Atelier Mobilité et Résidence, 16 & 17 novembre 2004, CEPED, Nogent-Sur-Marne
1. Contexte de la recherche et lieux
d’investigation
Depuis la
fin de
la guerre froide, la péninsule indochinoise est
entrée dans l’ère de la
reconstruction et de la coopération sous les auspices
d’une Chine désormais
convertie au culte du capitalisme. La stabilisation
géopolitique actuelle de la
région permet une renaissance de la communauté
chinoise du Laos[1]
dans un contexte d’afflux
des investissements et d’accélération
des échanges de toute nature en
provenance du monde chinois (Chine populaire, Taiwan, Singapour,
Chinois de la
diaspora, communauté sino-thai…).
L’objectif
général de la recherche est
l’étude du lien entre les mobilités des
populations
et les recompositions spatiales de Vientiane :
étude
des communautés
urbaines, de leurs mobilités résidentielles
à l’intérieur et de
l’extérieur de
la ville et professionnelles, et des nouveaux processus
d’appropriation de ces
espaces recomposés. Pour ce faire, nous nous sommes
notamment intéressés à
l’insertion urbaine et aux mobilités spatiales des
populations marchandes, en
relation avec l’importance des activités
marchandes dans les fonctions
urbaines. Comme les populations vietnamiennes et chinoises ont un
rôle
stratégique dans le dynamisme de la ville[2],
nous nous intéressons à leur poids dans les
recompositions spatiales et dans
l’émergence de nouveaux lieux de la
centralité, notamment marchande.
L’avancée
du
Yunnan au Laos touche Vientiane, où elle est
relayée par des accords politiques
visant à la promotion des échanges.
En
février 1996 une délégation conduite
par le secrétaire du Comité provincial du
PCC s’est rendue à Vientiane. Sa mission
était d’encourager le développement
des échanges dans les domaines économique,
commercial, de la communication, des
sciences et technologies, de l’éducation et du
tourisme. Ce genre de démarche,
qui se multiplie depuis plusieurs années, semble porter ses
fruits puisque de
nombreuses compagnies publiques yunnnanaises, notamment dans le domaine
de la
sylviculture, la production d’explosifs destinés
à des fins civiles et de
l’aviation sont désormais présentes
dans la capitale du Laos. La direction et
les postes clefs reviennent désormais à des
ressortissants chinois de Kunming,
la capitale provinciale du Yunnan. Les expatriés yunnanais
forment à Vientiane
une communauté fermée qui entretient peu de
relations avec les anciennes
communautés. Cependant, lors de l’embauche du
personnel local, ils privilégient
les candidats diplômés de
l’école chinoise de Vientiane pour leur
maîtrise du
mandarin.
A
Vientiane,
l’Association des Chinois sert déjà de
relais à des entrepreneurs particuliers
en provenance du Yunnan et du Guangdong. Ces petits investisseurs
privés sont
souvent dans une logique d’immigration temporaire ou
définitive au Laos. Pour
certains, il s’agit uniquement d’une solution
transitoire en attendant
l’occasion de pouvoir tenter ultérieurement leur
chance en Thaïlande. Ceux qui
nourrissent des projets stables s’inscrivent
généralement à l’Association
des
Chinois de la ville qui les accompagne dans le dédale de
démarches
administratives nécessaires pour devenir résident
permanent et obtenir le droit
d’exercer une activité privée au Laos.
Nous présenterons le protocole de cette recherche, exposerons les résultats et replacerons le cas de Vientiane au sein d’autres études[3] montrant que la logique du libre entreprenariat est le coeur de la dynamique moderne des diasporas chinoises. En outre, celles-ci relocalisent leurs activités économiques en fonction des opportunités proposées par les différents pays ; parallèlement les flux migratoires se réorientent vers les localités les plus attractives. Aussi le nombre de résidence(s) (mono ou pluri-résidence) et de migrations est inversement proportionnel à la réussite du négoce.
2. Protocole et questionnaires
Source :
Enquête « Mobilités
spatiales des
commerçants à Vientiane »,
Juillet- septembre 2001, auprès des
marchands et commerçants : 1575 entrevues
dans 17 marchés et rues
adjacentes.
Base de
sondage :
recensement des points de vente, en différenciant types
d’installation, types
de produits vendus et, pour les grands marchés,
l’origine et la nationalité
déclarée des populations.
Taux de
sondage : 10 à
20% des points de vente selon la taille du marché.
Commerçants
chinois présents
Entretiens
menés avec les commerçants du centre
commercial chinois et de la société de gestion du
centre commercial à la fin
2001.
Etude
historique du développement du nouveau
quartier chinois de Vientiane ; rencontre avec les
autorités des gestions
du marché/ou centre commercial pour connaître les
règles de fonctionnement de
ce lieu, le nombre de boutiques, etc.
-
Si non, où
pensez-vous vous installer ?
-
Pour quelle(s)
raisons ?
Lieu
d’investigation des populations
chinoises et d’origine
chinoise : le quartier
chinois et
commerçant de Nongdouang
Constitué
des villages de
Nongduang et Khualuang Neua, ce quartier s’est
développé sur une voie ancienne,
au tracé rectiligne, ouverte à travers les
rizières, sur les franges de la mare
de Nongduang entre 1954 et 1959 (Pl. T2-04 et T2-05). Le plan de 1960
révèle un
début d’urbanisation, lâche et
discontinue, préfigurant la rue marchande qui
s’est développée après la
construction, en 1966, du marché en dur de Nongduang
ou marché du soir (talat
Leng), qui a
remplacé les éventaires commerciaux temporaires.
Dès
le début des années
1970, la voie élargie porte, à l’ouest
du marché du soir, un front bâti
linéaire composé de compartiments dont certains
sont encore en place et, en
amont, un quartier défini par un quadrillage de voirie aux
îlots bordés de rues
marchandes. Cet ensemble, régulier et consolidé,
constitue le premier pôle
commerçant périurbain de la partie occidentale de
la ville.
Ce
quartier regroupe trois structures commerciales
différenciées :
Après
la création en 1993 du
centre commercial chinois et son ouverture en 1995, ce quartier
connaît un
renouveau qui se traduit, sur le plan des formes architecturales et
urbaines,
par une progression des rues marchandes, la densification et la
consolidation progressives
des îlots, ainsi que par la construction de nouveaux types de
compartiment. On
peut y distinguer le centre commercial, les deux marchés,
les rues adjacentes
du marché du soir desservies par la T2.
D’après
les résultats de nos
enquêtes auprès des ménages, un tiers
des résidants de Khualuang
Neua est né à Vientiane, dont la
moitié à Khualuang Neua
et les villages limitrophes, un cinquième dans des quartiers
anciens du
centre-ville où les étrangers
s’étaient établis durant la
période du Protectorat
français, et 30 % dans des secteurs plus
éloignés de leur lieu de résidence
actuel. Un quart des chefs de ménage et leurs conjoints sont
nés en Chine dans
les provinces du Yunnan, de Zejiang et du Hunan. Ces informations
confirment
l’impression et la réputation de ce village, du
quartier du marché du soir et
du centre commercial : celle d’être le
premier quartier Chinois de
Vientiane.
3.
Résultats : le centre commercial
Chinois, apparemment peu attractif
Bien
qu’inauguré et ouvert
le 26 octobre 1996, le centre commercial ou marché chinois
ne commença à
véritablement fonctionner qu’à partir
de l’automne 1999[4],
sous l’impulsion
de son gestionnaire, l’entreprise Hongrui, qui incita des
commerçants de la
province du Yunnan à venir s’y installer. En
outre, celle-ci effectue les
démarches requises d’obtention de patentes pour
les commerçants chinois,
lesquels n’ont plus qu’à
s’occuper du règlement des taxes. Elle
exécute les
décisions de la maison mère, Kunming
International Trust and Investissement Co (KITIC), qui a
financé la
construction de ce centre commercial d’un montant
d’environ deux millions de
dollars et en a obtenu de la Préfecture de Vientiane une
concession pour une
durée de vingt-cinq ans. En 2002, le bâtiment qui
peut accueillir 288 boutiques était occupé par
120 commerçants. 80 % d’entre eux sont de
nationalité chinoise, pour la
plupart originaires de Kunming, chef lieu du Yunnan et province
frontalière
avec le Laos, ou de Chengjiang également dans le Yunnan.
La
durabilité de leur
installation dépend de leur réussite dans le
négoce et s’inscrit souvent dans
un réseau familial très organisé
jouant sur la complémentarité des produits
et/ou géographique transfrontalière de la Chine
et du Laos et sur les
différences de prix entre les deux pays (cf. fiches). Ici,
la
pluri-résidentialité des membres actifs des
familles commerçantes vise
notamment à leur garantir une grande souplesse et une forte
marge de manœuvre
dans la conduite des affaires.
La
contrebande n’y est pas
exclue. Quelques-uns de ces commerçants dorment dans leur
magasin mais ils
doivent alors payer plus de 5 dollars par mois par personne et par
boutique aux
autorités villageoises. Dans la plupart des cas, ils
résident soit à Nongduang,
dans les rues adjacentes au marché, soit à
Khualuang. Environ 18% des
commerçants sont laotiens, les deux pour cent restant sont
soit Vietnamiens
soit Indiens.
Les
produits vendus sont
généralement fabriqués en Chine
d’où ils sont acheminés par des camions
passant
par LuangNamtha, province frontalière de la Chine et du
Laos. Au premier niveau
il s’agit principalement de matériel
électronique (Hi-Fi, lecteurs
vidéocédéroms,
téléviseurs, etc.), de bijoux,
vidéocédédroms et cassettes
vidéos. A l’étage se sont
réunis les commerçants de vêtements et
de meubles. Sa
fréquentation n’est pas très importante
pour les raisons suivantes :
marchandises disponibles ne provenant que d'un seul pays ;
choix donc plus
limité ; qualité des produits parfois moins
assurée même si les prix sont
généralement bas ; faible
intégration des commerçants aux pratiques
laotiennes ce qui peut la rendre difficile. La clientèle est
soit jeune et
attirée par les produits venus d’ailleurs[5],
soit chinoise
installée au Laos.
Les
exemples suivants témoignent et illustrent
concrètement les situations rencontrées.
Interviews de commerçants du centre commercial chinois
Employée laotienne d’une boutique d’appareils électroniques appartenant à un couple de chinois de Chengjiang (Yunnan)
4.
Commerce ethnique et libre entreprenariat comme dynamique des diasporas
asiatiques
Les
résultats de cette étude rejoignent les analyses
faites par des spécialistes
des diasporas chinoises (Emmanuel Ma
Mung, Migrinter ; Isabelle Taboada-Leonetti, Le
Huu Khoa, Grisea).
La
spécificité actuelle des migrations asiatiques
est de s’exprimer
d’abord à l’intérieur du
continent asiatique, donc d’avoir un caractère
macro-régional. En Asie, plusieurs pays sont devenus
à la fois pays
d’émigration et d’immigration pour les
travailleurs qualifiés ou non. La Chine,
par exemple, accueille 80 000 travailleurs hautement
qualifiés.
La logique
du libre entreprenariat est le coeur de la dynamique moderne
des diasporas chinoises. En outre, celles-ci relocalisent leurs
activités
économiques en fonction des opportunités
proposées par les différents
pays ; parallèlement les flux migratoires se
réorientent vers les
localités les plus attractives. Le libre entreprenariat
s'adapte sans cesse au contexte économique des pays
d'accueil tout en gardant
une logique communautaire.
Ainsi, la
communauté des Chinois de la
région de Zhéjiang en France
s’organisait-elle autour d'entreprises du secteur
alimentaire dans un premier temps (restauration en priorité,
confection,
produits alimentaires...), dans le domaine technologique
(informatique...) dans
un second temps (Le Huu Koa). C’est en suivant la logique
transnationale du
commerce, sans attachement patrimonial, que les diasporas asiatiques
fonctionnent, en constante adaptation aux lois fluctuantes de ce vaste
marché.
A
Vientiane, le nombre de résidence(s) (mono ou
pluri-résidence) et de migrations
est inversement proportionnel à la réussite du
négoce. Autrement dit, mieux les
affaires se portent moins les résidences du groupe familial
(parents-enfants)
sont nombreuses. Les commerçants s’installent
durablement lorsque leur
situation économique leur permet. La
pluri-résidentialité des membres actifs
des familles commerçantes vise notamment à leur
garantir une grande souplesse
et une forte marge de manœuvre dans la conduite des
affaires.
Bibliographie
[1]
La composante chinoise de la population du
Laos serait passée de 100 000 personnes avant le
changement de régime en
1975 à environ 10 000 aujourd’hui.
[2] La première vague
d’immigration chinoise et vietnamienne à Vientiane
date du début du XXe
siècle, lorsque le gouvernement colonial, pour faciliter la
gestion des
services administratifs et militaires de ses nouvelles possessions et
en
réduire le coût, fît venir, dans un
premier temps du personnel d’Indochine,
puis encouragea l’immigration en accordant des terres et des
exemptions
d’impôts aux personnes qui contribueraient au
développement de l’agriculture ou
à la création d’entreprises. Vientiane
accueillait en 1975 une population
chinoise d’environ 45 000 personnes.
[3] Notamment les travaux de Emmanuel Ma Mung et d’Isabelle Taboada-Leonetti.
[4]. Lors de l’ouverture, le centre commercial « chinois » n’accueillait que treize commerces, dont neuf au rez-de-chaussée et quatre à l’étage. Seulement deux commerçants chinois y exerçaient des activités.
[5]. La jeunesse dorée de Vientiane est fortement influencée par les modes vestimentaires et musicales des pays voisins, dont la Thaïlande. Elle fréquente ce centre commercial pour y chercher ce qui le rend attractif : son grand choix de vêtements et de musique et de films.