Les estimations sur l’avortement : difficultés et limites

Conclusions

Bien qu’il s’agisse de la région du monde aux plus hauts taux d’avortement, l’Amérique Latine manque d’information sur ce thème. L’illégalité de la pratique dans la majorité des pays latinoaméricains et des Caraïbes rend très difficile la mesure de l’avortement. On sait seulement avec réelle certitude que le caractère clandestin de l’avortement qui domine dans la région affecte avant tout les femmes les plus pauvres et les plus vulnérables. Ainsi ce sont elles, le plus souvent, qui avortent dans des mauvaises conditions et risquées pour leur santé et même leur vie, ce qui a également des conséquences pour leur entourage familial.

L’illégalité de l’avortement a aussi pour conséquence qu’une petite partie des cas seulement soit enregistrée ou déclarée. Dans ces conditions, l’accès aux services de santé publics est très restreint, alors que c’est dans ces structures que se produisent la grande majorité des cas et auxquelles ont recours la majorité des femmes qui n’ont pas les moyens de consulter des médecins dans le privé. Ces femmes vont le plus souvent dans les hôpitaux publics uniquement pour des complications de suites d’avortement et lorsque leur état de santé est grave. De la même manière, la stigmatisation de l’avortement pour des raisons religieuses ou autres amène fréquemment les femmes qui avortent ou celles qui réalisent l’avortement à ne pas déclarer l’avortement comme provoqué, ce qui contribue à un sous-enregistrement notoire dans la plus grande partie des pays latinoaméricains, où ce thème est toujours tabou. A l’inverse, des pays comme Cuba qui ont des lois beaucoup plus libérales en la matière, ce qui, outre le fait de faciliter énormément l’accès à l’avortement légal et sans risque, contribue à ce qu’on puisse le quantifier avec une plus grande précision. Le libre accès à l’avortement à Cuba et dans quelques pays de la région représente une différence fondamentale avec des pays comme le Chili où cette pratique est interdite, mais cela n’implique pas nécessairement une augmentation ou une diminution de l’incidence des avortements, puisque beaucoup d’autres facteurs ont des répercussions sur ce phénomène complexe.

D’autre part, dans plusieurs parties du monde, en particulier celles où l’avortement est illégal, des estimations chiffrées ont été réalisées à partir de méthodologies très diverses. Ces estimations présentent souvent des marges d’erreur considérables, parfois dues au manque de rigueur méthodologique. Il est de plus difficile d’obtenir par ces biais des mesures de l’avortement à l’échelle nationale, puisqu’elles se basent presque toujours sur des populations particulières. Les études auprès des femmes traitées à l’hôpital pour des complications suite à un avortement permettent d’obtenir des estimations plus proches de la réalité. Elles excluent cependant les femmes qui n’ont pas accès à ces services de santé pour pratiquer leur avortement, ou pour en traiter les complications dont le nombre, comme on l’a vu, est très élevé dans la région.

En ce sens, il faut bien avoir à l’esprit que les différentes sources de données et méthodologies utilisées rendent difficile une estimation de la prévalence de l’avortement dans le temps, tout comme une approche comparative qui permette de évaluer l’information produite dans les différents pays. L’information parfois limitée et imprécise sur les méthodologies et les populations étudiées représente une difficulté supplémentaire pour la comparaison entre les études. Soulignons même que certains pays de la région n’ont pas d’estimations sur l’avortement ou en tous cas pas d’estimations publiées.

En l’état actuel des choses et face à l’insuffisance des méthodes de collecte de l’information sur l’avortement, plusieurs chercheurs s’accordent sur le fait que la meilleure solution consiste à combiner différentes méthodes et techniques pour estimer son incidence et les autres aspects de cette pratique, et pouvoir ainsi apprécier le degré de comparabilité possible de résultats obtenus par différentes sources. Des doutes subsistent cependant. Par exemple, l’usage de méthodes sophistiquées, dont les résultats tendent en général à comptabiliser un plus grand nombre d’avortements, ne garantit pas que ce soit celles qui permettent d’obtenir une information la plus proche de la réalité.

Face aux limites des recherches sur le thème, il est important de continuer à mener des enquêtes et des études plus vastes pour obtenir des estimations clefs sur l’avortement, comme la prévalence et les conséquences de cette pratique. Cette information est indispensable pour sensibiliser les politiques, les médecins et autres acteurs sociaux sur ce problème de santé publique et social. Elle est aussi nécessaire pour montrer l’impact et les conséquences de l’avortement, en particulier de ceux pratiqués dans des conditions à haut risque. C’est seulement avec des informations suffisantes et scientifiquement rigoureuses que l’on pourra disposer des éléments nécessaires pour la mise en oeuvre d’actions et d’interventions indispensables, puisqu’on ne pourra mener des politiques publiques efficaces sur l’avortement qui permettront de réduire les risques associés à l’avortement.

Une autre tâche indispensable liée à ce qu’on a exposé dans ce chapitre est sans aucun doute la réalisation d’études avec des méthodologies similaires dans différents pays, en particulier en Amérique Latine et dans les Caraïbes, ce qui permettrait de comparer, à partir d’une base commune, la prévalence de l’avortement dans plusieurs pays, plusieurs contextes et plusieurs groupes sociaux. Cela contribuerait entre autres au développement de meilleures études sur l’avortement à niveau local et même régional, qui pallieraient au manque d’information fiable sur l’avortement dans la grande majorité des pays latinoaméricains.

Comme nous le verrons dans les chapitres suivants, les informations sur les caractéristiques des femmes qui ont avorté, les motifs d’avortement et ses conséquences peuvent nous fournir des éléments supplémentaires qui vont contribuer à une meilleure connaissance du phénomène et de l’ampleur de la problématique des interruptions des grossesses non désirées à laquelle sont confrontés les pays de la région.

^ Haut de page

Accueil | Sommaire | Remerciements |