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L’apport du droit de la famille dans la responsabilisation des jeunes à l’égard des « aînés » en Afrique noire francophone

Clautaire AGOSSOU, Faculté de droit et des sciences politiques de l’Université d’Abomey-Calavi, Centre de droit de la personne, de la famille et de son patrimoine (Cefap) de la Faculté de droit et de criminologie de l’Université Catholique de Louvain (UCL) Bénin, Belgique.

INTRODUCTION

Il y a des termes dont le sens paraît difficile à dégager. Parmi ceux-ci, le terme famille figure en bonne place. Certains auteurs considèrent que la famille regroupe l’ensemble des personnes qui, en raison de leur parenté ou de leur qualité d’époux, sont soumises à la même autorité, celle du chef de la famille [1]. D’autres la définissent comme l’ensemble des personnes qui sont unies par le mariage, par la filiation et par une parenté résultant d’une descendance avec un auteur commun [2].

Pour d’autres encore la conception de la famille n’est pas nécessairement fondée sur des liens physiologiques, elle est d’abord « appartenance et participation mythique à un groupe social, à tous les préceptes religieux et valeurs morales de ce groupe » [3]. Ceci explique l’hiérarchie qui existe dans la famille en Afrique. Il est certain, que le sens à donner à ce mot varie de façon considérable selon le secteur du droit de la famille auquel le juriste se réfère allant de la conception restreinte (le livret de famille) à la conception plus étendue du droit (la succession) ou à la famille très large des droits extrapatrimoniaux.

En pratique toutefois, il convient de distinguer la famille au sens large qui regroupe tous les descendants d’un auteur commun unis par un lien de parenté ainsi que tous les alliés, et la famille au sens étroit du terme qui se limite aux époux et à leurs enfants, en excluant ainsi la plupart des collatéraux [4].

Il apparaît dès lors une distinction entre deux parentés : la parenté en ligne directe et la parenté en ligne collatérale [5]. Alors que la parenté en ligne directe rassemble tous ceux qui descendent les uns des autres, tels le grand-père, le père, le fils et le petit-fils, la parenté collatérale comprend tous les parents qui descendent d’un auteur commun, tels les frères et sœurs, les oncles et tantes, les neveux et nièces et les cousins. Cette parenté collatérale qu’on appelle également fratrie ne se limite pas à la filiation légitime mais également naturelle et adoptive.

La parenté collatérale se distingue nettement de l’alliance ou affinité qui est un rapport de droit et non plus de sang existant entre l’un des époux et les parents de l’autre. Cette différence explique que les effets de l’alliance demeurent moins nombreux et moins marqués et il ne faudra l’envisager qu’incidemment dans la mesure où ils peuvent se comparer avec ceux de la fratrie. La difficulté vient du fait que la majorité des droits positifs africains relatifs à la famille ne contiennent pas de dispositions d’ensemble relatives à la fratrie et ne consacrent que quelques règles éparses.

Parallèlement, la parentalité en sort renforcée, et, elle apparaît à elle seule comme un lien à la fois moral et économique [6]. Cette évolution n’est pas propre aux droits africains mais la cohésion du groupe familial demeure encore beaucoup plus forte dans certains droits positifs étrangers où la parentalité a toujours une place considérable. Il en est ainsi en droit congolais, en droit italien où la conscience de la solidarité familiale reste encore très forte, en droit espagnol et même en droit allemand [7].

On entend ici comme aîné, le plus âgé d’un groupe. Il est considéré comme le doyen. C’est le plus âgé qu’un autre. Dans la cosmologie de la famille africaine, l’aîné est également celui qui n’est plus parmi nous. C’est bien dire que les morts ne sont pas morts. Les aînés sont aussi les personnes du 3e âge qui vivent au sein de la famille qu’ils soient vivant ou non. La vieillesse est une étape de la vie qui juridiquement ressemble à celle de l’enfance. Si les parents savent déjà qu’en mettant au monde les enfants, qu’ils se responsabilisent à leurs égards, on peut se demander si cela est réciproque dans notre société.

Dès lors une question se pose avec une grande acuité en droit africain de la famille. Sommes-nous responsables de nos « aînés » ? Quels sont les outils utilisés par le droit civil de famille pour la responsabilisation des jeunes à l’égard des « aînés » en Afrique noire francophone ? Il revient à se demander simplement si l’enfant se sent responsable de ses ascendants qui sont devenus des « aînés » ou les considère-t-il comme un ennemi ou simplement comme étranger ? Faudra-t-il regarder son frère « aîné », son cousin « aîné » comme des tiers ou comme des membres de la famille envers qui l’on a des obligations ? Quelle est la nature alors de ces obligations ? A la vérité, le droit considère souvent cette obligation d’une façon particulière. Ainsi, il tient compte plus de la parenté en ligne directe que du lien de la fratrie.

Pour répondre à ces questions il est fait une analyse comparative des outils que les droits africains de la famille de certains Etats africains apportent, afin d’essayer de faire l’état des lieux à travers la doctrine et la jurisprudence existantes et envisager quelques perspectives de protection de nos « aînés ». Ceci n’a pas empêché de faire référence à certaines doctrines et jurisprudences européennes sur la question dans une logique de comparaisons internationales sans oublier celles nationales et régionales.

Cette méthodologie permet de remarquer, a priori, que cette responsabilisation des jeunes à l’égard des « aînés » est une obligation naturelle (I) à laquelle chacun s’adonne sans savoir aux primes abord que cela pourrait s’imposer à eux en devenant une obligation de plus en plus civile (II).

I. DES OBLIGATIONS FORTEMENT MORALES

La famille est la source première de solidarité, de rouage essentiel de la sécurité économique d’existence de chacun [8]. Cette charge est d’autant plus forte dans les États africains qui sont dans l’impossibilité de fournir à tous ceux qui sont dans le besoin les moyens nécessaires à leur subsistance. Ces obligations morales (A) pèsent aussi bien sur le jeune mineur que le majeur du vivant comme à la mort de l’aîné. Mais elles semblent se mouvoir en des obligations civiles (B).

A. La dette morale du jeune envers son « aîné »

Il s’avère nécessaire de bien délimiter le domaine de cette charge (1). Les limites établies, les jeunes, sûrs de ces indications, savent à quoi s’en tenir à leur indépendance naissante qu’ils ne doivent pas oublier qu’il y a honneur dû à ceux-ci (2).

1. Le cercle de l’obligation

On reconnaît que cette obligation a un caractère hybride. Elle relèverait de la morale et du droit. La détermination de la nature même de l’obligation naturelle a donné et donne encore lieu à de nombreux débats [9]. Quelle que soit la position qu’on adopte, un principe fondamental est reconnu. C’est celui du caractère naturel de l’obligation.

C’est une obligation qui remplit les conditions suivantes. D’une part, l’enfant sait déjà en son fort intérieur qu’il est de son devoir de la faire et, d’autre part, que ce devoir soit reconnu comme tel par la société à laquelle il appartient [10].

Elle peut être individuelle et collective. L’éducation de l’enfant est par essence la base de cette conscience qu’il aura. Elle porte naturellement sur l’intégralité de son être et de son avoir. Devant suivre toute l’éducation de ses parents, l’enfant doit à ceux-ci ce qu’il est devenu. Il faut d’abord retenir qu’il agit d’un comportement strictement personnel dans la conviction qu’il le fait parce qu’il doit le faire. Il doit, en contribuant spontanément à cet entretien ou en s’engageant à le faire, avoir la conviction qu’il exécute une obligation naturelle.

Il doit se sentir obligé, ce qui implique qu’il y ait entre lui et celui à qui il fournit cette assistance un lien spécial qui rend son intervention exigible moralement. Et ce lien spécial est la solidarité familiale. Et c’est ce seul lien qui l’oblige à exécuter une telle obligation naturelle. On interroge alors là la conscience individuelle de l’enfant et s’inspirer de sa réponse à l’effet de tracer la limite, parfois indécise, entre le devoir exigible et celui qui ne l’est pas [11].

Ces données ont largement contribué à fixer et à conceptualiser ce devoir à travers des mythes, contes et proverbes africains. Il faut avoir alors, un scrupule de conscience à la fois subjectif et objectif pour ne pas remplir cette obligation. Un scrupule accepté de tous.

Le rôle de juge de cette conscience revient alors à la société et à l’individu lui-même. C’est donc à ces tribunaux sociaux qu’il revient d’apprécier souverainement s’il y a ou non une obligation naturelle. Comme l’indiquait un sage africain, « pour la détermination réelle de cette obligation de conscience, il faudra tenir compte des usages et convenances généralement admis dans une civilisation donnée, aux liens qui unissent les personnes en présence, au degré de formation intellectuelle et morale de l’agent, enfin, aux circonstances ».

Il faut par là montrer que ces devoirs de consciences ont une force terrible dans la société africaine. Ils sont par là même élevés au rang de valeurs très fortes. Dans ce cadre, certains parents « aînés » en ligne collatérale sont considérés comme méritant également ces prises en charge par leurs jeunes. Assurer la subsistance de certains de ses collatéraux, et plus spécialement de ses frères et sœurs, est, en effet, souvent ressenti, au titre de la morale individuelle de chacun, comme un devoir que la société a assez facilement reconnu comme tel.

2. L’honneur dû aux parents

Les enfants acquièrent de plus en plus de liberté à l’égard de leurs parents. Il se crée de plus en plus d’altérité dans les sociétés africaines qui tend à supprimer le lien originel que la nature a établi entre les membres de la même famille. Mais on ne semble pas abandonner l’obligation d’honorer et de respect que tout jeune reste devoir à tout aîné de sa famille. Encore faut-il, pour en établir le contenu de cet honneur, distinguer selon que les parents sont encore en vie ou qu’ils sont déjà morts. Dans les sociétés africaines, nos morts sont également considérés comme nos « aînés ».

Dans un premier temps, il faut dire que le jeune, en prenant conscience de sa force sur son « aîné » de la famille, peut changer d’aspect car devenu autonome, c’est-à-dire adulte. Il peut traiter ses père et mère ou tout autre ascendant ou encore tout autre parent collatéral comme des étrangers. Mais l’honneur qu’il leur doit l’empêche d’intenter contre ses parents une action déshonorante. S’il accepte par respect, la décision du conseil de famille ou même de la société, c’est qu’il l’a voulu. Il ne saurait se retrancher derrière « la crainte révérencielle » pour justifier sa conduite.

D’ailleurs, cette indépendance lui permet dans certains cas de revenir sur les décisions prises par lui de s’occuper de ses parents déjà vieux. Le jeune ne saurait oublier l’éducation que ses parents lui ont donnée. Les fautes qu’il viendrait à commettre contre ses parents, en refusant de les prendre en charge, si elles ne peuvent, sans doute, pas facilement, être admises par la société, ne sont pas en principe justifiables non plus.

C’est un aveu de la société de reconnaître que l’enfant doit prendre en charge ses parents qui sont dans le besoin. C’est une justice élémentaire. Elle s’appuie sur le don initial que le lien familial offre. Les parents, lorsqu’ils étaient les bras valides, s’étant bien occupés de leurs enfants, mériteraient d’être pris en charge par ces derniers dans leurs vieux jours. Ceci n’est qu’un don réciproque né des liens familiaux. Telle est bien l’exigence de dépassement, de « charité », qui permet d’inclure cette obligation de prise en charge des « aînés » dans l’obligation filiale d’honorer ses père et mère ou tout autre ascendant.

Se responsabiliser pour quelqu’un dans la maladie est l’exécution d’une obligation naturelle si la personne assistée est un membre de sa famille.

On aurait dû accepter que la mort puisse effacer cette obligation. Mais elle la rend parfois très présente où les jeunes se sentent alors plus responsables de leurs aînés-morts. Il est clair là qu’on ne peut-être dans le même sens que Birago DIOP lorsqu’il disait que les morts ne sont pas morts. Ils survivent alors à leur âme. Leur représentation au milieu des concessions afin de les prier est une obligation de justice qui ne sert qu’à les prendre en compte. Il s’agit là de ne pas laisser leur âme heurée. Accomplir les dernières volontés du défunt, c’est une exécution en bonne et due forme de cette obligation.

Ainsi le devoir de prendre en charge l’aîné qui a trépassé, de l’accompagner dans la tombe est une obligation qui prend sa revanche sur le lien filial, familial que la solidarité familiale apporte. Ce ne sont là que des valeurs qui restent encore dans le subconscient de chaque africain du sud Sahara. Cette dette aussi morale qu’elle soit peut amener à des sanctions en cas de désobéissance.

B. La conversion de l’obligation naturelle en obligation civile

L’existence d’une obligation naturelle reconnue comme telle est une chose [12]. Les conditions de la transformation de cette obligation naturelle en obligation civile en est une autre. Il relève à ce stade de la morale et non du droit. Il doit être « nové » par la volonté de celui qui s’exécute. Cette volonté s’exprime traditionnellement selon deux modes d’expression : l’exécution volontaire et la promesse d’exécution (1). De même, tout ceci bénéficie d’un régime spécial (2).

1. Les conditions de la conversion

L’exécution volontaire fait partie de ces conditions. Avec l’article 1235 al 2 du code civil, les obligations naturelles qui ont été acquittées ne peuvent être répétées. Le paiement volontaire d’une dette naturelle est donc valable. Le débiteur, en exécutant volontairement son obligation de conscience, l’a reconnue comme étant civile, et le droit entérine cette reconnaissance qui s’est opérée dans les faits en interdisant la répétition des sommes versées. Le fait de contribuer spontanément à la prise en charge d’un parent aîné démontre de la volonté tacite de celui qui le fait sans y être légalement tenu d’exécuter le devoir de conscience qu’il ressent. Il ne pourra revenir sur sa décision et réclamer le remboursement des sommes allouées.

Qualifiée d’obligation naturelle convertie en une obligation civile, cette contribution spontanée rend impossible le recours à la théorie de l’enrichissement sans cause [13]. Celui qui est intervenu volontairement ne pourra pas prétendre qu’il s’est appauvri et que l’autre s’est enrichi injustement. Son acte a une cause. Ceci suppose que l’entretien ait été volontairement fourni, et non sous la contrainte ou la menace. De plus, il ne doit pas avoir été fourni sous l’emprise d’une erreur. Celui qui fournit une prise en charge à un aîné doit l’avoir fait sachant qu’il n’y était pas légalement obligé. A défaut, le paiement est indû.

La promesse d’exécution constitue la deuxième condition de cette conversion. Si celui qui estime être débiteur d’une obligation naturelle promet de la payer, il est lié par cette promesse et le bénéficiaire peut en exiger l’exécution. Il s’agit du second effet actuellement admis de la « novation qui s’opère : l’obligation naturelle, au départ, et partant dépourvue de contrainte, s’insère par la volonté exprimée dans l’ordre juridique positif et devient une obligation civile contraignante. L’obligation de conscience sous-jacente fournit une cause licite à l’engagement formulé, qui n’est dès lors pas une donation » [14]. Celui qui a promis pourra être condamné judiciairement à s’exécuter.

La promesse d’exécution ainsi faite est un acte unilatéral. Elle n’exige pas l’acceptation du créancier. Elle vaut sans son acceptation [15]. En tant qu’acte juridique, elle est soumise aux conditions de validité de ceux-ci. L’engagement est ainsi annulable pour vice de consentement. Sa portée et sa durée dépendent de sa teneur et de son interprétation. C’est pour cela qu’on pense que la volonté tacite a des limites d’autant plus que la preuve de cet engagement n’est pas aussi facile que cela.

Il n’y a donc conversion de l’obligation naturelle en une obligation civile que s’il y a engagement de le faire par une exécution spontanée ou une promesse. L’engagement est un acte juridique. Il revient à celui qui en demande l’exécution d’en prouver l’existence et la portée. Les règles de preuve de droit commun s’appliquent : l’engagement doit en principe être prouvé par un écrit [16] comme une lettre. Mais quid s’il n’existe pas d’écrit attestant d’une volonté expresse ?

Tout d’abord, l’existence d’un commencement de preuve par témoins ou par présomptions [17]. Ensuite, il en est de même si le créancier de l’obligation était dans l’impossi¬bilité matérielle ou morale de se procurer un écrit [18]. En ces genres de matière la jurisprudence française, inspirée sans doute, comme le dit si bien la professeure J. Sosson [19], par des motifs humanitaires, a admis très largement l’existence de commencement de preuve par écrit ou de l’impossibilité d’en prendre charge.

Il faut rappeler, en effet, que la preuve à rapporter a un double objet. Il faut prouver, d’une part, l’existence d’une obligation naturelle, c’est-à-dire d’un lien familial, et, d’autre part, l’intention de celui-ci de transformer l’obligation naturelle en une obligation civile, et dès lors contraignante. Il faut démontrer qu’il ne s’est pas contenté de reconnaître l’existence d’une obligation naturelle dans son chef, mais que, en outre, il s’est engagé à l’exécuter [20]. Il faut aussi prouver l’ « intention novatoire » [21]. Le lien familial ou non n’est donc pas un critère déterminant à lui seul. Tout est question de conscience et de volonté individuelles [22].

On peut assimiler l’exécution volontaire à une promesse d’exécution tacite. L’exécution volontaire est une manifestation tacite de la volonté d’exécuter l’obligation naturelle et donc de la nover en une obligation civile, ce qui empêche la répétition. Mais la prise en charge d’un aîné par un jeune au sein de la même famille dans le passé n’est pas un indice matériel suffisant pour prouver une novation pour l’avenir. L’exécution spontanée, pendant plusieurs années, ne permet pas en lui-même et à lui seul d’ordonner judiciairement une poursuite.

2. Le régime d’une telle obligation

Tout d’abord, l’engagement volontaire détermine non seulement l’existence de l’obligation devenue civile, mais sa portée et sa mesure [23]. Il définit les limites des charges assumées. La responsabilisation ne trouve son fondement que dans l’engagement pris ou spontanément exécuté. On ne peut la réclamer au-delà des termes et de l’esprit de cet engagement. La volonté du débiteur est maîtresse de l’étendue, de la durée, des modalités, de la variabilité et de la transmissibilité de l’obligation [24]. Tout est question d’intention du débiteur, et il revient à chacun, juge ou non, d’apprécier cette volonté et de l’interpréter si nécessaire.

De plus, puisque l’obligation est naturelle, la loi [25] est inapplicable [26]. Il faut, en conséquence considérer qu’elle ne postule pas nécessairement l’état de besoin du créancier. Dans le même sens, à propos de l’engagement pris envers un aîné par un jeune, il est tout à fait inadéquat de considérer qu’une quelconque analogie puisse être faite avec l’obligation de prendre en charge son aîné fondée sur la loi [27]. Il s’agit de deux obligations dont la nature, le fondement, la portée et les conséquences sont radicalement distincts.

Enfin, pour la même raison, l’obligation naturelle qu’un débiteur aurait, par une exécution volontaire ou une promesse d’exécution, n’est que subsidiaire par rapport aux obligations légales mises à sa charge. Il existe une hiérarchie évidente entre les obligations civiles légales et les obligations naturelles, nos législateurs n’ayant pas jugé que les secondes doivent, d’emblée, être assorties de contraintes. Si l’acte volontaire a pour effet de rendre « civile » une obligation qui n’était auparavant que naturelle, il n’a pas pour conséquence de faire disparaître l’infériorité originelle de celle-ci. Certains auteurs soutiennent même que les créanciers légaux pourraient faire révoquer l’exécution ou la promesse d’exécution d’une obligation naturelle par une action paulienne [28].

La théorie des obligations naturelles permet d’insuffler de l’équité dans le droit positif en matière de droit de la famille. Elle corrige le côté trop rigide qu’il pourrait avoir si on se limitait à ne tenir compte que des obligations telles que définies par la loi sans jamais accorder d’attention à d’autres situations « para familiales » dans lesquelles joue aussi une solidarité qui sans être légale est souvent spontanée [29].

Mais, à côté de toutes ses potentialités, il importe de connaître et de respecter les limites de cette construction. Car lui donner une portée trop large pourrait aboutir à l’effet contraire de celui recherché. Enfin, si morale et droit se conjuguent ici harmonieusement, il n’en reste pas moins que, comme l’exprime très justement le doyen G. Marty, « le luxe que constitue le scrupule de conscience passe après la fidélité aux obligations civiles » [30].

C’est dans cette recherche de priorité et de fidélité qu’on note de plus en plus que ces obligations deviennent civiles.

II. DES OBLIGATIONS DE PLUS EN PLUS CIVILES

C’est une obligation que la loi impose de venir en aide, sur le plan matériel ou tout autre, à un autre membre de la famille dans un état de nécessité. Cette obligation se développe sous une terminologie souvent variée. Pour cela, il est devenu une mode au sein des différents droits de la famille, en Afrique, d’établir une sorte de droit commun de l’obligation alimentaire (A) qu’il faut distinguer de la pension alimentaire (B).

A. La vocation aux aliments des jeunes à leurs aînés : l’obligation alimentaire

La vocation à une aide alimentaire suppose une solidarité qui n’est admise, dans la plupart des droits contemporains africains de la famille, que dans un cercle familial plus ou moins restreint (1). En outre, il est parfois possible que cette vocation soit supprimée à l’encontre de l’un des intéressés à titre de déchéance (2).

1. Le cercle de la solidarité familiale

Chacun des droits de la famille y va de différente manière. Le code de la famille de la RDC en son article 720 dispose : « Une obligation alimentaire existe entre parents en ligne directe. Une obligation alimentaire existe pareillement entre frère et sœurs et entre oncles ou tantes et neveux ou nièces. L’obligation alimentaire résultant de la parenté est réciproque. ». Le code béninois quant à lui admet en son article 391 que : « L’obligation alimentaire résultant de la parenté est réciproque. Entre parents, elle existe en ligne directe sans limitation de degré. En ligne collatérale, elle est simplement morale. ». Le code burkinabé de la famille en son article 685 a disposé dans les mêmes termes que celui béninois. Le code congolais de la famille dispose en son article 307 que : « l’obligation alimentaire est due : … 2°) entre les père et mère, ceux-ci et leurs enfants ; … 4°) entre frère et sœurs… ». Le code sénégalais en son article 263 al 1 disposera de la même manière dans ses premières lignes. Mais en ligne collatérale, il dispose qu’elle existe entre frères et sœurs germains, utérins ou consanguins à l’exclusion de leurs descendants.

De ces différentes dispositions législatives, il s’affiche qu’en ce qui concerne les parties au droit alimentaire, on retient une conception plus ou moins large du cercle de la solidarité familiale. Ils reconnaissent d’obligation alimentaire entre parents en ligne directe d’une part et en ligne collatérale et en parenté d’alliance d’autre part.

Entre parents en ligne directe, c’est-à-dire entre ascendants et descendants, il existe une obligation alimentaire. Peu importe le degré de parenté et la nature du lien de parenté : filiation par le sang, ou la filiation adoptive font naître une obligation alimentaire identique. Il ressort là que les enfants (jeunes) doivent prendre en charge leurs parents (aînés) c’est-à-dire père, mère, grand-père, grand-mère, aïeuls…

Entre parents en ligne collatérale, l’obligation est plus restreinte. Elle ne concerne que les frères et sœurs consanguins, utérins et germains pour la loi congolaise, burkinabé et sénégalaise ; les frères et sœurs, tantes, oncles, neveux et nièces pour la loi zaïroise. Pour la loi béninoise, elle est simplement d’ordre moral pour la parenté collatérale.

Pour la parenté alliée, la loi béninoise, en son article 394, rend toujours morale l’obligation alimentaire entre les descendants au premier degré et le conjoint. Le code burkinabé en son article 686 ajoute qu’il n’y a d’obligation alimentaire réciproque qu’entre l’époux et les ascendants au premier degré du conjoint. L’article 264 du code sénégalais instaure que : « Il n’y a d’obligation alimentaire réciproque qu’entre l’époux et les descendants au premier degré du conjoint… ». Il y a donc une obligation alimentaire entre un conjoint et les autres parents de son époux. C’est-à-dire qu’elle concerne les rapports des gendres ou belles-filles avec le beau-père et la belle-mère. Y font partie également, les enfants ou descendants du conjoint et même en matière de famille recomposée.

2. La déchéance exceptionnelle de la vocation aux aliments

La faute du créancier envers le débiteur peut décharger ce dernier. L’alinéa 3 de l’article 396 du code béninois installe que : « … Lorsque le créancier aura lui-même manqué gravement à ses obligations envers le débiteur, le juge pourra également décharger celui-ci de tout ou partie de la dette alimentaire ». Ce sont les articles 316 du code congolais, 731 du code zaïrois et l’alinéa 2 de l’article 687 du code burkinabé qui en parlent.

La solidarité résulte du lien de famille en lui-même et il n’y a pas à tenir compte du comportement antérieur de l’intéressé se trouvant dans un état de besoin. La constatation objective de cet état de besoin suffisait à fonder l’obligation pour ses proches de lui venir en aide, sans qu’il puisse être déchu de cette vocation par des fautes qu’il aurait antérieurement commises.

Mais cette conception s’est trouvée peu à peu abandonnée. Elle trouve aujourd’hui une exception importante en cas de faute de l’un des intéressés. On admet que celui des parents qui a lui-même gravement manqué à ses devoirs envers l’un de ses proches se prive ainsi de la possibilité de lui réclamer ensuite des secours alimentaires. Cette solution, d’abord instaurée de manière ponctuelle dans certains cas précis est de plus en plus généralisé. Il ressort des dispositions le principe selon lequel, le juge peut, en cas de manquement de l’un des intéressés à ses devoirs entre l’autre, supprimer ou diminuer l’obligation alimentaire.

Il convient de souligner que la faute qui prive ainsi la personne nécessiteuse n’est que celle qu’elle a pu commettre envers le prétendu créancier lui-même. Toute autre faute est sans incidence, même si elle est à l’origine du besoin. Cette exception ne peut jouer que pour l’obligation alimentaire simple.

B. La mise en œuvre de l’obligation alimentaire

L’obligation alimentaire n’existe, le plus souvent, qu’à l’état latent, à titre de vocation. Elle ne prendra corps que si l’un des parents ayant cette vocation se trouve réellement dans un état de nécessité matérielle, et si un autre de ses parents, lié à lui par un lien tel que ceux que nous avons décrits, dispose de ressources suffisantes pour lui venir en aide. Alors l’obligation alimentaire se matérialisera par une aide effective, qui d’ailleurs se poursuit lors du décès par la prise en charge des frais d’obsèques.

1. Le régime juridique de la mise en œuvre

L’article 690 du code de la famille du Burkina-Faso dispose que : « L’obligation alimentaire s’exécute normalement sous la forme d’une pension dont le montant est fixé en tenant compte des besoins de celui qui en est tenu… ». Les articles 732 du code zaïrois, 306 et 315 du code congolais, 386 du code béninois, abondent dans le même sens.

De ces dispositions sortent des éléments de détermination des règles de fixation de cette obligation. La pension alimentaire est fixée en considération de deux éléments eux-mêmes variables, qui constituent des paramètres : d’une part, il s’agit de l’état de besoin du créancier, d’autre part, du montant des ressources dont dispose le débiteur.

La première condition de fixation de cette obligation dépend de la situation du demandeur. Il n’y a pension alimentaire effective que si le créancier est dans un état de besoin. C’est là qu’intervient la différence de degré de l’obligation : en cas d’obligation « renforcée » (devoir de secours entre jeunes et aînés de la même famille et le devoir d’entretien des enfants envers les parents), une simple différence de niveau de vie suffira à mettre en jeu l’obligation. Les besoins dont le créancier peut demander la satisfaction sont tous ceux qui sont nécessaires à sa vie et à celle des personnes qui sont légalement à sa charge (la nourriture, le logement, les vêtements, les médicaments et les soins, et même les frais funéraires) [31].

La deuxième condition émane de la situation du débiteur. Le défendeur n’est tenu de la dette alimentaire que s’il est en mesure de l’assumer. Cette appréciation est faite selon un système d’évaluation réelle des ressources du défendeur et de ses besoins.

Les ressources du défendeur sont appréciées en tenant compte de l’ensemble de ses revenus, y compris les biens insaisissables, dans la mesure où ceux-ci, malgré ce caractère, peuvent être saisis par le créancier alimentaire. On ne saurait lui imposer de changer de métier pour une situation plus lucrative. Il revient alors au juge d’établir le montant réel [32].

Ces ressources doivent d’abord permettre au défendeur de faire face à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille qui sont déjà à sa charge. Les besoins du débiteur s’apprécient comme ceux du créancier en tenant compte de l’âge, de la santé, de la situation de famille et de ses proches, dans la seule mesure toutefois où il en résulte une diminution de ses charges. Ils incluent toutes dépenses utiles, tels que les remboursements d’emprunts.

Cette obligation juridique peut être fixée à l’amiable. Les pensions alimentaires peuvent faire l’objet d’engagements unilatéraux ou de conventions amiables réglant entre les intéressés leur montant et leurs modalités de paiement [33]. Ces conventions n’ont aucunement besoin d’être homologuées et n’obéissent non plus à aucune condition de forme particulière. Cependant, le caractère d’ordre public du droit aux aliments emporte que ces actes ne sont jamais définitifs. Il est toujours possible ensuite aux parties de solliciter une révision judiciaire en cas de modification de circonstances [34] ou simplement en raison d’une fixation inéquitable de la pension et une renonciation à demander la révision, même pendant un temps limité.

L’obligation alimentaire peut être également fixée par le juge.

Les modalités de l’aide familiale importent peu. L’aide peut être en nature ou en argent. L’aide effective peut tout d’abord prendre la forme d’une aide en nature, le débiteur prenant en charge les besoins du créancier. C’est sous cette forme que les enfants accomplissent leurs obligations d’entretien le plus souvent à l’égard de leurs parents. Ils les accueillent à la maison afin de veiller sur eux. Ce sont surtout les parents âgés.

S’il est plus économique pour le débiteur, il porte atteinte à l’indépendance des intéressés et peut être une source de heurts fréquents. Le débiteur d’aliments peut toujours proposer un autre mode de règlement comme celui de mettre à la disposition de l’aîné une villa.

Des paramètres peuvent faire varier l’obligation alimentaire. Ces paramètres qui ont été pris en considération au moment de la détermination du montant de la pension alimentaire peuvent venir à varier. C’est pourquoi on admet que la pension alimentaire n’est jamais irrévocablement fixée, mais est toujours susceptible d’être révisée. L’exécution de l’obli¬gation consiste le plus souvent dans la réalité à recevoir le parent dans sa demeure que le jeune nourrit et entretient [35]. Il est vrai que certains codes défendent qu’on puisse imposer au créancier d’aliments de recevoir le parent dans sa demeure [36]. De toutes les façons, le jeune peut exécuter son obligation en nature soit en recevant dans sa demeure le créancier d’aliments soit en lui fournissant cette aide en dehors de sa demeure. Il ne peut toutefois être contraint de recevoir dans sa demeure le créancier de l’obligation alimentaire [37].

Ces modifications s’effectuent soit à l’amiable, soit judiciairement, de la même manière que la fixation initiale, et toute renonciation au droit de demander pareille révision serait nulle [38].

L’obligation alimentaire, obligation extracontractuelle, est le type même d’obligation légale stricto sensu, car elle nait directement de la loi en dehors de toute faute et de tout fait du débiteur. Mais en raison de son caractère à la fois pécuniaire et familial, et de son but qui est l’entretien et la survie de son bénéficiaire, elle est soumise à un régime dérogatoire au droit commun des obligations.

L’obligation alimentaire est d’ordre public [39], car elle ne concerne pas seulement les intérêts privés du créancier, mais également l’intérêt général. Le législateur a pris diverses mesures pour assurer sa bonne exécution car celle-ci permet d’éviter que la collectivité n’ait à prendre en charge la personne dans le besoin. La survie des individus intéresse l’ordre public et la pension alimentaire qui la permet participe donc de cette nature. Il en résulte qu’il n’est pas possible de renoncer à l’avance à une pension alimentaire. Il est seulement possible de renoncer aux arrérages échus de la pension, mais en aucun cas au principe même de cette pension, ni aux versements futurs.

De même, la pension alimentaire est incessible [40] : il n’est pas possible à celui qui en a besoin pour survivre de céder la créance d’aliments qu’il détient. C’est la même idée qui explique que la pension alimentaire soit insaisissable. Par extension de la même idée, il a été décidé que les créances alimentaires ne sont pas soumises à l’obligation de déclaration de créances dans les procédures collectives, ni à la possibilité de remises dans les procédures de surendettement.

L’obligation alimentaire, en raison de son caractère personnel, n’est pas transmissible activement. Alors qu’en principe les héritiers succèdent aux droits du défunt, l’obligation alimentaire s’éteint à la mort du créancier d’aliments. Les héritiers ne peuvent pas, en cette qualité, demander au débiteur de continuer à leur verser une pension alimentaire. En outre, ce droit alimentaire étant exclusivement attaché à la personne du créancier d’aliments, les créanciers de ce dernier ne peuvent pas agir à sa place et en son nom par la voie de l’action oblique (art. 1166 C civ.) pour faire fixer ou augmenter le montant de la pension alimentaire.

Il est plus difficile de préciser dans quelle mesure le caractère personnel de l’obli¬gation alimentaire influe sur sa transmissibilité passive [41]. En principe, à la mort du débiteur alimentaire, ses héritiers et successeurs universels ne sont pas tenus de la dette d’aliments [42] sauf, le cas échéant, pour le paiement des arrérages échus. Les héritiers ne pourraient être tenus qu’à titre personnel en raison de leur propre parenté avec le créancier d’aliments et compte tenu de leurs ressources. Cependant, l’intransmissibilité passive de l’obligation alimentaire est exceptionnellement écartée dans certains cas bien définis [43].

Du caractère personnel, il résulte encore que le droit de demander la diminution ou la suppression d’une pension alimentaire est exclusivement attaché à la personne du débiteur et ne peut pas être exercé par ses créanciers en vertu de l’article 1166 du code civil [44].

L’obligation alimentaire est une dette portable. C’est dire que les aliments alloués en justice doivent être versés, sauf décision contraire du juge, au domicile ou à la résidence du créancier.

De même que le créancier ne peut renoncer par convention aux arrérages à échoir [45], il doit pouvoir réclamer tout arrérage dans un délai de 2 mois [46] ou 3 mois [47]. Le même juge a rappelé qu’en application de l’al 2 de l’article 271 du code sénégalais de la famille, qu’aucune somme ne peut être attribuée pour la période antérieure à la demande en justice [48].

Il peut arriver, en effet, qu’il ait pluralité de débiteurs d’aliments. Deux questions peuvent alors se poser : existe-t-il, d’une part, une hiérarchie entre les différents débiteurs possibles qui conduirait à s’adresser d’abord à l’un d’entre eux, puis, à défaut, à un autre, et ainsi de suite ? D’autre part, celui qui a versé spontanément des aliments peut-il disposer d’un recours contre les autres débiteurs ?

On ne saurait parler pour autant d’hiérarchie. La plupart des lois ont écarté toute idée de hiérarchie entre les différents débiteurs d’aliments [49]. Pour ces codes de la famille, si plusieurs personnes sont tenues de l’obligation alimentaire, le créancier d’aliments peut poursuivre indistinctement l’un quelconque d’entre les débiteurs car la dette alimentaire est solidaire entre débiteurs. Ainsi celui qui a été condamné, a un recours contre les autres débiteurs pour leurs part et portion. Ils peuvent aussi convenir de ce que les aliments seront payés à créancier commun par l’un d’entre eux moyennant une contribution de chacun. Il est alors possible de s’adresser aux petits-enfants plutôt qu’aux enfants. Mais il est à remarquer que la loi zaïroise fait obligation au codébiteur qui a été condamné à payer la pension à n’avoir aucun recours contre ses codébiteurs solidaires [50].

Cependant, la loi congolaise admet une limite à la liberté de choix du créancier d’aliments lorsque l’un des débiteurs est tenu d’une obligation spéciale ou « renforcée », il faut d’abord s’adresser à lui (art. 728). En pratique, il arrive souvent que l’un des frères et sœurs supporte à titre principal la charge des parents âgés.

2. Les sanctions de l’obligation alimentaire

Elles sont d’abord pénales. L’article 1er de la loi du 7 février 1924 modifié par la loi du 03 avril 1928 portant code pénal réprime au titre de l’« abandon de famille » le fait pour une personne condamnée à verser une pension alimentaire de demeurer volontairement 3 mois sans s’acquitter du montant intégral à charge. La peine est d’un emprisonnement de 3 mois à un an et d’une amende de 24.000 FCFA à 480 000 FCFA ou l’une de ces deux peines.

L’article 352 al 1 punit d’un emprisonnement de trois mois à un an et d’une amende de 4 000 FCFA à 240 000 FCFA le fait pour le débiteur de délaisser ou de faire délaisser dans un lieu non solitaire une personne âgée et donc incapable physiquement ou mentalement. Cette peine est doublée si les personnes sont les parents de cette personne âgée.

Un jeune, membre d’une famille, qui aurait délaissé ou fait délaisser ou exposé ou fait exposer son aîné dans un lieu solitaire jusqu’à ce qu’incapacité ou mort s’ensuive peut se retrouver puni d’une peine de travaux forcés (article 353 du code pénal).

De plus, ces délits peuvent donner lieu à des peines complémentaires : interdictions des droits civiques et civils, suspension du permis de conduire, interdiction de quitter le territoire. L’insolvabilité peut être une excuse. La récidive peut résulter d’une obstination à ne pas prendre en charge son « aîné » deux fois supplémentaires.

Les sanctions civiles ne sont entre autres que l’exécution forcée. Il existe ainsi plusieurs voies d’exécution de droit commun pour cette obligation alimentaire. Comme tout créancier d’une somme d’argent, le créancier d’aliments peut, s’il est muni d’une décision portant condamnation du débiteur récalcitrant, recourir aux voies d’exécution normales, c’est-à-dire aux saisies, sur les meubles ou immeubles du débiteur, ou sur les créances qu’il peut lui-même détenir sur des tiers (saisie-arrêt sur salaires, comptes bancaire…).

Le créancier peut agir à son choix devant le tribunal de son propre domicile ou devant celui du domicile du défendeur. En outre, la saisie est plus efficace en ce domaine car le créancier d’aliments peut saisir les biens normalement insaisissables, comme par exemple la fraction de rémunération du travail déclarée insaisissable.

En pratique, cependant, les voies d’exécution de droit commun ne sont pas toujours suffisamment efficaces car le créancier ne peut saisir les biens de son débiteur que lorsqu’il connait l’adresse de ce dernier ou celle de son employeur. En outre, les saisies supposent une action en justice qui entraine des frais souvent disproportionnés aux sommes à recouvrer d’autant que le créancier alimentaire ne jouit pas d’un privilège sur les autres créanciers. Ainsi les créanciers d’aliments rencontrent souvent de graves difficultés pour obtenir le paiement effectif de leur pension alimentaire par cette procédure, ce qui a conduit à instituer des voies d’exécution propre à la matière.

Il y a le paiement direct [51]. La procédure de paiement direct de la pension alimentaire sera recevable dès qu’une pension alimentaire fixée par une décision de justice devenue exécutoire n’aura pas été payée à son terme [52]. Cette procédure simple, rapide et peu onéreuse, consiste, sur simple intervention d’un huissier ou d’un greffier [53], à prélever directement « à la source », entre les mains d’un tiers, les revenus du débiteur. C’est une demande qui vaut, sans autre procédure et par préférence à tous autres créanciers attributaires ou bénéficiaires des sommes en font l’objet, au fur et à mesure qu’elles deviennent exigibles [54]. Cette procédure n’est admise que lorsque certaines conditions sont bien remplies.

En premier lieu, ceci ne concerne que les obligations entre parents et enfants, entre époux ou entre alliés.

En deuxième lieu, le recouvrement direct ne peut être utilisé que lorsque l’obligation alimentaire prend la forme d’une pension ou d’une rente. Seules les voies d’exécution de droit commun sont applicables lorsque le débiteur doit s’acquitter de son obligation par le versement d’un capital.

En troisième lieu, le paiement direct suppose, bien sûr, qu’un tiers soit débiteur de sommes liquides et exigibles envers le débiteur de la pension. Ce tiers, auprès de qui doit être faite la demande de paiement direct, peut être notamment, selon la loi, un «  débiteur de salaires, produits du travail ou autres revenus, ainsi que tout dépositaire de fonds  ».

Enfin, cette procédure de recouvrement ne peut s’appliquer que lorsque la pension alimentaire a été fixée par une décision judiciaire. Selon la plupart des lois [55] « la demande en paiement direct sera recevable dès qu’une échéance d’une pension alimentaire fixée par une décision de justice devenue exécutoire n’aura pas été payée à son terme… », sans qu’il y ait de sommation à délivrer ou de justification à fournir car c’est au débiteur de prouver ses paiements.

La mise en œuvre de cette procédure est réglementée de telle sorte que le créancier de la pension alimentaire peut charger tout huissier de justice du lieu de sa résidence de notifier la demande en paiement direct au tiers. Le bénéficiaire de la pension doit donner à cet huissier tous les renseignements en sa possession concernant le débiteur de la pension et le tiers (employeur, banque, etc.), ainsi qu’une copie de la décision judiciaire.

Ces recherches sont facilitées par la loi en vertu duquel toutes les administrations de l’Etat et des collectivités publiques, ainsi que les organismes de sécurité sociale ou de gestion de prestations sociales, sont tenus de réunir et de communiquer à l’huissier ou au greffier, en faisant toutes les diligences nécessaires, tous les renseignements dont ils disposent ou peuvent disposer permettant de déterminer l’adresse du débiteur de la pension alimentaire, et l’identité et l’adresse de son employeur ou de toute autre personne qui doit lui verser des sommes d’argent ainsi que de tout organisme dépositaire de fonds lui appartenant [56].

Le tiers débiteur doit accuser réception à l’huissier ou au greffier ou tout mandataire de la justice de la demande de paiement direct dans ce délai de jours suivants la notification, en précisant s’il est ou non en mesure d’y donner suite. La demande de paiement direct peut être contestée en justice, sans préjudice d’une action aux fins de révision de la pension alimentaire, mais cette contestation ne suspend pas l’obligation de paiement direct incombant au tiers débiteur [57].

Les effets de la demande de paiement direct sont précisés par les articles 696 al 1 du code burkinabè et 743 al 1 du code zaïrois selon lesquels « la demande vaut, sans autre procédure et par référence à tous autres créanciers, attribution au bénéficiaire des sommes qui en font l’objet au fur et à mesure qu’elles deviennent exigibles ». Dès la notification le tiers est ainsi personnellement tenu de payer au créancier d’aliments la dette de son débiteur [58]. Une compensation de créances ou un paiement fait par le tiers au débiteur d’aliments serait inopposable au créancier de la pension alimentaire. Cette procédure affecte toutes les créances du débiteur, même celles qui sont en principe insaisissables, comme la première fraction des salaires.

Le paiement direct de la pension alimentaire s’applique non seulement aux termes à échoir, mais aussi, le cas échéant, aux termes échus pour les trois derniers mois avant la notification de la demande [59]. Le créancier peut également avoir recours à une procédure de recouvrement public. Cette voie de recours consiste à demander l’aide de l’administration publique ou même à lui incomber de faire le recouvrement[Article 746 du code zaïrois.]].

Les règles précitées ne parvenant pas à améliorer suffisamment la situation des créanciers, les organismes d’allocations familiales peuvent être mises à contribution lorsqu’il s’agit de pensions alimentaires dues au titre de «  l’entretien de parents aînés  ».

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[1] MAZEAUD, Leçons de droit civil, t. I, 4ème Éd. n° 686.

[2] PLANIOL et RIPERT, Traité pratique de droit civil français, 2e Ed. 1952, t. II.

[3] KOUASSIGAN G.-A., Quelle est ma loi ? Tradition et modernisme dans le droit privé de la famille en Afrique Noire Francophone, Paris, Pedone, 1974, p. 199, cité par CODJOVI J-J, op. cit., p. 2.

[4] CARBONNIER J), Droit civil, 8e Ed., PUF, 1969, n° 1.

[5] MAURICE R., « Les effets de la parenté et de l’alliance en ligne collatérale », in RTDCiv. N° 2 de 1971, pp. 250-278, spéc. P. 251.

[6] SAVATIER R., « Une personne morale méconnue : la famille en tant que sujet de droit », in DH 1939, chron. 49 ; Le droit, l’amour et la liberté, 2e Ed, Paris, LGDJ. 1963, chap. 1er.

[7] ARMINJON, NOLDE et WOLFF, Traité de droit comparé, Paris, LGDJ, 1950, t. II, n° 566.

[8] SOSSON J., « Du devoir moral à l’obligation civile de fournir des aliments… Utilité actuelle et limites de la théorie et limites de la théorie des obligations naturelles », in Rev. Trim. Droit familial, n° 3, 1998, p. 509.

[9] TERRE F., Introduction générale au droit, 8e Ed., Paris, Dalloz, 2009, p. 17 ; SOSSA C.-D., Introduction à l’étude du droit, Ed. TUNDE, Cotonou, p. 21.

[10] SOSSON J., op. cit. p. 512.

[11] Idem.

[12] SOSSON J., op. cit.

[13] DE PAGE H., Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, vol. 4e Ed. revue par J.-P. MASSON, 1990, p. 482.

[14] SOSSA C.-D., Introduction à l’étude du droit, Ed. TUNDE, Cotonou, p. 21.

[15] GOBERT M., Essai sur le rôle de l’obligation naturelle, Paris, Sirey, 1957, p. 151.

[16] Article 1341 du code civil ; Cass. Civ. 27 mai 1862, D. 1862, p. 208.

[17] Article 1347 du code civil.

[18] Article 1348 du code civil.

[19] SOSSON J., op. cit.

[20] DE PAGE H., op. cit.

[21] HOLLEAUX G. cité par SOSSON J., op. cit.

[22] SOSSON J., op. cit., p. 525.

[23] SOSSON J., op. cit., p. 528.

[24] DUPEYROUX J.-J., « La transmissibilité

[25] Article 396 du code béninois de la famille

[26] Civ. Bruxelles, 10 juin 1920, B. J., 1920, p. 655.

[27] Article 391 du code béninois.

[28] GHESTIN J. et GOUBEAUX G., op. cit.

[29] SOSSON J., op. cit., p. 529.

[30] MARTY G., « L’obligation naturelle. Étude de droit français », in An. Fac. Dr. Toulouse, t. 8, fasc. 1, 1960, 57.

[31] Articles 385 du code béninois de la famille, 305 du code congolais de la famille, 717 à 719 du code zaïrois, 680 du code burkinabé de la famille ; 260 du code sénégalais de la famille.

[32] Articles 734 du code zaïrois, 312 al 2 du code congolais, al 3 de l’article 691 du code burkinabé de la famille, 398 al 3 du code béninois, 268 du code sénégalais de la famille.

[33] Articles 266 du code sénégalais de la famille ; 753 du code de la famille de la RDC et 311 du code congolais de la famille.

[34] Articles 734 du code zaïrois, 312 al 2 du code congolais, al 3 de l’article 691 du code burkinabé de la famille, 398 al 3 du code béninois, 268 du code sénégalais de la famille.

[35] Article 734 al 1 du code zaïrois.

[36] Article 734 al 3 du code zaïrois.

[37] Article 734 du code zaïrois.

[38] Req. 26 mai 1941, D. 1942. 133 ; Civ. 26 juin 1948, D. 1949. 129.

[39] Article 750 du code zaïrois.

[40] Articles 692 du code burkinabé, 399 du code béninois, 313 du code congolais, 751 du code zaïrois.

[41] DUPPEYROUX J.-J., « La transmissibilité passive des obligations alimentaires », in D. 1959, chron. 71.

[42] Civ. 10 mai 1955, JCP 1955. II. 8812.

[43] SAVATIER R., « Concours des héritiers ou du de cujus avec les créanciers alimentaires de la succession », in D. 1971, chron. 51 ; Civ. 29 mars 1950, D. 1950. 593.

[44] Civ. 29 juin 1948 D. 1949. 129.

[45] Article 750 al 2 du code zaïrois

[46] Articles 400 al 1 du code béninois et 271 al 1 du code sénégalais.

[47] Article 752 al 1 du code zaïrois. qui suivent son échéance sauf à établir que son inaction a une autre cause que l’absence de besoins. C’est dans ce sens que le juge sénégalais a retenu que cette prescription ne peut être appliquée à une grand-mère car celle-ci était dans l’ignorance des procédures[[TPI Dakar, 26 juillet 1977, OUSSEYNOU GUEYE RJS Crédila 1982, vol. 111, p. 49.

[48] CS n°31 du 15 mai 1976, Revue Edja, n°15 du 25 mai 1990, Ndiaye c/Loum.

[49] Civ. 2 janv. 1929. D. 1929. 1. 187 ; Articles 691 du code burkinabè, 398 du code béninois, 269 du code sénégalais, 312 du code congolais.

[50] Article 729 al 2 du code zaïrois.

[51] Articles 742 al 1 du code zaïrois, 694 du code burkinabè, 402 du code béninois.

[52] Articles 403 du code béninois, 695 du code burkinabè.

[53] Article 746 al 1 du code zaïrois.

[54] Article 697 du code burkinabè.

[55] Articles 742 al 2 du code zaïrois, 695 du code Burkinabè, 403 du code béninois.

[56] Articles 747 du code zaïrois, 701 du code burkinabè.

[57] Articles 698 du code burkinabè, 744 du code zaïrois.

[58] Articles 696 al 2 du code burkinabè et 743 al 2 du code zaïrois.

[59] Article 699 du code burkinabè.

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