Les numériques du CEPED - Analyser les représentations sexuées dans les manuels scolaires

Table des matières

Évolution des rapports de genre au fil du cycle primaire dans les manuels de mathématiques au Cameroun

Hélène KAMDEM KAMGNO

Démographe - IFORD

Conclusion

Bibliographie

Selon la constitution de la République du Cameroun, l'État assure à l'enfant le droit à l'instruction. L'enseignement primaire et public est laïc, obligatoire, ouvert à tous sans distinction de sexe, de confession ou de tribu ; l'organisation et le contrôle de l'enseignement à tous les degrés sont des devoirs impérieux de l'État. Le Ministère de l'Éducation de Base (MINEDUB) est la structure chargée de l'élaboration et de la mise en œuvre de la politique de l'Éducation de base, éducation à laquelle concourent les collectivités décentralisées, les familles ainsi que les institutions publiques et privées.

Depuis son introduction par la colonisation européenne, l'évolution du système éducatif moderne au Cameroun a suivi celle des institutions politiques. À partir de 1961, l'enseignement primaire est géré par les Gouvernements des États Fédérés, l'enseignement secondaire et supérieur relevant de la compétence du Gouvernement Fédéral. Depuis la proclamation de l'État unitaire en mai 1972, la gestion de l'éducation est désormais centralisée et caractérisée par des tentatives d'harmonisation et de réforme des deux sous-systèmes francophone et anglophone que compte le système éducatif camerounais. À la suite de l'accélération de la privatisation de l'éducation, on assiste depuis une quinzaine d'années à l'émergence d'un nouveau sous système bilingue.

Au Cameroun, comme dans bien d'autres pays africains, malgré les efforts consentis pour la réalisation de l'Éducation pour tous (UNESCO, 2004), de nombreux problèmes persistent parmi lesquels : des disparités régionales importantes ; une insuffisance et une inégalité dans la répartition des structures d'accueil, de matériels et d'enseignants ; l'inaccessibilité de certaines zones et les mauvaises conditions de vie des enseignants ; une inégalité d'accès, notamment au détriment des filles (INS, 2004). Le tableau 1 témoigne des inégalités en matière d'éducation. De faibles taux de scolarisation sont observés dans les provinces du Grand Nord particulièrement. Cette situation affecte, dans l'ensemble, plus les filles que les garçons. En effet, la mise et le maintien à l'école des filles sont confrontés à de nombreux obstacles socioculturels, économiques, politiques et surtout historiques.

Face à ces problèmes, le Gouvernement, conscient qu'une éducation de qualité demande entre autres des manuels scolaires de bonne qualité, disponibles et accessibles à tous les élèves, ainsi que des programmes scolaires pertinents et facilement exploitables par les enseignants et les élèves, a adopté en 1998 la Loi d'Orientation de l'Éducation. Compte tenu des recommandations des États Généraux de l'Éducation de 1995, le combat contre toutes les formes de discrimination est l'un de ses principaux objectifs.

1. Les manuels scolaires au Cameroun

1.1. La chaîne des manuels scolaires

Le dispositif institutionnel mis en place pour la définition des programmes scolaires, la conception et l'édition des manuels scolaires ainsi que les matériels didactiques de l'enseignement primaire, comprend tout d'abord le Ministère de l'Éducation de Base (MINEDUB) qui dispose en son sein d'une Inspection Générale des Enseignements (IGE) regroupant trois inspections pédagogiques dont l'une chargée de l'enseignement maternel, primaire et normal. Ce sont les inspecteurs pédagogiques nationaux (IPN) de cette structure qui définissent les programmes scolaires. L'IGE dispose également d'une cellule d'appui à l'action pédagogique, vouée à la recherche et animée par des IPN. Le dispositif institutionnel comprend enfin le Conseil National d'Agrément des Manuels Scolaires et des Matériels Didactiques, organisme consultatif créé en 2002. Placé sous l'autorité d'un Président [1] , le Conseil est composé des représentants des institutions publiques (Enseignement Supérieur, Culture, Éducation) et de la société civile. Les membres du Conseil sont nommés par décret du Premier Ministre. C'est cette institution qui est désormais chargée de sélectionner et de proposer au Ministère les manuels les plus adaptés aux attentes tant sur les plans politique, pédagogique que culturel. Jusqu'ici, selon les entretiens avec certains membres de ce Conseil, le genre n'est pas un critère de choix des manuels. L'agrément du Conseil concerne aussi bien l'enseignement public que privé. Toutefois, dans les faits, certains établissements privés ne respectent pas cet agrément.

Depuis la faillite [2] du CEPER (Centre de Production, d'Édition et de Recherche), il existe plusieurs maisons d'édition chargées de l'impression des manuels scolaires au Cameroun. Citons notamment pour le système francophone Les classiques africains, Nathan, Hatier international, Cosmos, Les classiques camerounais ; pour le système anglophone Macmillan, Cosmos Ltd, Evans Oxford University Press, Nooremac, Anucam, African Educational Press.

L'encadré résume la chaîne des manuels scolaires au Cameroun.

Encadré - La chaîne des manuels scolaires au Cameroun

- Le Ministère de l'Éducation Nationale définit les programmes.

- Le Conseil National d'Agrément des Manuels Scolaires et des Matériels Didactiques, organisme consultatif composé de représentants des institutions publiques (Enseignement supérieur, Culture, Éducation) et de la société civile, nommés par décret du Premier Ministre, sélectionne et approuve des manuels scolaires et des matériels didactiques, pour l'enseignement public et privé (toutefois certains établissements privés ne respectent pas cet agrément). Il peut lancer des appels d'offres.

- Des éditeurs privés conçoivent et produisent des ouvrages scolaires, librement ou sur appels d'offres du Ministère de l'Éducation Nationale.

- La diffusion est assurée par des libraires privés dans le secteur formel ou dans le secteur informel ; il peut y avoir des distributions ponctuelles par l'État ou des ONG.

Source : Données de l'auteure.

 

[1]Le président actuel est le Recteur de l'Université de Yaoundé II.

[2]L'avènement de la crise et l'adoption d'une politique de libéralisation sous-tendue par un désir progressif de l'État de se désengager de la question du développement se retrouveront aussi dans ce secteur clé de la société. C'est ce qui justifie la privatisation/liquidation du CEPER.

1.2. Accessibilité et disponibilité

Les statistiques disponibles montrent un très faible taux de possession des manuels scolaires par les élèves, en particulier ceux du primaire. En effet, seulement 16 % et 28 % d'élèves du primaire possédaient respectivement des manuels et des fournitures scolaires en 1996-1997 (Banque mondiale, 1997). Malgré le principe de gratuité de l'école dans le public, la question d'accessibilité et de disponibilité des manuels scolaires se pose en termes économique et géographique.

Sur le plan économique, malgré les efforts d'harmonisation des prix par les autorités, on constate des différences d'une province à l'autre et parfois même à l'intérieur d'une même localité. En outre, tous les parents ne peuvent procurer à leurs enfants des manuels scolaires et, dans ces conditions, les garçons sont toujours privilégiés par rapport aux filles. Sur le plan géographique, certaines régions accusent encore une couverture insuffisante en librairies. Même les librairies de rue (secteur informel) ne parviennent pas à assurer la disponibilité des manuels scolaires sur toute l'étendue du territoire national. Le Conseil National d'Agrément des manuels et des matériels didactiques joue aussi un rôle important au niveau de l'accessibilité, en attirant l'attention de l'éditeur pour un meilleur approvisionnement, lorsqu'il constate par exemple la non disponibilité d'un manuel dans un espace géographique donné.

Dans le cadre du développement durable et de l'Éducation pour tous et compte tenu du contexte de production des manuels scolaires, ceux-ci par leurs contenus y participent-ils à la promotion de l'égalité entre filles et garçons ?

1.3. Les études sur les stéréotypes liés au sexe dans les manuels scolaires au Cameroun

La littérature sur les représentations sexuées dans les manuels scolaires au Cameroun est récente et encore très peu fournie. Dans notre recherche documentaire, nous avons relevé trois études (Kamdem et Mimche, 2005).

La première, celle de Rose Eboutou Mfou, " Étude de l'approche genre dans les manuels scolaires. Cas des mathématiques, des sciences naturelles et de la technologie " (FEMSA, sans date), concerne sept manuels scientifiques du primaire et du secondaire [3].

Les deux autres études ont été réalisées par Dorothée Kom et Salomé Ngaba Zogo, d'une part, sur tous les manuels, sauf ceux d'anglais, des deux premières classes primaires (la section d'initiation au langage, SIL, et le cours préparatoire, CP) (Unicef, 2000), et, d'autre part, sur les manuels et autres matériels didactiques d'économie sociale et familiale [4]. Grâce à une analyse de contenu prenant en compte toutes les dimensions des documents retenus (iconographique, graphique, loisir, couverture, etc.), sont mises en exergue les représentations féminines et masculines, à partir des rôles, statuts sociaux et métiers attribués aux deux sexes. Les études révèlent une prédominance des personnages masculins et une bipolarisation entre activités, attributs, rôles et statuts féminins et masculins, les personnages masculins jouant les rôles les plus valorisants, les rôles d'autorité et de pouvoir, exerçant des activités rémunérées et possédant des biens de valeurs, alors que les personnages féminins jouent souvent des rôles secondaires, de soutien familial ou domestique.

À la suite de ces études, nous avons souhaité analyser une collection entière de manuels de mathématiques utilisés tout au long du cycle primaire, soit six manuels, en abordant de manière quantitative un objet traditionnellement considéré du point de vue qualitatif, pour comprendre les mécanismes d'élaboration des représentations du masculin et du féminin et favoriser une comparaison avec d'autres collections africaines (Brugeilles et Cromer, 2005).

 

[3]Il s'agit de " Mon nouveau livre de mathématiques ", CM2 (Les classiques africains) ; " Champions en mathématiques ", CM2 (EDICEF) ; " Mathématiques CIAM ", 3ème (EDICEF) ; " Sciences : le vivant, le milieu physique, le milieu technologique " (Nathan) ; " Observons pour comprendre, sciences d'observation ", CM1 et CM2 (Les classiques africains), " Biologie humaine ", 3ème (Bordas) ; " Technologie et expression graphique ", 3ème.

[4]Rapport d'analyse genre des manuels et outils d'économie sociale et familiale au Cameroun 2005. Le rapport est téléchargeable sur le site web : http://www.wagne.net/acesfca. Cette recherche camerounaise s'inscrit dans une action plus globale, visant non seulement à intégrer le genre dans l'enseignement de l'ESF, mais aussi à revaloriser la profession.

2. L'évolution des personnages humains sexués au cours du cursus primaire

2.1. Recensement des personnages des manuels de mathématiques

Au Cameroun, plusieurs collections de livres de mathématiques sont disponibles [5]. Nous avons choisi la collection " Champions en Mathématiques " car elle est la plus utilisée actuellement. C'est une collection écrite par un groupe d'enseignants camerounais et éditée par Edicef [6] en France. La première édition a paru en 1998 et nous avons utilisé l'édition de 2001. Les manuels des six niveaux de l'enseignement primaire sont ici concernés. Il faut signaler que, pour la SIL et le CP2, il s'agit d'un " livret d'activité " constitué essentiellement d'exercices, alors que pour les quatre autres classes, il s'agit du " livre de l'élève ", composé de cours et d'exercices. Les ouvrages étudiés sont organisés en 25 sections de cours et d'exercices. Chaque section comprend cinq leçons. En annexe, figure un aide-mémoire proposant pour chaque section une série d'exercices. Cette partie " aide-mémoire " a été considérée comme une 26ème section. Le manuel du CM2 comporte 111 pages, ceux du CM1, CE2 et CE1 chacun 95 pages, ceux du CP et de la SIL chacun 80 pages.

 

[5]Il s'agit des collections suivantes : " Champions en Mathématiques " (Edicef), " Mon livre de Mathématiques " (Hatier), " Ma Semaine de Mathématiques " (Nathan), " Mathématiques + classe " (Les classiques Africains).

[6]Edicef fait partie actuellement du groupe Hatier International.

2.2. Des personnages plus nombreux au fur et à mesure de l'avancée du cycle, dans les textes comme dans les images

Dans les six manuels de mathématiques examinés, sont recensés 1 250 personnages humains [7] dans les textes et 364 personnages humains dans les illustrations.

Les personnages peuvent revêtir deux formes : dans les textes, des personnages individuels représentant un individu (la mère, un élève, une fille, etc.) et des personnages collectifs représentant un groupe d'individus (les parents, la classe, des voisins, etc.) ; dans les illustrations, des personnages individuels et des groupes de personnages constitués de quatre personnages ou plus. Quel que soit le niveau scolaire, les individuels sont plus nombreux que les collectifs (8 personnages sur 10 dans les textes) ou que les groupes (8 personnages sur 10 dans les illustrations, exception faite du CP où 3 des 9 personnages au total sont des groupes).

Dans les textes comme dans les illustrations, la présence des personnages, individuels ou non, est inégalement répartie selon le niveau scolaire. Leur nombre croît logiquement à mesure que le niveau scolaire s'élève, avec l'augmentation du nombre de pages. Cependant, après un pic en CE1, on note une décroissance légère dans la deuxième moitié du cycle primaire (tableau 2). De même, le nombre de personnages moyen par leçon évidemment toujours plus important dans les textes que dans les illustrations- varie selon le niveau scolaire. En ce qui concerne les individuels par exemple, l'indicateur passe dans les textes de 0,2 en SIL à 2,0 en CE1 et dans les illustrations de 0,1 en SIL à 0,8 en CE1 et CE2.

 

[7]Seule la représentation humaine est utilisée, c'est pourquoi nous ne le spécifions plus par la suite.

2.3. Concurrence des enfants et des adultes, dominance masculine

Quelle que soit la forme du personnage, deux variables, l'âge et le sexe, s'avèrent déterminantes pour définir et cerner la population des manuels (tableaux 3 et 4).

Les populations adulte et enfantine se concurrencent fortement. La première a l'avantage dans les textes (42,5 % versus 36,5 % d'enfants), la seconde dans les images (52 % versus 39 % d'adultes). Les images, plus ludiques, semblent l'apanage de l'enfance. Ainsi, les manuels présentent, à usage des adultes en devenir que sont les élèves, des modèles d'identification mais aussi de nombreux modèles de projection.

L'âge n'est pas une caractéristique incontournable lors de la présentation d'un personnage : les indéterminés d'âge constituent une population importante notamment dans les textes (21 % de la population contre seulement 9 % dans les illustrations). En revanche, le sexe apparaît comme une catégorie sociale déterminante, puisque les personnages de sexe non identifié sont rarissimes (8 individus dans les textes, 19 dans les images). De plus, contrairement à l'âge, nulle concurrence ici entre les différentes catégories : les personnages masculins, tous âges et formes confondus, quel que soit le support, sont sans conteste majoritaires.

Dans les textes, les personnages masculins représentent plus du double des féminins (56 % versus 24 %) et la population adulte est la plus masculinisée (tableau 3). Le poids du masculin se trouve renforcé en incluant les collectifs au masculin pluriel (par exemple les habitants) ; issus de l'accord grammatical en langue française, ils ont toutes les chances d'être interprétés par les élèves comme un masculin à part entière. Le neutre, catégorie de genre grammatical liée à la langue (un prénom épicène comme Dominique ou un collectif comme la classe ou la famille), est non négligeable avec un taux de 17 %. L'émergence du neutre est favorisée par l'usage de collectifs. Le neutre est-il réellement pensé comme une absence de sexuation, voire comme une parité sexuelle ou, au contraire, est il un masculin déguisé ? Des doutes subsistent sur l'interprétation de cette catégorie de sexe grammaticale que seules des études de réception pourraient lever.

Dans les illustrations, l'indétermination de sexe est plus fréquente avec au total 21 individus et groupes. Si la population est plus " enfantine ", elle s'avère davantage masculinisée, puisque le pourcentage d'individus masculins atteint près des 66 % et que 26 groupes sur 39 sont entièrement ou préférentiellement composés de masculins. Mais comme dans les textes, c'est la population adulte qui est la plus masculinisée, même si l'écart est réduit (tableau 4). Cependant, en l'absence de catégorie " neutre " dans les illustrations, les personnages féminins constituent 29 % de la population.

2.4. Des hommes de plus en plus présents au fil du cursus scolaire

Focalisons notre analyse sur les personnages individuels dotés d'un sexe et d'un âge identifiés à savoir les femmes, les hommes, les garçons et les filles. Dans les textes comme dans les illustrations la suprématie masculine reste flagrante et les classements numériques des personnages présentent de fortes similitudes. Dans les textes, les hommes occupent le premier rang (47,5 %) et sont suivis par les garçons (24 %), filles et femmes arrivent à égalité et sont nettement en retrait (environ 14 %). Dans les images, domaine des enfants, les garçons sont les plus présents (38 %), la place des filles est un peu préservée (19,5 %) mais elles restent moins nombreuses que les hommes (24 %). Les femmes sont sacrifiées (11,5 %). Cette suprématie masculine se vérifie quel que soit le niveau scolaire (figures 1 et 2). Dans les textes, les personnages masculins représentent au minimum 65 % de la population au CE1 et au maximum 85 % au SIL. Dans les images, le déséquilibre est plus sévère, la proportion varie entre 60 % au CP et 100 % au SIL.

Dans les petites classes, ce sont les garçons qui dominent, puis leur présence devient plus discrète dans les grandes classes. À l'inverse, celle des hommes croît et ils dépassent les garçons dès le CP dans les textes et seulement à partir du CM1 dans les images. Les proportions des filles et des femmes fluctuent sans s'inscrire dans une tendance. Notons que les personnages féminins sont invisibles dans certaines classes, les filles dans le manuel de SIL tant dans les textes que dans les images, les femmes dans celui de SIL et de CP dans les illustrations. Alors que l'évolution des âges invite à une projection sur l'âge adulte pour les personnages masculins, il n'en est rien pour les personnages féminins.

3. Modes de désignation, activités et attributs des personnages individuels

En comparant les quatre groupes principaux répertoriés, dont nous avons constaté le déséquilibre numérique, variable selon le support étudié (texte/image), explorons, à travers les trois caractéristiques choisies -désignations, activités, attributs- les rapports de genre mis en scène.

3.1. Des désignations qui inscrivent hommes et femmes dans des fonctions sociales différentes

Dans les textes, les personnages individuels reçoivent différentes désignations, qui peuvent d'ailleurs se combiner : un nom commun, un nom propre, un lien familial ou autre, un statut, notamment professionnel. Dans les manuels du Cameroun, quatre désignations sont majeures : le prénom, le nom ou patronyme, le lien de parenté ou le statut. On note l'absence de liens de voisinage ou d'amitié. La désignation sert à donner une " présentation " sociale du personnage, en lui conférant une identité. De ce fait, les désignations des enfants diffèrent de celles des adultes.

Concernant les enfants, on répertorie deux désignations majeures, quel que soit le sexe : le prénom et le lien de parenté. Nonobstant, le prénom est plus fréquent pour les garçons (84,3 % versus 74,3 %) et le lien de parenté pour les filles (21,1 % versus 16,2 %, figure 3). Mais celles-ci, curieusement, bénéficient aussi plus souvent d'une désignation par un statut (comme celui d'élève), même si cela reste marginal (moins de 7 %).

Concernant les adultes, soulignons d'abord qu'apparaît la désignation par le patronyme, absente chez les enfants, et que la désignation par le statut prend de l'ampleur. Les femmes s'inscrivent davantage dans la sphère privée et familiale par l'usage du nom ou du lien familial, tandis que les hommes investissent la sphère publique par le statut : près d'un homme sur deux est désigné par son statut, près d'un sur deux par son nom/prénom, la désignation par le lien de parenté restant minoritaire (moins de 8 %) ; en revanche pour les femmes, c'est le nom/prénom qui arrive en tête (plus de 66 %) suivi par le lien familial (20,2 %, figure 3).

Ces différences perdurent au fil du cursus scolaire (tableau 5). Pour les adultes, quel que soit le sexe, l'usage du prénom décline au profit de celui du patronyme. La référence à un lien de parenté devient moins fréquente alors que le statut se maintient (pour les femmes il n'est pas utilisé avant le CE1). De plus, la diminution de l'emploi du lien de parenté pour désigner les enfants est frappante. Au fil du cursus les personnages s'émancipent ainsi des liens familiaux invitant les élèves à découvrir d'autres horizons.

3.2. Une enfance presque unisexe

Les enfants, quel que soit leur sexe, se livrent à trois activités principales : l'activité scolaire, ce qui apparaît logique dans un matériel didactique, que viennent contre-balancer le loisir et la sociabilité. En quatrième position, l'exercice d'activités assimilables aux activités professionnelles traduit l'importance non négligeable du travail informel des enfants. Les autres activités telles que l'achat, les tâches domestiques, les activités physiques et même les actions défaillantes comme se tromper volontiers mises en scène dans des manuels, restent marginalesau long de ces six années. Effet de neutralisation de l'école, les écarts entre les filles et les garçons sont réduits (figure 4).

Cependant, la prise en compte du niveau scolaire montre une évolution dans la socialisation : les activités scolaires croissent avec le niveau scolaire au dépens des loisirs et de la sociabilité. Dans les deux premières classes du cycle primaire, la sociabilité est plus une affaire de garçons que de filles, tandis que les activités assimilables aux activités professionnelles et les activités de loisir sont beaucoup plus féminines que masculines (tableau 6). Chez les filles, ces deux derniers types d'activités diminuent avec le niveau scolaire, alors que chez les garçons ils sont plus importants au CE1/CE2.

En cohérence avec les activités, les enfants sont principalement dotés de matériel scolaire, de jeux et de jouets, mais aussi d'argent. Ils se voient aussi attribuer des caractéristiques physiques (âge, taille, poids). On observe de légères différenciations selon le sexe. Un attribut est exclusivement féminin : les bijoux et les rubans qui servent de marqueur sexuel. Aucun attribut en revanche n'est l'apanage exclusif du sexe masculin mais les garçons sont légèrement plus souvent dotés d'argent, de jeux/jouets et d'objets portés sur soi (casquette, lunettes…, figure 5) ; cependant, comme pour les activités, ces différences sont marginales.

Il n'y a pas d'évolution nette de la distribution des attributs selon le niveau scolaire et leur diversité et leur nombre ne permettent pas une analyse statistique fiable. La possession de jeux et de jouets comme la caractérisation physique tend à devenir moins fréquente pour les filles et pour les garçons lorsque le niveau scolaire s'accroît. Dans les petites classes, les filles ont plus de matériel scolaire que les garçons qui disposent de plus de jouets. Au contraire, les objets domestiques, la nourriture uniquement pour les filles, les objets portés sur soi deviennent plus fréquents dans les grandes classes. Il semble que par les attributs, comme par les désignations, les personnages s'éloignent du monde de l'enfance (tableau 7).

3.3. Des rôles subtilement différenciés pour les adultes

L'activité majeure des adultes des deux sexes est le travail, formel et informel, et, fait remarquable, il occupe autant les hommes (67 %) que les femmes (66 %). Cependant, les rôles sexués se marquent de manière subtile. Alors que les hommes ont une activité professionnelle formelle -ils sont désignés par une profession- les femmes sont préférentiellement dans l'informel (figure 6). Ceci traduit la conception encore largement répandue selon laquelle l'emploi formel est réservé aux hommes : 32 % d'entre eux et seulement 14 % des femmes ont ce type d'activité. À l'inverse, 35 % des hommes et 52 % des femmes exercent une activité assimilable à une activité professionnelle, un travail informel. Ce déséquilibre rappelle la réalité du contexte socio-économique africain actuel en général, et camerounais en particulier. Fragilisé par les effets de la crise économique, notamment le chômage des hommes, beaucoup de ménages comptent désormais sur le revenu du travail informel des femmes. Au Cameroun, ces dernières sont le plus souvent des revendeuses désignées sous le terme de " bayam sellam ", activité qui les occupe non seulement dans la journée, mais aussi parfois la nuit car il faut attendre les camions de vivres qui débarquent la nuit afin de mieux s'approvisionner en marchandises pour le lendemain.

Par rapport à l'activité " travail ", les autres activités semblent marginales, mais marquent de légères différences sexuées. Les achats, les activités domestiques et celles de loisirs sont plus souvent des activités féminines que masculines. En effet, 20 % de femmes contre 11 % d'hommes font des achats ; 6 % de femmes exercent des activités domestiques contre 2 % d'hommes ; 5 % de femmes ont une activité de loisir contre 2 % chez les hommes. Chez les femmes, il s'agit d'activités de loisir à l'intérieur de la maison comme " regarder la télévision ". Les femmes cumulent ainsi, plus que les hommes, des activités professionnelles et privés, souvent d'ordre domestique.

Cette différence d'activités entre les hommes et les femmes au niveau de l'ensemble du corpus s'observe quel que soit le niveau scolaire (tableau 8). Chez les hommes comme chez les femmes, les activités professionnelles et les achats ont tendance à augmenter avec le niveau scolaire, tandis que les activités domestiques et les activités de loisir ont tendance à diminuer. Cette évolution de l'inscription sociale est plus nette encore chez les femmes : dans les manuels des petites classes, dominent les activités professionnelles informelles et les activités domestiques ; pour les plus grands, les activités domestiques deviennent rares et l'activité professionnelle formelle émerge, même si elle reste en retrait par rapport à l'informel. Les achats à l'intersection entre monde public et privé se maintiennent.

Chez les adultes, les attributs présentent une forte différenciation sexuée, sauf en ce qui concerne les objets portés sur soi. Les objets professionnels, les moyens de transport individuel, les possessions immobilières et de gros matériels d'équipement sont des attributs masculins (figure 7). En revanche, la nourriture et les friandises, les objets domestiques, les bijoux et les rubans, l'argent ou le porte-monnaie sont des attributs féminins. En d'autres termes, les femmes restent en général celles qui achètent, possèdent et distribuent de la nourriture, font le travail domestique, tandis que les hommes conduisent un véhicule, vont au travail, construisent et équipent la maison. En dehors des deux premières classes du cycle primaire où les possessions (immobilières et gros matériels) sont beaucoup plus une affaire de femmes -qui rappelons-le sont très peu nombreuses- que d'hommes, la différenciation observée au niveau de l'ensemble du corpus entre les attributs féminins et les attributs masculins se maintient dans toutes les classes (tableau 9).

Conclusion

Dans les manuels scolaires de mathématiques du cycle primaire, la population des personnages n'évolue pas selon les lois du hasard. Ainsi le nombre et l'âge de personnages individuels augmentent avec le niveau scolaire. Le nombre d'enfants diminue avec le niveau scolaire, celui de personnages adultes croissant, comme pour inviter les élèves à se projeter vers l'âge adulte. Les personnages de sexe masculin sont numériquement dominants dans les six manuels. Au fil du cursus, le petit garçon cède la place à l'homme. Cette inégalité numérique est le fondement de rapports inégalitaires entre les sexes.

Qu'il soit scolaire pour les enfants ou professionnel pour les adultes, le travail est au cœur des manuels scolaires de mathématiques de notre corpus. Les concepteurs et conceptrices souhaitent indéniablement transmettre la valeur " travail " aux élèves et cette volonté tend à minimiser les différences entre les sexes. Aussi peut-on observer une enfance quasi unisexe, sous l'effet sans doute de la mise en scène de l'univers scolaire qui tend à neutraliser les sexes. Les légères différences de désignations ou d'attributs ne suffisent pas à tracer des portraits contrastés entre filles et garçons. Chez les adultes, la distinction entre travail formel et informel révèle les rôles sexués. Le monde de la profession formelle, socialement et économiquement valorisé, est le domaine privilégié, mais non exclusif, du sexe masculin. Par leur activité informelle, les femmes sont placées à la fois dans les sphères publique et privée. L'inscription dans le monde familial est renforcée par la sur-utilisation, comparativement aux hommes, des appellations par un lien de parenté, la mère le plus souvent, d'activités ménagères (tâches domestiques, achats…) et d'attributs liés aux activités domestiques, servant notamment à assurer l'alimentation de la famille. Les hommes quant à eux sont en grande partie exclus de l'univers domestique. Faut-il voir dans ces représentations sexuées un reflet de la situation actuelle qui pousse les femmes à endosser un nouveau rôle -pourvoyeur économique " secondaire "- sans qu'un réel partage des tâches avec les hommes n'allége leurs fonctions traditionnelles ? Le système de genre évolue au fil du cursus par la composition de la population d'une part, par les caractéristiques des personnages d'autre part.

Le monde du travail est de plus en plus présent alors que la place accordée à la sphère privée se réduit. Ainsi les manuels accompagnent les enfants dans leur maturation, leur proposant de découvrir un monde adulte, extra familial.

Notre étude démontre la persistance de systèmes de genre inégalitaires dans un média à forte légitimité, les manuels scolaires. Les discriminations sont principalement imputables au déséquilibre numérique entre personnages masculins et féminins et aux représentations des adultes. Ces constats plaident en faveur de leur révision pour contribuer à l'objectif d'une plus grande égalité entre les sexes. La sensibilisation des concepteurs et conceptrices des manuels sur la question de genre en général et sur cette situation des manuels scolaires en particulier s'avère indispensable afin de les interpeller à un effort de réduction de ces inégalités dans leurs publications futures. Par ailleurs, les acteurs et actrices politiques devront être aussi sensibilisés afin d'en tenir compte dans les critères de choix des manuels scolaires et de modifier les programmes.

Bibliographie

Banque mondiale, 1997 - Étude sur les coûts et financements de l'éducation au Cameroun.

Brugeilles C. et Cromer S., 2005 - Analyser les représentations du masculin et du féminin dans les manuels scolaires. CEPED, Collections " Rencontre ", Paris.

Décret N° 2002/004 du 4 janvier 2002 portant organisation du Ministère de l'Éducation Nationale.

Eboutou Mfou R., - Étude de l'approche genre dans les manuels scolaires. Cas des mathématiques, des sciences naturelles et de la technologie (FEMSA, sans date).

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Kamdem K.H. et Mimche H., 2005 - Etude socio-économique sur la problématique de genre dans l'édition d'un manuel scolaire pour l'enseignement primaire au Cameroun. UNESCO, Yaoundé, 58 p.

Kom D. et Ngaba Zogo S., 2000 - Analyse des stéréotypes sexistes et des représentations féminines et masculines dans les manuels de la Sil et du CP des écoles primaires du Cameroun.

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