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Rapport final du colloque

Muriel SAJOUX, Université de Tours, CITERES UMR 6173, Équipe Monde Arabe et Méditerranée (EMAM), France.

En premier lieu je tiens à remercier les présidents et rapporteurs pour la rédaction des synthèses des différentes séances et ateliers. Ces synthèses nous ont permis, à mes collègues du Comité d’organisation et à moi-même, d’identifier des dimensions et questionnements fréquemment abordés de manière transversale. Néanmoins, je ne prétends nullement ici à l’exhaustivité du fait de la richesse des échanges et des débats qui ont eu lieu durant ces deux jours et demi.

C’est en effet un colloque fort riche qui s’achève aujourd’hui et qui constitue, à notre connaissance, le premier colloque en langue française intégralement consacré aux questions et enjeux liés au vieillissement de la population dans les pays du Sud. Cette richesse apparaît notamment à travers les éléments suivants :

  • Sur 2 jours et demi, outre les conférences introductives prononcées durant la séance d’ouverture scientifique du colloque, ce sont 66 communications qui ont été présentées (sur 75 programmées).
  • Les participants sont issus de 20 nationalités différentes, ce qui a pleinement confirmé la dimension internationale du colloque.
  • Au total, il a été enregistré près de 200 participants.
  • La richesse du colloque n’est pas seulement reflétée par ces éléments "quantitatifs" ; en effet, le caractère pluridisciplinaire affirmé du colloque en est une composante majeure.

Ce dernier point, la pluridisciplinarité, est un point fort du colloque car le dialogue entre chercheurs de disciplines différentes est une source d’enrichissement des questionnements grâce à la mobilisation de regards croisés. Mais, parfois, cela a également pu être source de difficultés mutuelles à se comprendre car derrière l’utilisation de termes a priori identiques ce sont en fait des notions différentes qui sont abordées. Ainsi, un effort de définitions de termes clés est apparu nécessaire à de multiples reprises au cours des différents débats. A titre d’exemples, je mentionnerai qu’il en a été ainsi des termes vulnérabilité, précarité, isolement social, altruisme, générosité (des individus ou des systèmes de retraite).

Les différents travaux présentés, ainsi que les débats qu’ils ont générés, indiquent que les concepts d’âge, de vieillesse et de vieillissement doivent être problématisés pour enrichir les recherches et réduire les confusions.

La notion même de personne âgée est relative, elle est socialement construite et dépend de multiples facteurs. Elle dépend bien entendu de facteurs démographiques dans la mesure où la notion de personne âgée va varier suivant les conditions de mortalité (et donc suivant le niveau de l’espérance de vie à la naissance, mais également suivant le niveau de l’espérance de vie "aux grands âges", cette dernière expression désignant elle-même des âges différents suivant le contexte étudié) prévalant dans le pays ou la région considérée. Mais d’autres éclairages sont bien entendu nécessaires pour comprendre comment se construit cette notion de personne âgée, en particulier des éclairages issus d’approches anthropologiques.

En dépit des possibles difficultés de compréhensions entre chercheurs de disciplines différentes, l’approfondissement du dialogue interdisciplinaire autour des questions de la vieillesse et du vieillissement dans les pays du Sud est plus que jamais nécessaire. Ce dialogue est en effet indispensable pour pouvoir face à la responsabilité sociale de la communauté scientifique mentionnée par Pierre Signoles lors de la séance inaugurale. Les chercheurs en sciences humaines et sociales ont en effet un rôle essentiel à jouer pour sensibiliser et convaincre les pouvoirs publics de la nécessité d’anticiper sur les réponses à apporter aux enjeux soulevés par le vieillissement de la population dans les pays du Sud. Ceci est d’autant important que le vieillissement démographique dans les pays du Sud sera, comme cela a été souligné à plusieurs reprises durant le colloque, bien plus rapide qu’il ne l’a été dans les pays du Nord.

Je tiens également à souligner un autre point fort du colloque : la mise en regard d’expériences différentes dans des contextes socioculturels et socio-économiques très diversifiés. Cela pose la question cruciale de l’éventualité du transfert de dispositifs et politiques mis en œuvre dans des contextes spécifiques. Les expériences accumulées en la matière dans les pays du Nord, ainsi que des expériences novatrices mises en place dans différents pays du Sud, m’incitent à reprendre une formulation proposée par Michel Loriaux : "entre l’application directe d’un système exogène très différent et le maintien d’un système traditionnel, toutes les nuances sont possibles avec des effets sur la situation des personnes âgées qui risquent cependant d’être très différents". La question du transfert des pratiques, de l’adaptation des pratiques est une question fondamentale.

Parmi les grands axes de questionnements ayant été abordés durant ce colloque figure en bonne place le thème des solidarités familiales : le débat est posé mais non tranché. Il y a en effet deux positions extrêmes. Soit les solidarités familiales restent considérées comme jouant toujours un rôle fort d’amortisseur des difficultés de diverses natures que rencontrent les personnes âgées ; soit elles sont considérées comme étant en train de s’éroder voire de disparaître dans certaines situations ou contextes. Une troisième voie mériterait certainement d’être davantage explorée et analysée qu’elle ne l’est actuellement, une sorte de position médiane visant à rendre compte de la recomposition, de la transformation des solidarités familiales.

Une telle posture permettra d’approfondir la compréhension des relations intergénérationnelles autour des personnes âgées pour pouvoir cibler à travers des politiques publiques adaptées les situations de précarité.

Poursuivre cette direction en matière de recherche en sciences humaines et sociales est fondamental compte tenu du fait que, comme l’a souligné Michel Loriaux lors de la séance inaugurale, la question la plus préoccupante est sans doute celle des relations intergénérationnelles dans la mesure où les sociétés vieillissantes sont d’abord des sociétés multigénérationnelles et multiculturelles.

La co-existence harmonieuse des multiples générations, au niveau des sociétés dans leur ensemble et pas uniquement au niveau des familles, soulève plusieurs questionnements :

  • La question de la transmission des savoirs.
  • La question du développement de nouveaux métiers répondant aux nouveaux besoins émergeant dans les sociétés du Sud suite au vieillissement de la population. Les niveaux de qualification concernés vont certainement s’avérer très diversifiés et non uniquement centrés sur les métiers d’aide directe aux personnes âgées. Le développement de différents métiers, à diverses échelles de qualification, pourra potentiellement révéler des gisements d’emplois à même de répondre aux besoins spécifiques des plus âgés et de leur entourage. Cette piste de réflexion est d’une importance majeure, d’autant que plusieurs travaux présentés durant le colloque, mais aussi certaines des interventions des acteurs institutionnels qui sont intervenus ce matin, ont mentionné l’insuffisance, tant sur le plan quantitatif que qualitatif, de personnel présentant les qualifications adaptées à l’émergence de ces nouveaux besoins.
  • Il y a également une autre piste qui semble susceptible de favoriser la coexistence harmonieuse entre générations : mettre davantage en exergue le rôle pivot des personnes âgées dans les solidarités familiales. Ce rôle peut se décliner de différentes manières bien entendu. Dans certaines situations, ce sont les personnes âgées elles-mêmes qui sont pourvoyeuses de ressources financières permettant la prise en charge, totale ou partielle, d’autres membres de la famille (adultes ou jeunes au chômage, enfants, petits-enfants, neveux et nièces, …) qui se trouvent alors en situation de « dépendance » vis-à-vis des aîné(e)s.
  • Un autre élément a été fréquemment interrogé et sa connaissance et sa compréhension méritent d’être approfondies : il s’agit de la cohabitation intergénérationnelle. Comme cela a été démontré à plusieurs reprises, cette cohabitation peut favoriser l’expression de diverses formes d’entraide. Cependant, la cohabitation ne doit pas être automatiquement assimilée à un gage de bien-être des personnes âgées car, même en cohabitant dans un ménage composé de plusieurs générations, il peut arriver que les membres du ménage ne soient pas en mesure, pour des raisons diverses, de faire face aux besoins spécifiques de l’aîné(e).

Les nombreux débats ayant jalonné le colloque ont également souligné la nécessité de mettre en relief l’hétérogénéité de la population âgée ; derrière cette appellation "globalisante" (les « personnes âgées ») se profilent en fait différentes "catégories" de personnes âgées. Quelques travaux ont mis en relief le caractère hétérogène de la population âgée en distinguant notamment les personnes âgées pensionnées des personnes âgées non pensionnées (avec des distinctions au sein même de la population des personnes âgées pensionnées). Parfois des distinctions ont permis de faire ressortir la situation spécifique de personnes âgées ayant vécu une longue partie de leur période de vie active en dehors de leur pays d’origine et revenant de manière définitive ou périodique vivre leurs vieux jours dans leur pays d’origine. Mais de multiples catégories sociales gagneraient à être construites pour rendre compte du caractère pluriel de cette population âgée.

Le caractère hétérogène de la population âgée pourra d’autant mieux être documenté que les approches quantitatives, tout à fait indispensables, seront croisées/couplées à la réalisation d’enquêtes qualitatives qui permettront de mieux identifier les déterminants des conditions de vie des personnes âgées. Cet aspect est d’autant plus important que mieux connaître ces déterminants permettra de mieux comprendre les besoins des personnes âgées, besoins qu’il faut prendre en compte pour pouvoir élaborer des politiques et des programmes sociaux adaptés aux réalités de vie des individus âgés et de leur entourage.

La prise en compte de l’évolution de la structure par âges de la population âgée sera de plus en plus nécessaire au fur et à mesure que le vieillissement démographique s’accentuera dans les pays du Sud, à un rythme très rapide comme l’ont souligné les trois intervenants de la séance inaugurale. De ce fait, la distinction entre "troisième âge" et "quatrième âge", appelée parfois distinction entre "jeunes vieux" et "vieux vieux", ou bien encore entre "jeunes aînés" et "grands aînés", s’imposera peu à peu dans le cadre de réflexion sur la vieillesse dans les pays du Sud.

Par ailleurs, la définition de politiques de la vieillesse adaptées passe notamment, comme l’ont fait ressortir plusieurs travaux, par la prise en compte des rapports de genre.

En résumé, nous avons beaucoup travaillé durant ces trois jours mais, au regard de l’ampleur des champs encore méconnus sur la vieillesse et le vieillissement au Sud, il convient de continuer à travailler en favorisant le dialogue de manière triple : dialogue interdisciplinaire, dialogue interculturel (Nord-Sud mais aussi Sud-Sud), dialogue communauté scientifique/acteurs de terrain chargés de la mise en œuvre des politiques publiques.

Parmi les éléments susceptibles d’aider la communauté scientifique à œuvrer dans ce sens, le comité d’organisation, sous l’impulsion de William Molmy [1], souhaite formuler la proposition suivante : réactiver le réseau initié par le CEPED, réseau portant sur la Vieillesse et le Vieillissement dans les pays du Sud. Une piste à envisager pourrait être de privilégier la construction d’un réseau entre institutions du Nord et du Sud développant des recherches sur cette thématique, ce qui revient à proposer la création d’un réseau international institutionnel. Un site internet pourrait alors être mis en place pour assurer la lisibilité du réseau avec la possibilité pour chaque institution constitutive du réseau de diffuser aisément, sous la responsabilité d’un comité éditorial, des informations relatives à des manifestations scientifiques, parution de travaux… Un tel outil pourrait participer à la mise en œuvre concrète d’une veille scientifique sur ce thème.

Pour finir, je tiens à mentionner deux autres aspects caractéristiques du colloque qui s’achève aujourd’hui. D’une part, la spécificité de la première séance de ce samedi matin mérite d’être soulignée : le dialogue entre professionnels/acteurs de terrain (chargés de la mise en œuvre des politiques publiques auprès des personnes âgées) et chercheurs n’est pas toujours présent dans les colloques scientifiques. Or ce dialogue est indispensable pour que les approches théoriques et conceptuelles des chercheurs soient confrontées aux réalités de terrain que connaissent les professionnels et à l’analyse qu’ils en font. La prise en compte des expériences des professionnels et des acteurs de terrain permettra de capitaliser de manière efficace les connaissances relatives aux pistes concrètes à entrevoir pour faire face aux enjeux soulevés par le vieillissement démographique très rapide que vont connaître les pays du Sud. Je tiens à remercier de manière appuyée les différents intervenants ayant accepté de participer à cette séance.

D’autre part, la dimension culturelle du colloque mérite également d’être soulignée. Cette dimension est apparue à travers l’exposition de photographies de Kristin Ritsert, exposition intitulée "Les portes s’ouvrent : portraits des aîné-e-s marocain-e-s". Je tiens à adresser à nouveau les remerciements du comité d’organisation à Isabelle Jacquet pour nous avoir permis de disposer de ces portraits de personnes âgées durant le colloque. Par ailleurs, l’exposition simultanée de travaux d’étudiants de la Faculté des Sciences Juridiques Économiques et Sociales de Meknès, dont des portraits de personnes âgées et des photographies saisissant des images fortes et porteuses de sens, a renforcé cette dimension culturelle. Cette dernière a également été nourrie par la projection du film Tameksaout d’Ivan Boccara, film ethnographique de grande qualité qui a été très apprécié par l’assistance. Je tiens à remercier mon collègue Laurent Nowik [2] pour nous avoir permis de disposer de ce film. Je remercie également, au nom du Comité d’organisation, Ivan Boccara pour avoir accepté que son film soit projeté durant le colloque.

Je vous remercie pour votre attention et formule le souhait qu’un prochain colloque de ce type ait lieu d’ici quelques années de manière à permettre aux chercheurs de mutualiser et d’échanger autour de leurs avancées en matière de recherche sur la vieillesse et le vieillissement dans les pays du Sud.

[1] Directeur adjoint du CEPED, UMR 196 Paris Descartes-INED-IRD.

[2] Maître de Conférences, Université de Tours, CITERES UMR 6173 – Équipe Construction sociale et politique des territoires (COST).

VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION DANS LES PAYS DU SUD

Famille, conditions de vie, solidarités publiques et privées... État des lieux et perspectives

ACTES DU COLLOQUE INTERNATIONAL DE MEKNÈS

Maroc 17-19 mars 2011