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Genre, migrations et vieillissement de la population rurale au Cameroun

Achille PINGHANE YONTA, Université de Yaoundé I, Cameroun

Introduction

Les questions de population sont d’une importance capitale dans l’analyse socio-économique d’un pays. La structuration de la population par tranche d’âge, par sexe et par lieu de résidence requiert une attention particulière dans l’appréhension des politiques et des chercheurs, en ce sens que les mouvements des populations sont à la base des mutations et restructurations sociales importantes dans la conception et la mise en œuvre des politiques de développement.

La répartition de la population camerounaise dans les zones rurales et urbaines est très disparate et résulte de la définition donnée aux notions de « ville » et du « village ». Selon les données du dernier recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) en 2005, la population camerounaise était de 17 463 836 habitants, dont 8 514 938 urbains et 8 948 898 ruraux, pour un taux d’urbanisation de 48,8%. Le critère de définition de la ville par la présence d’une circonscription administrative est certes d’un intérêt capital, mais regorge des insuffisances en ce sens que, la ville renvoie à un mode de vie, une architecture particulière et à la présence des unités de production économique qui confèrent à sa population active de nombreuses opportunités d’exercice d’une activité professionnelle dans les secteurs tertiaire et/ou secondaire. Ce sont ces caractéristiques qui permettent de distinguer aisément la ville du village en contexte camerounais.

Les mouvements de migration des jeunes des campagnes vers les villes (exode rural) et les migrations retour des urbains vers les villages sont des phénomènes explicatifs du vieillissement de la population rurale au Cameroun. Ces deux mouvements migratoires sont aux fondements de cette analyse sur la population rurale camerounaise. La répartition inégale de la population en milieux urbain et rural peut-elle engendrer des incidences sur la société ? Les mouvements migratoires ne créent-ils pas des problèmes dans différents milieux, et surtout en milieu rural ? La prise en charge des ruraux est-elle autocentrée ou dépendante des facteurs externes ? Quelle est la place des rapports de genre dans l’explication des mouvements migratoires et dans la prise en charge des personnes âgées ?

Cette communication ressort, à partir d’une analyse qualitative des données collectées sur le terrain, une certaine ségrégation des espaces en une dichotomie : vieillards = milieu rural et jeunes = milieu urbain. Cette réflexion s’appuie sur l’analyse stratégique pour montrer les stratégies développées au quotidien par différents acteurs, jeunes ou vieillards, homme ou femme, afin de consolider leur point de vue ou leur choix résidentiel, leur motivation pour la migration. La théorie des représentations sociales permet de comprendre la problématique du statut du jeune citadin et du jeune rural dans l’optique de schématiser les normes et les valeurs non formelles qui conduisent à la division des espaces ruraux et urbains entre les jeunes et les vieillards. L’analyse porte essentiellement sur les facteurs explicatifs du vieillissement de la population rurale au Cameroun, les mutations sociales inhérentes aux mouvements migra¬toires.

A – Les facteurs explicatifs du vieillissement de la population rurale au Cameroun

Trois principaux facteurs peuvent rendre compte du vieillissement de la population rurale au Cameroun : l’exode rural, les migrations retour et les représentations sociales sur la ville et le village.

1 − L’exode rural

L’exode rural peut être considéré comme le principal facteur explicatif du vieillis¬sement de la population rurale au Cameroun. Le milieu rural, ayant pour activités principales l’agriculture, connaît des conflits entre les jeunes et les vieux, obligeant les premiers à déserter les campagnes à la recherche d’un emploi ou par simple suivisme.

a – Les conflits entre les jeunes et les vieux (conflits de générations)

Les cultures d’exportation ont connu un essor considérable au Cameroun au cours des dernières décennies. Le cours des prix, qui allait toujours croissant, a provoqué une augmentation de la valeur que les paysans accordaient à la propriété foncière. De ce fait, les vieillards ont cessé d’offrir des parcelles de grande superficie à leur progéniture. Non seulement les jeunes étaient surexploités dans les plantations des cultures d’exportation, mais et surtout la rétribution n’était pas proportionnelle aux travaux effectués. Cette situation a généré un conflit entre les jeunes et les vieux au point où les relations de travail devenaient de plus en plus contractuelles que communautaires. L’insatisfaction des jeunes et le souci de devenir autonome ont initié les mouvements migratoires des jeunes vers les villes à la recherche d’un emploi. En ce sens, Christophe Guilmoto (1997 : 522) écrit : « pour les jeunes (…), la migration est souvent en contexte africain une stratégie d’initiation ou d’émancipation ».

b – La recherche d’un emploi ou d’une insertion professionnelle

Les revenus générés par les cultures d’exportation n’ont pas toujours servi à l’encadrement des jeunes en milieu rural. La montée du capitalisme agraire, dans un contexte de forte polygynie, a non seulement déstructuré l’éducation différentielle, mais a surtout initié des familles matricentrées où la mère n’est toujours pas à mesure d’assurer toutes les charges des enfants. Pour pallier toutes ces difficultés, les jeunes optent pour des déplacements en ville où ils comptent trouver un emploi dans le secteur secondaire ou tertiaire. Il est question pour ces derniers d’aller en ville « vendre » aux entreprises publiques et privées leur force de travail, afin d’assurer leur quotidien et dans certains cas venir en aide aux nécessiteux de la famille.

Les conditions d’intégration des jeunes en provenance des zones rurales ne sont pas toujours faciles en raison du manque de formation. Ces derniers ne disposent d’aucune qualification à la base et constituent de ce fait une main d’œuvre bon marché. C’est pour cette raison qu’ils sont dans l’obligation d’accepter n’importe quelle offre. Les relations entre les employeurs et ces jeunes employés, étant essentiellement capitalistes, les premiers exploitent et surexploitent les seconds, tant en termes des heures de travail que de l’énergie à fournir.

Les entreprises capitalistes connaissent de plus en plus des recrutements à caractère tribal. Les employeurs, qui constituent l’élite économique des villages, procèdent à une instrumentalisation de la jeunesse en offrant des emplois à celle-ci. Dans la réalité, la main d’œuvre tribale ou encore la régionalisation des employés permet dans une certaine mesure un meilleur contrôle, assure l’asservissement et surtout une faible rémunération. L’élite économique use des relations villageoises pour exploiter les jeunes de telle sorte que les problèmes entre un jeune et son employeur se règlent non au lieu du service, mais plutôt au village en présence des parents. Par ailleurs, l’élite économique use aussi de l’argument de « lutte contre la pauvreté et le chômage » dans leurs villages par la tribalisation des recrutements lors des campagnes politiques.

c – Le suivisme et le mimétisme

Le mimétisme est un puissant facteur de migration des jeunes vers les centres urbains. La rencontre entre les jeunes ruraux et urbains est généralement de nature à stimuler chez les premiers un reniement de leur milieu de vie (village), et par conséquent une envie exacerbée de la ville. Lors des activités organisées par les élites internes et externes dans chaque village pendant les vacances en vue de promouvoir le développement, la rencontre entre les jeunes urbains et ruraux provoque toujours une ségrégation entre ces deux groupes, instaure des classes et initie un sentiment de supériorité ou d’infériorité. Les ruraux deviennent admirateurs des urbains qui affirment leur supériorité par la mise à l’écart des premiers lors de certaines activités. La distinction sociale se produit au niveau de l’habillement et de la propreté, de la maîtrise de la technologie (téléphone portable, ordinateur…), de la langue (même les jeunes qui peuvent s’exprimer en langues locales ne le font pas, de peur de se faire confondre et surtout dans l’intention de marquer la différence, au point où les jeunes ruraux sont les seuls à s’efforcer lors des échanges pour comprendre le langage des urbains).

Les jeunes ruraux qui, pour une raison quelconque (commission des parents ou vacances) ont l’occasion de séjourner en ville, marquent toujours une différence dès leur retour à l’endroit de leurs amis. Cette réalité est d’une incidence notoire dans la mesure où ces ruraux ne se limitent pas au réel dans les conversations, mais produisent eux-mêmes un type extraordinaire de ville. Un dicton déclare d’ailleurs : « a beau mentir celui qui a beaucoup voyagé ». Pour marquer une différence de classe entre les jeunes ruraux, ces derniers arrivent à faire des fausses déclarations sur les réalités urbaines, questions de susciter plus d’admiration et de marquer une distinction sociale. Cette réalité pousse les jeunes ruraux à déserter les villages, laissant de ce fait cet espace aux vieillards. « Complexe, la décision de migrer résulte généralement d’une stratégie de survie élaborée par un groupe social pour lever un faisceau de contraintes qui pèse sur lui ou sur l’un de ses membres. A ce titre, elle revêt la forme d’une réaction à une sollicitation économique ou sociale qui s’exerce sur les plus jeunes, c’est-à-dire les plus valides y compris de plus en plus, les femmes et les enfants » (Phillippe Antoine et Oumarou Sow, 2000 : 143).

d – La question du genre

Les migrations de jeunes vers les villes, telles que susmentionnées sont l’apanage du genre masculin. Les représentations sociales corroborent cette réalité en discriminant les sexes en fonction des milieux rural ou urbain. Le rural est réservé au sexe féminin et l’urbain au sexe masculin. Ceci peut s’expliquer par la division arbitraire des tâches, reléguant les femmes à l’agriculture et aux tâches domestiques. Les jeunes filles sont de ce fait abandonnées en milieu rural par les jeunes garçons des âges similaires. Seulement, le mariage étant une institution sociale qui sanctionne l’union entre un homme et une femme, les jeunes urbains retournent dans leurs villages afin de trouver une épouse.

Pour ces derniers et conformément aux représentations sociales, la fille qui a reçu une éducation en milieu rural est non émancipée, contrôlable et douée des vertus de mère nourricière, donc épousable, alors que la fille urbaine est redoutable et redoutée, émancipée, et par conséquent non épousable. Cette dichotomie explique à juste titre l’appréhension que les uns et les autres se font des milieux rural et urbain. La fille rurale migre généralement pour une raison maritale, pour rejoindre son conjoint. De nos jours, il est difficile pour les parents ruraux d’envoyer leurs filles en ville pour une autre cause que celle du mariage ou des études. Cette appréhension du rural et de l’urbain expliquerait aussi les discriminations observées dans les migrations retour. La réussite passe par la ville et l’échec par le village. Les représentations sociales confortent la réalité selon laquelle les ruraux seraient des pauvres et les urbains des riches.

2 – Les migrations retour

Le village constitue la « source de vie » de chaque individu. De ce fait, le retour aux sources est un phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur. Maints facteurs peuvent expliquer les migrations des urbains vers les campagnes. La ville ne constituerait pas l’eldorado où le bonheur est la chose la mieux partagée.

a – La pression démographique A la différence des zones rurales, la pression démographique en zones urbaines est très forte et résulte sans nul doute des différentes migrations. Ce poids démographique fait naître des problèmes liés à la division sociale de l’espace et du travail. Au Cameroun, que ce soit à Yaoundé (capitale politique) ou à Douala (capitale économique), les jeunes ruraux qui migrent s’installent sur les flancs des montagnes ou dans les zones marécageuses. La maîtrise de cet espace impose un investissement au dessus des possibilités de ces derniers, par conséquent, leurs conditions de vie restent précaires et ils sont victimes des maux (maladies, effondrement de terrain, inondations…) liés à leur environnement. Ces derniers connaissent régulièrement des dépenses engendrées par leur milieu de vie. La maîtrise de l’espace nécessite non seulement de gros investissement, du temps mais aussi des capacités physiques élevées dans les travaux, ce qui épuise quotidiennement ces jeunes. Dans un contexte de capitalisme effréné, la pression démographique impose aussi des contraintes dans l’insertion socioprofessionnelle.

b – Les contraintes d’insertion professionnelle La ségrégation urbaine au niveau de l’espace se prolonge dans le milieu professionnel. Les jeunes qui quittent le village pour la ville n’ont généralement pas une assurance de trouver un emploi rémunéré avant le déplacement. Ils opèrent dans les activités informelles telles que la vente à la sauvette, l’utilisation des poussepousses dans les marchés, le portage… Ces activités nécessitent énormément d’énergie que ces derniers ont du mal à régénérer en raison de leur précarité financière. De plus, ces derniers s’imposent un rythme de travail assez fort afin de pouvoir pallier aux éventuelles difficultés. C’est pour cette raison qu’ils commencent le travail très tôt et arrêtent très tard. D’aucuns exercent dans des entreprises en journée, et mènent des activités individuelles dans la nuit telles que faire le transport par mototaxi.

Par ailleurs, ne disposant d’aucune qualification, certains de ces jeunes connaissent maintes exploitations dans les entreprises capitalistes. Ils sont recrutés pour une période test allant jusqu’à six mois sans rémunération, et à la fin beaucoup de ces jeunes entendent la fameuse formule : « stages non concluants ». Or, pendant cette période, ils effectuaient un travail indispensable pour la survie de l’entreprise. Dans une logique de détermination à rester en ville, de ne pas paraître ridicule, certains continuent cette aventure dans d’autres entreprises. Quand ils parviennent à se faire recruter, ce n’est nullement pour des postes d’administration ou de responsabilité, c’est généralement pour des tâches ardues, où il est question de déployer de la force physique. Les employeurs n’assurent généralement pas ces derniers, de même qu’ils ne les déclarent pas à la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS). Dans un contexte de capitalisme à outrance et de précarité de l’emploi, bon nombre de ces jeunes connaissent de réelles difficultés d’épargne, et par conséquent d’investissement en milieu urbain. En ce sens, prenant l’exemple de la Côte d’Ivoire, Yapi Diahou (1987 :150) parlera de « la périlleuse insertion des migrants à Abidjan ».

c – La prise de décision de retourner au village

Les migrations retour effectuées des zones urbaines vers les zones rurales sont l’apanage des retraités des entreprises publiques ou privées ou encore des vieillards. En milieu urbain, beaucoup de travailleurs ne prennent pas des dispositions adéquates pour leur retraite, compte tenu de la précarité de leur emploi, des exigences économiques du milieu urbain. Quand ils ne peuvent plus répondre aux charges familiales en ville, d’aucuns commencent par faire retourner femmes et enfants au village, espérant une réduction des dépenses et, dans la plupart des cas, les suivent quelques temps après. Cette discrimination de genre dans la migration retour s’explique par l’attribution du rôle de nourrice aux femmes. Les hommes espèrent qu’au village, les femmes peuvent assurer la subsistance de la famille sans attendre une quelconque ration. Par ailleurs, les hommes n’arrivent pas toujours à évaluer la part de production des femmes dans la vie des ménages.

Les jeunes qui se déplacent pour les petits métiers en ville ou pour travailler dans les entreprises privées, spécialisées dans le recrutement de la main d’œuvre rurale prétendue moins coûteuse, sont astreints à fournir beaucoup d’énergie au quotidien et leur ration alimentaire ne leur permet pas de régénérer cette énergie. Dans ce contexte, la fatigue musculaire précipite le départ en retraite et même un vieillissement précoce au point où l’âge réel serait largement inférieur à l’âge que présente la structure physique d’un individu. Le retour au village s’impose dans la mesure où les difficultés ne cessent de s’accroître compte tenu de la chute des revenus.

Le village se présente comme la solution idoine pour maintes raisons. Plusieurs personnes préfèrent investir dans l’habitat dans leur village plutôt qu’en ville en raison des différences de coût. Le fait de disposer des surfaces cultivables est aussi un facteur attrayant et décisif. Certaines personnes préparent leur retraite en investissant en milieu rural dans les cultures d’exportation et dans les cultures vivrières et maraîchères. La différence du coût de vie entre les milieux urbains et ruraux est de nature à favoriser ces migrations retour.

Le village constitue d’un point de vue culturel une force attractive. A partir du moment où les urbains prennent conscience des dépenses qu’ils effectuent pour se rendre au village à chaque fois où besoin se fait sentir (cérémonies traditionnelles et funèbres…), la chute des revenus en ville ou la perte d’un emploi pourraient initier un retour au village, lieu d’inhumation par excellence des plusieurs personnes. Retourner au village après un long séjour en ville est une question de courage, de bravoure en raison des perceptions des uns et des autres qui assimilent ce retour à l’échec.

3 – Les représentations sociales de la division de l’espace

Au niveau de la conscience collective, la ville s’oppose totalement au village. En ce sens, la ville est productrice de richesse et le village le socle de la pauvreté. Les stéréotypes spatiaux transforment cette dichotomie en règle au point où les urbains seraient les seuls détenteurs de la richesse, connaissant des conditions de vie agréable, à l’abri du besoin tandis que les ruraux seraient des laisser pour compte, des nécessiteux, ne pouvant satisfaire leur besoin élémentaire. Michel Crozier et Erhard Friedberg (1977 : 16) abondent dans le même sens en soutenant que « cette structuration [de l’espace] peut être relativement formalisée et consciente, ou elle peut avoir été « naturalisée » par l’histoire, la coutume, les croyances, au point de paraître évidente ».

Cette opposition se prolonge dans les modes de vie : tradition et modernité. Le village serait en ce sens non dynamique, connaîtrait une reproduction des mêmes schèmes de conduite, des mêmes normes et valeurs sociales, réfractaire à l’innovation et au changement. A l’opposé, la ville serait le lieu par excellence de la modernité, de l’innovation, et donc un cadre propice pour le développement. Dans cette logique, la réussite sociale passe forcément par la ville et jamais par le village. Des modèles de division de l’espace entre les sexes se sont même construit sur l’opposition : ville = masculin et village = féminin. Réussir serait dans un premier temps habiter la ville et revenir de temps à autre au village pour faire valoir la différence. A ce niveau, les urbains participent énormément dans la construction de cette représentation populaire, en affirmant leur position privilégiée dès que l’occasion se présente devant les ruraux. D’aucuns le font en allant au dessus de leurs possibilités réelles, question de ne pas paraître ridicule.

Jean Marie Séca (2001 : 17) souligne : « C’est à la rencontre des représentations individuelles (savoir personnel) et des représentations collectives (tradition) que se trouve l’enjeu d’une décision sociale ». Les représentations sociales sur le jeune qui vit en milieu rural confortent cette thèse dans la mesure où il est considéré comme un déviant, un paresseux, un retardé, un nécessiteux… A la rencontre des urbains et des ruraux, il est toujours question pour les premiers de venir en aide aux seconds, ce qui a construit au fil du temps l’esprit d’attentisme, d’arrivisme. En général, les représentations sociales attribuent le milieu rural aux vieillards et aux jeunes qui vont d’échec en échec dans la vie, et le milieu urbain aux jeunes et aux vieillards qui restent accrochés aux atouts de la ville.

B – Le vieillissement de la population rurale et les dynamiques sociales

1 – Les facteurs de changement

Les dynamiques observées en milieu rural chez les vieillards sont souvent le résultat des habitudes et comportements nouveaux engendrés par les urbains de retour au village. Le milieu rural est de ce fait le théâtre de la rencontre entre les vieillards ruraux et urbains, situation pouvant être assimilée aux dynamiques internes et externes comme agent du changement social. Cette cohabitation engendre des différences au niveau des modes de vie, des associations rurales, de la ségrégation de l’espace en public… Le choc des idées entre ces deux groupes est source de dynamiques sociales, surtout dans la mesure où les vieillards rentrés de la ville affirment une suprématie au niveau de l’information, de la technologie, de l’hygiène et du mode de vie qui est sans cesse admirée par les vieillards ruraux.

Les activités du milieu rural au Cameroun ainsi que les conditions d’hygiène et de salubrité engendreraient aussi un vieillissement prématuré de la population dans la mesure où les règles élémentaires en matière de santé seraient méconnues, les structures d’encadrement presque inexistantes. Le quotidien des ruraux les expose aux graves risques de santé, dans un contexte où leur ration alimentaire ne serait pas toujours équilibrée, où la consommation des drogues locales et du vin traditionnel n’assurerait pas toujours un bien être à tous. Le milieu rural est surtout caractérisé par la difficulté de distinguer les jeunes des vieillards, à cause du vieillissement précoce des jeunes, des similitudes dans les habitudes de vie (habillement, manière de penser, activités quotidiennes, maîtrise des us et coutumes…). Cette structuration de la population rurale entre les jeunes et les vieillards est aussi source de changement social en ce sens que, malgré les apparences, les rapports de classe sont généralement conflictuels. La décision de rester au village pour un jeune peut aussi être stratégique : entre soutien aux parents et positionnement pour la succession et même détournement des biens des vieillards.

2 – La prise en charge des vieillards en milieu rural

La prise en charge des vieillards en milieu rural par leur progéniture n’est pas toujours bien assurée car certains enfants ne s’occupent pas de leurs parents, d’aucuns sèment une discrimination de genre entre ces derniers, et d’autres attendent leur décès pour organiser de grandes festivités. La non prise en charge des vieillards par leurs enfants résultent généra-lement des conflits et dans des cas infimes de la pure négligence.

L’éducation différentielle et la montée des familles matricentrées sont à l’origine des discriminations de genre dans la prise en charge des vieillards. La polygynie a favorisé la mainmise de la mère sur les enfants des deux sexes. La chute des cultures d’exportation, culture traditionnellement masculine, a entrainé une chute du pouvoir économique des hommes pendant que l’essor du vivrier et du maraîcher marchands valorisait le travail des femmes et marquait leur entrée dans le système économique en tant qu’acteurs et non plus comme agents. A partir de ce moment, les femmes investissent de plus en plus sur leurs enfants sans distinction de sexe et par conséquent, les vieillards connaissent une grande discrimination de sexe dans le retour d’investissement ou encore dans la prise en charge à la faveur des femmes. Marc Pilon (1996 : 27), « les femmes (…) investissent davantage que les hommes dans leurs enfants, que ce soit en terme de temps ou de support affectif, et cela est particulièrement vrai en matière d’éducation, leur gestion des ressources s’avère plus rigoureuse, plus responsable. »

L’espérance de vie des vieillards en milieu rural conforte cette thèse dans la mesure où le nombre des veuves ne cessent de croître et qu’on pourrait apriori expliquer par les écarts d’âge au mariage, mais qu’en réalité les femmes vivent plus longtemps que les hommes en raison aussi de la prise en charge de leur quotidien par leur progéniture. Les veuves arrivent généralement à dépasser l’âge de décès de leurs époux. Le fait aussi de réserver l’inside aux femmes, de leur laisser la responsabilité de s’occuper des enfants finit par créer une relation affective qui perdure jusqu’à la vieillesse.

La polygynie est un facteur capital dans l’explication de la prise en charge discrimi-natoire des vieillards en milieu rural. Le resserrement des liens familiaux entre la mère et les enfants au détriment du père s’explique par la division sociale du travail entre les parents. A partir du moment où le père est commun à tous les enfants dans ne famille polygynique et la mère unique, il est difficile pour le père de trouver le temps nécessaire pour âtre proche de chaque enfant. Par ailleurs, à partir du moment où le père devrait répartir son patrimoine à tous les enfants, y compris les enfants naturels (hors mariage), alors les chances de bénéficier d’une part importante se réduisent et constituent un facteur explicatif du relâchement du lien familial pouvant aller jusqu’à la prise en charge du parent. Quand un enfant se rend compte qu’il n’est pas héritier principal, ou qu’il a été marginalisé dans la répartition des biens et surtout de la propriété foncière, il se détourne de son père et se rattache davantage à sa mère. Les vieillards peuvent aussi bien se prendre en charge par leurs propres moyens. A partir des réserves et même de la production des plantations, les vieillards disposent des moyens d’assurer leur quotidien sans avoir besoin d’une quelconque assistance. Seulement, le capitalisme à outrance que ces derniers développent les pousse à asseoir une mentalité d’attentisme, ou encore d’assistance. C’est généralement à leur décès que les enfants se rendent compte des avoirs de leurs parents. Le développement de cet esprit d’attentisme peut résulter de la volonté des vieillards de bénéficier d’un retour d’investissement. C’est pour cette raison qu’ils sollicitent leurs enfants régulièrement et programment des voyages occasionnelles dans leur domicile, en milieu urbain, dans l’optique de se faire écouter, ou encore quand ils sont malades ou dans le besoin.

Conclusion

Le vieillissement de la population rurale au Cameroun s’inscrit dans le processus d’urbanisation accélérée qui conduit à l’exode massif des jeunes. La division de l’espace, entre les jeunes et les vieillards dans une logique d’opposition de ville et village, pose nécessairement la question des activités rurales et urbaines. Faire une distinction absolue, entre le village et la ville dans un contexte de mondialisation des valeurs et de la montée en puissance du phénomène de rurbanisation, est de plus en plus difficile de nos jours. Les nouveaux concepts tels « villes rurales » témoignent de l’interpénétration entre l’urbain et le rural.

Au Cameroun, dans chaque village, les jeunes et les vieillards créent un espace qu’ils assimilent à la ville. Cet espace est situé généralement au centre des villages et sur la place du marché. Parmi les jeunes ruraux, certains désertent totalement les confins des villages pour se regrouper dans cet espace, question de recréer la ville au village. Cette réalité conduit à une division dualiste de l’espace rural : les vieillards occupent les confins des villages et les jeunes le centre, espace en préparation pour abriter une ville.

A la suite du troisième RGPH (2005), « on observe des variations assez nettes dans la structure par âge de la population. Les enfants âgés de moins de 15 ans représentent 39,2 % en milieu urbain et 47,8 % en milieu rural. Les personnes âgées (60 ans et plus), qui représentent 5,0 % de la population totale du pays, sont particulièrement plus représentées en milieu rural qu’en milieu urbain : 6,5 % en milieu rural contre 3,4 % en milieu urbain ». Cet extrait montre suffisamment à quel point les migrations des jeunes sont intenses et, parallè¬lement, de l’abandon des villages aux vieillards.

La quasi-absence des structures d’encadrement des vieillards dans les villages et l’exode massif des jeunes posent le problème de la prise en charge des personnes âgées qui, se trouvent un peu précipité à la mort, ou encore réduite à la mendicité. Les rapports de genre expliquent aussi les disparités que les jeunes observent à l’endroit de leurs parents quant au soutien accordé à ces derniers. Les phénomènes de l’exode rural et de rurbanisation sans cesse croissants, auxquels il faut adjoindre les migrations retours sont à la base des mutations socioculturelles que connaissent le monde rural au Cameroun. Ces mouvements migratoires sont au cœur des dynamiques sociales rurales.

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VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION DANS LES PAYS DU SUD

Famille, conditions de vie, solidarités publiques et privées... État des lieux et perspectives

ACTES DU COLLOQUE INTERNATIONAL DE MEKNÈS

Maroc 17-19 mars 2011