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Introduction

Laurent NOWIK – Muriel SAJOUX - William MOLMY

Considérés comme des pays "jeunes", les pays du Sud vont vivre une métamorphose démographique dans les prochaines décennies. Ils vont en effet connaître dans des délais bien plus courts que cela n’a été le cas dans les pays du Nord un vieillissement démographique d’une grande ampleur. La part des 65 ans et plus devrait en effet doubler en 20 à 40 ans dans les pays du Sud, alors que ce doublement a mis plus de cent ans en France par exemple. En 2050, le vieillissement de la population sera très avancé en Amérique Latine, en Asie du Sud et au Maghreb ; il aura également débuté en Afrique subsaharienne. Pour illustration, un marocain sur cinq aura plus de 60 ans en 2040, soit la même proportion qu’en France aujourd’hui.

Ainsi, après avoir relevé le défi de la maîtrise de leur fécondité, les pays du Sud auront à faire face à un nouvel enjeu, celui de l’accompagnement économique et social du vieillissement de leur population. Les difficultés que les pays européens ont à intégrer la problématique du vieillissement dans des politiques publiques montrent que le défi pour les pays "jeunes" est considérable. Alors que la transition démographique est en voie d’achèvement dans certains pays du Sud, le "bonus démographique" se voit déjà malmené par les difficultés d’insertion professionnelle des jeunes.

Demain, il sera soumis à une forte augmentation du nombre des personnes âgées, dont une part significative, variable selon les pays, ne bénéficiera pas de pension retraite, ni d’allocation vieillesse, ni d’assurance maladie. Au regard de ces différentes sources de vulnérabilité, le vieillissement planétaire impose une réflexion sur la prise en compte des nouveaux besoins liés à cette gérontocroissance et sur la place des personnes âgées dans les sociétés. Cela nécessite notamment la création, au sein des systèmes de protection sociale, de dispositifs visant à lutter contre la pauvreté et à accompagner la dépendance des personnes âgées. Ces objectifs constituent une partie des orientations du Plan d’action international sur le vieillissement qui a été adopté par la Deuxième Assemblée mondiale des Nations Unies sur le vieillissement (Madrid, 8-12 avril 2002).

Le colloque international de Meknès (Maroc), co-organisé par la Faculté des Sciences Juridiques Economiques et Sociales de l’Université Moulay Ismaïl et le laboratoire CITERES (UMR 6173 CNRS, Equipes COST [1] et EMAM [2]) de l’Université de Tours, avec l’appui du CEPED (Centre Population et développement, UMR 196 Université Paris Descartes - INED - IRD), a eu pour objectif de s’intéresser à ces enjeux liés au vieillissement démographique dans les pays du Sud, de mieux comprendre les effets économiques et sociaux qui lui sont associés. Il a constitué, à notre connaissance, le premier colloque en langue française entièrement consacré à cette thématique. Ces questions sont encore peu étudiées par la communauté scientifique comparativement au volume des travaux qui ont été ou sont menés sur le vieillissement démographique dans les pays du Nord. Néanmoins, ces préoccupations scientifiques gagnent du terrain comme en témoigne une récente publication de la revue Autrepart intitulée « Vieillir au Sud [3] ». Ce colloque a réuni autour d’une question nouvelle des chercheurs de disciplines variées (sociologues, démographes, économistes, juristes, anthropologues, géographes, etc.) du Sud ou du Nord (les participants au colloque étaient issus de 20 pays différents) qui étudient les conditions de vie des personnes âgées et le vieillissement démographique dans les pays en développement.

Ce colloque ambitionnant de contribuer à enrichir les connaissances et la réflexion de la communauté scientifique sur des aspects essentiels de la vie des aînés dans les pays du Sud, tout en se situant dans une optique prospective, les organisateurs du colloque ont choisi de permettre aux communicants d’aborder un large spectre de questionnements. Plusieurs axes ont ainsi été abordés, souvent de manière entrecroisée, à travers les 14 ateliers et les 4 séances plénières constitutives des trois jours du colloque :

Statut et représentation des personnes âgées dans les pays du Sud

Dans certaines sociétés, les personnes âgées détenaient un pouvoir important, définissaient les règles sociales et la définition des interdits, participaient activement à la constitution des alliances. S’il est inopportun de croire que cette organisation sociale est révolue partout, on peut toutefois considérer que les "vieux" sont amenés à voir évoluer leur place et leur rôle dans les sociétés du Sud. Dans quelle mesure assiste-t-on d’ores et déjà à cette évolution ? Y aurait-il au contraire, sous l’apparence des changements, le maintien d’une forte hiérarchie entre générations liée à des facteurs culturels ? Peut-on nuancer les analyses en fonction des milieux sociaux ou des sociétés observées ?

Familles et solidarités

Aujourd’hui, la majorité des personnes âgées dans les pays du Sud s’appuient sur leur famille, vivent non éloignées de celles-ci ou cohabitent avec des descendants susceptibles de proposer une aide matérielle, financière et affective. Les autres personnes âgées vivent au sein de ménages composés des deux époux ou d’une seule personne (des femmes veuves le plus souvent). A l’avenir, on peut penser que les situations de "non cohabitation intergénérationnelle" seront amenées à se renforcer, notamment en milieu urbain où le processus d’individuation fait son chemin. Quoi qu’il en soit, en l’absence de protection sociale généralisée à l’ensemble des anciens actifs (notamment parce qu’une partie de l’activité repose sur le secteur informel), la prise en charge des aînés restera conditionnée à des formes de solidarité familiale.

Ce colloque a été l’occasion de contribuer à mieux comprendre sur quels membres de la famille repose la prise en charge des parents âgés. On aurait tort, au demeurant, de penser que les solidarités familiales ne sont qu’ascendantes. Ainsi, plusieurs travaux présentés durant le colloque ont envisagé les personnes âgées comme aidants au sein des familles et non uniquement comme des aidés.

La question de la prise en charge de la dépendance a également été abordée en cherchant à mieux connaître les différentes stratégies développées par les membres de la famille (descendants, conjoint, collatéraux,…), mais aussi les besoins non satisfaits pour faire face aux besoins spécifiques entraînés par la dépendance. Il s’agit là d’une question cruciale car le nombre et la part des personnes très âgées (80 ans et plus) va très rapidement augmenter dans les pays du Sud.

Conditions de vie des personnes âgées

Sans même chercher à poser un âge minimal pour faire entrer les individus dans la catégorie "personnes âgées", force est de constater que cette population ne constitue pas un groupe social homogène. Le genre, le milieu social, le statut à l’égard de l’activité, le territoire, les revenus et l’état de santé sont quelques unes des variables les plus importantes à considérer pour s’intéresser aux conditions de vie des personnes âgées.

Le colloque de Meknès a été l’occasion d’insister sur l’importance de la dimension genre dans l’étude de la vieillesse, que ce soit pour évoquer l’état matrimonial, le statut de chef de ménage, l’état de santé ou bien encore le niveau de vie. Les femmes âgées sont en effet confrontées à des situations de vulnérabilité généralement bien plus fortes que les hommes âgés. Cette tendance va-t-elle se renforcer avec l’augmentation du nombre absolu de femmes veuves ?

Le maintien d’une activité économique est une autre dimension à étudier. A l’aide des enquêtes nationales (recensement, enquêtes sur les conditions de vie des ménages, enquêtes sur l’emploi et l’activité,…), il conviendrait de voir comment l’activité des "60 ans et plus" a évolué au cours des vingt dernières années dans certains pays du Sud, période pendant laquelle le nombre de retraités-pensionnés a dû sensiblement croître. Ce travail devrait permettre d’apprécier les différences entre les milieux de résidence (rural/urbain), les statuts matrimoniaux et le genre, de voir comment l’activité évolue en fonction de l’âge et en fonction des solidarités privées qui accompagnent les personnes vieillissantes (suite au décès du conjoint par exemple). Pour mieux saisir les conditions de vie et d’activité des personnes âgées dans chacun des deux milieux de résidence, il est important d’interroger la nature de l’activité exercée, le niveau de revenus éventuellement perçus en contrepartie de cette activité, le temps passé à l’exercice de l’activité, les raisons de son exercice (nécessité économique, impact en termes de lien social,…) et le sens qui lui est donné par les individus (fardeau, estime de soi, reconnaissance d’autrui…).

Solidarités publiques et privées

Le recul de la mortalité aux grands âges et la recherche du "mieux vieillir" vont radicalement transformer les rapports entre les générations et l’organisation des sociétés. Dans les pays du Sud, la rapidité des évolutions démographiques est telle que les solidarités privées seront susceptibles de ne pas répondre convenablement à ces transformations. Le risque est grand que le vieillissement démographique soit un facteur supplémentaire d’inégalité sociale, aggravant la vulnérabilité des familles les plus pauvres et donnant, uniquement aux plus nantis, la possibilité de vivre plus longtemps en bonne santé. L’extension d’un système de protection sociale (en matière de retraite et de santé) à toute la population âgée est un objectif à promouvoir, mais il sera difficile à atteindre si la contribution à son financement ne concerne qu’une partie des actifs.

En ce qui concerne le mode de financement des régimes de retraites, le développement des systèmes de financement basés sur la répartition soulève de nombreux défis dans un contexte caractérisé à la fois par le vieillissement démographique et par l’objectif d’extension du taux de couverture de la population. Dans le même temps, le développement des systèmes de financement par capitalisation est porteur d’un risque de dualisation parmi les pensionnés.

Parmi les questions auxquelles ont tenté de répondre certains des travaux présentés durant le colloque figurent les suivantes : Quelle évaluation peut-on en faire des politiques de la vieillesse mises en place dans certains pays du Sud ? Sont-elles novatrices ? Sur quels aspects de la vie des personnes âgées ont-elles porté ? Se sont-elles appliquées à toute la population âgée ou seulement à une sous-population ? Si on compare avant et après la mise en place de ces politiques, peut-on indiquer de quelles manières les conditions de vie des personnes âgées et de leur famille se sont transformées ? Ces actions ont-elles modifié le regard que la société porte sur les personnes âgées ?

En matière de politique de santé, il convient aussi d’intégrer le vieillissement de la population. La gérontocroissance s’accompagnera d’une transition épidémiologique qui verra s’atténuer les maladies infectieuses au profit des maladies dégénératives de la vieillesse. Le système de soins peut-il s’adapter pour prendre en charge ces maladies ?

L’apport et le rôle des associations œuvrant en direction des personnes âgées est globalement assez mal connu. Des communications sur cette thématique ont apporté des éléments d’analyse sur cette question.

Vieillesse et habitat

L’avancée en âge peut conduire vers une progressive diminution de l’autonomie comme cela a été évoqué précédemment. Cette situation peut être particulièrement difficile à gérer suivant les conditions d’habitat qui peuvent varier très fortement entre pays du Sud, mais aussi au sein de ces pays. Ces conditions sont fonction de différents éléments propres au logement lui-même : localisation du logement (village isolé, étage élevé dans un immeuble en ville,…), de sa superficie, de son agencement, des caractéristiques des équipements sanitaires ; mais elles dépendent aussi de la composition du ménage y habitant, et définissent pour une part les conditions matérielles des possibilités - ou impossibilités - de cohabitation intergénérationnelle. Les questionnements qui ont été abordés durant le colloque ont notamment concerné les interférences entre les conditions d’habitat et le maintien, le renforcement ou l’affaiblissement des réseaux sociaux au sein desquels évoluent les personnes âgées en perte d’autonomie.

[1] COnstruction politique et Sociale des Territoires

[2] Equipe Monde Arabe et Méditerranée

[3] Revue Autrepart n°53, 2010/1 - www.autrepart.ird.fr/sommair...

VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION DANS LES PAYS DU SUD

Famille, conditions de vie, solidarités publiques et privées... État des lieux et perspectives

ACTES DU COLLOQUE INTERNATIONAL DE MEKNÈS

Maroc 17-19 mars 2011