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Perspectives du vieillissement démographique au sud de la Méditerranée

Aspects démographiques et socio-économiques. Réalités et phantasmes

Youssef COURBAGE, Directeur de recherche, INED, France

Dans ma présentation, je cherche à montrer à la lumière des données démographiques les plus récentes, que le phénomène du vieillissement démographique dans les pays du Sud est certes une réalité inéluctable à l’horizon des prochaines décennies, mais que ses conséquences néfastes sont largement surestimées et pèsent peu au vu des bénéfices attendus de la transition démographique.

Les projections démographiques récentes, quelles que soient leurs sources (nationales, onusiennes, américaines ou celles de la Banque mondiale ou de chercheurs individuels), remettent désormais toutes en question l’image de croissance explosive, longtemps attachée aux populations arabes ou musulmanes des pays de la rive Sud de la Méditerranée. Elles montrent que la transition de la fécondité est bien engagée, que les indices convergent avec ceux du Nord. Certes les performances ne sont pas rigoureusement les mêmes : les pays du Maghreb, Tunisie et Maroc sont plus avancés que certains pays du Proche-Orient comme l’Égypte, la Syrie ou le Maroc. Des inversions remarquables sont cependant à signaler entre le Sud et le Nord : la fécondité de pays comme le Liban (1,6), l’Iran (1,8) ou la Tunisie (2,05) sont plus basse ou équivalentes à celle de la France : 2,02 enfants par femme. Ces résultats remarquables sont principalement le fruit de la montée de l’instruction et de l’érosion de l’analphabétisme, d’abord chez les jeunes garçons assez tôt suivis par les filles. Or, l’instruction est de très loin le déterminant social le plus efficace de la transition de la fécondité.

1. Le vieillissement est-il un problème ? Oui, si seule la démographie est considérée

On peut broder à l’infini sur le concept de vieillissement et sur la limite d’âge qui nous fait basculer d’adulte à « vieux » ou plus pudiquement à « personne âgée ». La limite de 60 ans paraît trop basse. De surcroît les progrès dans l’amélioration de la quantité et surtout de la qualité de vie au-delà de 60 ans inciteraient à repousser plus loin cette limite. L’âge de 65 ans semble être le compromis minimal.

Si la rive sud de la Méditerranée va de plus en plus ressembler à la rive nord, ceci portera aussi sur le phénomène du vieillissement et ses effets désastreux. La croissance des 65 ans et plus dans les 4 prochaines décennies sera phénoménale : une multiplication par 3 fois au moins (Liban), 4 à 7 dans les cas les plus sévères (Libye, Palestine, Syrie). Dans la rive Nord, entretemps la population âgée n’aura que doublé en valeurs absolues.

De moins de 5%, les 65 ans et plus dépasseront 15%, parfois 20% (Tunisie, Liban). Il y aura donc une forte convergence avec le Nord : 28% en moyenne de 65 ans et plus. Mais l’indice le plus critique est le taux d’accroissement des 65 ans et plus. Dans les prochaines décennies, l’on n’aura pas d’« explosion démographique » ou de « baby boom » comme dans les années 60 mais un « grey boom » (explosion grise). Rarement moins de 3% de taux d’accroissement annuel, plutôt 4%, parfois 5 à 6% (Syrie, Palestine) pour les pays où la transition démographique a le moins avancé.

2. Non, si les facteurs extra-démographiques sont pris en compte

La famille restera le principal pourvoyeur de biens et services pour pourvoir aux besoins des personnes âgées :-ménages étendus, multi-générationnels-ménages nucléaires amis avec une proximité résidentielle (ménages pseudo nucléaires) -rencontres fréquentes avec les enfants sur base journalière, hebdomadaire ou mensuelle-transferts en argent ou en nature. La famille restera l’institution privilégiée pour répondre aux besoins des personnes âgées ; une différence profonde entre les rives nord et sud. Il ne s’agit pas seulement d’une question de stade de développement, de niveau de vie. Il s’agit aussi d’une donnée anthropologique et culturelle profondément inscrite dans l’inconscient des populations. On notera à ce propos que les pays arabes malgré des écarts énormes dans leurs indicateurs de développement ressemblent par cette donnée anthropologique fondamentale aux pays d’Extrême-Orient où les très fortes avancées économiques et socioculturelles n’ont pas entamé sérieusement les constituants de la solidarité intergénérationnelle et de l’assistance aux personnes âgées.

3. Les bénéfices attendus de la nouvelle démographie du sud de la Méditerranée

On les appelle « Fenêtre démographique d’opportunités » ou « bonus démogra-phique » : une proportion plus élevée de la population sera en activité, donc une forte potentialité pour augmenter l’emploi productif, l’accumulation du capital et le PIB.

Autre conséquence : l’inversion de sens des courants migratoires. Le principal motif d’émigration est le manque d’emplois ou d’emplois correctement rémunérés, dans un contexte d’accroissement rapide des demandeurs d’emploi. La décélération de ces demandeurs aura un impact sur la migration internationale : moins de motivation pour un Maghrébin ou un Turc à émigrer en Europe.

La transition démographique contribuera à l’accélération du processus de modernisation : démographique (coût d’opportunité d’un enfant additionnel pour les femmes actives), sociale (sortie des femmes du giron familial) et politique (entrée dans la force de travail précède leur entrée dans la sphère politique). On anticipe une augmentation d’au moins 50% des taux d’activité féminins à l’horizon 2050.

Les entrées nettes sur le marché de l’emploi présenteront dès cette décennie un aspect moins menaçant pour les équilibres économiques et politiques, avec la décélération des demandeurs d’emploi au fil des années.

Prenant de cours ce vieillissement dont les effets délétères sont exagérés, la modification de la structure par âge se traduira par des opportunités accrues dans le domaine économique. La productivité du travail sera la principale bénéficiaire du passage de la quantité à la qualité. Chaque enfant, une fois entré dans la population active aura la capacité de transférer plus en argent ou en nature à ses parents vieillissants, limitant ainsi l’impact du vieillissement (ainsi qu’il a été démontré dans les cas de l’Asie (Thaïlande), où la transition démographique a été plus précoce que dans la rive Sud de la Méditerranée). Une simulation effectuée sur le Maroc avait montré la résistance de la solidarité intergénérationnelle à la baisse de la fécondité.

Le ralentissement des investissements démographiques par rapport aux investissements économiques, permettra d’élargir la sphère productive et la création d’emplois. En outre, le secteur de l’éducation, moins malmené par les formidables arrivées à l’âge d’accès à l’enseignement primaire, les 6-7 ans pouvant croître au rythme infernal de 4% par an, profitera de la baisse de pression, permettant l’allongement de la durée des études et l’amélioration de leur qualité.

La baisse du taux de natalité signifie à terme la croissance des segments d’âge de la population à plus forte propension à épargner, ce qui augmente le taux national d’épargne. La transition démographique se traduira aussi par une diminution de la répartition du revenu national entre catégories sociales.

En conclusion, la transition démographique comporte indubitablement des facteurs de risque, le vieillissement démographique étant l’un des plus sérieux. Cependant, il faut être conscient du fait que ses avantages dépasseront largement ses inconvénients.

Diaporama de présentation

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VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION DANS LES PAYS DU SUD

Famille, conditions de vie, solidarités publiques et privées... État des lieux et perspectives

ACTES DU COLLOQUE INTERNATIONAL DE MEKNÈS

Maroc 17-19 mars 2011