Sédico-Madagascar, 192 p. Manuel de français pour la classe de 8ème (CM1) en noir et blanc proposant des textes, des leçons et des exercices de grammaire et de conjugaison, 201 personnages.

5) Maxime Ratoejanahary, 2003, " Ma première lecture ", Édition Sédico-Madagascar, 183 p. Manuel de lecture en français pour les classes de maternelle et de 11ème (CP) en couleur, proposant des leçons, des exercices d'application et d'évaluation, des exercices de lecture dirigée et d'écriture cursive, 121 personnages

6) Maxime Ratoejanahary, " Ma première lecture - cahier d'exercices ", Édition Sédico-Madagascar, 26 p. Cahier d'exercice d'écriture et de lecture en français pour les classes de maternelle et de 11ème (CP), en couleur avec des exercices de lecture et d'écriture cursive, 14 personnages.

7) Maxime Ratoejanahary, 2002, " Les connaissances usuelles du nouveau programme ", Édition Sédico-Madagascar, 97 p. Manuel de sciences naturelles pour la classe dème (CM1) en noir et blanc, proposant des leçons (les différentes parties du corps, la digestion, les parasitoses intestinales, etc.) et des exercices d'évaluation sous forme de questions, 5 personnages.

8) Maxime Ratoejanahary, 2002, " La géographie du nouveau programme ", Édition Sédico-Madagascar, 191 p. Manuel de géographie pour la classe de 7ème (CM2) en noir et blanc avec des photos, des illustrations et des cartes autour de 18 leçons (le relief, la population, les transports, etc.) en français, 20 personnages.

9) Francinet Ratsimaholy, 1999, " La géographie ", Édition Ratsimaholy, 49 p. Manuel de géographie pour la classe de 9ème (CE2) en noir et blanc avec 11 leçons (le paysage, les cours d'eau, etc.) en français et des exercices d'évaluation 7 personnages.

10) Lala Rakotoson, Julienne Agnès Raolisoa, 2001, " Lovako ", Édition Ambozontany, 128 p. Manuel de langue malgache pour la classe de 8ème (CM1) en couleur avec des images et des photos proposant des textes, des exercices de grammaire et de conjugaison, 101 personnages.

11) Lala Rakotoson, Julienne Agnès Raolisoa, 2004, " Lovako ", Édition Ambozontany, 142 p. Manuel de langue malgache pour la classe de 9ème (CE2) en couleur avec des images et des photos proposant des textes, des exercices de grammaire et de conjugaison, 66 personnages.

12) Marie Odette Rasoanindrina, 2006, " Méthode de lecture et de français ", Édition Ambozontany, 125 p. Manuel de méthode de lecture en français pour la classe de 9ème (CE2) en noir et blanc avec des textes, des exercices, des dictées, 59 personnages.

13) Rasolofo Martin, Filles de St Paul, 1995, " Mianatra Manisa - Apprendre à compter ", Éditions Md Paoly - St Paul, 16 p. Manuel de calcul pour la classe de 11ème (CP) en couleur et en langues malgache et française, proposant des planches de dessin où chaque élément est accompagné de son nom dans les deux langues, 38 personnages.

2.2. La population des manuels : un certain déséquilibre entre les sexes mais plus encore entre les âges

Huit des treize ouvrages ont des personnages sur leur couverture : à l'exception d'une adulte, une institutrice, tous sont des enfants, et plus exactement des élèves reconnaissables car ils portent un cartable, lisent un livre ou sont assis dans une classe écrivant sur un cahier. Parmi les 32 individus, la parité est respectée, on compte 16 filles (15 jeunes filles et une adulte) et 16 garçons.

Lorsque l'on ouvre ces manuels, la situation est bien différente. Parmi les 1 274 personnages, 71 % sont des adultes, 29 % des enfants (tableau 1). Il est étonnant de constater que les adultes sont largement majoritaires dans des ouvrages destinés à des enfants de 6 à 14 ans et dans une société où presque la moitié de la population a moins de 15 ans (PNUD, 2004).

En considérant le sexe, 63 % sont des hommes ou des garçons et seulement 37 % sont de sexe féminin. Les filles sont particulièrement sous-représentées (11 % de la totalité des personnages).

Nous avons aussi pris en compte le milieu dans lequel les personnages évoluent en distinguant les régions côtières, les zones rurales, les zones urbaines. Pour 11 % des personnages, nous n'avons pu déterminer la région. Plus d'un individu sur deux (53 %) est représenté en milieu urbain, contre seulement 34 % en milieu rural et 2 % dans les régions côtières. Quoique peu présentes dans les manuels et pouvant être assimilées à des régions rurales, il est intéressant dans un premier temps d'isoler les régions côtières car les populations du Centre de Madagascar et celles de la Côte se distinguent en divers points (aspect physique, habillement, etc.) et notamment par leurs activités. La pêche par exemple occupe une place importante dans les activités des côtiers. Les images présentent fréquemment les régions des Hauts Plateaux reconnaissables soit à leurs paysages soit à leur population. Le milieu urbain occupe quant à lui une place disproportionnée : 53 % des individus ont été dessinés dans un contexte de ville, alors qu'à Madagascar la population urbaine représente à peine 25 % de la population totale.

La répartition des personnages par âge diffère selon le milieu : peu nombreux en milieu rural, les enfants représentent le tiers des urbains et plus de la moitié de ceux campés dans des milieux indéterminés. En revanche, c'est dans le monde rural que la parité de sexe est la mieux respectée avec 56 % de masculins et 44 % de féminins. Les écarts sont importants en milieu urbain : 66 % des individus sont des personnages masculins. Ainsi la ville permet une meilleure visibilité des enfants et masculinise la population.

Pour résumer, les hommes urbains sont les plus nombreux dans les manuels et les filles rurales peu nombreuses : moins de 6 % des personnages (dans la réalité, environ 20 % de la population totale sont des filles de moins de 15 ans vivant en milieu rural).

Nous avons classé les activités en neuf catégories :

La première activité des enfants, garçons et filles, est le loisir, vient ensuite l'activité scolaire (à part équivalente avec les loisirs pour les filles). À elles seules, ces deux activités concernent presque les trois quarts de la population enfantine des manuels scolaires. Concernant les loisirs, il y a une très grande diversité (sport, chant, fête foraine, etc.) sans que se dessine réellement une distinction entre loisirs féminins et loisirs masculins.

Les manuels scolaires donnent une image différente des enfances urbaines et rurales, avec dans les deux cas des écarts sexués non négligeables.

L'emploi du temps des citadins est partagé entre les loisirs qui occupent 41 % des garçons et 38 % des filles et l'école (respectivement 35 % et 33 %). Très rares sont les enfants qui exercent une activité économique (2 % pour les filles et 1 % pour les garçons). De même, peu d'enfants assurent des tâches domestiques, avec toutefois une proportion plus importante de filles que de garçons (8 % versus 1 %). Les garçons, dans ce contexte urbain, n'exercent qu'un seul type d'activité domestique, le ravitaillement (marché ou supermarché) tandis que les images montrent une plus grande diversité pour les filles : vaisselle, cuisine et marché.

L'emploi du temps des ruraux, plus traditionnel, présente des contrastes plus marqués selon le sexe : la participation aux activités économiques -principalement le travail agricole- domine pour tous. Presque un tiers des enfants féminins (32 %) et plus d'un quart des enfants masculins (28 %) sont au travail dans les illustrations. Les filles se consacrent ensuite aux tâches domestiques, alors que les garçons jouissent de loisirs. Dans ce contexte aussi les charges domestiques sont connotées selon le sexe ; filles et garçons participent au ravitaillement, mais la corvée d'eau est plutôt assurée par les premières et la corvée de bois par les seconds. L'activité scolaire est peu valorisée en milieu rural. Elle n'arrive qu'en quatrième position pour les filles, au même niveau que les activités familiales (après l'économique, le domestique et les loisirs) et en troisième position pour les garçons (après l'économique et les loisirs).

Chez les adultes, hommes et femmes, l'activité professionnelle (agricole et non agricole) est prépondérante. Les femmes s'investissent ensuite dans le travail domestique, les hommes dans des activités sociales. Vingt-trois pour cent des femmes et moins de 6 % des hommes assurent des tâches domestiques ; respectivement, 18 % des femmes et 23 % des hommes ont des activités sociales. De plus, activités domestiques et sociales sont différentes selon le sexe. L'éventail des tâches féminines est beaucoup plus riche que celui des hommes : les femmes font le marché, préparent et servent les repas, font les corvées d'eau, la vaisselle, etc., alors que dans la quasi-totalité de ces illustrations, les activités domestiques attribuées aux hommes sont le ravitaillement (faire les courses au marché ou au supermarché : 72 % des hommes faisant des tâches domestiques sont dessinés sur un marché d'alimentation ou dans une épicerie). Les activités politiques au sens large (participation à des réunions publiques ou aux élections), très présentes chez les hommes, sont quasi absentes chez les femmes qui en revanche participent beaucoup à des activités telles que les mariages, les enterrements, les fêtes de naissance, etc.

L'emploi du temps des adultes urbains et ruraux sont différents, mais à l'inverse de ce que l'on observe chez les enfants, les différences entre les sexes sont nettement plus marquées en ville qu'à la campagne. Dans les zones rurales, hommes et femmes sont en activité économique dans les mêmes proportions (54 et 52 %) et les différences sur les activités domestiques (22 % des femmes et 9 % des hommes) sont moins grandes que dans les images du contexte urbain. Les activités de loisirs sont rares quel que soit le sexe (8 % des femmes et 11 % des hommes). Cependant, l'implication dans des activités sociales est très inégale et le plus souvent masculine (22 % versus 11 %). En ville, l'activité économique est moins mise en scène, notamment pour les femmes. Ces dernières s'investissent plus qu'à la campagne dans les activités domestiques, alors que les hommes y participent encore moins (4 %). Si les femmes accèdent aux activités sociales, elles sont très en retrait en ce qui concerne les loisirs, qui, de plus, varient selon le sexe : pour les personnages masculins, le principal loisir est le sport, pour les personnages féminins, les promenades ou les discussions entre amis (tableau 2).

Nous allons maintenant focaliser l'analyse sur trois points : tout d'abord les activités économiques spécifiques au milieu rural, puis celles spécifiques au milieu urbain et enfin les activités domestiques. Il s'agit pour chacun de ces trois points de voir comment les illustrations dans les manuels combinent réalité et représentations stéréotypées des relations de genre.

2.3. Les activités économiques spécifiques au milieu rural : une répartition du travail par sexe fidèle à la réalité

Lorsque le milieu rural apparaît dans les manuels scolaires, la quasi-totalité des activités économiques est en rapport avec l'agriculture, ce qui est conforme à la réalité. Selon le recensement agricole de 2004-2005, 96 % de la population rurale active a pour activité l'agriculture (MAEP, 2006). Celle-ci est constituée de 52 % d'hommes et de 48 % de femmes. Dans la population agricole des manuels, la parité est presque respectée : on compte 46 % de femmes pour 54 % d'hommes.

La production agricole dominante à Madagascar est le riz. Dans les illustrations des manuels, nous retrouvons cette réalité : la majorité des activités concernent la riziculture, les autres productions (fruits, manioc, légumes, etc.), l'élevage ou la pêche étant quasiment absents. Les régions rizicoles (celles du centre du pays) sont par conséquent surreprésentées.

La riziculture nécessite plusieurs étapes : le labour, la constitution de pépinières, le repiquage, le désherbage, la récolte, le transport et le battage. Traditionnellement, les hommes labourent les champs et mènent les animaux de trait, alors que les femmes font la plus grande part des semis, du repiquage, du désherbage. Les récoltes et le battage sont des activités qui requièrent en général les individus des deux sexes. Cette division est basée sur la pénibilité des travaux, les travaux les plus durs (labour) étant réservés aux hommes (Raharinjanahary et Rasoarinaivo, 2000). Comment cette division des activités agricoles est-elle représentée ?

Les illustrations sont très fidèles à la réalité quant au partage des tâches : dans les manuels, comme dans la réalité, le labour est essentiellement une affaire d'hommes, surtout s'il est mécanique, le repiquage du riz est un travail de femme, les récoltes et le transport des activités mixtes (tableau 3). L'image la plus fréquente dans les manuels représente des hommes qui travaillent avec " l'angady " (outil traditionnel malgache pour labourer) et des femmes dans les rizières repiquant les plants de riz.

Cependant, cette répartition sexuée des activités agricoles est loin d'être figée. En 2003, une enquête dans la commune rurale d'Ampitatafika (Antanifotsy) a révélé par exemple qu'un tiers de la population féminine de plus de six ans participait aux labours des rizières (Gastineau et al., 2004). Dans les manuels scolaires, quelques images montrent des femmes maniant " l'angady " (tableau 3).

La représentation des activités agricoles dans les manuels scolaires est donc relativement conforme à la réalité, telle que saisie dans les différentes enquêtes nationales, tant dans les productions agricoles (prédominance de la riziculture), dans les techniques agricoles (méthodes de travail peu mécanisées, traditionnelles), que dans la répartition des tâches entre les femmes et les hommes et entre les adultes et les enfants. Les manuels témoignent de la complémentarité des tâches attribuées aux femmes et aux hommes.

En revanche, le monde du travail non agricole dans les manuels est très différent de ce que l'on a vu du travail agricole. Tout d'abord, sur les illustrations en milieu rural, sont mis en scène de " petits métiers ", peu valorisants et peu rémunérateurs : vendeurs de légumes ou de paniers sur les marchés ruraux, journaliers entretenant des pistes, etc. Les seuls métiers valorisés sont un instituteur, des vétérinaires et des guides touristiques. Les femmes représentent 42 % de ces actifs non agricoles ruraux des manuels scolaires.

2.4. Les activités spécifiques au milieu urbain, une sous-représentation de l'activité des femmes

En milieu urbain, les illustrations montrent surtout les hommes en activité professionnelle. Moins de 20 % des personnages en activité professionnelle sont des femmes. Rappelons qu'à Madagascar, en milieu urbain (comme en milieu rural), les femmes représentent environ la moitié de la population active (48 %) et que plus de 70 % des urbaines (20-54 ans) sont considérées comme actives (PNUD, 2004). Ce fait est occulté dans les manuels scolaires qui sous-estiment l'activité économique des femmes.

Les illustrations introduisent une autre discrimination. La panoplie des métiers des hommes est grande : ils sont vitriers, zingueurs, infirmiers, médecins, ouvriers, couturiers, coiffeurs, policiers, etc. Plus de trente métiers différents concernent les hommes contre sept pour les femmes. Les femmes sont couturières, institutrices, brodeuses, vendeuses de tissus, libraires, infirmières, employées de bureau. La diversification des emplois en milieu urbain s'est faite en défaveur des femmes (Rabenoro, 2002) et les manuels laissent penser que certains métiers seraient " réservés " aux hommes et d'autres aux femmes. Or il y a à Madagascar des femmes médecins ou policières, qui n'apparaissent pas dans les livres scolaires (sur huit médecins dessinés, tous sont des hommes).

Encadré 2 - Le cas particulier de l'école : une mixité peu valorisée dans les manuels

Les activités scolaires tiennent une place importante dans les manuels scolaires : un tiers des enfants (les deux milieux confondus) dessinés sont en classe (au moment d'une leçon ou dans la cour de l'école). Les enseignants dans les manuels sont à part égale des institutrices et des instituteurs. Dans la réalité, 58 % des enseignants du primaire sont des femmes (année scolaire 2000-2001). Autrement dit, les institutrices sont un peu sous-représentées dans les livres scolaires. Les classes dessinées sont mixtes, mais seuls 44 des 121 élèves dessinés sont des filles, soit environ 36 %. Là encore, les images déforment la réalité au profit d'une surreprésentation masculine. Dans les classes primaires, en 2000-2001, la parité était respectée (51 % des élèves étaient des garçons et 49 % des filles : MENRS, 2006). Il est assez étonnant de voir que dans les manuels, l'égalité entre les sexes à l'école primaire n'est pas mise en valeur.

2.5. Les activités domestiques : une répartition défavorable aux femmes dans les manuels et dans la réalité

Selon les enquêtes sur les emplois du temps à Madagascar, les tâches domestiques sont le plus souvent assurées par les femmes (Charmes, 2005) et cette disparité est la même dans les deux milieux. Les femmes consacrent entre trois et quatre fois plus de temps aux activités domestiques (corvées d'eau et de bois comprises) que les hommes (3,5 fois en milieu urbain et 3,3 en milieu rural). La moitié du temps actif (hors repos, repas et sommeil) des femmes est occupée par ces tâches contre un neuvième du temps actif de la population masculine. Comment cette réalité est-elle vue dans les manuels scolaires ?

Les activités domestiques (corvées de bois, d'eau, préparation des repas, etc.) y occupent 130 individus (10 %) sur les 1 274 étudiés. Dans les illustrations, les tâches ménagères sont le plus souvent l'apanage des femmes : 23 % des femmes et 6 % des hommes. Le ravitaillement (faire le marché ou aller à l'épicerie) est l'activité domestique la mieux partagée : 58 % des personnages faisant le marché sont des femmes en milieu rural et 68 % en milieu urbain. Les activités telles que le nettoyage du logement, la vaisselle, la préparation et le service des repas, le repassage, sont, dans les manuels, complètement prises en charge par les femmes en milieu urbain ; en milieu rural, ce type d'activité est trop peu représenté pour que d'éventuelles disparités soient mises au jour.

On distingue deux types de situation. En milieu rural, l'accent est mis sur les corvées d'eau et de bois, deux tâches vitales pour les populations. D'après les enquêtes, le portage d'eau serait plutôt assuré par les femmes et la corvée de bois serait plus souvent faite par les hommes (Droy et al., 2001 ; Charmes, 2005). Les illustrations des manuels sont conformes à cette réalité : des filles ou des femmes sont près des bornes fontaines ou des rivières et les garçons transportent le bois de chauffe. Dans les représentations du milieu rural, il n'y a pas de dessin proprement dit de cuisine. Les logements ruraux sont rarement équipés d'une pièce exclusivement consacrée aux repas. En revanche, on peut voir des préparations de repas à l'extérieur et sur une des vignettes on voit même un homme faisant cuire le riz, tandis que les femmes sont occupées dans les champs. Dans les campagnes sur les Hautes Terres, il n'est pas rare de voir les hommes préparer les repas. D'ailleurs, dans une enquête récente, dans la commune rurale d'Ampitatafika, plus d'un quart des hommes (de plus de 15 ans) déclarent faire régulièrement la cuisine (Gastineau et al., 2004).

Les images de familles urbaines montrent des environnements domestiques " modernes " : les maisons sont grandes, très bien aménagées, avec l'électricité et l'eau courante, les cuisines sont équipées d'une gazinière, d'un four, d'un frigidaire. Dans ce contexte moderne, la répartition des tâches entre hommes et femmes est très sexuée. La cuisine, telle qu'illustrée, est le domaine réservé des femmes et des petites filles. Elles cuisinent, font la vaisselle, repassent, etc. Cette image de la " ménagère " reflète une partie de la réalité : les femmes malgaches assurent souvent un double journée en cumulant activités professionnelles hors du domicile et tâches domestiques. Les urbaines ont en effet des taux d'activité économique élevés : entre 20 et 55 ans, plus de 70 % sont considérées comme actives (PNUD, 2004) et rares sont les femmes au foyer. Toutefois, lorsqu'elles assurent le travail domestique, elles ne le font pas dans des conditions aussi favorables que les manuels le laissent penser : par exemple en 2005, moins de 5 % des foyers en zone urbaine ont un réfrigérateur ou une gazinière (INSTAT, 2006). Ces éléments de confort moderne sont pourtant présents dans les manuels ; à l'inverse, aucune femme urbaine n'est dessinée au moment de la corvée d'eau ou de lessive dans la rivière ou le lavoir collectif, tâches qui pourtant caractérisent le quotidien des femmes urbaines.

Conclusion

Au terme de notre analyse, nous pouvons conclure que les manuels scolaires à Madagascar ne traitent pas les populations masculine et féminine de la même façon. Les illustrations ne valorisent pas et même sous-estiment les personnages féminins, comparativement à leur poids et à leur pouvoir dans la réalité. Il est notable que dans les images on retrouve nettement moins d'élèves filles que d'élèves garçons, alors que les effectifs masculins et féminins sont très comparables à l'école primaire à Madagascar.

Il faut néanmoins nuancer le propos selon le contexte dans lequel sont placés les personnages. Les manuels scolaires actuellement usités à Madagascar témoignent bien de la réalité du monde rural, certes principalement celle des Hautes Terres. Dans les livres, la répartition des activités majoritairement agricoles et domestiques est conforme à ce qu'on peut observer dans la réalité. Les manuels proposent une image de la société rurale traditionnelle où les rôles et les attributions dépendent du sexe et de l'âge des individus.

Les manuels se font aussi l'écho des différences entre les modes de vie urbain et rural. En ville, les métiers sont plus diversifiés, les loisirs plus nombreux. Toutefois, dans les illustrations du monde urbain, il semble s'opérer un décalage entre la réalité et son illustration, décalage qui sous-estime la participation des femmes aux activités économiques au profit de l'image idéalisée de la femme, mère au foyer. De plus, la vie quotidienne des familles est " modernisée " ou " occidentalisée ". Dans les faits, rares sont les femmes au foyer et les ménages qui disposent d'une cuisine équipée ou d'un logement suffisamment grand pour que les enfants y aient leur chambre, et pourtant les images montrent le plus souvent le même type de famille : un couple avec un nombre d'enfants limités (deux ou trois) vivant dans de bonnes conditions. Dans cette représentation de la famille urbaine, la répartition des tâches et des rôles est totalement sexuée. Les tâches domestiques sont distribuées selon le sexe : les femmes cuisinent, repassent, surveillent les devoirs des enfants…, les hommes jardinent ou réparent la voiture. Ces images sont souvent éloignées de la réalité des enfants urbains, le déséquilibre numérique entre les personnages entraînant par exemple une sous représentations des filles dans les salles de classe des manuels scolaires. Les représentations dans les manuels scolaires de la famille urbaine sous-estiment le rôle économique des femmes et elles sont à rapprocher du modèle idéal de la famille conjugale qui a dominé toute la moitié du XIXe siècle en France et que les autorités coloniales ont " importé " à Madagascar, à savoir celle qui affecte à l'homme le rôle économique, celui de nourrir sa famille grâce à son activité professionnelle, et à la femme la gestion du quotidien et les tâches domestiques. Les livres scolaires semblent proposer deux modes de vie et deux modèles de relations entre hommes et femmes. Dans le milieu rural, la division des activités est basée sur une certaine complémentarité des sexes et des générations, les manuels représentent assez fidèlement la réalité. Les images qui représentent le milieu urbain mettent surtout en avant les activités domestiques des femmes plus que leurs activités économiques. Les femmes sont d'abord dévolues aux activités sociales et domestiques, les activités économiques n'arrivant qu'en troisième position. Ces images de femmes et d'hommes urbains sont présentées aux jeunes élèves comme le modèle le plus moderne, celui du développement et donc comme celui à généraliser, alors même qu'il apparaît plus inégalitaire.

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