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Quelle place accorder aux personnes âgées en perte d’autonomie ?

À propos d’une approche anthropologique comparative de la vie quotidienne des personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer vivant à domicile (Montpellier/Alger)

Saliha BOUMADJENE, Laboratoire mentalités et croyances N60, Université Montpellier 3, France.
Ouahiba BENALIA, Département des Sciences sociales, Université de Bouira Algérie.

Introduction

Les personnes âgées en perte d’autonomie représentent un groupe social nouvellement identifié qui ne cesse de grandir. En France et plus largement en Europe, cette population prend place dans un contexte dominé, d’une part par des modifications démographiques, économiques et sociales qui ont marqué les sociétés occidentales pendant le XX siècle, et qui se poursuivent. D’autre part, par des mutations dans le champ de la santé dominées par les maladies chroniques et les handicaps liés au grand âge.

On observe en France une augmentation constante de la proportion des personnes de plus de 60 ans (18 % en 1982 pour 22% en 2008), les personnes de plus de 75 ans représentent 8% de la population totale [1]. A savoir que l’on gagne un trimestre par an d’espérance de vie. Ce vieillissement de la population soulève donc nombre de préoccu-pations. Jusqu’à présent, le débat en France, s’est porté essentiellement sur l’avenir du système de retraite et sur le déséquilibre qui se crée entre retraités et actifs. Bien évidemment, il est important de se poser ces questions car le vieillissement démographique implique aussi des transformations profondes dans le fonctionnement de la société.

En Algérie, La population des personnes âgées n’a pas suscité un intérêt important des pouvoirs public, Considéré comme un pays « jeune » La part des moins de 20 ans était estimée à 55.0 % en 1987. A l’opposé, au sommet de la pyramide, la population âgée, ne représentait que 5.7% de la population totale. C’est pour cette raison la prise en considérations des problèmes de la vieillesse est relativement récents car les principaux sujets qui ont dominés les années après l’indépendance c’était la diminution de la mortalité, ensuite la maitrise de la fécondité. Actuellement, la population globale est de 35,5 millions habitants en 2010, on passant de 10 millions habitants en 1962 à 26 millions en 1992.

Comme d’autres pays appartenant à la rive sud de la méditerranée, L’Algérie ne semble pas être épargnée par l’ampleur du phénomène de vieillissement de la population. Les données démographiques des deux dernières décennies révèlent un accroissement régulier de la tranche de population de plus de 60 ans. En 2005, 7,4 % de la population globale a plus de 60 ans et plus et atteindra les 9% en 2015. Ce taux devrait considérablement se renforcer dans les années 2030-2050 avec l’arrivée à l’âge de la retraite des générations du baby boom des années 70 et 80. Les plus de 60 ans qui était estimés à 2.2 millions en 2002, à 2.8 millions en 2010, seront de l’ordre de 4.3 millions en 2020 et 6.7 millions en 2030³. Ce fait annonce le défi majeur de la société algérienne pour les prochaines décennies. Cette nouvelle situation doit nécessairement interpeler les pouvoirs publiques afin d’anticiper sur la mise en place de stratégies adaptées à la société du Maghreb afin de ne pas rencontrer les mêmes difficultés, sinon plus sévères, que celles déjà rencontrées par les pays occidentaux.

Parmi les conséquences de l’avancée en âge, le risque de voir apparaître des maladies handicapantes augmente. Le vieillissement progressif de la population française et l’accroissement des situations physique et psychique qui en résulte est un phénomène lourd sur lequel toutes les projections s’accordent. Ainsi, la prise de conscience de l’ampleur du problème de la dépendance a progressé, le nombre de personnes atteintes de cette maladie ne cesse d’augmenter : - 900 000 cas diagnostiqués, 120 000 nouveaux cas déclarés chaque année, et une projection à 10 ans qui permet de porter la population atteinte de cette maladie ou de démences apparentées à 1,3 millions de malades [2]. Sans doute, l’incidence de cette pathologie ne cessera de croitre également dans les pays du Maghreb.

Depuis 2003 une consultation mémoire a été initiée à l’hôpital Maillot d’Alger (Pr Abada-Bendib). L’analyse de l’activité de ces consultations montre une importante augmen-tation du nombre de patients d’année en année. Sans doute, l’incidence de cette pathologie ne cessera de croitre également dans les pays du Maghreb.

En plus de son cout, cette maladie est inéluctablement pourvoyeuse d’une perte progressive de l’autonomie jusqu’à la grabatisation et le décès de la personne. Cette situation nous amène à s’interroger sur la place sociale accordée à ce groupe de malades dans chacune des deux sociétés ?

Pour répondre à cette question à travers un regard anthropologique et comparatif, on a choisi d’analyser les caractéristiques de la vie quotidienne des personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer vivants à domicile à Montpellier et à Alger.

Évidement, l’association du vieillissement et de la maladie d’Alzheimer met la personne âgée dans une situation de fragilité et de perte d’autonomie ou dans une situation d’handicap et de dépendance. La confusion qui existe actuellement et le manque de consensus à propos de la définition de la dépendance, renvoie à différentes visions et conceptions de la vieillesse. Bien que la confusion est entretenue en permanence entre les deux termes « dépendance » et « perte d’autonomie » mais les deux mots désignent les mêmes personnes. Selon l’OMS, deux critères principaux sont retenus pour définir la dépendance : le confinement lié à l’inaptitude à la mobilité physique, et à la dépendance à un tiers pour effectuer les actes quotidiens.

Méthode

Afin d’étudier en profondeur la vie quotidienne du groupe social « personnes âgées Alzheimer », il nous a paru possible, dans une étude qualitative, de se limiter à une population de huit cas vivants à domicile à Montpellier comparés à huit autres cas vivants à Alger chez eux ou chez leurs enfants.

L’analyse de leur vie quotidienne s’est basée sur une enquête qualitative en s’aidant de l’observation participante et des récits d’une journée. Ces récits de vie ont contribué à repérer et à décrire les différents comportements des personnes étudiées à Montpellier, leurs réactions et leurs relations avec l’entourage professionnel et non professionnel (aidant familial, amis, voisins et intervenants à domicile). Au cours des enquêtes effectuées à Alger, on s’est basé sur l’observation participante et des entretiens semi directifs réalisés avec les malades et l’entourage familial qui représente dans la plupart des cas l’aidant informel.

Résultats et discussion

Les résultats de cette étude ont révélé les caractéristiques de la vie quotidienne des personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer dans deux sociétés différentes. Parmi ces principales caractéristiques, nous avons retenues en commun entre les deux rives de la méditerranée :

  • que la vie quotidienne des personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer est caractérisée, d’une façon générale, par la diminution des capacités intellectuelles et physiques qui entrainent une réduction progressive du nombre d’activités quotidiennes (tâches domestiques les plus élémentaires), d’une part, et d’autre part, des difficultés à s’orienter dans les espaces et dans le temps, qui aboutissent plus ou moins rapidement au confinement.
  • La souffrance des aidants informels caractérise le vécu quotidien de l’entourage familial dans les deux sociétés. Au début de la maladie, les troubles ne sont pas important ou pas graves, l’entourage familiale et sociale les tolèrent bien et sont souvent mis sur le compte du vieillissement de la personne. Au fur et à mesure de la progression de la maladie, l’impact sur l’environnement social et familial devient de plus en plus compliqué. Cette souffrance est plus marquée chez les aidants algériens, du fait de l’inexistence d’aidant professionnels (infirmiers libéraux, auxiliaire de vie, aide soignante à domicile). Les soins quotidiens sont alors principalement réalisés par les femmes (conjoints, les sœurs, les nièces, les jeunes filles et belles filles…).

L’aide aux aidants est une idée qui fait progressivement son chemin en France. Pour soulager les aidants, l’état prévoit dans le plan gouvernemental Alzheimer 2008-2012, des dispositions en faveur des aidants comme des prestations des services ou un soutien d’ordre matériel et psychologique. Ce plan vise à soulager les personnes qui aident leurs parents malades ou les professionnels qui interviennent auprès de personnes malades ou dépendantes. Cette aide peut prendre différentes formes : information sur la maladie et sa prise en charge, soutien psychologique individuel ou de groupe, offres de répit, formations, etc.

La différence essentielle qu’on a retenue entre les personnes originaires de Montpellier et les personnes originaires d’Alger se résume essentiellement en :

  • une vie quotidienne marquée par la solitude et l’isolement social. En France, en plus de l’isolement social, les personnes âgées Alzheimer éprouvent un grand besoin de communiquer, d’être écoutées attentivement et surtout d’être comprises. Cette caracté-ristique n’a pas été observée à Alger, puisque la solidarité familiale est très présente, les personnes âgées en perte d’autonomie sont bien entourées par leurs familles (enfants, petits enfants, frères, épouse, sœurs, belles filles, nièces…) et pris en charge par les siens. Cependant l’absence d’activités sociales organisées, installe chez ces personnes un sentiment d’isolement et d’inutilité (souvent les personnes interrogées sur les sorties nous répondent : «  … il n ya pas ou aller et rien à faire dehors ! »).

Diverses perturbations au cours de la vie peuvent fragiliser les relations sociales de la personne âgée telle que le veuvage, la maladie, le décès des amis de la même génération ce qui entraine une perte du réseau relationnel. Les troubles cognitifs et la désorientation temporo-spatiale dont souffrent le groupe de malade Alzheimer compliquent davantage cette situation. Ces personnes âgées ont tendance à se confiner à leur domicile. L’aide qui doit être apportée à ces personnes se rapporte à la présence, l’affection et à l’attention afin de compenser, d’une part leur déficit en communication, et d’autre part la perte du réseau social. Cet isolement social favoriserait-il l’installation ou la progression de la maladie d’Alzheimer ?

Cette étude nous a permis d’identifier la place accordée à cette population dans le contexte des valeurs familiales, sociales et culturelles contemporaines. Effectivement toutes les familles questionnées à Alger s’accordent à confirmer la forte dépendance de leur conjoint, parents, grands parents, tantes ou nièces à leur égard. En France, en raison de la forte prévalence de la maladie et en raison de la diminution du nombre des aidants, la perte d’autonomie de ces personnes atteintes est devenue un vrai problème de santé publique et un défi pour la société. Certes le maintien à domicile des personnes âgées atteintes est une priorité des autorités publiques mais rendu difficile car la solidarité de proximité est d’autant plus fragilisée par l’éloignement des enfants du domicile parental.

En Algérie, après l’indépendance, les principaux programmes de santé ont donné la priorité à la lutte contre la mortalité infantile et les maladies transmissibles, ensuite à la maitrise de la fécondité et à la protection maternelle. La catégorie sociale représentée par les personnes âgées de plus de 60 ans a été toujours intégrée dans la population adulte sur le plan familiale, sociale, économique et médicale. Leur faible représentation dans la population globale, a fait en sorte que cette frange de la société n’a jamais bénéficiée d’une politique vieillesse médico-sociale ou sanitaire spécifique. Cela a d’autant favorisés et contraints ces personnes à vivre auprès de leurs familles. La politique gérontologique en Algérie demeure à ce jour balbutiante, on relève la quasi-absence de mesures et de dispositifs de prise en charge des problèmes liés à la vieillesse et ou à la perte d’autonomie.

Conclusion

Étant donné la nouveauté de ce phénomène, la société peine à assumer ces difficultés sociales, familiales et financières. L’interaction de tous ces facteurs nécessite une réflexion multidisciplinaire pour une prise en charge meilleure de la vieillesse et de la perte d’autonomie.

En Algérie, la politique gérontologique est balbutiante et on relève la quasi-absence des mesures et de dispositifs de prise en charge des problèmes liés à la vieillesse et à la perte d’autonomie. Pour anticiper la prise en charge des situations de perte d’autonomie des personnes âgées et particulièrement touchés par la maladie d’Alzheimer, il est temps de mettre en place une politique gérontologique décentralisée basée sur des aides autour de la personne. Il s’agit de mettre à la disposition des personnes âgées un ensemble coordonné de moyens financiers ou matériels et de services adaptés à leurs besoins (ex : hospitalisation de répit, cellule communale d’orientation, centres de rééducation), ce qui permettra de « décharger » les familles et d’améliorer en même temps la vie quotidienne de l’aidé et de l’aidant.

Pour conclure : La place accordée aux personnes âgées en perte d’autonomie dépend de l’ensemble des valeurs sociales, culturelles et familiales spécifiques à chaque société.

Cette comparaison va nous permettre de distinguer l’approche la mieux adaptée dans la prise en charge de ce groupe de population en s’inspirant davantage des valeurs sociales propres à chaque société. Que ca soit à Montpellier ou à Alger, ce contact direct nous a permis également d’identifier les préoccupations et les « contraintes non dites » de ces personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et de les transmettre à l’ensemble de la société afin de contribuer à améliorer leur qualité de vie.

BIBLIOGRAPHIE

Plan Alzheimer et maladies apparentées 2008 - 2012. Ministère chargé de la sante et des affaires sociales, - France - février 2008.

J.N. Belkhodja, M. Chader, P. Chaulet, Z. Cherfi, J.P. Grangaud. Rapport national sur le développement humain du groupe charge de la rédaction de la section sante et action sociale du CNES - Algérie – 2008.

Transition épidémiologique et système de sante -Projet TAHINA- Ministère de la sante, de la population et de la réforme hospitalière, INSP d’Alger, Algérie novembre 2007.

Barberger Gateau P, Letenneur L, Peres K. Résultats PAQUID. 2004. www.isped.u-bordeaux2.fr.

François Laplantine, Anthropologie de la maladie, édit. Payot, 1998

Gériatrie pour le praticien, édit. Masson 2010.

[1] Projections de population pour la France métropolitaine à l’horizon 2050, Insee (site internet).

[2] Projections de population pour la France métropolitaine à l’horizon 2050, Insee (site http://www.insee.fr/fr/ppp/ir/accue...). - La dépendance des personnes âgées : une projection en 2040, Michel DUEE, Cyril REBILLARD, Insee.

VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION DANS LES PAYS DU SUD

Famille, conditions de vie, solidarités publiques et privées... État des lieux et perspectives

ACTES DU COLLOQUE INTERNATIONAL DE MEKNÈS

Maroc 17-19 mars 2011