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Le quotidien des retraités dans la région des hauts plateaux algériens

W. de Sétif et de Bordj Bou Arréridj

Ammar MANAA, Centre universitaire de Bordj Bou Arréridj, Algérie.

Résumé

Cette enquête a porté sur le quotidien des retraités dans deux wilayas (départements) algériens, sur leurs conditions de vie d’existence, sur la manière dont ils vivent leur retraite, ressentent le poids de l’âge ainsi que la façon avec laquelle ils « remplissent » leur temps libre. L’enquête a permis de mettre en relief un certain nombre de traits caractéristiques, de comportements et de représentations face à la vie, la société, la religion, la « mort » et la dette du croyant due à Dieu.

Comme les retraités dont il est question ne sont pas « égaux », ni matériellement ni socialement, on s’est attaché à les différencier, à les distinguer, de manière à donner une image de la pluralité des attentes et des sentiments qui les traversent.

Mots clés : retraités des hauts plateaux ; condition de leur existence matérielle ; rapports familiaux, conflits de génération et solidarité familiale. Temps « libre » et manière dont le temps est investi.

Introduction

Les retraités de la région concernée par l’enquête ressortent d’une catégorie sociale et professionnelle hétérogène, en ce qu’elle comporte des caractéristiques d’âge et de revenu fort contrastés.

Dans ce qui suit, nous allons d’abord essayer d’examiner les conditions d’existence des retraités et leur vécu au quotidien. Dans un deuxième temps, ont tachera de démontrer si la retraite, dans le contexte particulier de la région concernée par notre enquête, permet ou non l’intégration des ces retraités par définition âgées et vulnérables. Or, la lecture des divers documents statistiques et l’observation sociologique du terrain montre que la société algérienne tend depuis une vingtaine d’années environ vers le vieillissement, phénomène lié à l’amélioration relative du niveau de vie de la population et au progrès de la médecine qui désormais donne accès aux soins à la population, et notamment aux personnes âgées, même privées de pension.

L’objet de la présente communication se propose précisément d’examiner le vécu, les conditions d’existence des retraités dans la région des hauts plateaux algériens, d’évaluer le degré de leur intégration ou d’exclusion sociale, la façon dont ils ressentent et vivent "la retraite" perçue tant sous le rapport pécuniaire que sous le rapport temporel (la manière dont ils emploient leurs temps au quotidien), ainsi que la façon avec laquelle la société globale les perçoit. On essayera aussi de distinguer les retraités ayant une pension liée à leur activité professionnelle antérieure de ceux disposant d’une demi retraite et ceux n’ayant jamais cotisé, et qui se trouvent dans une situation "d’assistés sociaux".

En effet, les retraités dont il est question, tous statuts confondus, connaissent dans la région étudiée un taux d’accroissement important, tant du point de vue de leur nombre que de celui du vieillissement, qui serait peut-être l’indice d’une espérance de vie plus longue liée elle-même à la diffusion de la médecine, aux soins, mais aussi à l’amélioration relative de la nutrition…

Il semble que cette tendance au vieillissement de la population ne concerne pas uniquement la région envisagée, mais touche l’ensemble de l’Algérie. Ainsi, d’après des chiffres rendus publics par le ministère algérien du travail et de la sécurité sociale le nombre de retraités s’est-il élevé à plus de 1 765 000 en 2006.

I. La vie quotidienne des retraités

Nous avons, grosso modo, deux espèces de retraités : ceux qui bénéficient d’une retraite relativement « confortable », et ceux qui n’en possèdent pas et qui se trouvent « assistés », soit par l’État, soit par les réseaux familiaux. Les premiers relèvent de ce que nous avons appelé les retraités « privilégiés », et les seconds, de retraités « défavorisés ».

A. Les retraités « privilégiés »

Les retraités auxquels nous avons affaire ne sont donc pas de même statut, ne vivent pas tous de manière univoque, et ne vieillissent pas de la même manière. Certains semblent, à l’observation, mieux vivre de leur "retraite" aussi bien du point de vue de la "pension" perçue que du point de vue du temps qu’ils emploient à divers préoccupations, y compris "ludiques" (dominos, carte, jardinage…). Ce type de retraités est relativement "privilégié" en raison de son autosuffisance matérielle, et en raison de son intégration sociale qui lui donne des repères sécurisants et stabilisateurs.

B. Les retraités « défavorisés »

Cette catégorie de personnes que l’on appelle improprement « retraitées » comprend en vérité une bonne frange qui n’a jamais travaillé ou qui a travaillé de manière informelle, de sorte qu’elle n’apparaît nulle part dans les archives des caisses des retraites. L’autre composante de cette catégorie de retraités, y apparaît mais avec des cotisations faibles qui ne donnent pas lieu à une retraite suffisante pour couvrir leurs besoins en nourriture et en soins. Celle-ci vit dans la majorité des cas bien au dessous du strict minimum, et certains de ses membres, sont contraints de s’adonner à une « mendicité honteuse ».

Ces retraités malchanceux souffrent de solitude, d’isolement et d’absence de repères, liés à des causes diverses et parmi celles-ci se détache le phénomène de l’anonymat induit par l’urbanisation désordonnée, l’accroissement des villes, la démographie galopante et par la tendance à la rupture, dans certains cas, de solidarité intergénérationnelle (les enfants qui tournent le dos au père…), ou encore les pères qui renient, notamment les fils parce que ceux-ci auraient fait "un mauvais choix" en contractant mariage avec une femme que le père ne désire pas. Le rétrécissement de la famille élargie qui tend à céder le pas à la famille réduite ou nucléaire accentue l’isolement des "vieux retraités" qui s’en trouvent réduits à la solitude ou la à marginalisation.

II. Les inégalités entre les retraités induites par les revenus et l’entourage social

Ces inégalités sont attestées par une foule d’indices, et dans les sites enquêtés qui nous préoccupent (Bordj Bou Arréridj, Sétif…), les retraités que nous avons enquêtés ne disposent pas du tout de pensions de retraite quand d’autres en sont nantis. Nous n’avons pas pu réussi à obtenir des chiffres exacts auprès des institutions concernées (caisses de retraites, munici-palités…) sur le nombre des deux catégories de retraités, « nantis » et « démunis » confondus, mais uniquement des chiffres globaux, mais précis qui nous permettent par recoupement et extrapolations déterminer approximativement la situation sociale et « financière » de chacune des deux catégories visées.

A. Le nombre des retraités du Bordj Bou Arréridj et de Sétif

Les chiffres récapitulés dans le tableau qui suit indique, pour la wilaya du Bordj Bou Arréridj, l’existence de 42 576 personnes âgées (de 60 à 85 ans et plus), dont 26 496 retraités, tous statuts par ailleurs confondus, et pour la wilaya de Sétif, le nombre des personnes âgées de 60 à 85 ans et plus, s’élève à 99 292 individus, d’après les données officielles (voir tableau 1.). Ce dernier chiffre inclut les retraités avec pension, mais dont la proportion par rapport au total n’est pas soulignée par le tableau ci-dessus. Nous avons essayé de déterminer ce rapport auprès de certaines administrations locales et offices statistiques, mais les lenteurs bureau-cratiques pour obtenir le pourcentage recherché ont achevé de décevoir notre attente.

Cependant, on pourrait suppléer cette carence statistique par des extrapolations et des estimations qui nous donneraient approximativement le nombre des retraités pensionnaires. Vu que la Wilaya de Sétif est plus étendue en superficie et en démographie, on pourrait sans trop de risque d’erreurs diviser la population des personnes âgées par deux, soit ici 99 292, et l’on aura à peu près le nombre approximatif des retraités « heureux ». Dans cette hypothèse, le nombre de ces retraités est de 49 646.

Tableau 1. Population des deux Wilayas Sétif et Bordj de personnes âgées de 60 ans à 85 ans et plus.

B. Moyens d’existence de vie des retraités d’après leur profil professionnel

Avant d’aborder la question de savoir de quoi ils vivent et comment ils passent le plus clair de leur temps à combler le vide ou la solitude de leur existence, il convient tout d’abord d’indiquer d’où quelles branches ou secteurs économiques viennent ces retraités et si la pension qu’ils perçoivent suffit ou non à subvenir à leurs besoins essentiels. Les retraités que nous avons étudiés relèvent de trois catégories professionnelles et juridiques :

a) Les retraités de la fonction publique et des entreprises privées ;
b) Les retraités moudjahidines et veuves des chouhadas ;
c) Les retraités émigrés.

1. Les retraités de la fonction publique

Ces trois catégories de retraités perçoivent des pensions inégales. La catégorie (a) comprend trois sous catégories que nous classons comme suit : les petits fonctionnaires et les ouvriers manuels (A), les retraités cadres intermédiaires (B), et les cadres administratifs supérieurs (C) comme indiqué dans le tableau ci-dessous.

De ces trois types de retraités nous avons exclu les hauts fonctionnaires (DG, PDG, Ministres, députés, hauts gradés militaires, hauts magistrats, professeurs d’universités…). Remarquons tout de suite qu’entre ces derniers et les retraités de la rubrique (A) l’écart de retraite pourrait varier entre 1 et 20.

La catégorie de cette population que constitue les retraités employés et ouvriers salariés touche une retraite variant entre les 70 000,00 DA et 15 000 DA mensuel. Comme la moyenne statistique dissimule des écarts, on pourrait supposer que la fourchette extrême des ces retraités se situerait autour de 15000 DA comme le démontre notre échantillon illustré par le tableau numéro 2 ci contre.

Si l’on exclue maintenant les hauts fonctionnaires de l’État (PDG, Ministres, députés, etc...) et que l’on se concentre uniquement sur les petits retraités administratifs, les cadres intermédiaires et moyens, qui constituent l’écrasante majorité, nous aurons à titre indicatif l’échantillon issu de notre enquête ayant porté sur 68 retraités répartis entre les deux wilayas.

Tableau 2 : les revenus de notre échantillon

Comme le montre le tableau, ce type de retraités illustré par la classe A constitue la majorité des pensionnaires défavorisés (retraités et employés), suivie par B (cadres intermédiaires). La rubrique C montre que plus on monte en grade moins l’effectif est grand est plus la retraite est élevée. La retraite de la classe A relève donc d’une portion incongrue qui suffit à peine à l’entretien d’une seule personne. Sur les 68 personnes enquêtées, nous avons pu mener des entretiens « ouverts », mais approfondis avec dix-huit d’entre elles : 6 sur les 18 percevant une retraite de 7000 Dinars, 5 sur les 24 retraités (ex-employés et ouvriers) touchant 10 000 dinars, 3 sur les 15 (salariés du secteur publique industriel) ayant une allocation retraite de 15 000DA, et avec enfin 4 retraités de la classe B et C, bénéficiant respectivement d’une retraite de 20 000 et 40 000 dinars par mois.

Ces entretiens nous ont permet d’enregistrer les « mécontentements », les insatis-factions, y compris chez les retraités de la classe C, qui se plaignent de la modicité de leurs bourses par rapport au coût de la vie qui grève leur budget. Chacune des personnes enquêtées prétend représenter le point de vue de ses homologues et de traduire « exactement » le malaise qu’ils ressentent. De ces entretiens, il ressortait des sentiments de frustrations, voire même de colère et de révolte contre leur lamentable sort dont ils imputent la responsabilité à l’État rendu coupable d’« injustice ».

2. Les retraités moudjahidines et veuves des chouhadas (anciens combattants)

En dépit de tout, les catégories de retraités (B et C) peuvent être considérées comme des retraités « aisés » comparées à ceux qui n’ont pas de retraite du tout et que l’État assiste en leur fournissant une allocation dérisoire fixée à 3000 DA par mois.

De même, les anciens moudjahidines, les veuves et les filles des chouhadas sont considérés comme des « nantis » par les démunis. Ceux-ci bénéficient en effet d’une retraite assez consistante comparée aux retraites moyennes de la population. Pour les moudjahidines tout comme pour les veuves des chouhadas, la retraite perçue va de 40 000 dinars à 50 000 dinars, et quelquefois plus. Car certains d’entre eux cumulent une double retraite, celle provenant de leur participation à la guerre d’indépendance et celle ressortant de leur carrière et cotisation effectuées avant ou après l’indépendance. Pour les auteurs de ce cumul, la retraite atteint dans certain cas plus de 100 000 dinars, et ceci non compte fait des avantages annexes que ces derniers bénéficient sous formes diverses de la part de l’État… Alors que le médecin en exercice dans les hôpitaux publics ne dépasse pas le cap de 35 000 DA mensuel, les anciens moudjahidines et les veuves des chouhadas perçoivent le double, voire le triple de ce montant…

3. Les retraités émigrés

Après les moujahids et les martyrs de la Révolution, viennent les émigrés. Ceux d’entre eux ayant cotisé jusqu’en fin de leur carrière professionnelle, ont une retraite qui pourrait s’élever, selon les professions, jusqu’à 70 000 DA en moyenne. Mais avec le taux de change qui leur est favorable où un euro rapporte plus de 130 dinars, ce qui donne, en multipliant par exemple 700 euros par 130, 91 000 DA de retraite mensuelle pour chaque émigré établi en Algérie. Bien entendu, certains émigrés ont une retraite qui dépasse largement ce montant.

En effet Sétif et Bordj sont connus comme étant des principaux fournisseurs d’immigration internationale, et viennent juste après la Grande Kabylie, et ce qui explique que leur nombre très élevé se trouve concentré dans ces deux wilayas auxquels ils apportent un apport financier appréciable. Au niveau de la wilaya de Biskra, mon collègue Ahmed Rouadjia a relevé, de son côté, l’importance des revenus des émigrés retraités injectés dans les circuits économiques et familiaux locales et qui contribuent à décharger l’État quant à la prise en charge des couches exclues et vulnérables.

Or ces retraités émigrés font vivre toute une suite familiale. Outre leurs enfants, et leurs petits enfants qu’ils nourrissent et aident à monter des petites affaires rapporteuses de bénéfices (garages, commerces, épiceries…), ils interviennent également en mécènes au profit des pauvres éloignés.

III. La masse des retraités pauvres et vulnérables

Il nous faut maintenant mettre l’accent sur la majorité des « retraités » défavorisés, et dont la misère, la maladie et la solitude contrastent avec le confort matériel relatif des catégories de retraités décrites précédemment. Or, la pension que les retraités pénalisés perçoivent est si dérisoire qu’elle relève plus du symbolique que du réel. Les données qui suivent et l’observation qualitative que nous avons conduite dans les deux régions concernées par notre enquête, permettent de mesurer l’ampleur de la misère dans laquelle se trouvent plongés ces retraités sans véritable retraites [1].

Lorsqu’on sait que l’allocation que perçoivent ces retraités va de 3500 DA à 7000 DA, l’on comprend pourquoi la misère de ces retraités les conduit inéluctablement à la déprime et aux maladies, comme l’illustre parfaitement le tableau 3 qui va suivre. Celui-ci dénombre, classe et précise la nature des maux physiques qui les rongent.

Le nombre de ces retraités livrés ainsi à la misère matérielle et morale, et aux maladies, s’élève à plus de 2000 personnes sur les 20 496 vieux retraités que compte la wilaya de bordj Bou Arréridj et à plus de 16 500 sur les 81 000 retraités que compte la wilaya de Sétif.

Les entretiens et les enquêtes que nous avons réalisés auprès de ces catégories de personnes fragilisées par leurs conditions difficiles d’existence font ressortir qu’elles ne tiennent leur salut qu’à la solidarité familiale, et notamment de la part de leurs enfants. « Qu’est ce qu’on peut faire avec une allocation de retraite de misère ?heureusement mes enfants me prennent en charge » [2] déclare l’un d’entre eux.

Cette « retraite de misère » a pour effet et traduction les maladies relevées par les médecins spécialisés et dont le diagnostique est le suivant :

Tableau. 3 L’état de santé des retraités de notre échantillon

1. Les causes de la pauvreté et de ses effets

Il reste maintenant à aborder le vécu et le ressenti de cette frange de retraités aux bourses fort modestes. En effet, l’âge, les conflits familiaux et les ruptures qui affectent certains d’entre eux ne sont pas étrangers aux maladies contractées. Ces maux touchent en particulier les retraités non entourés par leurs familles ou progéniture. Les conflits familiaux, souvent liés à des questions pécuniaires, au re-mariage du retraité et aux mésententes, surtout avec les fils, qui supportent mal que le père fasse ménage à part, constituent souvent les causes essentielles qui provoquent la rupture du vieux retraité avec son entourage familial. Tous les retraités ne sont pas dans ce cas de figure, mais il en est beaucoup cependant qui vivent immergés dans des problèmes insolubles d’ordre matériel, familiaux et sociétal. Ce que certains retraités ressentent et vivent tient parfois de l’aigreur et du ressentiment envers tous, et leur « rabâchage » semble refléter des sentiments d’échecs, de déception et de « malchance » comme ils le disent eux-mêmes à qui voudrait bien les entendre.

2. De la solitude et de l’ennui

Contrairement à leurs pairs de l’Occident individualiste, nos retraités semblent souffrir plus de conflits de générations, de malentendus et des écarts culturels avec leurs cadets que de solitude et d’ennui. Ici, la solitude, même si l’on est pauvre et démuni, n’a pas droit de cité, car l’individu n’existe pas, ou n’existe que dominé entièrement par le collectif. Nos retraités ont, malgré tout, une vie sociale dont le centre d’intérêt et d’attraction est constitué par la mosquée, le café, le marché et les jeux de dominos et de cartes. Leur vie est bien remplie, mais qui n’est pas toujours dépourvue de soucis et d’ennuis de nature pécuniaire et relation¬nelle. Les conflits qui les oppose pour des peccadilles à leurs enfants, ex-épouses, proches et voisins, ne sont pas rares, et ponctuent souvent leurs existences quotidiennes.

Peut-on considérer que la faiblesse du capital matériel, et partant le besoin d’argent, soit cause d’ennui ? Certains auteurs le pensent, comme Laforest qui écrit en substance : «  Une personne qui s’ennuie ressent comme un vide intérieur et une tristesse sans objet précis qu’elle décrit le plus souvent en disant que « le temps ne passe pas vite » ou que les « journées sont longues ». Ces expressions populaires sont justes ; elles expriment bien ce qu’est en réalité l’ennui comme expérience vécue. L’ennui est un sentiment qui résulte d’une altération de notre rapport avec le temps  » [3].

3. L’emploi du temps des retraités

Comment nos retraités passent leur temps libre ? Que font-il de leurs journées ? Quels types de loisir auxquels ils s’adonnent pour se désennuyer ? A toutes ces questions, la réponse paraît aller de soi et tous les retraités à qui ces questions ont été posées répondent : la télévision ! Regarder la télévision durant des heures, voire des journées entières constitue une des formes les plus recherchées de distraction chez ces retraités que nous avons interrogés. Avec les chaines satellitaires étrangères, notamment arabes avec Aljazeera, la prolifération vertigineuse des paraboles dans le pays et l’accès facile aux postes de télévision, brisent l’isolement et la solitude des retraités privés d’entourage familial et d’argent. Comme les cafés, la mosquée et les marchés, la télévision se révèle être un des modes de loisirs préférés de ces retraités.

« La télévision, moi, je ne peux pas m’en passer, d’ailleurs j’ai une télévision pour moi tout seul dans ma chambre, je suis toutes les informations et beaucoup d’émissions » nous déclare un vieux retraité qui assure par ailleurs que beaucoup des amis de son âge ne quittent pas de la journée l’écran de télévision.

Il semble que la télévision comme substitut à l’absence et « au vide » ne soit pas le propre des retraités algériens dont il est question, mais que c’est un phénomène universel lié à la modernité, puisque ailleurs on observe que ce moyen de communication qui est la télévision donne « le sentiment d’une présence » [4] dès lors qu’elle comble un vide.

Conclusion

Quelle conclusion tirée de cette enquête empirique ? Que le quotidien des retraités en général, et de celui des vulnérables d’entre eux en particulier, dans les deux wilayas choisis comme lieu d’enquêtes et d’observations, est fait d’une somme de difficultés multiples, de conflits internes et extérieurs, d’ordre personnels et familiaux, et de besoins insatisfaits, et d’ennuis de santé et de vides que rien ne comblent que les lieux de sociabilité traditionnels ou la télévision qui devient une forme de dépendance à laquelle les vieux retraités semblent incapables de se détacher. En d’autres termes, le quotidien de certains de ces retraités est poncturé par des va et vient entre la mosquée du quartier, le café et la maison, trois lieux qui occupent l’essentiel de leur activité journalière. Pour certains, la religion dont la mosquée en est le lieu symbolique, constitue une des préoccupations principales de leur vécu ; elle leur donne des repères et une raison d’être et d’exister. L’espoir aussi de s’acquitter d’une dette envers le créateur, et ce sentiment fortement intériorisé atténue en eux les souffrances de « la vie terrestre » et son cortège de misère et d’injustice. Telles sont, en résumé, les idées forces qui résultent de cette enquête auprès des retraités dont l’existence quotidienne est rythmée paradoxalement par des modes de vivre et de sentir en contradictions les uns avec les autres, contradictions que reflète la consommation excessive des images télévisées et l’écoute attentif des sermons religieux en mosquées.

Bibliographie

CARADEC V., La télévision, analyseur du vieillissement, Réseaux 2003/3, n° 119, p. 121-152.

LABIDI L., Quand l’exclusion intervient avec la retraite : l’expérience tunisienne, Reflets : revue d’intervention sociale et communautaire, vol. 11, n° 1, 2005, p. 81-111.

LAFOREST J., Introduction à la gérontologie, Edition Hurtubise, Montréal 1989, p. 142.

Le quotidien ELWATAN, du 04-05/2010.

Données fournies de la caisse nationale des retraités.

Office national des Statistiques, enquête GRHP, 2008

[1] Voir Quotidien Elwatan du 04/05/2010, Algérie : 800 000 pensions de retraites à moins de 3500 DA

« Des milliers de retraités qui ont cotisé moins de 15 années ne perçoivent qu’une insignifiante pension de 3500 DA, alors que des milliers d’autres, insérés dans la catégorie des retraites proportionnelles, n’atteignent pas encore 10 000 DA. Les retraités demandent « le relèvement des montants des faibles pensions de retraite proportionnelle pour les aligner à 10 000 DA  ». La loi de finances complémentaire 2006 avait pourtant prévu une majoration destinée à redresser le régime des faibles pensions et les porter à 10 000 DA, laquelle disposition n’est toujours pas appliquée. Ainsi, malgré le nouveau plafond du Snmg fixé à 15 000 DA lors de la 13e tripartite de décembre 2009, des retraités continuent à percevoir des pensions inférieures à 10 000 DA, voire à 5000 DA. Ils sont de l’ordre de 800 000 retraités qui perçoivent 75% du salaire national minimum garanti. »

[2] Voir LABIDI L., Quand l’exclusion intervient avec la retraite : l’expérience tunisienne, Reflets : revue d’intervention sociale et communautaire, vol. 11, n° 1, 2005, p. 81-111

[3] LAFOREST J., Introduction à la gérontologie, Edition Hurtubise Montréal 1989, p. 142.

[4] CARADEC V., La télévision, analyseur du vieillissement, Réseaux 2003/3, n° 119, p. 121-152.

VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION DANS LES PAYS DU SUD

Famille, conditions de vie, solidarités publiques et privées... État des lieux et perspectives

ACTES DU COLLOQUE INTERNATIONAL DE MEKNÈS

Maroc 17-19 mars 2011