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Les premiers signaux du vieillissement de la population en Égypte

Conditions de vie des personnes âgées et relations intergénérationnelles

Aurora ANGELI, Camilla ALBERANI, Université de Bologna, Italie

1. Introduction

Au début du XXIe siècle, l’ensemble de la région regroupant l’Afrique du Nord, la péninsule Arabique et le Moyen-Orient (20 pays) conserve une croissance démographique élevée, de près de 2% par an. La transition de la fécondité a été plus tardive en Afrique du Nord et au Moyen-Orient que dans la plupart des autres régions du monde. Les indicateurs de nuptialité et de fécondité suggèrent que des profonds changements du modèle familial usuellement dominant sont en cours dans la région (Tabutin et Schoumaker, 2005). A l’intérieur de la même région l’Égypte [1] a été caractérisé par un rythme de baisse de la croissance démographique plus lent que ce des autres pays. La fécondité s’est demeurée très élevée pendant les années 1960, avec un nombre moyen d’enfants par femme (ISF) estimé à 6,6 environ. Ensuite la fécondité a diminuée presque 50% au cours des trois décennies suivantes, et s’élève actuellement autour de trois enfants par femme. Entre 1980 et 2005 la population égyptienne a réalisés les plus fortes hausses de l’espérance de vie pour les deux sexes (fig.1).

La structure par âge reflète le chemin de transition : en 2010 la part des moins de 15 ans est encore autour de 33% ; la part des 65 ans ou plus a augmentée de 4% en 1980 à 5% en 2010 (de 5,6% à 7,5% pour la part de 60 ans ou plus). La population Égyptienne va se transformer, et les prochaines années verront s’accentuer le processus de vieillissement de la structure par grands groupes d’âges de la population (fig.2). Le pays est encore très jeune, mais on peut percevoir les premiers signes de changement de la structure d’âge, très évidents dans la pyramide des âges prévue en 2030 selon les données des Nations Unies. La part des 65 ans ou plus estimée pour 2030 arrivera à 8,4 % (11,4% la part de 60 ans ou plus) et les moins de 15 ans diminueront jusqu’ à 26% (Nations Unies, 2011 ; Awad et Zohry, 2005).

Les effectifs absolus permettent de mieux comprendre les problèmes liés aux changements dans la structure démographique.

Les jeunes de moins de 15 ans sont estimés à 25,5 millions environ en 2010, et leur nombre est prévue osciller autour de ce effectif, avec un maximum de 27,2 millions en 2020 pour arriver en 2050 à 24,5 millions, une valeur proche mais plus basse de la valeur actuelle. La population âgée de 65 et plus est estimée à 4 millions environ en 2010, et ensuite elle arrivera à 9,3 millions en 2030 pour atteindre 17,5 millions en 2050. L’augmentation du nombre de personnes les plus âgées, et potentiellement dépendantes, est encore plus notable : si en 2010 ceux de 80 ans ou plus arrivent à 0,5 millions, ils sont estimés à 1,5 et 3,5 millions environ en 2030 et 2050 (Nations Unies, 2011).

La pyramide des âges montre des changements importantes attendus dans l’espace de quelques décennie : selon les projections des Nations Unies la base continuera se comprimer, mais en 2030 les enfants de 0-4 ans seront encore aussi nombreux que ceux des jeunes générations précédentes (fig.3). Le procès de vieillissement progressif sera très évident quand les nombreuses générations, qu’en 2010 entrent en âge de travail, auront dépassé 60 ans.

Le pays présente donc les signaux de vieillissement proposés dans la littérature, comme la diminution du temps que chaque pays mettra à voir doubler sa proportion de personnes âgées de 65 ans ou plus, ou le fait que la proportion des 60 ans et plus dépasse les 10% (Pison, 2009 ; Nations Unies, 2011 ; Thumerelle, 2000).

Tandis que le 20ème siècle était le siècle de la croissance démographique rapide, le 21ème siècle devrait donc devenir le siècle du vieillissement, qui sera en tous cas moins grave en Égypte que dans les autres pays du Maghreb à cause de la transition plus tardive de la fécondité (Courbage, 2002).

Les tendances démographiques montrent des différences importantes par milieu de résidence, soit selon les régions soit entre ville et campagne. Les projections de population pour les prochaines décennies assument une augmentation de la population urbaine d’âges actifs, surtout dans le segment 25-64 ; en même temps, la population rurale va vieillir plus rapidement. Comme pour d’autres pays (Jordanie, Maroc, Tunisie et Yémen) la migration de travail rurale-urbaine des jeunes adultes et des adolescents, et puis le retour à la campagne après la retraite, est un facteur déterminant du vieillissement en milieu rural (ESCWA, 2007).

Des différences persistantes dans la diffusion de la pauvreté

Le pays a connu aussi des difficultés économiques et sociales, et il s’est confronté à des problèmes dramatiques pour ce qui concerne la pauvreté et l’inégalité. Son modèle de développement économique a subi des profondes transformations au début des années 1990, en réponse à la crise économique sévère à la fin des années 1980. Les mesures destinées à restaurer les équilibres macroéconomiques et à libéraliser l’économie égyptienne se sont traduites par une reprise, puis par une accélération de la croissance au cours des années 1990, et par un ralentissement du rythme de la croissance durant la première moitié des années 2000. Le pays a réalisé ensuite une période de croissance en 2000-2005.

Une succession d’enquêtes sur la consommation des ménages a relevé une élévation alarmante de la pauvreté. L’écart entre les riches et les pauvres dans la société a augmenté depuis 1980/81, avec une amplification des inégalités "par le haut". Les dernières enquêtes sur la période 2005-2009 indiquent aussi que la réduction de la pauvreté n’a pas regardé toutes les familles, avec une aggravation de l’inégalité et de la pauvreté extrême. Parmi les déterminants de la pauvreté soit la taille et la structure du ménage soit les caractéristiques du chef de ménage émergent comme des facteurs très importants qui influencent la possibilité du ménage de sortir de la pauvreté.

Les différences entre milieu urbain et rural persistent aussi dans la diffusion de la pauvreté, qui est concentrée dans les zones rurales. Alors que 56% environ de la population Égyptienne vit dans les zone rurales, y sont concentrés plus de 78% des pauvres et 80% de la population des ménages les plus pauvres (Awad et Zohry, 2005 ; Handoussa, 2008). Mais aussi dans les villes on trouve une concentration de la pauvreté extrême. Par exemple le Caire, qui accueille 50% de la population urbaine du pays, ne renferme que 19% des pauvres urbains, mais il faut souligner que la situation des ménages cairotes les plus pauvres est une des plus graves qui soit dans les régions urbaines.

L’application de mesures de redistribution en faveur des pauvres et les efforts de réduction de la pauvreté devraient être orientés, en premier, vers les zones rurales et, à l’intérieur de celles-ci, vers les villages de la Haute-Égypte, qui est pointée comme la région la plus pauvre et qui présente aussi des faibles niveaux d’instruction et des insuffisants services de santé (Fergany, 1993 ; Adams and Richard, 2000 ; Fargues, 2002 ; El-Laithy and Kheir al-Din, 2006 ; Marotta and Yemtsov, 2010 ; Angeli, 2009).

Selon les évaluations internationales le pays n’a pas préparé l’économie pour une société de personnes âgées. L’augmentation de la population plus âgée (fig. 2), en chiffres absolus et en rapport à la population en âge de travailler, a des implications importantes en ce qui concerne la possibilité future de maintenir les modalités formelles et informelles d’aide aux personnes potentiellement dépendantes. Le système de retraite, le plus important pour soutenir les personnes âgées, est caractérisé en Égypte par des pensions faibles et décroissantes, des problèmes d’administration du système de sécurité sociale et des ressources limitées. Les pensions ont baissé, tandis que le coût de la vie a augmenté dramatiquement : les pensions moyennes pour les pauvres sont évaluées au-dessous du seuil de pauvreté (UNFPA, 2010).

L’impact économique et social du vieillissement est donc, à la fois, une opportunité et un défi. Dans la société, les personnes âgées constituent un élément précieux mais il devient urgent d’identifier les moyens d’aider les personnes âgées ayant des besoins à long terme (Awad et Zohry, 2005). Le phénomène a des profondes répercussions dans la société, de la vie familiale aux relations entre les générations, aux régimes de retraite. Comme en général pour "les pays du Sud", il est fondamental connaître les modalités de résidence des personnes âgées, et s’il existe une nouvelle vulnérabilité sociale de ces groups d’âge (Vignikin, 2007 ; Antoine et Golaz, 2010 ; Nations Unies, 2005).

2. But du travail

Le but de ce travail est de vérifier si en Égypte les premiers pas vers le vieillissement de la population peuvent se reconnaître aussi au niveau des familles. On veut examiner si les structures des ménages montrent des changements et si la situation de ménage des personnes âgées s’est modifiée pendants les années récentes.

La base des données est représentée par les enquêtes auprès des ménages "Egypt Labor Market Survey" de 1998 (ELMS 98) " et "Egypt Labor Market Panel Survey " de 2006 (ELMPS 06), menées par Economic Research Forum (ERF) et CAPMAS [2]. Le ménage est ici défini comme une unité constituée, qui peut être composée aussi par une personne vivante habituellement seule.

L’enquête de 1998 concerne un échantillon de 5.000 ménages. En 2006, 8349 ménages ont été enquêtés (plus de 37.000 personnes), dont 3.684 ménages déjà enquêtés en 1998.

Ils sont prévus, parmi les autres, renseignements détaillés sur :

  • le logement : niveau de confort, utilisation ;
  • les biens de consommation durable retenus par le ménage ;
  • les individus : caractéristiques démographiques (genre, âge, état matrimonial, rapport avec le chef du ménage), formation scolaire, travail et emploi, histoire migratoire…
  • les sources du revenu et les transferts monétaires : retraite, transferts qui arrivent de l’étranger (des migrants) ou de l’intérieur du pays par des parents ; aides fournis par des organisations religieuses ou ONG.

Les bases de données - une pour les ménages et une pour les individus regroupés dans les ménages - sont représentatives des ménages au niveau national (Barsoum, 2007). Un poids de sondage est assigné à chaque individu échantillonné, pour obtenir des estimés pour la population à partir de l’échantillon [3]. L’indication des rapports avec le chef du ménage et la structure des ménages où les personnes âgées se trouvent aux enquêtes nous permettent d’étudier et comparer leur situation familiale et les rôles qu’ils jouent. Une attention particulière est dédiée aux formes de solidarité intergénérationnelles et aux différences selon le genre et le milieu de résidence.

3. Les familles égyptiennes en 1998 et 2006

La taille des ménages

L’évolution de la structure par sexe et âge de la population, et les comportements de cohabitation influent sur l’évolution du nombre de personnes par ménage.

La taille moyenne des ménages égyptiens a baissé dans la période, de 6,2 à 5,6 personnes, et la distribution des ménages selon le nombre de composants est changée (tab. 1).

Les différences entre milieu urbain et rural sont considérables, avec l’augmentation du poids des familles les moins nombreuses, surtout au milieu urbain. En 2006, plus de 6% des ménages urbains se composent de personnes vivant seules, et quatre familles sur dix ne dépassent pas la taille de trois personnes (le pourcentage était inferieur à 30% en 1998). En même temps, les proportions de familles nombreuses ont baissé. Au milieu rural les changements sont moins puissants, bien que les poids les plus élevés se déplacent vers les ménages de taille plus réduite. En 1998 les pourcentages les plus hautes correspondent aux ménages de 4 à 7 personnes, en 2006 de 2 à 6 personnes.

De même, il existe toujours de sensibles différences de taille moyenne des ménages entre gouvernorats et régions à l’intérieur du pays. Le nombre moyen de personnes pour ménage se situe à 5,1 en 1998 et 4,5 en 2006 au Caire ; dans les zones rurales de la région "Haute-Égypte" la dimension moyenne atteigne 7 personnes en 2006 (7,8 en 1998).

Les proportions de personnes qui vivent seules ne changent presque pour la population totale des ménages (1% en 1998 et 2006) ; parmi les femmes le pourcentage est plus haut, et arrive à 1,6% en 2006.

Les pourcentages de personnes qui vivent dans des ménages entre deux et quatre composants passent d’environ 26% en 1998 à 37% en 2006.

L’allongement de la vie, la maîtrise accrue de la fécondité et les changements dans la société combinent leurs effets pour expliquer ces évolutions. Notamment la vie en couple se prolonge, moins rapidement rompue par le décès d’un des conjoints.

Tableau 1 - Ménages selon le nombre de personnes en 1998 et 2006 selon la résidence

Pas seulement le nombre de personnes par ménage est changé mais aussi l’âge des composants et leur structure en thermes et de relations internes. Un renseignement important est représenté par la proportion de ménages qui hébergent une personne âgée.

Avant tous, il est essentiel d’éclairer ce qu’on entende pour personne âgée, notion qui touche différents niveaux, individuels et collectifs et qui est influencée par les changements socioculturels continus. Comme la perception sociale au regard des personnes âgées varie en fonction des différents préjugés et regards que l’on peut avoir du vieillissement, aussi les relations entre générations et entre proches changent au fil du temps. L’ensemble des besoins se modifient ils mêmes avec l’âge. Les politiques, et la manière dont les personnes âgées y sont incluses en termes d’âge à la retraite ou de bénéfices adressés aux personnes âgées, sont aussi fondamentales.

Comme introduit par Antoine et Golaz (2010), malgré à quelques variantes près (plus ou moins 5 à 10 ans), c’est généralement autour de 60 ans que l’on continue aujourd’hui de fixer la borne temporelle marquant l’entrée dans la vieillesse.

Nous avons adopté l’âge limite de 65 ans pourquoi les premières élaborations ont montré qu’en Égypte seulement après 65 ans la condition familiale des individus montre des changements [4].

Ménages et personnes âgées

Le tableau 2 introduise les données sur les ménages qui hébergent au moins une personne de 65 ans ou plus parmi les ménages enquêtes en 1998 et 2006. Les proportions totales aux deux dates se situent autour de 20%.

Les changements n’ont pas touché toute la population Égyptienne de façon uniforme en matière de présence de personnes âgées dans les ménages, et on relève l’extrême diversité actuelle des Gouvernorats selon les caractéristiques urbaines ou rurales. Une hausse de la présence de ménages qui hébergent une personne âgée caractérise les Gouvernorats urbains (Caire, Alexandria, Port-Said, Suez) ; par exemple, au Caire autour de 13% de ménages incluaient au moins une personne âgée en 1998, tandis qu’en 2006 le pourcentage atteint environ 22%.

Tableau 2 - Ménages avec au moins une personne âgée de 65 ou plus sur le total des ménages, selon le Gouvernorat, le milieu de résidence et le nombre de personnes âgées*, 1998 et 2006

Les situations familiales et les rôles des personnes âgées dans les ménages

La proportion de ménages dont la personne de référence est âgée de 65 ans ou plus reste autour de 14-15% en 1998 et 2006, mais la condition et les rôles des personnes âgées dans les ménages semblent changer dans la période (tableau 3). Il émerge aussitôt que les proportions de personnes âgées qui vivent avec des parents baissent, aux âges les plus hautes aussi.

Les deux sexes montrent des comportements différents. Chez les hommes âgés de 65 à 79, plus de 9 sur 10 sont chefs de ménage [5] aux deux enquêtes ; chez les femmes le pourcentage est plus bas mais la condition devient plus fréquente, avant tous pour l’augmentation des femmes qui vivent seules.

Tableau 3 – Individus de 65 ans ou plus selon la relation avec le chef de ménage selon le genre et l’âge. Pourcentages.

Seulement 1-2% de la population totale des ménages vit seule, mais la condition est beaucoup plus fréquente parmi les personnes les plus âgées. Les femmes qui vivent seules représentent de l’ordre de 15-20% de celles de 65-79 ans. On retrouve presque les mêmes pourcentages parmi les personnes les plus âgées ; une femme sur cinq entre celles âgées de 80 ans et plus vit seule en 2006 (le pourcentage était 15% en 1998) [6].

Comme dans tous les pays, surtout d’hommes que de femmes prolongent leur vie avec leur conjoint pendant la vieillesse. Ces écarts entre les sexes tiennent essentiellement au veuvage plus fréquent chez les femmes, qui présentent des modèles de survie plus favorables de ceux des hommes et sont souvent plus jeunes que leur mari. Tabutin et Schoumaker (2005) soulignent que l’Égypte, comme d’autres pays de la région, a été traditionnellement caractérisé par des écarts élevés d’âge moyen entre époux. Une réduction des écarts d’âge moyen entre époux s’est réalisée depuis 1980 dans une majorité de pays, mais cette tendance n’a pas intéressé l’Égypte (et le Yémen). Les données des enquêtes "Egypt Labor Market Survey" ici utilisées, confirment que l’écart d’âge entre conjoints est souvent très haut.

La condition de chef de ménage, plus commun parmi les hommes, masque toutefois des disparités dans les situations familiales et les rôles des hommes et des femmes.

Le tableau 4 introduit les données sur les modalités de résidences des personnes âgées de 65 à 79 ans : avant tous on constate une tendance très répandue au choix de modalités de résidence indépendants et des profondes différences de genre pour ce qui concerne les situations de ménage. La tendance à vivre seul(e) ou avec seulement le conjoint est conforme à une préférence générale pour la vie indépendante dans les pays développés, mais on constate aussi dans quelques pays en développement la montée d’une préférence pour la résidence séparée (Nation Unies, 2005). Le pourcentage de femmes âgées de 65 à 79 ans seules présente une augmentation de 5 points dans la période considérée, soit de 15% à 20% environ. On estime [7] que plus de 298.000 femmes égyptiennes de ces âges vivent seules en 2006. En 70% de cas elles vivent en ville.

Comme introduit, à ces âges les hommes (chefs de ménage ou composants dans la famille d’un fils ou d’un parent) vivent plus souvent que les femmes en couple avec fils et petit-fils ou en couple sans enfants. Les pourcentages atteignent 83% parmi les hommes âgés de 65-79 ans en 1998 et 78% en 2006. Dans un certain nombre de cas, les hommes en couple se trouvent dans de ménages complexes, dont ils assument le rôle de chef de ménage. Comme en général dans plusieurs sociétés, l’estime sociale du patriarche comporte que soit désigné comme chef de ménage l’homme le plus âgé, qu’il soit ou non la personne d’autorité ou le pourvoyeur des ressources économiques (Locoh, 2007 ; Pilon et Vignikin, 1996). Dans les ménages égyptiens aussi les femmes veuves hébergées dans la famille d’un fils, assument quelquefois le rôle de chef de ménage. Souvent l’hébergement des ascendants fait coexister trois ou quatre générations dans un même ménage. Les estimes pour la population totale en 2006 montrent que plus de 41.000 personnes âgées de 65 ou plus (des femmes dans 90% des cas) se trouvent dans un ménage abritant 4 générations ; l’estime pour 1998 assigne 25.000 personnes.

Tableau 4 - Modalités de résidence des personnes âgées de 65 à 79 ans selon le genre*

Dans les zones rurales le pourcentage d’hommes (65-79) vivant en couple atteigne presque à 90% (tab. A1). Les proportions d’hommes vivant en couple restent hautes aussi au-delà de 80 ans, et augmentent légèrement entre 1998 et 2006 (de 62% à 63%).

Chez les femmes, la vie avec le conjoint - pour les causes déjà exposées - regarde surtout les âges pas trop élevées et les proportions sont plus basses de celles des hommes et baissent entre les deux dates (de 14 à 11% environ).

Le mode de vie le plus courant pour les personnes âgées de 65 à79 est donc de vivre avec leurs fils (et/ou petit-fils). Près de 65% des personnes âgées vivent avec un fils en 2006, mais on observe une diminution en comparaison avec 1998. Les pourcentages sont plus hauts pour les hommes et au milieu rural (tab. A.1).

Les ménages des femmes

La croissance des taux de chefs de ménage chez les femmes âgées est certainement un phénomène important en Égypte, comme presque partout ailleurs en Afrique durant les dernières décennies.

Cette situation peut se réaliser à la suite de circonstances différentes, telles que décès du mari, instabilité matrimoniale, absence du mari parti en migration, pratique de non cohabitation des conjoints (Angeli et Salvini, 2005 ; Pilon et Vignikin, 1996).

En 2006 plus de quatre femmes sur dix d’âge entre 65 et 79 ans assument ce rôle (y compris celles qui vivent seules). Au niveau des ménages, le phénomène est plus marqué en milieu urbain, où 25,7% des ménages sont conduits par des femmes, contre 13,1% en milieu rural.

À l’échelle internationale il y a une attention particulière à la dimension sociale de la catégorie des "femmes chefs de ménage" ; cette catégorie ne fait pas directement l’objet d’enquêtes spécifiques, sa croissance est de plus en plus systématiquement appréhendée comme indicateur de déstructuration familiale associée à la monoparentalité [8], la paupérisation et la vulnérabilité (Tichit, 2005). Il devient donc fondamental d’évaluer la pauvreté des ménages conduits par un homme ou par une femme, rappelant que quelquefois il y a des différences entre être « chef » et être « soutien » de famille.

Les conséquences d’une plus haute vulnérabilité des familles féminines ne concernent pas seulement la dimension strictement économique, mais aussi les dimensions liées à la protection de la sante, à l’éducation et en général au capital humain. Les pauvres en Égypte sont concentrés dans quelques zones géographiques, mais aussi à l’intérieur de quelques groupes sociaux. Les recherches ont toujours mis en évidence que les ménages dont le chef est une femme courent un risque de pauvreté plus élevé que les ménages dirigés par des hommes. Les différences dans la diffusion et la sévérité de la pauvreté selon le genre sont particulièrement prononcées dans les zones métropolitaines et dans certaines zones rurales (Galal, 2003).

Les enquêtes de 1997 et 1992/2000 [9] auprès des familles ont montré que les différences des taux de pauvreté économique entre hommes et femmes étaient statistiquement significatives dans les zones métropolitaines, dans la région Basse-Égypte urbain et dans toutes les zones rurales. En 1997 les ménages dirigés par des femmes étaient susceptibles d’être 1,3 fois plus pauvres que les ménages dirigés par des hommes en milieu urbain et 1,2 fois plus susceptibles d’être pauvres dans les zones rurales (Datt, Jolliffe et Sharma, 1998 ; El-Laithy, 2001).

Mais la pauvreté n’a pas seulement des aspects monétaires : au début du XXIe siècle l’incidence de l’analphabétisme dans les ménages dirigés par des femmes est extrêmement plus haute en Égypte que dans les ménages dont le chef de ménage est un homme : la pauvreté amplifie les écarts entre les sexes (Handoussa, 2008).

La diffusion de ménages dirigés par une femme est hétérogène parmi les régions du Pays. Presque toutes les régions du pays sont caractérisées par une variation positive, durant la période, des proportions de ménages composés par une femme vivant habituellement seule, ou dirigés par une femme. Les variations et les différences géographiques sont encore plus importantes quand on fait référence aux ménages dont le chef est âgé de 65 ou plus (tab.5). Dans la région Haute-Égypte (la plus pauvre du pays) les variations sont considérables : 53% et 35% à niveau urbain et rural.

Tableau 5 - Ménages dirigés par une femme*. Pourcentages sur le total de région et variations (%).

Au Caire un ménage sur trois résulte dirigé par une femme en 2006, mais si le chef de ménage est âgé, la proportion est supérieure à 40%. Les données soulignent la grande diffusion de ménages dont le chef est une femme au niveau urbain, où l’accroissement pendant la période observée varie entre 60% et 77%. Ce résultat reflet le modèle qui s’est affirmé dans beaucoup d’autre pays, soit du monde en développement soit du monde développé, où l’autonomie résidentielle féminine s’est multipliée en ville, touchant des femmes qui vivent seules ou de plus en plus confrontées à la monoparentalité (Tichit, 2005 ; Nations Unies, 2005).

Au milieu rural les proportions sont plus basses, et on confirme une présence plus habituelle de personnes âgées dans les ménages de parents.

Les femmes âgées pas en couple et qui ne vivent pas seules, se trouvent où on l’attendait : le mode de vie le plus répandu est de vivre dans la famille d’un fils, par la plupart masculin et marié avec des enfants. Les proportions demeurent hautes aux deux dates, mais elles présentent une certaine diminution entre 1998 et 2006. Chez les femmes âgées de 65-79 la proportion de celles qui vivent dans la famille d’un fils arrive à 29% en 1998 et 25% en 2006. Comme pour des autres populations africaines (Vandermeersch et Kouevidjin, 2007), les femmes égyptiennes semblent rester en bonne partie sous la tutelle d’un homme, un de leurs fils le plus souvent.

Les femmes veuves de cette classe d’âge qui assument le rôle de chef de ménage, en majorité vivent avec des fils pas mariés où, des fois, des filles (ou belles-filles) veuves ou divorcées. Il s’agit toujours de familles de dimension très petite ; souvent tous les composants du ménage sont des adultes, et quelque fois il s’agit de "famille monoparentale" en sens classique, mais de la part de la femme la plus jeune. La vie ensemble d’une femme veuve avec une fille veuve ou divorcé configure forcément des situations de fragilité.

Une autre situation similaire - qui concerne presque seulement les femmes - est celle des ménages à "génération manquante", c’est-à-dire de femmes âgées vivant avec un ou plus petit-fils en absence de fils (tab. 4). Il s’agit de ménages, pour la plupart urbains, ou une grand-mère vit avec des petits-enfants/filles en majorité adolescents ou jeunes garçons/filles. Selon les estimes (voir note 8) plus de 17.000 femmes âgées de 65-79 vivent en 2006 dans un ménage "à génération manquante" sans le conjoint.

À partir de 80 ans, presque une femme sur deux se trouve dans la famille d’un descendant, en général masculin, et la situation ne semble pas se modifier dans la période considérée.

Analyse par groupes homogènes

Pour essayer une synthèse de l’analyse descriptive sur les situations familiales des femmes âgées et pour reconnaître les zones de territoire que l’on peut considérer homogènes en 2006, nous avons identifié des variables de structure de la population et des ménages et appliqué l’analyse statistique des groupes (cluster analysis, méthode k-moyens).

Pour décrire les situations des ménages et la situation familiale des femmes âgées dans les différents gouvernorats, nous avons considérées un nombre limité de variables, soit les pourcentages : a) des femmes âgées de 65 ou plus sur le total des femmes ; b) de celles vivant seules ; c) de personnes âgées de 65 ou plus qui ont reçu une allocation ou un aide et d) de personnes (hommes et femmes) de cette âge vivant seulement avec le conjoint (tab. 6).

Tableau 6 - Résultats de l’analyse des groups. Valeur moyenne des variables pour chaque groupe.

Les trois groupes sont assez homogènes pour ce qui concerne le pourcentage de femmes âgées de 65 ans ou plus, et ils diffèrent surtout pour ce qui concerne la proportion de femmes vivant seules. Le premier group contienne 11 gouvernorats, et parmi les autres nous retrouvons deux zones métropolitaines (Caire et Alexandria) et beaucoup de Gouvernorats de la région Basse-Égypte. Dans le deuxième group la proportion de femmes vivant seules augmente, mais elle est particulièrement haute à Suez, qui présente des caractéristiques particulières et forme un group lui-même. Les pourcentages de personnes bénéficiant d’une allocation et ce de femmes vivant seules parmi les habitants âgés de 65 ans ou plus apparaissent comme les variables les plus importantes pour la définition des groupes de gouvernorats.

4. Conclusion

Ce travail nous a permis avant tous de vérifier que les données des enquêtes ELMS 1998 et ELMPS 2006 sont appropriées pour examiner l’évolution des ménages et les relations à leur intérieur. Les résultats confirment que l’évolution de la structure par sexe et âge de la population et les comportements de cohabitation influent sur la modification de la taille des ménages et sur les relations au sein des familles. Les changements survenus entre 1998 et 2006 sont importants : ils émergent les premiers signaux du passage de la famille nombreuse à un modèle plus restreint et nucléarisé, avec des modifications aussi dans la situation familiale des égyptiens âgées. Les pourcentages de personnes âgées qui vivent avec de parents baissent, alors qu’ils augmentent ceux qui vivent seuls. La condition de personne qui vit seule est beaucoup plus fréquente dans les classes d’âge les plus hautes que dans les autres. La présence de personnes âgées dans les ménages est différenciée parmi les Gouvernorats selon les caractéristiques urbaines ou rurales : les Gouvernorats urbains (Caire, Alexandria, Port-Saïd, Suez) montrent l’hausse plus importante dans la période.

Les zones du pays sont différenciées aussi du point de vue de la structure des ménages et de leur évolution. Les différences ville-campagne sont importantes pour ce qui concerne la présence de chefs de famille chez les femmes, qui est plus répandue en ville. Au milieu rural on confirme une présence plus habituelle de personnes âgées dans les ménages de parents.

La croissance des taux de chefs de ménage chez les femmes âgées est certainement un phénomène important, lié aux problèmes de pauvreté et de fragilité. Les données confirment aussi la persistance de comportements de solidarité. Les parents veufs se trouvent en bonne partie dans la famille d’un fils, mais aussi des petits-fils adolescents ou jeunes adultes vivent avec une grand-mère. Une attention particulière devrait être assignée aux situations ou des femmes âgées qui vivent dans des familles « monoparentales » des filles ou belles-filles (ménages à trois générations) ou « à génération manquante ».

Le domaine des ressources et des solidarités devrait être mieux étudié, pour approfondir aussi les relations entre les proches. Parmi les hommes âgés de 65 ou plus, près de 78% a reçu des allocations ou des aides durant l’année passée [10] ; le pourcentage pour les femmes atteigne 64%.

ANNEXE

Tableau A.1 - Modalités de résidence des personnes âgées de 65 à 79 ans selon le genre et le milieu urbain/rural, 1998 et 2006.

Références

Jr. Adams and H. Richard (2000), Self-Targeted Subsidies : The Distributional Impact of the Egyptian Food Subsidy System, World Bank Policy Research Working Paper n. 2322.

A. Angeli (2009), Economic and non economic poverty in the MENA countries, communication à ERF Workshop on “Poverty Reduction, Growth and Inequality in the MENA Region”, 6 Nov., Cairo.

A. Angeli and S. Salvini (2005), Family structure, gender of the household head and child opportunities in Addis Ababa : an analysis from 1994 Ethiopian Census and 2000 Ethiopian DHS data, Communication au XXVIe Congrès UIESP, Tours.

Ph. Antoine et V. Golaz (2010), “Vieillir au Sud : une grande variété de situations”, Autrepart, n. 53, 96 p. 3-15.

A. Awad, A. Zohry (2005), The End of Egypt Population Growth in the 21st Century : Challenges and Aspirations, Cairo Demographic Center.

G. Barsoum (2007), Egypt labor market panel survey 2006 : Report on methodology and data collection, Economic Research Forum (ERF) Working Paper 0704.

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[1] Avec plus de 81 millions d’habitants en 2010, le pays représente la plus grande taille de population dans la région.

[2] Nous remercions Economic Research Forum qui nous a fourni les bases de données.

[3] Le facteur d’expansion est le même pour les composants de chaque ménage.

[4] En autre, nous avons évalué aussi qu’il y a des plans d’élever à 65 ans l’âge limite pour la retraite, à ce moment fixée à 60 ans (Egypt’s Pension Reform Plan, 2006).

[5] Nous considérons ici toutes les chefs de ménages, y inclues les personnes qui vivent seules.

[6] Il faut souligner que les effectifs sont petits.

[7] Les estimes ont étés obtenues à l’aide des poids de sondage.

[8] La définition de famille monoparentale est fortement dépendante des contextes culturels. Pour une discussion sur ce point, voir David et al., 2003.

[9] "Egypt Integrated Household Survey (EIHS)" 1997 et “Household Expenditure, Income and Consumption Survey”1999/2000.

[10] Dans la base de données des ménages on connait si une personne du ménage, durant les 12 mois précédant l’enquête, a reçu une allocation, une assistance ou des aides par des organisations religieuses ou ONG.

VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION DANS LES PAYS DU SUD

Famille, conditions de vie, solidarités publiques et privées... État des lieux et perspectives

ACTES DU COLLOQUE INTERNATIONAL DE MEKNÈS

Maroc 17-19 mars 2011