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La coexistence des générations dans les pays du Sud, quelles évolutions ?

Sophie PENNEC et Joëlle GAYMU, Institut National d’Études Démographiques (INED), France.

Résumé

Aborder la retraite en étant à la fois enfant, parent et grand-parent est devenu courant dans nombre de pays occidentaux : avec une fécondité oscillant autour de 2 enfants par femme et une espérance de vie à la naissance de l’ordre de 80 ans, les familles à 4 voire 5 générations se sont multipliées. Derrière cette évolution se pose le problème de la solidarité intergénérationnelle à laquelle doit faire face la génération intermédiaire soutien à la fois de ses enfants et de l’apparition des handicaps de ses parents âgés.

Dans les pays du Sud, la solidarité à l’égard des plus âgés peut éventuellement reposer sur un réseau familial plus large, les collatéraux se substituant parfois aux descendants directs.

L’objectif de cette communication est d’évaluer l’étendue du réseau de parenté auquel les personnes âgées peuvent faire appel en cas de besoin. Différents régimes démographiques illustrant la diversité actuelle des pays du Sud seront pris en exemples : fécondité de 6 à 7 enfants par femme et espérance de vie de l’ordre de 50/60 ans (Burkina Faso, Mali, Nigéria…), fécondité de 4 à 5 enfants par femme et espérance de vie d’environ 60/70 ans (Soudan, Ghana, Laos…) et fécondité de 2 à 3 enfants par femme et espérance de vie de 70/80 ans (Maroc, Algérie, Pérou, Brésil…). On s’efforcera de montrer comment la combinaison de niveaux de fécondité et de mortalité différents intervient sur les probabilités d’être, aux divers âges de la vieillesse, un des maillons d’une lignée familiale plus ou moins étendue (1, 2, 3, 4 voire 5 générations) et modèle différemment la taille de l’environnement familial. Ces analyses ont aussi une dimension prospective : comment les baisses attendues de la fécondité et de la mortalité dans la plupart des pays du Sud vont-elles dans l’avenir transformer les configurations familiales ?

Méthodes

Un modèle de microsimulation incluant l’âge, le sexe, la mortalité, la fécondité et la nuptialité sera utilisé. L’un des intérêts majeurs de cette méthode pour les démographes est qu’elle permet d’étudier le réseau familial grâce à la possibilité qu’elle donne d’intégrer tous les liens familiaux possibles (Imhoff and Post, 1997 ; Le Bras, 1973 ; Pennec, 1997 ; Tomassini and Wolf, 2000). Ce type de modèle a les avantages d’une enquête biographique sans avoir l’inconvénient de devoir attendre le décès des individus pour pouvoir collecter les données nécessaires. Pour chaque personne que l’on observe, on construit les différents maillons de son entourage familial à partir des données de fécondité et de mortalité. Ces maillons vont du conjoint aux cousins germains en passant par les enfants, petits-enfants, frères ou sœurs, neveu ou nièce, oncle et tante. Pour qu’une personne appartienne à une famille de x générations, il suffit qu’il y ait au moins un représentant vivant de chaque génération.

Les sources utilisées ici, en ce qui concerne la fécondité, sont issues des « Enquêtes Démographiques et Santé » (DHS). La fécondité est simulée à partir de la distribution du nombre d’enfants par femme, de l’âge à la première naissance et de l’intervalle inter¬génésique. Quant à la mortalité, nous avons utilisé les tables de l’OMS.

Quelques résultats

On a montré combien la fécondité et la mortalité modelaient différemment les contextes familiaux avec l’avance en âge des personnes. A 60 ans, elles appartiennent plus fréquemment à des familles comprenant plus de générations au Brésil ou au Maghreb que dans les pays sud sahariens essentiellement en raison de la survie plus fréquente de leurs propres parents : elles doivent donc plus souvent remplir un rôle de soutien. A 80 ans, à l’inverse, les individus se retrouvent plus souvent dans des lignées familiales moins étoffées : il y a à la fois moins de familles à 5 générations et plus de personnes sans descendants dans ces pays qu’au Mali et donc un plus fort risque de ne pas avoir d’aidant en cas de besoin. De surcroît quel que soit l’âge, la taille du réseau familial y est beaucoup moins importante dans et ce, quel que soit l’étendue des liens de parenté pris en compte. Par exemple, les personnes âgées de 80 ans comptent environ 10 personnes dans leur entourage direct au Brésil contre plus de 30 au Mali. On pourrait en conclure un peu rapidement que les contextes familiaux du vieillissement sont moins bonnes dans les pays à faible fécondité et forte mortalité, ce serait oublier une autre inégalité fondamentale : sur 100 naissances, avec les conditions de mortalité actuelles, au Brésil 60 personnes auront la chance de fêter leur 80 è anniversaire, 44 en Égypte alors que seules 24 au Gabon et 19 au Mali seront dans ce cas.

Quelques références

Imhoff Evert Van, Post Wendy, 1997, Méthodes de micro-simulation pour des projections de population. Population (French Edition), 52 (4, Nouvelles approches méthodologiques en sciences sociales), p. 889-932.

Le Bras Hervé, 1973, Parents, grand-parents, bisaïeux. Population, 28 (1), p. 9-38.

Pennec Sophie, 1997, Four-Generation Families in France. Population an English Selection, 9, p. 75-100.

Tomassini Cecilia, Wolf Douglas A., 2000, Shrinking Kin Networks in Italy Due to Sustained Low Fertility. European Journal of Population, 16 (4), p. 353-372.

VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION DANS LES PAYS DU SUD

Famille, conditions de vie, solidarités publiques et privées... État des lieux et perspectives

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