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Incidences de la convention franco-marocaine de sécurité sociale sur les retraites et retraités CNAV nés et résidents au Maroc

Jean-Marc DUPUIS, Claire EL MOUDDEN, CREM, Université de Caen Basse Normandie, France
Ilham DKHISSI, CREM, Université de Caen Basse Normandie et Université Mohammed V, Agdal, Rabat, Maroc - France

La question des systèmes de retraites et de leur impact sur le revenu des personnes âgées est cruciale dans les pays en développement même si elle reste peu étudiée. Au Maroc comme dans le reste du Maghreb, même si les taux de couverture des régimes de retraite sont faibles, la composante retraite reste un élément important du revenu de ces personnes âgées. Cependant l’impact des systèmes et le montant des retraites versées sont souvent sous-évalués dans les études menées, un aspect important n’étant pas considéré : celui des pensions versées par des régimes étrangers dans le cadre des conventions de sécurité sociale.

Cet article [1] s’intéresse aux retraites versées par la CNAV à des retraités nés et résidant au Maroc, dans le cadre de la convention franco-marocaine de sécurité sociale signée en 1965 et révisée depuis. Il présente tout d’abord cette convention franco-marocaine de sécurité sociale et les principes qui la fondent ainsi que les incidences de cette convention en termes de gestion administrative. Une deuxième partie s’interroge sur l’impact en termes de retraite versée pour ces retraités CNAV nés et résidant au Maroc.

1. La convention bilatérale France-Maroc et son impact sur la retraite des non-résidents marocains : Des textes à son organisation administrative.

1. Des conventions de sécurité sociale à la convention franco marocaine

1.1 Les conventions de Sécurité Sociale, objectifs et contenus

Les conventions de sécurité sociale sont des traités internationaux ratifiés au niveau des parlements des États. Elles ont pour objectifs de coordonner les législations de plusieurs États, et ceci au bénéfice des ressortissants de ces États qui se déplacent sur le territoire d’un autre État. Les conventions bilatérales de sécurité sociale sont notamment conclues pour résoudre les problèmes que posent, entre États, dans le domaine de la sécurité sociale, les migrations de population, généralement les travailleurs ou assimilés.

Ces accords bilatéraux, comprennent différents types de dispositions, égalité de traitement et réciprocité étant au cœur de toutes les conventions.

• Dans tous les cas, est affirmée l’égalité de traitement des ressortissants du pays cosignataire et des nationaux sur le territoire de l’État d’emploi : les personnes résidant sur le territoire d’un État contractant et auxquelles le règlement s’applique sont soumises aux obligations, et admises au bénéfice de la législation de l’État contractant dans les mêmes conditions que les ressortissants de celui-ci.

• Les conventions de Sécurité sociale sont basées sur le principe de la réciprocité, les conventions bilatérales limitant leur champ d’application aux législations des régimes de sécurité sociale des États contractants. C’est pourquoi, si certaines conventions couvrent l’ensemble des branches classiques de la sécurité sociale, à l’exclusion de l’assurance chômage, d’autres, par contre, limitent leur champ d’application à certains risques en fonction de l’étendue du système de sécurité sociale des pays concernés.

Sauf cas particuliers expressément prévus dans des instruments annexes (protocoles ou accords additionnels), les premières générations de conventions bilatérales de sécurité sociale s’appliquaient uniquement aux travailleurs salariés ou assimilés ainsi qu’à leurs ayant droits. Seuls les accords avec la Tunisie, Andorre, le Japon, la Corée, le Chili, les États-Unis et le Canada visent aussi les travailleurs non-salariés, essentiellement en vertu du principe de réciprocité évoqué plus bas.

Les conventions de sécurité sociale ne traitent jamais de l’assurance-chômage, des retraites complémentaires et des prestations non-contributives de sécurité sociale, notamment de vieillesse. La retraite de base au travers du principe de totalisation de trimestres est en revanche un dispositif présent dans toutes les conventions.

1.2 L’exportabilité des droits au cœur de la question des retraites des non résidents

L’exportabilité consiste à garantir à un assuré le bénéfice des prestations de sécurité sociale même si sa résidence est située dans un autre pays. Si ce principe est affirmé actuellement pour certaines prestations vieillesse et dans certaines conventions, ce n’est toutefois pas un principe absolu, même au sein de l’Europe. Pour comprendre cette question de l’exportabilité des droits, il faut distinguer les prestations selon leur nature contributive ou non.

1.2.1 Exportabilité des prestations contributives et pays de liquidation

Concernant les prestations contributives, il a toujours été possible de percevoir une pension à l’étranger et notamment au Maroc, en dehors de toute convention de sécurité sociale. Si percevoir la pension de l’étranger n’était pas un problème, la liquider en était un : jusqu’à la loi Chevènement du 11 mai 1998, un étranger qui n’était pas ressortissant d’un État avec lequel la France avait signé un accord de réciprocité en matière d’assurance vieillesse, devait résider sur le territoire français au moment de la liquidation de sa pension de retraite. La liquidation hors de France des pensions de vieillesse à caractère contributif était de ce fait prévu par certaines conventions bilatérales de sécurité sociale, comme la convention franco-marocaine ou encore la convention franco-algérienne.

Si la loi Chevènement ne fait plus reposer sur les conventions de sécurité sociale la possibilité de liquider de l’étranger, les conventions permettent cependant de mettre de l’huile dans les rouages administratifs et facilitent ainsi les procédures de liquidation, comme nous le verrons dans la suite de cette partie.

1.2.2 Exportabilité des prestations non-contributives : une question hors champs des conventions mais cruciale pour les prestataires résidant à l’étranger

L’exportabilité des prestations contributives tient à la définition de la prestation en France et non au contenu des conventions de sécurité sociale, les prestations non contributives étant exclues du champ d’application des conventions [2]. La question de l’exportabilité des prestations non contributives fait débat depuis fort longtemps et la position française en la matière a évolué, en défaveur des non résidents, certaines prestations non contributives étant dans le passé et dans certaines circonstances exportables, plus aucune ne l’étant.

Depuis 2007, le minima de retraite (ASPA) versé aux nouveaux prestataires n’est pas exportable.

L’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) est une allocation unique, créée en remplacement des différentes prestations qui composaient le minimum vieillesse jusqu’au 31 décembre 2005. Servie depuis janvier 2007, l’ASPA constitue un montant minimum de pension de vieillesse accordé, sous condition de ressources, aux personnes qui n’ont pas suffisamment cotisé aux régimes de retraite pour pouvoir bénéficier d’un revenu d’existence, à l’âge de la retraite. L’ASPA est versée sous condition d’âge (plus de 65 ans ou de 60 ans dans certains cas), de ressources de la personne ou du couple et surtout de résidence en France. L’ASPA n’est donc pas versée aux retraités qui résident hors de France à quelques exceptions près : elle est encore exportable dans l’Union européenne, dans l’Espace économique européen ou en Suisse mais l’exportation de l’ASPA en Europe pourrait cependant être remise en cause par son insertion prochaine dans la liste des prestations spéciales à caractère non contributif soumises à condition de résidence. [3]

Depuis 2011, le minima de retraite (minimum vieillesse) versé aux anciens prestataires n’est plus du tout exportable.

Le Minimum vieillesse, créé en 1956, visait à garantir un revenu minimal à toutes les personnes âgées dès 65 ans (60 ans en cas d’inaptitude au travail) et dont les ressources sont inférieures à certains seuils. Le dispositif du minimum vieillesse a été remplacé par l’ASPA pour les nouveaux retraités à partir de janvier 2006 (voir supra).

Le minimum vieillesse est un dispositif à deux étages : l’allocation de premier étage d’une part, et l’allocation supplémentaire du minimum vieillesse ou allocation de deuxième étage d’autre part.

Un complément L814-2 exportable jusque fin décembre 2010

L’allocation supplémentaire (deuxième étage) est depuis toujours liée à une condition de résidence sur le territoire français et ne peut donc pas être exportée. L’allocation du premier étage, quant à elle, était exportable pour partie jusque fin 2010 : si l’AVTS et autres allocations composant le premier étage du minimum vieillesse sont soumises à résidence, il n‘en était rien pour la majoration de retraite appelée majoration L814-2.

La majoration de pension (appelée également complément de pension), visée à l’article L814-2 du code de la sécurité sociale est un avantage non contributif, destiné à porter les avantages attribués en vertu d’un régime vieillesse de base au montant de l’AVTS. Cette majoration de pension peut être versée au pays d’origine ou en France et ne nécessite pas, dans ce cas, que son titulaire soit en situation régulière.

La loi de financement de la sécurité sociale (Loi n°2010-1594 du 20 décembre 2010) et son article 125 sont venue modifier la donne, faisant évoluer l’ordonnance n°2004-605 du 24 juin 2004 simplifiant le minimum vieillesse. Cet article 125 modifie les conditions de résidence pour le bénéfice des anciennes allocations composant le minimum vieillesse. Une condition de résidence est maintenant imposée pour continuer à percevoir notamment la majoration L814-2.

1.3 La convention bilatérale Franco-marocaine en matière de retraite : de la version de 1965 à la nouvelle convention

La convention générale de sécurité sociale franco-marocaine a été signée le 9 juillet 1965 et publiée par décret n° 67-379 du 18 avril 1967. Elle a été modifiée par l’avenant du 21 mai 1979, mais n’est entrée en vigueur que le 1er avril 1981. Une nouvelle convention de sécurité sociale ratifiée par les deux parties en 2007 n’est pas encore appliquée, un arrangement administratif venant d’être signé et des décrets d’application étant toujours manquants. Elle introduit quelques modifications relatives aux personnes assujetties et à certains droits.

1.3.1 La convention actuellement appliquée : la convention de 1965

Champs d’application

En matière de retraite, la convention de 1965 qui est encore en vigueur vise les travailleurs (salariés ou assimilés) français ou marocains ainsi que leurs ayants droits. Pour la France, elle concerne les régimes des salariés non agricoles et agricoles, des régimes spéciaux (notamment le régime relatif à la sécurité sociale dans les mines) et enfin le régime de sécurité sociale des gens de mer. Du côté marocain, le régime visé est celui de la sécurité sociale du secteur privé géré par la CNSS qui couvre les salariés exerçant dans les entreprises industrielles, commerciales, artisanales et libérales du secteur privé. Il s’étend aux marins pêcheurs.

Liquidation séparée et liquidation par totalisation

La liquidation de la pension vieillesse dans le cas de convention de sécurité sociale peut se faire de différentes manières. Le principe de base consiste à calculer séparément les pensions nationales de chacun des pays, ce qui est appelée liquidation séparée. Ce type de liquidation, qui prévaut dans la convention franco-marocaine de 1965, se fait à travers un calcul séparé de la pension de retraite à attribuer au bénéficiaire, calcul séparé fait au sein des institutions de sécurité sociale de chacun des deux pays contractants la convention. La liquidation séparée est donc la liquidation qui serait appliquée s’il n’existait pas de convention de sécurité sociale. En cas de besoin c’est-à-dire si l’assuré n’est pas au taux plein, il est appliqué un second mode de liquidation appelé liquidation par totalisation i-e tenant compte des trimestres validés dans l’autre pays pour le calcul du taux de pension.

1.3.2 La nouvelle convention Franco-marocaine de sécurité sociale

« Du fait de son ancienneté, ce dispositif conventionnel, qui visait principalement la main-d’œuvre marocaine venant travailler en France, n’était plus adaptée aux législations marocaines et françaises qui ont évolué. (…) Les négociations de cette nouvelle convention ont débuté en février 2000 en vue d’étendre le champ d’application aux travailleurs non salariés et d’assurer une meilleure cohérence avec les droits nationaux des deux parties et avec le droit communautaire (…) La nouvelle rédaction de cet accord est assez classique et se rapproche des conventions de sécurité sociale bilatérales déjà en vigueur avec d’autres pays, particulièrement celle conclue avec la Tunisie en 2003 et entrée en vigueur en 2005. ». Rapport du sénat n° 472 – mai 2010 [4].

Quatre modifications majeures peuvent être relevées : un élargissement du champ d’application notamment aux non salariés, une extension de la couverture maladie et en matière de retraite une révision de la réversion en cas de polygamie ainsi qu’une modification de l’application de la totalisation.

Une nouvelle prise en charge de la polygamie dans la retraite de réversion

Certaines conventions passées avec des pays africains prévoient le partage de la pension de réversion entre les épouses lorsque l’assuré décédé était polygame. Si la convention ne prévoit pas la polygamie ou si l’assuré est ressortissant d’un pays qui n’a pas passé de convention de sécurité sociale avec la France, la pension ne peut pas être partagée. Selon la convention franco-marocaine de 1965, le droit à prestation est ouvert dès qu’une des épouses a atteint les conditions pour le paiement de cette prestation. Le droit est revu à chaque fois qu’une épouse perd (par décès) ou acquiert ce droit. Actuellement (tant que n’est pas appliquée la nouvelle convention), la CARSAT (ancienne CRAM) concernée ne paie pas directement la pension aux épouses mais effectue un paiement libératoire à la CNSS qui gère la répartition de la pension de réversion et l’évolution de cette répartition dans le temps.

De la totalisation « en tant que besoin » à la comparaison des pensions

Dans la convention actuelle, la totalisation n’est appliquée qu’en cas de besoin i-e si l’assuré n’est pas au taux plein. La liquidation séparée est donc la base. Dans la nouvelle convention, à l’instar de ce que l’on trouve dans les conventions plus récentes (comme celle de la Tunisie), la totalisation est calquée sur le règlement européen : il est calculé une pension séparée, une pension en totalisation proratisée et les montants sont comparés, la situation la plus favorable étant appliquée à l’assuré.

Fondamentalement, cela ne change pas réellement le droit des assurés, sauf pour ceux qui seraient en totalisation pour être au taux plein mais se retrouveraient avec une retraite plus faible qu’en liquidation séparée du fait de la proratisation de la retraite en totalisation.

2. L’organisation administrative dans le cadre la convention

En termes organisationnels, plusieurs aspects ne relevant pas uniquement de l’application des conventions de sécurité sociale sont importants, permettant notamment pour le retraité de mettre de l’huile dans des rouages administratifs qui peuvent paraitre complexe vu de l’étranger.

2.1 Organisation par pôle du traitement des demandes de retraites émanant des résidents étrangers.

En 1999, afin de faciliter ses relations avec les organismes de sécurité sociale étrangers, la CNAV a mis en place le système des pôles de référence. Le dispositif s’est ensuite élargi au pôle de compétence.

Caisses « pôle de référence » : Caisses expertes de soutien pour les problématiques visant un pays déterminé, elles établissent des relations privilégiées avec les organismes chargés de la gestion de la retraite dans un ou plusieurs pays étrangers. Ces caisses alimentent une base de données, organisent des journées internationales, des rencontres entre les dirigeants et les techniciens, assurent l’interface entre les caisses régionales et les organismes de liaison étrangers et facilitent ainsi le règlement de dossiers complexes et la résolution des difficultés au cas par cas. Ainsi la CRAM de Marseille est pôle de référence pour la Maroc.

Caisses « pôle de compétence » : depuis septembre 2008, la mission de ces caisses s’est élargie pour certaines d’entre elles pour évoluer vers une mission de pôles de compétence. A ce titre, certaines caisses régionales sont des caisses expertes de gestion pour les problématiques visant un pays déterminé. Elles deviennent ainsi l’interlocuteur unique pour les assurés résidant dans un pays donné et sont seules compétentes pour traiter les demandes de retraite concernant ce pays.

Grâce à ce nouveau dispositif, certaines CARSAT sont désormais chargées de traiter les demandes de retraite émanant des ressortissants de certains pays ayant cotisé en France auprès du régime général. Ce dispositif a pour objectif de simplifier les démarches auprès des organismes du régime de base des salariés du secteur privé et de rendre un service plus performant aux assurés.

2.2 La coopération administrative entre caisses françaises et marocaines

La coopération administrative entre la CRAM du sud est et la CNSS marocaine est affirmée depuis 1998, année où la CRAM-SE a été désignée comme caisse de référence pour le Maroc. Elle repose sur des accords de coopérations et une mise en œuvre de tous les jours.

Les accords de coopération administrative CRAM sud-est – CNAV − CNSS

Un premier accord de Coopération administrative entre la CRAM-SE, la CNAV et la CNSS a été signée le 18 juin 2004, un second le 24 juin 2009. Différents champs d’application ont été définis dans cet accord : résolution des difficultés administratives, alimentation d’une base documentaire, échanges d’expérience et de savoir faire, amélioration du service aux assurés. En 2009, l’accent a été mis sur deux processus ; un processus communication axé autour des journées internationales d’information et un processus « suivi statistique » visant à mettre en place un outil de suivi statistique.

Dans le cadre de ces accords, la CNSS et les caisses françaises organisent depuis 2004 des journées d’information franco-marocaines sur la retraite, journées qui s’adressent aux salariés marocains de 55 à 59 ans ainsi qu’aux retraités ayant travaillé au Maroc et/ou en France et qui sont établis actuellement au Maroc. Les premières journées ont eu lieu à Casablanca, en novembre 2004, en partenariat avec la MSA. 644 personnes ont été reçues au total. La ville de Ouarzazate a accueilli les dernières journées en janvier 2010 où 1800 assurés ont été reçus. Ces journées ont permis d’apporter un meilleur service aux assurés résidant aux Maroc et ayant travaillé an France. Elles ont aussi permis de mettre des dossiers en paiement, de régulariser certaines carrières et de valider certains rappels. Au final, il est souligné « l’importance de l’organisation de ces journées pour une meilleure connaissance des problématiques marocaines et françaises et donc une meilleure efficacité des échanges (…) les assurés bénéficient d’une meilleure qualité de service et le traitement des dossiers est réduit de 2 à 6 mois. » [5].

Enfin, dans le cadre de l’application de l’accord de coopération, différents échanges d’expertises ont été organisés entre la CRAM-SE et la CNSS. En 2008, la relation clientèle était au cœur de ses missions.

2.3 Les agences CNSS et les CARSAT [6] en gestionnaire local

Un assuré résidant en France et qui veut liquider sa retraite doit s’adresser à la CARSAT de son dernier report i.e. à la CARSAT qui a enregistré son dernier salaire. Concernant les dossiers des assurés résidant à l’étranger, la procédure diffère et l’organisation du traitement des demandes de retraites des résidants Étrangers a beaucoup évolué ces dernières années en France. Pour un assuré résidant au Maroc et dans le cadre des conventions de sécurité sociale et des accords administratifs qui ont suivi, la demande de liquidation de ses droits doit être adressée à la CNSS, Caisse nationale de sécurité sociale marocaine.

Pour instruire la demande de liquidation, les agences CNSS disposent d’un formulaire [7] de liaison qui est l’équivalent de la demande de retraite personnelle déposée auprès des CRAM sur le territoire. Ce formulaire est ensuite envoyé à la CARSAT de dernier report de l’assuré par la CNSS avec mention de la date de dépôt qui fera référence pour la date d’effet de la pension.

Les agents de la CNSS ont de ce fait un rôle très important dans cette phase de liquidation : de leur savoir faire et de leur capacité de conseil dépend la qualité du dossier reçu par les CARSAT. Il est bien-sûr indispensable que ce dossier soit complet pour que l’instruction puisse se faire dans les meilleurs délais. Les conventions bilatérales de sécurité sociale sont ainsi un moyen de simplification des démarches administratives de demande de droit aux prestations sociales. Quel que soit le pays de résidence du bénéficiaire, il peut déposer sa demande auprès de l’institution régionale de son pays qui s’occupe du dossier de liquidation de la prestation de sécurité sociale.

La liquidation puis le paiement des prestations de retraite sont ensuite effectués directement auprès des bénéficiaires par la CARSAT du dernier report. Toutes les CARSAT de France gèrent donc des dossiers de résidents marocains. Paris (la DAE, Direction des Assurés de l’Étranger basée physiquement à Tours) gère une large majorité de dossiers, près de 64%. Le pôle de référence Marseille ne gère lui que 7% des dossiers.

2.4 Des conventions bilatérales qui facilitent la gestion des dossiers mais qui ne règlent pas toutes les difficultés

Certaines difficultés peuvent être rencontrées de manière plus ou moins fréquente par les assurés qui souhaitent faire valoir leurs droits à la retraite.

La question de l’état civil au Maroc et les conséquences pour les usagers.

L’état civil marocain est au cœur de difficultés pour les usagers. Ce n’est qu’en 1950 que le premier régime de l’état-civil propre aux Marocains est instauré. Les déclarations de naissance et de décès ont été imposées seulement à partir de la promulgation du Dahir du 04/12/1963 [8]. Malgré cette obligation, un grand nombre de naissance et de décès n’ont pas été déclarés, notamment dans les zones rurales. Dans les faits, « l’état civil n’est généralisé que depuis 1976 » (Source BNL, CNAV), année de référence avec la mise en place de la charte communale et définition des rôles des différents acteurs locaux, dont l’état civil aux communes [9]. Reste que la dernière réforme de l’État civil de 2003 a mis en avant des taux de couverture des naissances et encore plus des décès qui restent faibles.

Le manque de fiabilité de l’état civil est en cause quand sont évoquées les questions récurrentes de non concordance entre les pièces d’identités d’un résident marocain ou quand sont évoquées des dates de naissances inconnues ou ne correspondant pas à la réalité. En matière de divergence entre pièce d’identité, l’attestation de concordance est le seul certificat reconnu, suite à un accord franco-marocain, pour justifier son identité ou de son âge auprès des autorités françaises et notamment de la CNAV qui en reçoit un nombre très important.

Notons cependant que les pièces d’état civil marocain présentent un avantage réel par rapport à d’autres : elles sont rédigées en arabe et français ce qui évite de les transmettre au service de traduction et réduit donc les délais d’instruction.

La lourdeur des dossiers de réversion

A la CNAV comme dans tous les régimes français, la réversion n’est pas attribuée automatiquement : il faut en faire la demande. Une fois la demande déposée auprès de la CNSS et renvoyée par formulaire de liaison à la CARSAT de référence, l’agent renvoie un courrier demandant de multiples précisions, pièces administratives tel que par exemple un avis d’imposition, la réversion étant soumise à condition de ressources. Les choses se compliquent pour l’assuré marocain pour lequel la notion d’avis d’imposition est inconnue. Pour les épouses ayant souvent encore des enfants à charge, il est demandé une attestation d’enfant à charge, attestation au sens de l’assurance maladie et là encore les futurs pensionnés ont des difficultés de compréhension sur la pièce à fournir. Un questionnaire sur la date d’effet est envoyé, questionnaire pas toujours évident à comprendre. Ajoutons à cela la difficulté intrinsèque inhérente aux courriers administratifs et on ne s’étonnera pas que la gestion des dossiers de réversion soit beaucoup plus longue, les situations de mise en attente pour rejet ou abandon administratif ne faisant pas office de cas rares.

2. Une importante population de retraités CNAV nés et résidant au Maroc concernées par la convention de sécurité sociale mais peu d’impact financier

Si près de 50000 retraités CNAV nés et résidant au Maroc sont concernés par la convention Franco-marocaine de sécurité sociale, ils ne le sont pas tous de la manière. Pour un grand nombre d’entre eux, cette convention aura des répercussions en termes de gestion administrative de leur dossier et parfois aussi de prise en charge maladie lors de leurs voyages en France. Ces conventions et les relations bilatérales développées dans ce cadre mettront de l’huile dans des rouages administratifs qui peuvent malgré tout rester complexes.

Mais pour certains retraités, les conventions de sécurité sociale vont avoir un impact beaucoup plus concret : en prévoyant une totalisation des trimestres effectués en France et au Maroc, ces conventions vont permettre de bénéficier, toutes choses égales par ailleurs, de retraites plus élevées. Une seule condition pour faire partie de cette catégorie de retraités CNAV NRM pouvant bénéficier de la totalisation : avoir travaillé et validé des trimestres dans les deux pays.

2.1 Fin 2008, près de 50000 assurés CNAV nés et résidents au Maroc s’inscrivent dans le cadre de la convention

2.1.1 Un poids réel pour des droits directs aussi nombreux que les droits dérivés

Deux caractéristiques essentielles ressortent concernant ces 50000 retraités CNAV nés et résidant au Maroc.

Tout d’abord, les droits dérivés, déclinés au féminin, sont presque aussi nombreux que des droits propres versés essentiellement à des hommes. Sur la base des données fournies par la CNAV, la répartition des pensionnés de droits propres et de droits dérivés est la suivante.

Tableau 1

Le rapport droits propres/droits dérivés est très éloigné de la répartition des droits de l’ensemble des assurés de la CNAV [10]. Ce rapport droits propres/droits dérivés est en revanche très proche des données des pays du Maghreb qui présentent en la matière une originalité par rapport aux pays européens : les pensionnés de droits indirects constituent une population très importante dans les trois pays, 44% en Algérie du total des pensionnés, 43% en Tunisie et 29% au Maroc [11].

Ensuite, les retraites versées et retraités ont un poids réel. Ainsi les retraités CNAV marocains qui rentrent au Maroc pour vivre leurs vieux jours représentent 13% des retraités du régime de retraite des salariés, la CNSS. Le montant global des pensions de retraite de droit propre versées par la CNAV aux retraités nés et résidents au Maroc s’élève à presque 88 millions d’euros en 2008, ce qui représente seulement 0.12% du total des pensions servies par les régimes de base aux résidents en France ou à l’étranger mais près de 9% des retraites versées par la CNSS à ses retraités.

2.1.2 Caractéristique des assurés de droits directs

Fin 2008, 25839 assurés de droits directs nés au Maroc vivent dans leur pays avec une pension de la CNAV. Plusieurs caractéristiques fortes peuvent être soulignées relativement à ces retraités NRM de droits propres.

Leurs carrières sont courtes au regard des paramètres fixés par le régime pour le taux plein mais au regard aussi des carrières de l’ensemble des hommes de droit direct à la CNAV. Ces carrières sont écourtées par des entrées tardives sur le marché du travail en France accompagnées de sorties précoces (A titre illustratif, l’âge moyen de cessation d’activité pour les anciens salariés du privé de la génération 1938 est de 60,4 ans contre moins de 45 ans pour les retraités NRM). Elles sont aussi écourtées par des années de non cotisation pendant ces années de « présence » dans le régime des salariés.

Graphique 1 : Évolution de l’âge moyen au premier report à la CNAV par génération

Graphique 2 : Évolution de l’âge moyen de cessation d’activité par génération

Données : Stock au 31/12/2008 des prestataires de droit propre NRM avec bonne remontée de carrière Source : Dkhissi I., Dupuis JM, El Moudden C. (2010)

Le nombre de trimestres validés par les retraités CNAV nés et résidents au Maroc sont très bas, ceci est la conséquence logique des âges avancés au premier report, et des âges très précoces de cessation d’activité.

Graphique 3 : Nombre moyen de trimestres validés par génération Comparaison NRM et hommes CNAV

Source : Dkhissi I., Dupuis JM, El Moudden C. (2010)

Les NRM liquident leur retraite plus tardivement que les autres. Les premières générations ont de plus liquidé très tardivement leur retraite (bien au-delà de 65 ans). Ces liquidations très tardives n’existent presque plus pour les générations 40, preuve en est faite que les assurés font valoir leur droit dès que cela est possible de le faire.

Graphique 4 : Age de liquidation des retraités CNAV NRM – génération 20 et 40

Source : Dkhissi I., Dupuis JM, El Moudden C. (2010)

Du fait de carrières écourtées, les taux de pension sont faibles au regard de ceux de l’ensemble des retraités hommes de droit direct de la CNAV. 50% des retraités CNAV NRM nés entre 1937 et 1943 liquident avec un taux réduit contre plus de 90% pour les dernières générations CNAV.

Graphique 5 : Pourcentage de liquidant au taux plein par génération Comparaison NRM et hommes CNAV

Source : Dkhissi I., Dupuis JM, El Moudden C. (2010)

Le salaire annuel moyen des NRM est faible, environ 30% du plafond de la sécurité sociale pour les dernières générations. Tous ces constats ne peuvent aboutir qu’à des montants de retraites peu élevés qui, de surcroît, sont en baisse par génération. Toutes générations confondues, 45 % des retraités nés et résidants au Maroc (11.593 assurés) ont liquidé des pensions de retraite de droit propre avec moins de 1.500 Euros par an. Beaucoup des NRM sont au minimum contributif proratisé (près de la moitié).

Graphique 6 : Évolution du montant moyen de la pension de droit propre par génération. Comparaison NRM et hommes CNAV

Source : Dkhissi I., Dupuis JM, El Moudden C. (2010)

Si les retraites versées sont faibles dans un contexte d’analyse français, ces pensions de droits propres restent malgré tout élevées au Maroc. Ainsi 91,5% des retraités toutes générations confondues perçoivent une retraite supérieure au seuil de pauvreté marocain. De plus, 53,5% des NRM toutes générations confondues, perçoivent une pension de retraite supérieure à la pension moyenne de la CNSS, régime de retraite des salariés du privé au Maroc.

Graphique 7 : Évolution en moyenne du montant de la pension de retraite par génération par rapport aux seuils de pauvreté (urbain et rural) et la pension moyenne de la CNSS au Maroc

Source : Dkhissi I., Dupuis JM, El Moudden C. (2010)

Dernière remarque de taille : près de 40% des prestataires NRM perçoivent le complément L814-2 pour les générations 1920 à 1938. Cette fin de l’exportabilité de ce complément, consécutive à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, va donc avoir des conséquences financières extrêmement importantes sur les revenus des retraités CNAV nés et résidents au Maroc.

2.2 Très peu d’impact des conventions sur les retraites versées aux prestataires CNAV NRM

Les conventions bilatérales de Sécurité Sociale reposent sur le principe de totalisation des périodes afin de limiter les effets négatifs des migrations des travailleurs sur leur retraite. Ainsi, si l’assuré n’est pas au taux plein, il est appliqué une liquidation par totalisation i.e. tenant compte des trimestres validés dans l’autre pays. De 20 à 50% des pensions étant liquidées à un taux réduit, cette totalisation pourrait être un élément crucial pour permettre aux travailleurs migrant du Maroc de bénéficier d’un taux plus élevé. Cependant, toutes générations confondues, seulement 609 retraités de droits directs i.e. près de 1.5% des NRM ont validé des trimestres au Maroc. Autant dire que la partie retraite de la convention bilatérale concerne donc un nombre très faible d’assurés. Mais si très peu de prestataires CNAV NRM sont concernés par la totalisation dans le cadre des conventions de sécurité sociale, l’impact de la totalisation est loin d’être négligeable pour ces bénéficiaires. Le surplus de retraite versé du fait de la totalisation est en effet compris entre 25 et 50% de la retraite versée sans totalisation.

On pourrait légitimement se demander si cette analyse de l’incidence des conventions est bien pertinente, très peu de retraités ayant validés des trimestres conjointement en France et au Maroc. La réponse est positive pour au moins quatre raisons.

Tout d’abord, il est probable que bien plus de 609 prestataires de droits propres soient poly-cotisants d’où un potentiel de bénéficiaires de la convention de sécurité sociale plus important. Ceci tient au risque de mauvaise remontée de trimestres marocains dans les bases de données de la CNAV. Cette question reste très largement à creuser et plaide pour un croisement des données de la CNAV avec celle de la CNSS pour mieux identifier les pluri-pensionnés France Maroc et donc les poly -cotisants.

Ensuite les poly-cotisants des nouvelles générations sont beaucoup plus nombreux et il est possible qu’un effet génération implique un impact de la convention qui augmente avec le temps.

La recherche effectuée dans le cadre d’une convention de recherche avec la CNAV visait à produire une méthode que l’on puisse appliquer ensuite au retraités CNAV nés et résidants en Tunisie et surtout en Algérie, les effectifs algériens étant bien plus conséquents.

Enfin et surtout la convention Franco-marocaine, en matière de retraite, n’a pas d’incidence que sur le revenu des retraités nés et résidents au Maroc via le mécanisme de totalisation. L’impact, s’il peut être financier, est avant tout organisationnel comme l’a souligné la première partie de ce papier.

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[1] Cet article est issu d’un rapport réalisé dans le cadre d’une convention de recherche entre l’Université de Caen et la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV).

[2] Toutefois, dans les protocoles, certaines prestations sont visées par l’exportabilité, notamment l’allocation aux vieux travailleurs salariés, l’allocation spéciale, l’allocation aux vieux travailleurs non salariés, l’allocation supplémentaire.

[3] Ces prestations dont la liste figure pour chaque Etat membre à l’annexe II bis du règlement 1408/71, sont octroyées uniquement sur le territoire de l’État de résidence et au titre de la législation de cet État.

[4] Rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l’approbation de la convention de sécurité sociale entre le gouvernement de la république française et le gouvernement du royaume du Maroc, par Christian Cambon, sénateur-rapport n°472 – mai 2010 – 14 pages.

[5] Compte rendu de la réunion du 7 mars 2008.

[6] Anciennement appelée CRAM.

[7] Formulaire SE 350-07 annexé à l’arrangement administratif complémentaire n° 4.

[8] Décret n° 2-63-296 du 17 rejet 1383 (4 décembre 1963) étendant l’obligation de l’état civil à toute naissance nouvelle et à tout décès même lorsque les uns et les autres n’ouvrent ni ne retirent droit à une aide familiale ou à une prestation légale. http://adala.justice.gov.ma/product...

[9] Les communes sont régies par le Dahir du 30 septembre 1976.

[10] En 2008, la CNAV dénombrait 11 395 340 assurés de droits directs soit 81.3% des assurés

[11] J-M. Dupuis, C. El Moudden, A. Pétron, (2010), « Les systèmes de retraite du Maghreb face au vieillissement démographique », Revue française d’économie, vol XXV, juillet.

VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION DANS LES PAYS DU SUD

Famille, conditions de vie, solidarités publiques et privées... État des lieux et perspectives

ACTES DU COLLOQUE INTERNATIONAL DE MEKNÈS

Maroc 17-19 mars 2011