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La prise en charge des personnes âgées dépendantes au Sénégal

Entre aidants familiaux et institutions

Fatoumata HANE, Université de Ziguinchor ; IRD/INSERM UMR 912 et UMI 3189 « Environnement, Santé, Sociétés », CNRS, France ; Université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal ; Université de Bamako, Mali ; CNRST, Burkina Faso

Introduction

Le vieillissement apparait de plus en plus comme une problématique centrale dans les pays en développement aux contextes marqués par une transition démographique. Pourtant jusque là, la plupart des études faisait état des problèmes auxquels sont confrontés les jeunes qui constituent près de 50% de la population dans ces pays. Cependant l’augmentation de l’espérance de vie, l’amélioration des conditions sanitaires ainsi que la transformation des modes de vie ont permis une reconfiguration de la pyramide sanitaire avec un nombre plus important de personnes âgées. L’urbanisation, ainsi que les dynamiques sociales qu’elle entraine, participent à la redéfinition de la place et du rôle des personnes âgées et, partant, des relations intergénérationnelles.

Par ailleurs, ces transformations des modes de vie s’accompagnent du développement de maladies cardiovasculaires et de pathologies liées au vieillissement entrainant des handicaps. Or, dans la plupart des pays en développement comme le Sénégal, les institutions de prise en charge de ces personnes sont rares. Seules deux structures (l’institut de gériatrie sociale et l’IPRES), concentrées dans la capitale Dakar, existent. Les familles sont donc ainsi obligées de se substituer à ces institutions pour gérer leurs « vieux handicapés ».

Dans cette perspective, le vieillissement apparait comme un phénomène complexe dont la prise en charge devient à la fois individuelle et collective. Cette complexité s’accroit quand le vieillissement devient ou s’accompagne de handicap. Cette situation qui crée de la dépendance nécessite la mise en place de systèmes de prise en charge particuliers. Cela passe par de simples aménagements spatiaux, pas toujours évidents dans certains types d’habitat, mais peut nécessiter la mise en place de systèmes complexes de structuration de l’aide dans des contextes où l’assistance publique et sociale est quasi inexistante. Dans cette perspective, la famille devient un élément central de la gestion de la personne âgée dépendante. Les aidants familiaux se retrouvent au cœur des processus de soins et doivent souvent négocier avec des institutions et des politiques balbutiantes. En Afrique les solidarités intergéné¬rationnelles semblaient aller de soi, or depuis ces trente dernières années, les processus d’individualisation sont de plus en plus notés du fait des changements des modes de vie et de la crise économique. Ainsi, les enfants ont de plus en plus de mal à prendre en charge leurs parents dans des contextes urbains. Dès lors l’aide est fragmentée entre les membres de la famille proche. Ce qui nous conduit à repenser la notion d’aidant familial d’autant plus que l’aide à la personne âgée dépendante est segmentée en fonction des possibilités (financière, capital social, etc.) et de la disponibilité des différents membres de la famille.

L’objectif de cette communication est d’analyser les modes de prise en charge de la vieillesse et du handicap dans les institutions sanitaires et de décrire la structuration de l’aide dans les familles sénégalaises à Dakar. Je décrirai la manière dont se construisent les savoirs chez ces aidants profanes aux prises avec les institutions sanitaires, la segmentation de l’aide entre les différents membres de la famille et par conséquent les jeux de positionnement social que cela entraine.

Méthode

Cette recherche est qualitative et s’appuie sur une enquête réalisée en 2009 dans le cadre du « PIR vieillissement 2008 » [1], à l’IPRES, à l’Institut de Gériatrie de Ouakam et dans les quartiers de Dakar (urbain et péri-urbain). Nous avons procédé par des entretiens avec les usagers, leurs accompagnants et les prestataires. A ces entretiens, se sont ajoutées des séries d’observation directe dans les structures de prise en charge et dans les familles.

1- Prise en charge du vieillissement au Sénégal

La prise en charge des personnes âgées dépendantes au Sénégal s’inscrit dans des dynamiques sociales et des mécanismes très différents de ceux des pays développés. Très peu de personnes âgées ont accès à une retraite et sont déconnectées des rares structures sanitaires de prise en charge (un institut est public ; l’autre prend en charge les retraités de la fonction publique et de certains secteurs privés). Pourtant l’État du Sénégal a adopté une loi rendant gratuite la prise en charge des personnes âgées de plus de 60 ans, loi plus connue sous le nom de Plan Sésame. Cette loi s’inscrit dans un contexte de recouvrement des coûts rendant problématique la gratuité de certains services dans les structures sanitaires. C’est ainsi que après son adoption, elle n’est plus appliquée. Les familles interviennent de plus en plus pour pallier les défaillances de l’État. Cependant, ces familles étant aussi dans des situations de vulnérabilité économique et sociale sont obligées de faire preuve d’inventivité pour mobiliser les ressources nécessaires à la prise en charge de leurs parents âgées et malades.

2- Handicap et vieillesse : entre perceptions et représentations

« Tu sais maintenant les comportements ont changés. Avant on avait le temps de discuter avec nos parents, écouter les contes, etc. Aujourd’hui on a plus ce temps. Tu vois des enfants qui maltraitent leur parent handicapé qui ne peut pas marcher. Même pour boire ils les font attendre jusqu’à ce qu’ils finissent de s’occuper de leurs affaires. On leur prépare à manger sans leur demander leur avis ».

Ces propos montrent que les perceptions et représentations autour de la vieillesse et du handicap ont beaucoup évolué. La personne âgée dépendante apparait comme un poids, une charge pour la famille. Au fil du temps, la compassion s’effrite et les aidants sont moins en moins prompts à accéder aux demandes de leurs parents malades. Une personne âgée rencontrée dans une structure de santé confirme cet état de fait quand elle dit :

« La vieillesse actuelle est une punition. Si tu n’as pas d’argent, tu vas manger mal et tu seras maltraité par tes propres enfants même. Ils te haïssent parce qu’ils ne peuvent pas compter sur toi. Un vieillard qui n’a pas une bonne passion ou une rente viagère va mourir dans la misère. Les vieillards souffrent parce qu’ils sont délaissés par leurs enfants. Peu parmi les enfants s’occupent actuellement leurs enfants. Tu vas dans les SICAP : monsieur, madame, leur enfant et chien, c’est terminé. Les parents sont à la poubelle. Nous, on souffre et le gouvernement n’est pas au courant de cela  ».

3- Structuration de l’aide aux personnes âgées dépendantes dans les familles

« Je suis avec mon petit fils qui m’aide à se déplacer. Mes déplacements me coutent excessivement chers. Chaque fois que je déplace je dépense quatre à cinq mille francs par jour et je me déplace beaucoup. J’ai mon premier qui est en Italie comme modou modou. C’est lui qui s’occupe de la dépense quotidienne et de la location et je complète. Il est très courageux, chaque mois il m’envoie 150 000 francs. On n’est pas gâté mais on ne souffre pas  ».

Comme on peut le voir dans cet extrait d’entretien, l’aide est segmentée et fragmentée en fonction des possibilités de chacun des membres de la famille. Souvent en plus de la prise en charge financière, l’accompagnement et la gestion quotidienne est aussi divisée. Les femmes s’occupent de la toilette de leurs conjoints, les filles les plus âgées de celles de leurs mères. Les hommes de la famille s’occupent d’accompagner leurs parents dans les structures sanitaires ou à défaut de payer les soins. Notons que certaines personnes âgées continuent d’assurer leurs dépenses et même celles de leurs enfants. Dans les institutions sanitaires, ces aidants sont mis à contribution pour nourrir leurs parents s’ils sont hospitalisés, pour leur faire faire des exercices lors des séances de kinésithérapie. Ce travail se poursuit au domicile par des séances de massages et des exercices de rééducation. Ces aidants familiaux finissent par développer des savoirs et savoirs faire que nous désignons par le terme de savoirs profanes. La maitrise de ces « compétences » leur confère un statut de privilégié, au même titre que celui qui prend en charge les soins médicaux ou les dépenses de la famille, et leur permet de se soustraire de la participation économique aux soins.

Le rôle et de la place des aidants familiaux dans la prise en charge des personnes âgées dépendantes au Sénégal met en évidence les relations de pouvoir entre individus au sein de la famille mais aussi les jeux de positionnement de ces acteurs en quête de statut social.

Conclusion

La prise en charge de la vieillesse et du handicap est de plus en plus problématique dans les pays en développement où il n’existe pas de réelles politiques de prise en charge des personnes âgées dépendantes. De plus, les migrations (exode rural et migrations vers l’étranger), l’urbanisation et les conditions économiques transforment les structures de la famille traditionnellement chargée de prendre soin de ses aînés. A travers cette commu¬nication j’ai essayé de décrire les réseaux d’aides aux personnes âgées dépendantes mais surtout de comprendre les relations de dépendance et les jeux de reconnaissance qui lient l’aidé et les aidants. Il serait aussi nécessaire d’investiguer la manière dont le savoir biomédical pourrait s’articuler avec les évolutions et transformations de l’organisation sociale et familiale des personnes âgées dépendantes.

Références bibliographiques

Adepoju A. (éd.), 1999, La famille Africaine. Politiques démographiques et développement. Paris, Karthala, 318 p.

Antoine P. (éd.), 2007, Les relations intergénérationnelles en Afrique. Approche plurielle. Paris, CEPED, 255 p.

[1] Programme Interdisciplinaire Longévité et Vieillissement 2008. « Vieillissement et Incapacités fonctionnelles. Réseaux d’aide, prise en charge et vécu des sénégalais vivants en ville, en milieu rural et en France », financé par le CNRS et coordonné par Dr. Nicole Lucciani Chapuis.

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