Profil socio-démographique des femmes et motifs du recours à l’avortement

Quel est le profil des femmes qui avortent dans les pays de la région ?

L’éventail vaste et complexe des facteurs qui interviennent dans la pratique de l’avortement rend difficile la description des profils sociodémographiques des femmes qui interrompent leur grossesse dans les différents pays latino-américains et des Caraïbes. Les limites des sources et des méthodes de collecte de l’information, signalées dans le chapitre précédent, doivent être prises en compte pour présenter les caractéristiques des femmes qui avortent.

Les études sur le profil de ces femmes s’appuient généralement sur les résultats d’enquêtes réalisées auprès de l’ensemble de la population ou de sous-groupes, sur les registres sanitaires ou sur les entretiens avec des femmes traitées médicalement pour des complications d’avortement. L’information disponible est très hétérogène et provient souvent, dans le cas des enquêtes, d’études menées auprès de populations ou de contextes spécifiques, dans quelques régions, villes, ou zones à prédominance urbaine, ce qui exclut une bonne partie de la population. Les données empiriques provenant des institutions publiques de santé où se rendent les femmes lors de complications d’avortement concernent principalement des personnes défavorisées: ce sont celles qui fréquentent ces hôpitaux, auxquels n’ont en revanche souvent pas accès les plus jeunes et les célibataires. Les femmes de classe moyenne ou haute vont dans des cliniques privées, et il est donc plus difficile d’obtenir des informations sur leurs cas puisque les avortements sont moins bien enregistrés dans ces institutions. D’autre part, les différences dans les indicateurs utilisés et le critère de classification des données recueillies rendent difficile la comparaison des caractéristiques de ces femmes dans les différents pays.

On observe souvent un certain réductionnisme des indicateurs utilisés dans les enquêtes susceptibles de fournir des informations sur le profil des femmes qui avortent et en particulier sur les motifs qui sous-tendent la décision d’interrompre une grossesse. Cela obéit en grande mesure à la tradition des études démographiques, qui consiste à privilégier certains traits socio-démographiques classiques pour caractériser le comportement des femmes, comme c’est le cas des recherches sur la fécondité. C’est aussi le résultat des contraintes inhérentes à cette méthode de collecte de l’information sur les attitudes, les motifs, les perceptions, les normes et les significations de l’avortement.

Enfin, les cas sont encore rares d’études qui renseignent sur les autres caractéristiques des femmes qui avortent, comme le nombre d’enfants, les éventuels antécédents d’avortements, les expériences sexuelles et contraceptives, ou le processus de négociation avec le conjoint. Ce sont pourtant des éléments importants pour une meilleure compréhension de cette question. De même, on méconnaît les facteurs qui interviennent dans la pratique de l’avortement, comme, entre autres: les conditions d’accès limité aussi bien pour réaliser un avortement dans un pays (que sa situation légale ou non), que pour l’utilisation de méthodes de planning familial, les sanctions morales ou religieuses qui pèsent sur les grossesses hors mariage. A cela s’ajoutent les difficultés économiques et les barrières culturelles auxquelles se heurtent les femmes qui veulent avorter. C’est pour toutes ces raisons que l’on considère comme nécessaire de connaître les différents motifs qui conduisent les femmes à avorter, puisqu’ils font partie de leur profil et surtout du processus de décision. Ces motifs évoluent généralement dans le temps. Il faut également prendre en compte les perceptions, les opinions et les attitudes des femmes et d’autres acteurs des réseaux sociaux qui influencent ou interviennent dans ce processus.

Une pratique plus récurrente à certains âges

À partir d’une revue de 300 études publiées entre 1985 et 2002, Shah et Ahman (2004) ont analysé le profil des femmes qui ont eu un avortement en fonction de leur âge (Tableau 1). Ils ont trouvé que sur les 3,7 millions d’avortements à risques estimés en l’an 2000 en Amérique Latine et dans les Caraïbes, la majorité avait été le fait de femmes de 20 à 24 ans (29%), chiffre tendant à la baisse à mesure que l’âge augmente. Le taux d’avortement a été de 43 pour mille femmes de 20 à 24 ans et de 41‰ pour celles de 25 à 29 ans; il a diminué à 28‰ entre 30 et 34 ans et à 21 pour mille femmes de 35 à 39 ans ; enfin il n’a été que de 14‰ pour mille pour le groupe de femmes âgées de 40 à 44 ans. Pour les adolescentes et les jeunes de moins de 20 ans, le taux d’avortement était de 20 pour mille femmes. A l’inverse, le ratio d’avortement pour 100 naissances vivantes, qui est le plus élevé du monde dans cette région, a été d’environ 30 pour 100 naissances chez les femmes de 15 à 34 ans (variation de 28% à 31%), de 41 chez les femmes de 35 à 39 ans et près du double chez les femmes de 40 à 44 ans. L’augmentation de ce ratio à partir de 35 ans reflète la faible fécondité de des femmes de cette tranche d’âges, qui s’explique principalement par le recours à la stérilisation. Pour ces auteurs, l’avortement joue un rôle important dans la régulation de la fécondité dans la région, puisqu’il représente un moyen d’espacer les naissances au début de la vie féconde et de limiter la descendance dans les étapes suivantes.

De même, les résultats de l’étude de (Bankole et al., 1999) – basée sur des statistiques gouvernementales (Cuba, 1990), des enquêtes (Guyane, 1996) ou des registres hospitaliers (Brésil 1992-1993, Chili 1989, Colombie 1990, République Dominicaine 1991, Mexique 1991, Pérou 1990) du début des années 1990 (Tableau 2) - dans les pays cités de la région, révèlent que les femmes latino-américaines de plus de 40 ans représentent la tranche d’âge qui avorte le moins (10% du total), tandis que les adolescentes et les jeunes présentent les pourcentages les plus élevés dans presque tous les pays, aussi bien dans le groupe des moins de 20 ans que dans celui des 20 à 24 ans. Les différences s’expliquent aussi, d’après ces auteurs, par la pratique fréquente de la stérilisation comme méthode de planning familial.
Selon cette même source, au début des années 1990, Cuba a été le pays où ont été réalisés le plus grand nombre d’avortements dans ces deux groupes d’âges, soit un tiers du total des femmes ayant avorté. Le Brésil vient en deuxième position, avec 23% et 36% pour chacune de ces tranches d’âges. En revanche le Mexique, le Pérou, le Chili et la Guyane semblent avoir une pratique moins fréquente parmi les adolescentes (entre 9% et 11% pour les moins de 20 ans), et un peu plus élevée pour les 20-24 ans (avec de chiffres de 25 à 30%). La Colombie et la République Dominicaine ont des chiffres similaires pour cette dernière tranche d’âge et occupent une position intermédiaire pour le groupe le plus jeune de femmes ayant avorté (17% pour les moins de 20 ans) (Tableau 2).

On estime que le taux d’avortement à Cuba pendant les années 1990 a été plus élevé chez les jeunes: 90 pour mille femmes de moins de 20 ans, 87,9‰ pour celles de 20-24 ans. Le taux a diminué de façon drastique jusqu’à 54,4 chez les femmes de 25 à 29 ans, à 33,2‰ pour les 30-34 ans et à la moitié pour la tranche des 35-39 ans (15,6‰) (Bankole et al., 1999). Une recherche menée dans une municipalité de La Havane, a montré des résultats similaires pour des femmes de 13 à 34 ans (Álvarez et al., 1999). D’après cette étude, le taux d’avortement des moins de 20 ans représente presque le double du taux de celles de 20-24 ans. Dans le premier groupe, deux avortements pour chaque naissance vivante ont été signalés pour l’année antérieure à l’enquête. Cette tendance se confirme dans l’étude d’Álvarez (2005), dans le même pays, en 2004. D’après cette auteure, la prédominance des avortements chez les adolescentes s’explique par le fait qu’elles ne considèrent pas toujours le risque de grossesse, et par les conditions de domination masculine qui caractérisent les couples cubains. Cette situation reflète aussi l’intense activité sexuelle des adolescentes, qui utilisent peu de contraceptifs auxquels elles ont un accès limité, principalement à cause d’une offre insuffisante dans les institutions cubaines de santé.

La même tendance se dessine dans le reste des Caraïbes. C’est le cas des Antilles Françaises où, comme à Cuba, l’avortement est autorisé sur demande de la femme. Chez les jeunes de Guadeloupe, on a constaté en 1995 une pratique fréquente de l’avortement : 42% des grossesses de femmes de 12 à 17 ans et de 18 à 19 ans se sont terminées par un avortement. En Martinique les pourcentages ont été de 57% et 44% pour chacune de ces tranches d’âge. En revanche, en Guyane Française ils ont été de 20% et 22%. L’avortement est également fréquent à la fin de la vie féconde des femmes des Caraïbes et des régions alentours, principalement en raison de la faible utilisation de contraceptifs à cette période de la vie. Les grossesses des femmes de plus de 45 ans se sont terminées par un avortement dans 54% des cas en Guadeloupe, 56% en Martinique et seulement 47% en Guyane Française (Boudan, 2000). En Guadeloupe, en 2003, six femmes de moins de 20 ans sur dix avaient avorté, 46% des 20-24 ans et une sur trois entre 25 et 34 ans. Le pourcentage était de 41% chez les femmes plus âgées (Claire, 2003).

Les résultats d’une enquête réalisée dans 22 villes de Colombie en 1992 montrent que même si la probabilité d’un avortement est très élevée à tous les âges, ce sont les femmes de moins de 25 ans qui y ont le plus fréquemment recours, en particulier celles de 15-19 ans. Selon cette étude, “une jeune de moins de 20 ans enceinte a deux fois plus de risques (d’avorter) qu’une femme de plus de 45 ans”. Un peu moins de la moitié (45%) des jeunes interrogées dans cette tranche d’âge avaient avorté, contre un tiers chez les 20-24 ans. Chez les femmes de 45 à 49 ans, la proportion reste élevée bien que le chiffre soit un quart plus bas (Zamudio et al., 1999).

L’étude d’Ojeda (Ojeda, 2004; Ojeda et al., 2003), réalisée en 1992-1993 auprès de 815 mexicaines de la région frontalière Tijuana/San Diego qui passent du côté américain pour avorter dans des conditions sans risque, a montré que la majorité de ces femmes avaient entre 20 et 29 ans et que certaines utilisaient l’avortement pour retarder le début de leur trajectoire reproductive. Les auteures décrivent un comportement différent selon les caractéristiques des femmes: la majorité de celles qui avaient avorté avaient plus de 30 ans et utilisaient l’espagnol à l’écrit (40,7%), suivies des 25-29 ans (28%) et des 20-24 ans (26%). Les plus jeunes (14-19 ans) n’ont représenté que 6%. Chez celles qui savaient écrire en anglais, le pourcentage le plus élevé se concentrait chez les 25-29 ans (43%), et les 20-24 ans (28%). Les pourcentages les plus faibles venaient des adolescentes de 14 à 19 ans (12%) et des plus de 30 ans (17%). D’autre part, chez les non hispanophones le schéma observé à été similaire au précédent: 7% de celles qui avaient avorté dans ce sous-groupe avaient entre 14 à 19 ans, 28% entre 20 et 24 ans, 40% entre 25 et 29 ans et 25% plus de 30 ans.

Une étude effectuée en l’an 2000 en Uruguay à partir de l’information d’une clinique clandestine a montré que les femmes qui y avortaient étaient en majorité âgées de 20-24 ans (27%), suivi des 25-29 ans (23%) (Sanseviero, 2003). On observe la même tendance dans le reste du pays : les taux les plus élevés d’avortement correspondent aux âges de plus grande fécondité, soit 20 à 29 ans. Le taux d’avortement chez les femmes de 20 à 24 ans est de 71,3 pour mille, c’est-à-dire qu’une femme sur 14 de cet âge avorte. Pour les plus jeunes, entre 15 et 19 ans, le taux est de 63,4 pour mille, soit une femme sur trente qui avorte (Sanseviero, 2003).

Des études faites à partir de registres sanitaires ou d’enquêtes réalisées dans les hôpitaux décrivent aussi les profils par âge des femmes qui y sont traitées. Dans une étude de la Fédération Latino-américaine d’Obstétriciens et de Gynécologues effectuée en 1990 en Bolivie, en Colombie, au Pérou et au Venezuela, on constate que plus de la moitié des patientes traitées pour des complications d’avortement dans les hôpitaux avaient plus de 20 ans, et en moyenne 27 ans. Plus de la moitié avaient entre 20 et 29 ans (27% de 20-24 ans et 26% de 25-29 ans), tandis que 13,5% avaient moins de 20 ans (Pardo et Uriza, 1991).

Dans le même ordre d’idées, une étude a été réalisée en 1990 à Santiago auprès de femmes traitées pour des complications suite à un avortement dans neuf hôpitaux de la capitale chilienne. Une minorité d’entre elles (11%) avaient moins de 20 ans (Lavin cité par Alan Guttmacher Institute, 1996).

Les résultats d’une autre étude auprès de femmes pauvres d’origine urbaine ayant été hospitalisées pour des complications suite à un avortement à Fortaleza, au nord-est du Brésil, ont indiqué une tendance différente. Un peu plus du tiers de ces femmes (36%) avaient entre 20 et 24 ans, presque un quart avaient entre 25 et 29 ans et une proportion un peu inférieure avaient moins de 19 ans (24% et 23% respectivement). De même, presque une femme sur dix avait entre 30 et 34 ans (12%) et un nombre bien inférieur avait plus de 35 ans (6%) (Misago et Fonseca, 1999). Une autre recherche menée entre 1993 et 1994 auprès de 620 femmes admises pour complications suite à un avortement dans un hôpital de Florianopolis, au sud du Brésil, montre que la majorité des femmes qui avaient avorté étaient jeunes (moins de 25 ans), célibataires et d’un niveau de scolarité équivalent à l’école primaire (Fonseca et al., 1998).

Une étude similaire a été réalisée au Pérou à partir des données de femmes ayant avorté dans deux hôpitaux de Lima (Barrig et al., 1993). La plus grande proportion de femmes admises avaient entre 20 et 39 ans. 25% des femmes qui sortaient de l’Institut Maternel Périnatal avaient entre 25 et 29 ans, tandis que 28% de celles qui sortaient de l’Hôpital Rebagliati avaient entre 30 et 39 ans. Dans les deux hôpitaux, le nombre de jeunes entre 15 et 19 ans admises pour les mêmes causes a été faible : 7% dans le premier hôpital et 1% dans le second. Respectivement 3% et 16% des femmes admises dans chacune des structures avaient entre 40 et 44 ans. Dans une étude de l’an 2000 dans le même pays, Ferrando (2002) a trouvé que 62% des femmes hospitalisées pour des complications suite à un avortement avaient moins de 30 ans, et 14% d’entre elles avaient moins de 20 ans.

En Argentine, une étude réalisée auprès de femmes qui avaient été traitées pour des complications suite à un avortement en 2004, signale qu’elles avaient en moyenne 27 ans: 17% de ces femmes avaient entre 10 et 19 ans et 50% entre 20 et 29 ans (Romero et al., 2005).

D’autre part, la Fondation Oriéntame de Colombie a lancé une étude similaire entre 1990 et 1991 auprès de 602 femmes qu’elle avait reçues pour avorter. Les auteures notent que l’âge de ces femmes allait de 16 à 48 ans. Plus de la moitié avaient entre 20 et 29 ans, comme dans l’étude précédemment citée (Mora Téllez et Villarreal, 1993).

En 1990 le docteur Armando Valle Gay a effectué une étude basée sur les dossiers de 100 femmes traitées pour des complications suite à un avortement à l’Hôpital Général de Mexico. Sur le total de l’échantillon, 30% des femmes avaient entre 21 et 25 ans, 26% entre 15 et 20 ans et 25% entre 25 et 30 ans (cité dans GIRE, 2000). Une autre étude faite dans 199 hôpitaux du Ministère de la Santé du même pays a fourni des données intéressantes sur les femmes qui avortent. Selon cette recherche, pour laquelle plus de 58 000 interruptions de grossesse réalisées dans ces hôpitaux ont été considérées (la plupart faites avec la technique de curetage et 7000 par aspiration manuelle intra-utérine), 21 à 22% de ces femmes avaient moins de 20 ans et 64 à 65% avaient entre 20 et 34 ans (Quezada et al., 2005).

Pour sa part, Paiewonsky (1999) a trouvé que près de la moitié des 352 femmes, admises pour des complications suite à un avortement dans deux hôpitaux de Saint Domingue en 1992, avaient entre 20 et 29 ans (16% de 20-24 ans et 33% de 25-29 ans).

Dans une étude réalisée sur des femmes victimes de complications suite à un avortement dans des hôpitaux de trois villes boliviennes en 1996 et 1997, les adolescentes admises représentaient 16% du total à La Paz aux deux dates, entre 16 et 30% à Santa Cruz et entre 12 et 30% à Sucre à chacune de ces dates (Díaz et al., 1999).

Relevons aussi, pour son envergure, l’étude réalisée dans un autre pays dont les lois sur l’avortement sont très restrictives et où trois cliniques en milieu urbain proposent les services de AMIU. L’analyse des dossiers médicaux de plus de 10 000 cas de femmes qui avaient avorté entre 2000 et 2002 a révélé que plus de la moitié avaient entre 13 et 24 ans (55%) et plus d’un tiers entre 25 et 34 ans (35%) (Aldrich et al., 2005).

Ces résultats, qui mettent en évidence le nombre important de femmes adolescentes et jeunes qui requièrent une hospitalisation pour des complications suite à un avortement, en particulier dans les pays où la loi est restrictive, illustrent bien les grandes barrières que ces femmes rencontrent pour accéder à des procédés d’avortement sans risque (voir chapitres 5 et 7).

Situation conjugale, parité et avortement

Plusieurs études réalisées dans les pays de la région indiquent que ce sont les femmes mariées qui ont le plus recours à l’avortement. Il faut cependant considérer ces résultats avec précaution. Par exemple, dans le cas des registres hospitaliers, les femmes mariées, en union libre ou dans une relation stable sont celles qui ont souvent l’accès le plus facile et le plus large aux services de santé. Cette situation avait déjà été observée au début des programmes de planning familial, et elle subsiste encore aujourd’hui dans de nombreux pays.

L’information disponible est extrêmement variable dans les pays d’Amérique Latine, selon la source des données utilisées et le contexte de l’étude. Dans la commune Diez de Octubre de La Havane à Cuba, la proportion de femmes ayant avorté est plus élevée chez les célibataires et les femmes en union libre (12% dans chacun des cas), que chez les femmes mariées (8%) et les divorcées, séparées ou veuves (9%). Le rapport entre avortements et naissances vivantes est plus élevé chez les femmes célibataires et en union libre (14% et 6% respectivement) que chez les femmes mariées et les autres (8% et 10% respectivement). Ces résultats montrent l’importance de prendre en compte le nombre d’enfants nés vivants. Celles qui n’étaient pas en couple ont plus avorté que celles qui avaient un conjoint (14% contre 8%) (Álvarez, 1994).

Les résultats de l’enquête réalisée dans les zones urbaines de Colombie montrent que 27% des femmes interrogées de 15 à 19 ans avaient été enceintes au moins une fois et que c’était celles qui avaient le plus avorté (45%), tandis que la grande majorité des femmes de 35 à 39 ans (94%) étaient déjà mères mais seulement 29% avaient avorté. La répartition des avortements en fonction du rang de grossesse indique qu’un peu moins de la moitié des ces avortements (43%) ont eu lieu lors de la première grossesse. Des différences ont aussi été observées selon les régions et les niveaux socio-économiques (Zamudio et al., 1999). D’après cette étude, le rapport entre le nombre d’enfants et les avortements indique que les femmes qui ont deux enfants avortent moins (23%) que celles qui ont six enfants (41%); ces pourcentages diminuent légèrement chez celles qui ont entre sept et dix enfants ou plus (entre 34% et 39%). Ce fait obéit probablement, selon les auteures, à ce que les avortements sont moins courants chez les femmes plus âgées ou à la mortalité infantile plus élevée dans les générations antérieures.

Dans une étude déjà citée de la Fédération Latino-américaine d’Obstétriciens et de Gynécologues en 1990 dans des hôpitaux de Bolivie, de Colombie, du Pérou et du Venezuela, on constate que la grande majorité des patientes admises pour un avortement étaient mariées (79%), la moitié avaient deux enfants ou plus, et 70% n’avaient jamais avorté. (Pardo et Uriza, 1991).

L’étude auprès de femmes admises pour des complications suite à un avortement, dans neuf hôpitaux du Chili en 1990, aboutit à un constat similaire: la grande majorité étaient mariées ou en union libre, avaient des enfants et avaient sept années d’études ou plus (78%, 76% et 80% respectivement) (Lavin cité par Alan Guttmacher Institute, 1996).

En Colombie, d’après les données hospitalières de 1990, pratiquement les trois quarts des femmes traitées pour des complications suite à un avortement étaient mariées ou en union libre (72%), chiffre encore supérieur au Pérou (88%) (Bankole et al., 1999). Cependant, ces derniers auteurs montrent que dans d’autres pays de la région, les célibataires sont plus susceptibles d’avorter en cas de grossesse. Cette situation a été observée au Brésil, où 53% des femmes qui avortent sont célibataires, 39% mariées ou dans une relation stable et 9% séparées ou divorcées (Misago et Fonseca, 1994; 1999). Sur l’ensemble de ces femmes, 59% ont entre un et trois enfants, 8% plus de cinq, 34% aucun et 22% d’entre elles avaient déjà vécu une interruption de grossesse (Misago et Fonseca, 1999).

En République Dominicaine, les entretiens réalisés auprès de femmes admises pour des complications d’avortement dans deux hôpitaux de Saint Domingue, ont révélé que la majorité des femmes avaient une relation de couple stable: 66% vivaient en union libre, 13% étaient mariées, et 9% se déclaraient en couple mais vivaient seules, la majorité avait déjà des enfants (Paiewonsky, 1999). Dans une étude auprès de femmes hospitalisées pour des complications d’avortement dans trois villes boliviennes, Díaz et al. (1999) signalent que la majorité de ces femmes (60-70%) étaient mariées ou en union libre. Ils montrent en plus que beaucoup d’entre elles avaient déjà avorté: à La Paz 47-48% des femmes au moins une fois, à Sucre 26% et à Santa Cruz 34% en 1996 et 46% en 1997. Sur l’ensemble des femmes, 20% avaient deux enfants ou plus (Díaz et al., 1999).

Six femmes sur dix au moins qui ont décidé d’avorter avait un enfant ou plus dans plusieurs pays de la région, bien que les ordres de grandeur soient variables. Par exemple, au Brésil la proportion était de 66%, en Colombie de 71%, au Pérou 76% et en République Dominicaine de 92% (Bankole et al., 1999).

À Lima au Pérou, les données recueillies dans l’étude citée précédemment, effectuée dans les hôpitaux Perinatal et Rebagliati (Barrig et al., 1993), ont révélé que la majorité des femmes traitées vivaient maritalement (87% d’entre elles). Des différences de l’âge moyen à la naissance du premier enfant ont été observées. Dans le second hôpital, qui reçoit essentiellement des femmes issues des classes moyennes, un quart d’entre elles  avaient moins de 21 ans à la naissance du premier enfant ; dans l’autre hôpital en revanche, qui prend en charge des populations plus défavorisées, la proportion s’est élevée à pratiquement trois quarts. D’autre part, 47% des femmes admises au Rebagliati, et 38% au Perinatal avaient déjà avorté. Parmi toutes les femmes de ces deux hôpitaux qui ont eu recours à l’avortement, 60% avaient avorté une seule fois et 40% deux fois ou plus. D’autre part, Ferrando (2002) indique que moins d’un tiers des femmes de Lima hospitalisées pour des complications d’avortement n’avait pas d’enfant (30%) et 60% ont déclaré avoir entre un et quatre enfants. L’auteure montre que la majorité des femmes vivaient dans un couple stable (83%), que ce soit par le mariage ou en union libre (23 et 60% respectivement).

Une recherche similaire a été menée dans une clinique clandestine d’un pays d’Amérique du Sud. Plus des trois quarts des femmes venues pour avorter étaient mariées (78%), plus de la moitié n’avaient pas d’enfants (54%), 46% avaient déjà été enceintes et 13% avaient déjà avorté au moins une fois (Strickler et al., 2001). L’étude d’Aldrich et al. (2005), menée entre 2002 et 2005 auprès de femmes ayant avorté dans un pays (non précisé) où l’avortement était illégal, a fourni des données très différentes: 84% des femmes étaient célibataires.

Ces résultats montrent qu’il n’existe pas de profil nettement défini des femmes qui avortent et que cette pratique concerne autant les femmes mariées que les célibataires, avec ou sans enfants. Ils confirment de plus le rôle de l’avortement comme méthode pour espacer ou limiter les naissances.

La scolarité, un facteur déterminant de l’avortement ?

La scolarité a été un facteur de différenciation important dans de nombreuses études sur le comportement reproductif des femmes. Cependant, dans le cas de l’avortement, on n’observe pas de tendance très nette entre le niveau d’études et l’incidence de cette pratique. Dans certains pays, les données montrent que les femmes qui avortent le plus sont celles qui ont les niveaux d’études les plus élevés; dans d’autres le pourcentage se concentre chez celles qui ont une scolarité primaire ou secondaire; dans d’autres encore, les résultats sont apparemment contradictoires entre les études réalisées. C’est pourquoi, dans les différentes situations présentées dans ce chapitre, tout comme c’est le cas pour d’autres questions dans d’autres chapitres, on doit garder à l’esprit que les données statistiques dépendent entre autres du domaine socio-géographique considéré, des différentes conditions d’accès aux institutions scolaires et aux services de santé, et surtout de la méthodologie, des études et des sources de données étudiées.

Les résultats de la recherche réalisée dans quatre pays d’Amérique du Sud -Bolivie, Colombie, Pérou et Venezuela- en 1990, auprès de femmes hospitalisées pour des complications d’avortement, révèlent que plus de la moitié de ces femmes n’avaient pas terminé leurs études secondaires (56%). Un peu moins d’un tiers d’entre elles n’avaient pas terminé l’école primaire (16%) et l’avaient terminé (13%). Le nombre d’années d’études moyen pour l’ensemble de ces pays a été de 6,95 (Pardo et Uriza, 1991).

Dans l’étude citée plus haut, menée dans un hôpital de Fortaleza au Brésil auprès de 4 359 femmes, on a observé un schéma similaire: un peu moins de la moitié des femmes qui avaient avorté avaient entre cinq et huit années d’études (46%). Un peu plus d’un cinquième avaient huit années d’études ou plus (23%), chiffre supérieur à celui des femmes de très faible niveau de scolarité (28%) et seulement 4,3% d’entre elles n’avaient jamais été à l’école (Misago et Fonseca, 1999). Il s’agissait dans ce cas de femmes pauvres de zones urbaines qui se rendaient dans des hôpitaux publics pour traiter des complications d’avortement.

Les résultats de l’étude de Bankole et al. (1999) menée en 1990 auprès de femmes hospitalisées pour des complications d’avortement, indiquent qu’en Colombie la majorité des femmes ayant décidé d’avorter avaient un niveau d’études secondaires (30%), et un pourcentage non négligeable (19%) avaient terminé des études universitaires ou avaient un niveau d’études encore plus élevé. 28% d’entre elles n’avaient été qu’à l’école primaire et 23% des femmes n’avaient pas été scolarisées (Bankole et al., 1999). Au Pérou on observe la même tendance qu’en Colombie, puisqu’un tiers des femmes ayant avorté étaient des universitaires (34%), et un peu moins d’un tiers avaient terminé l’école primaire (27%) et les études secondaires (23%). Seulement 16% des femmes qui n’avaient jamais été scolarisées avaient avorté. (Bankole et al., 1999). En revanche la situation est inverse en République Dominicaine, où le plus fort pourcentage de femmes ayant avorté se concentre dans le groupe qui ont terminé l’école primaire (59%), contre 29% ayant achevé leurs études secondaires, 7% sans scolarité et seulement 5% avec des études universitaires ou supérieures (Paiewonsky, 1999; Bankole et al., 1999).
Au Mexique, l’étude précédemment citée du docteur Armando Valle Gay, réalisée auprès de 100 femmes hospitalisées pour des complications d’avortement, a révélé un faible niveau de scolarité: 16% étaient analphabètes, 44% n’avaient pas terminé l’école primaire, 28% l’avaient achevé et seulement 3% avaient un diplôme technique (GIRE, 2003).

Dans la recherche déjà citée, réalisée dans un service urbain clandestin en Amérique du Sud en 1995, on a trouvé que neuf femmes sur dix avaient un niveau d’études secondaire et un peu moins d’un tiers étaient étudiantes au moment de la recherche (Strickler et al., 2001). En comparant cette étude de 1995 aux données correspondantes de 1970 dans le même contexte, les auteurs concluent que les femmes qui avortent actuellement sont plus jeunes et plus instruites qu’auparavant. En revanche, et comme l’ont également constaté d’autres études, cela s’explique par un plus grand accès et une plus grande permanence des femmes dans le système scolaire des pays de la région. Dans une étude de Aldrich et al., (2005) dans trois cliniques d’un pays où l’avortement est illégal, les femmes qui avaient avorté avaient un niveau d’études élevé: plus de la moitié avaient un niveau universitaire (56%), 32% avaient atteint le niveau de l’école secondaire et 11% avaient un niveau technique.

D’après une recherche réalisée à Lima (déjà citée) , la majorité des femmes ayant des études supérieures ont été prises en charge au Rebagliati, ; à l’Instituto Materno Perinatal, la majorité avaient des études secondaires. Sur le total des femmes au moment de la sortie du premier centre hospitalier, 37% avaient des études universitaires, 58% le niveau secondaire et 5% le primaire. Dans le deuxième hôpital, 1% seulement avaient des études supérieures, 63% avaient fini le cycle secondaire et 36% le primaire (Barrig et al., 1993). Ces différences, comme on pouvait s’y attendre, répondent aux caractéristiques de la population soignée dans chacune de ces institutions, puisque l’Institut Perinatal reçoit des familles aux faibles ressources, tandis que les patientes du Rebagliati sont employées, cotisent à la sécurité sociale à hauteur de 6% de leur salaire mensuel, et appartiennent donc aux classes moyennes.

Dans l’étude précitée menée dans la commune 10 de Octubre, de La Havane, les femmes pré-universitaires avaient eu plus d’un avortement pour chaque naissance vivante. Le nombre d’avortements était plus élevé chez les femmes qui avaient fait des études secondaires (Álvarez, 1994).

Les résultats de l’enquête réalisée dans les zones urbaines de Colombie indiquent une certaine prévalence de l’avortement chez les femmes au niveau d’études élevé. C’est ainsi que respectivement 27% et 25 % des femmes aux études universitaires incomplètes et dotées d’un diplôme universitaire ou d’un troisième cycle universitaire avaient avorté; contre 29% de celles qui n’avaient pas achevé l’école primaire. Ces pourcentages diminuent chez les femmes d’un niveau d’études secondaires complètes ou incomplètes: 23% de celles qui avaient fini l’école primaire, 21% de celles qui n’avaient pas fini le cycle secondaire et 18% de celles qui avaient ce cycle (Zamudio et al., 1999).

Le schéma est encore plus net dans le pays si l’on observe la distribution des avortements provoqués pour 100 grossesses. Les femmes qui n’ont pas terminé leurs études universitaires sont celles qui ont eu le plus d’avortement (28%). Le pourcentage est de 20% pour celles qui ont terminé l’université et diminue de façon conséquente chez les femmes de niveau d’études secondaires complètes ou incomplètes (13 dans chaque cas) Les proportions les plus faibles se rencontrent chez les femmes qui avaient l’école primaire incomplète et complète (10 et 9% respectivement) (Zamudio et al., 1999).

Activité professionnelle et différenciation selon le niveau socioéconomique

Comme le signale à juste titre GIRE (2003), les femmes qui avortent appartiennent à tous les niveaux socio-économiques et vivent dans tout type de lieux. “Les femmes des campagnes et les femmes qui vivent dans les villes, les femmes les plus démunies et les femmes de milieux aisés, les professionnelles et les analphabètes, les femmes au foyer et les étudiantes, les femmes jeunes et les femmes moins jeunes, toutes avortent”. Cependant, la majorité des recherches rendent compte des situations de contextes urbains et surtout dans les milieux les plus défavorisés.

En Colombie, Zamudio et al. (1999) distinguent dans leur étude trois types d’activités des femmes interrogées, résidant en zone urbaine: les femmes aux foyer, les étudiantes qui travaillent et les employées. Selon le nombre de grossesses qu’elles ont eu, les premières ont montré une expérience moindre de l’avortement, le pourcentage augmentant en fonction du nombre de grossesses. 90% des femmes qui travaillent et poursuivent des études ont avorté de leur première ou seconde grossesse, contre seulement 40% des employées. Les femmes au foyer ont avorté le plus fréquemment après leur sixième grossesse (40% des cas). Le nombre d’avortements provoqués pour 100 grossesses a été de 49 chez les femmes étudiantes qui travaillent, de 15,3 chez les femmes qui travaillent et de 9 chez les femmes au foyer (Zamudio et al., 1999).

D’autre part, les mêmes auteurs montrent la différenciation entre les femmes qui ont avorté à un moment ou à un autre de leur vie en fonction de leur appartenance à six niveaux socio-économiques (très élevé, élevé, moyen, moyen faible, faible et très faible). Les résultats de l’étude montrent que l’incidence de l’avortement est plus élevée dans l’extrême inférieur de l’échelle sociale (27% des femmes appartenant au niveau socioéconomique très faible avaient avorté). Dans les niveaux faible et/ou élevé, 24% des femmes avaient avorté. La fréquence est moindre chez les femmes des niveaux socio-économiques très élevé et moyen: 17% dans le niveau très élevé et 22% dans les niveaux moyen et moyen faible. Cependant, si l’on observe les données d’avortements provoqués pour 100 grossesses, les pourcentages augmentent avec le niveau social, à l’exception du plus élevé: 11 % pour le niveau très faible, 12% pour les niveaux faible et moyen faible, 15% dans le niveau moyen, 17% dans le niveau élevé et 9% dans le très élevé. Cette situation suggère que la taille souhaitée de la famille et le contrôle qu’exercent les femmes pour l’atteindre se fait par l’utilisation de contraceptifs ou par l’avortement. Mais la fréquence de l’avortement peut dépendre d’autres facteurs, comme la situation conjugale et la stabilité du couple. Comme l’affirment les auteurs de cette remarquable étude: “la comparaison entre le risque de grossesse et le risque d’avortement est éloquente. Tandis que le risque de grossesse augmente lorsque l’on descend dans l’échelle sociale, en raison d’une moindre prévention, le risque d’avortement y est également moindre, parce qu’un plus grand nombre de grossesses aboutissent à des naissances”. En revanche, une utilisation plus large de la contraception dans les niveaux moyens et élevés montre un moindre degré de tolérance face à une grossesse non désirée. C’est donc dans ce niveau socio-économique que les femmes pourraient avoir le plus recours à l’avortement (Zamudio et. al., 1999).

Dans une autre recherche réalisée en Colombie, entre 1990 et 1991 auprès de 621 femmes de Bogota qui avaient avorté, on a observé que 90,5% d’entre elles venaient de la ville, 8,3% vivaient dans un village et 1,2% en zone rurale. 31,2% du total avaient eu accès à une éducation supérieure et 2% seulement étaient analphabètes. Les femmes aux plus haut niveau d’études avaient entre 20 et 29 ans et 48% d’entre elles travaillaient. Comme l’indiquent les auteures, cela montre que plus le niveau éducatif et les attentes professionnelles sont élevés, moins les femmes souhaitent être mères (Mora Téllez et Villarreal, 1993).

Au Brésil, d’après une étude de Misago et Fonseca (1999), le plus haut pourcentage de femmes ayant avorté (34.0%) correspondait à des femmes au foyer, 15,1% à des employées de maison, et le reste étaient étudiantes, employées dans le secteur tertiaire, couturières, agricultrices, commerçantes ou chômeuses.

De même, Barrig et al. (1993) observent, dans l’étude qu’ils ont réalisée au Pérou, que 80% des femmes traitées pour avortement à l’hôpital Rebagliati travaillaient, contre 68% dans le cas de celles du Perinatal. Dans le premier hôpital, 69% d’entre elles avaient une profession indépendante, tandis que dans le second, 74% étaient des employées. En revanche, les taux d’avortement n’ont pas varié de façon significative entre celles qui travaillaient et celles qui ne travaillaient pas dans l’étude déjà citée faite dans la commune "10 de Octubre" de La Havane, à Cuba (Álvarez, 1994).

D’autres recherches mettent l’accent sur les conditions des avortements et les risques associés à cette pratique, en fonction de la classe sociale des femmes, de leur accès aux services de santé et d’autres aspects. L’une d’entre elles affirme que “54% des femmes pauvres de milieu rural qui avortent en Amérique Latine souffrent de complications, contre 44% pour les femmes pauvres de milieu urbain et 13% pour les femmes plus aisées en milieu urbain également” (The Alan Guttmacher Institute, 1994).

Zamudio et al. (1999), rendent compte des différences observées dans ce domaine entre les différentes régions de Colombie. Dans ce pays, le nombre moyen d’avortements pour chaque femme à risque, c’est-à-dire pour chaque femme ayant été enceinte au moins une fois, est de 0,29. La proportion augmente à 1,28 chez les femmes qui ont déjà avorté. Cette dernière moyenne est plus élevée à Bogota (1,30), dans les classes moyennes et hautes (1,31), chez les femmes qui ont vécu 7 grossesses ou plus (1,44) et chez celles qui n’ont pas achevé l’école primaire (1,37). Les femmes qui avortent dans la capitale ont 33% de grossesses en plus que la moyenne générale de celles qui vivent dans d’autres régions colombiennes considérées dans l’étude. La proportion d’avortements provoqués pour 100 grossesses confirme une incidence plus élevée d’avortements à Bogota. Par exemple, dans la région andine où l’incidence des avortements est la plus faible, 7,23 grossesses sur 100 ont été interrompues, contre 14,6 à Bogota. Mais les chercheurs avertissent que le pourcentage élevé de mort-nés et de fausses couches enregistré dans la région andine pourrait être l’indice d’un nombre considérable de femmes ayant avorté volontairement puis déclaré l’événement comme “naturel” ou spontané.

A partir d’une enquête nationale réalisée en 2003 au Mexique, Menkes et Suárez (2005) montrent les différences dans la pratique de l’avortement chez les adolescentes selon le milieu socio-économique. Ce sont les femmes les plus démunies qui avortent le moins (4.9%), l’incidence augmentant avec l’amélioration des conditions matérielles (6,1% dans les milieux défavorisés et 9.3% dans la classe moyenne-haute). Ce schéma est constaté aussi dans l’étude de Ferrando (2002) au Pérou, puisqu’on observe que les femmes dont les conditions socioéconomiques sont défavorables ont un risque plus grand de complications d’avortement: tandis que 44% des femmes pauvres de milieu rural et 27% de celles en zone urbaine courent ce risque, ça n’est le cas que de 24% des femmes en milieu rural non pauvre et de 5% en milieu urbain non pauvre.

Profil des femmes enceintes suite à un viol

Une question très importante et peu étudiée concerne le profil des femmes qui avortent suite à un viol. Le Population Council a mené une recherche sur cette question, à partir de 231 dossiers médicaux de femmes enceintes suite à un viol, reçues entre 1991 et 2001 à l’Hospital General de Mexico (Lara et al., 2003). Deux tiers d’entre elles avaient entre 10 et 19 ans, un quart entre 20 et 29 ans et le reste plus de 30 ans. Pratiquement toutes ces femmes étaient célibataires (95%), plus d’un tiers étudiantes, et plus d’un tiers effectuaient des travaux domestiques (36% et 35%, respectivement). Les autres avaient un travail rémunéré (29%). Un peu moins de la moitié avaient 13 années d’études ou plus (45%), un peu plus d’un quart avaient un niveau d’études moyen, soit entre 6 et 9 ans d’études (27%) et un cinquième (21%) n’avaient pas conclu l’école primaire (elles n’avaient été que 5 ans à l’école ou n’avaient jamais été scolarisées). Dans 90% des cas analysés, il s’agissait d’une première grossesse.

197 des 231 femmes enceintes suite à un viol ont été suivies. Seulement 22% se sont vues pratiquer un avortement à l’Hospital General, soit uniquement 44 femmes. Aucune n’avait atteint les 12 semaines de grossesse, la moyenne étant de 8,3 semaines. Sept femmes ont fait une fausse couche ou une “rétention d’oeuf mort” et cinq ne sont pas revenues à l’hôpital après une décision du comité d’éthique autorisant l’avortement. Plus de 72% des femmes ont poursuivi leur grossesse, 77% d’entre elles en raison d’une gestation supérieure à 12 semaines et surtout parce que l’avortement n’avait pas été autorisé, en dépit de la législation et de leurs droits reproductifs, puisqu’au Mexique comme dans d’autres pays latino-américains l’avortement est autorisé en cas de viol.

Dans une autre étude menée entre 2002 et 2005 à Mexico, on constate que sur 49 demandes d’avortement suite à un viol, seulement 33 ont été autorisés. Dans ce cas la majorité des demandes étaient le fait d’adolescentes et de jeunes: 8 d’entre elles avaient moins de 15 ans, dix avaient entre 15 et 19 ans et huit entre 20 et 29 ans (Ubaldi Garcete et Winocur, 2005).

Les données de ces deux études révèlent un plus grand risque de viol chez les femmes plus jeunes et en particulier les difficultés qu’elles rencontrent pour pouvoir avorter. Même si, comme on l’a vu, le viol est une circonstance largement reconnue pour avorter dans les législations de certains pays de la région, les autorités l’empêchent fréquemment et refusent ainsi ce droit à de nombreuses femmes.

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