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Caractéristiques et conditions de prise en charge sociale et sanitaire des personnes âgées marocaines et algériennes

Ressemblances et dissemblances

Mohammed BEDROUNI, Université Saad Dahleb de Blida, Algérie

Résumé

L’élévation de l’espérance de vie, observée dans les différentes régions du monde constitue un des principaux exploits de l’humanité. C’est donc grâce au progrès réalisé par cette dernière qu’une nouvelle phase de la vie humaine (la vieillesse) s’est ajoutée aux autres (enfance, adolescence et adulte). Cette phase qui nécessité par conséquent une prise en charge de la part de la société car c’est elle qui l’a créée, et il revient de la vivre avec respect et dignité. Pour ce faire, chaque société est appelée à trouver des solutions pour matérialiser cet engagement en fonction de son développement de son économie et de sa culture.

La présente contribution s’intègre bien dans cette même optique. Elle vise à mettre l’accent sur la situation des personnes âgées, dans un contexte de mutations familiales et sociales. Deux pays voisins présentant certains traits de similitude culturelle et des dissemblances des trajectoires économiques ont été choisis : l’Algérie et le Maroc. Leurs deux enquêtes nationales portant sur les personnes âgées réalisées respectivement en 2002 et 2006 constituent les principales sources de données exploitées pour réaliser cette étude. Nous avons dû recourir également aux statistiques issues des recensements des deux pays ainsi qu’aux estimations et projections des instances internationales pour pouvoir monter l’évolution passée et future du phénomène de vieillissement.

Mots-clés : Protection sociale, personnes âgées, relations intergénérationnelles, santé, vieillissement.

Introduction

De nos jours l’importance du vieillissement de la population en tant que fait social majeur fait pratiquement l’unanimité. Ce dernier était certes considéré pendant longtemps comme un phénomène propre aux sociétés occidentales, ce qui a conduit à la réduction de sa portée sociale et géographique. Cette opinion a été malheureusement démentie par les faits. Les statistiques démographiques de plus en plus disponibles confirment que le vieillissement est plutôt un phénomène mondial lié à la transition démographique. Son ampleur bouleversera inévitablement les sociétés occidentales mais aussi et surtout celles des pays en développement. Les projections, de la division Population des nations unies, prévoient le triplement de l’effectif des personnes âgées de 60 ans et plus à l’horizon 2050. Cette évolution fera passer leur effectif d’environ 630 millions actuellement à près de 2 milliards. La majorité de ces personnes (80%) vivront au sein des pays en développement, sachant que leur processus de vieillissement se développera à un rythme plus accéléré comparativement à celui des pays développés. Ainsi, si pour la France il a fallu plus de 127 ans pour ramener son pourcentage des personnes âgées (60 ans et plus) de 10 à 20%, la chine aurait besoin d’à peine 27 ans pour effectuer la même transition.

Il convient de préciser également que si les pays riches et industrialisés considèrent le problème du vieillissement comme un réel défi, aussi bien pour leur présent que pour leur avenir, les pays en développement seraient amenés à confronter le même chalenge avec plus d’acuité et avec moins de moyens, comme l’a bien exprimé G.H Brundtland, directrice de l’OMS : « Les pays développés sont devenus riches avant de devenir vieux, les pays en développement seront vieux avant de devenir riches ». Conscient du nombre important et de l’hétérogénéité qui caractérise les pays de cette dernière catégorie on a dû restreindre le champ d’exploration pour la préparation de la présente contribution à deux pays de l’aire géographique maghrébine et Nord-africaine. Il s’agit plus précisément de l’Algérie et du Maroc.

1. Sources de données

Plusieurs sources de données ont été exploitées pour réaliser le présent article. Parmi lesquelles on peut citer les recensements des deux pays et les projections de la division de population des nations unies, pour se rendre compte de l’évolution et l’ampleur du phénomène de vieillissement. Pour l’analyse approfondie deux enquêtes ont été exploitées. Il s’agit de l’enquête algérienne sur la santé de la famille (PAPFAM 2002), plus spécifiquement le volet personnes âgées et l’Enquête nationale sur les personnes âgées au Maroc de 2006.

Les deux enquêtes ont porté sur les personnes âgées de 60 ans et plus. La première a été effectuée auprès de 10200 ménages et a concerné 4343 personnes âgées. Le nombre de questionnaires renseignés était de 3958 soit un taux de réponse de 90,6%. La seconde enquête a porté pour sa part sur 2500 ménages et 3010 personnes âgées ont été enquêtées. Ces enquêtes avaient pour objectif de dresser d’abord le profil démographique et socio-économique des enquêtées. En second lieu il a été question de s’enquérir de leur état de santé, d’appréhender leurs relations familiales et sociales et enfin évaluer le degré de protection sociale dont elles bénéficient.

2. Caractéristiques du contexte de l’étude

Pour ne pas s’égarer de l’objectif principal de l’étude on a jugé plus judicieux de se focaliser sur les aspects démographiques de ce contexte. Les plus récentes statistiques officielles publiées concernant l’Algérie et le Maroc révèlent une forte ressemblance de point de vue démographique. Les deux pays se caractérisent d’abord par des effectifs de population comparables qui ont atteint en mi 2008 environ 31,17 millions de personnes au Maroc, contre 34,46 millions en Algérie.

Au cours de cette même année, les directions des statistiques des deux pays avaient fourni des estimations de leurs espérances de vie à la naissance qui dépassent les 72 ans [1]. S’agissant de la seconde composante de la dynamique démographique à savoir la fécondité, les deux pays sont sur le point d’achever leur transition démographique. Une transition que les démographes ont qualifiée de tardive et rapide. En l’espace d’un peu plus de trois décennies, les deux pays sont passés d’un régime à fécondité naturelle [autour de 8 enfants par femme] à un régime de fécondité contrôlée [environ 2,4 enfants par femme]. Une transition qui s’est effectuée à un rythme plus spectaculaire comparativement à ce qui s’est passé chez les pays industrialisés. Il avait fallu près de deux siècles (du XVIIIème siècle aux années 30) pour que la France réalise une baisse de fécondité équivalente.

2.1. Les tendances d’évolution du vieillissement démographique au Maroc et en Algérie

Pour les deux pays en question, les données issues de leurs recensements respectifs révèlent un accroissement de l’effectif et de la proportion des personnes âgées de 60 ans et plus. Pour le Maroc, l’effectif de la catégorie concernée est passé d’environ 860000 en 1960 à plus de 2400000 en 2004. Quant à sa proportion, le tableau ci-dessous indique que pour la même période considérée, elle est passée de 7,4% à 8,1%.

Tableau 1 : Évolution de la répartition de la population selon les grands groupes d’âges

L’Algérie a connu pour sa part une évolution pratiquement identique soit un triplement de l’effectif des personnes âgées de 60 ans et plus entre 1966 et 2008. Ce dernier est passé d’environ 800000 en 1966 à plus 2550000 en 2008. Pour ce qui est de la part de cette tranche d’âges dans la population totale, on constate qu’elle est restée toujours inférieure à celle du Maroc. Elle est passée ainsi de 6,7% en 1966 à 7,4% en 2008.

Parmi les raisons qui peuvent être avancées pour expliquer ce décalage, entre les deux pays, on peut citer notamment les divergences qui ont caractérisé leurs dynamiques démographiques respectives pendant les années soixante-dix et quatre-vingts [2]. Ces dynamiques qui ont été influencées par la position des deux pays vis-à-vis de l’adoption d’une politique de population à cette époque [3].

2.2. Évolution future du phénomène de vieillissement au sein du contexte de l’étude

Certes que la part de la catégorie des personnes dépassant la soixantaine d’années, au sein des deux pays, demeure jusque là réduite comparativement aux niveaux atteints par les pays développés, mais cette proportion est appelée incontestablement à se renforcer au fur et à mesure que l’espérance de vie, l’indicateur auquel elle est corrélée, augmente.

Les progrès réalisés, dans les domaines socioéconomiques en générale et sanitaire en particulier, ont permis une amélioration appréciable de ce dernier indice. Entre 1970 et 2010, celui-ci est passé de près de 53 ans à 75 ans pour l’Algérie [4] et de 52 ans à 72 ans pour le Maroc. Les estimations et projections de la division de population des nations unies confirment nos propos. Ils révèlent également l’importance des gains à réaliser en termes d’années supplémentaires à vivre qui devraient atteindre près de 30 ans entre 1960 et l’horizon 2040. Ceci aurait bien évidemment des conséquences irréversibles dont l’augmen¬tation spectaculaire de l’effectif et de la proportion des personnes âgées.

Le tableau 2 nous révèle aussi une réduction des écarts entre les deux pays. Ainsi pour l’espérance de vie à la naissance, le rythme d’évolution de l’écart entre les deux pays a connu deux tendances. D’abord une tendance à la hausse, qui a fait passer l’écart de 0,4 an entre 1960-1964 à 2,4 ans au cours de la période 1990-1994.

Tableau 2 : Espérance de vie à la naissance et à 60 ans.

La seconde tendance, par contre, correspond à un recul qui a permis la réduction de l’écart dont la valeur attendue en 2035-2040 serait de 0,6 an. Le tableau 3 témoigne des conséquences de cette évolution attendue de l’espérance de vie. Ces dernières auraient des implications sur les effectifs et la proportion des personnes âgées. Ainsi on remarque, qu’entre 1965-2050, le nombre de personnes, appartenant à cette catégorie, passerait de 600 000 à 12.000.000 en Algérie et de 700 000 à 9 700 000 au Maroc.

Tableau 3 : Évolution de l’effectif (en milliers) et de la proportion des 60 et plus.

Parallèlement les proportions passeraient respectivement de 5,1% à 24,3% pour l’Algérie et de 5,3% à 22,9% pour le Maroc. Le tableau 03 indique également un changement radical en ce qui concerne le sens de l’inéquation. Si pendant la longue période, allant de 1965 à 2025, l’effectif des personnes âgées au Maroc paraît plus important que celui qui serait enregistré en Algérie, la seconde phase 2025-2050 connaîtrait la situation contraire. C’est plutôt l’Algérie qui devancerait le Maroc et avec un écart de plus en plus important qui atteindrait plus de deux millions après 2045.

Pour ce qui concerne l’évolution de la proportion des personnes âgées le sens de l’inéquation entre les deux pays s’inverserait dix ans plus-tard, soit à partir de 2035.

3. Caractéristiques démographiques et socioéconomiques des personnes âgées

3.1. Le profil démographique des personnes âgées

Les variables retenues pour dresser ce profil sont le sexe, le milieu de résidence, l’âge, l’état matrimonial et le statut dans le ménage.

3.1.1. La répartition des personnes âgées selon le sexe et le milieu de résidence

Les deux enquêtes retenues révèlent une certaine prédominance féminine qui est un peu plus évidente au Maroc (52,2%) qu’en Algérie (50,4%). L’écart constaté peut s’expliquer notamment par la différence en termes de niveau la mortalité générale [5]. La répartition des personnes âgées selon le milieu de résidence révèle une primauté de l’urbain qui s’accapare les 60,4% de l’effectif total en Algérie, contre 52,4% au Maroc.

Tableau 4 : Répartition (en%) des personnes âgées selon le sexe par milieu de résidence.

L’âge moyen de ces personnes a atteint 69,4 ans (69,7 ans chez les hommes et 69,0 chez les femmes) pour l’Algérie en 2002. Au Maroc il était de 70,5 ans en 2006, avec également une différence entre le sexe masculin (70,1 ans) et le sexe féminin (71,9 ans).

On peut également remarquer à travers le tableau 5 une concentration des personnes âgées au sein du groupe des jeunes vieux (60-74 ans), qui cumule 77,6% en Algérie et 71,4% au Maroc [6]. Par contre, pour la catégorie des vieillards (75 ans et plus), c’est plutôt le Maroc qui a enregistré la proportion la plus élevée (28,6% contre 22,4% en Algérie). La différence peut apparaître beaucoup plus évidente lorsqu’on opère la comparaison par sexe ou/et par milieu de résidence.

Tableau 5 : Structure par sexe et par âge des personnes âgées selon le milieu de résidence.

Selon le sexe, la différence a atteint 11,6 points chez les femmes (31,1% au Maroc contre 19,5% en Algérie) pour les deux milieux de résidence réunis. En ce qui concerne le milieu rural, cette même différence, entre les femmes des deux pays, s’accroît pour atteindre 17,8 points, avec 37,7% au Maroc et 19,9% en Algérie. Les écarts observés, en ce qui concerne la première (young-old) ou la seconde catégorie (old-old), peuvent être expliqués notamment par le décalage ayant marqué le démarrage de la transition démographique dans les deux pays.

L’Algérie avait accusé beaucoup de retard (depuis 1983) pour entamer sa transition démographique, alors que celle du Maroc a démarré depuis 1967.

3.1.2. La répartition des personnes âgées selon le statut matrimonial

Compte-tenu de l’importance du statut matrimonial dans la littérature, nous avons examiné son interaction avec les variables citées précédemment, plus précisément le sexe et le milieu de résidence. Selon le tableau 06, la majorité des personnes âgées Algériennes et Marocaines étaient mariées au moment de l’enquête. La part qui revient à cette catégorie s’élève à 72,1% en Algérie et 59,2% au Maroc. Cette proportion varie selon le sexe. Pour le Maroc on constate que 90,0% des hommes âgés sont mariés contre 31,1% pour les femmes. Les proportions correspondantes pour l’Algérie sont de 93,3% pour les hommes et 51,1% pour les femmes. Par ailleurs, on remarque aussi une variabilité du poids de cette catégorie selon le milieu de résidence. C’est surtout en milieu rural qu’on enregistre le pois maximal d’hommes et de femmes mariés. Quelle que soit le milieu de résidence on remarque que la part des personnes âgées mariées algériennes dépasse celle occupée par les personnes âgées marocaines. L’écart entre les deux sociétés passe d’un minimum de 2,7 points, à un maximum de 22,3 points, sachant que ces deux labels sont détenus par le milieu rural.

La deuxième catégorie qui occupe la seconde place de part son poids dans l’effectif total des personnes âgées correspond à la catégorie des veufs(ves). Cette catégorie s’accapare une proportion plus importante au Maroc qu’en Algérie (37,9% contre 26,3%). D’importants écarts selon le sexe caractérisent cette catégorie. Au Maroc, 65,1% des femmes âgées sont des veuves contre seulement 8,1% pour les hommes. Les chiffres correspondants pour l’Algérie s’élèvent à 46,1% pour les femmes et 6,2% pour les hommes. L’écart entre pays vaut par conséquent 1,9 points chez les hommes contre 19 points chez les femmes, sachant que l’écart en question peut atteindre jusqu’à 22,1 points entre les femmes rurales.

Tableau 6 : Répartition (en%) des personnes âgées selon le statut matrimonial par sexe et par strate.

Les proportions élevées des hommes mariés et de femmes veuves dans les deux sociétés peuvent s’expliquer par la tendance des hommes à se remarier, suite à un divorce ou un décès de leurs épouses. Les mœurs et traditions héritées et qui se perpétuent font que le marché matrimonial reste toujours favorable aux hommes, contrairement aux femmes dont les chances de se remarier s’affaiblissent avec l’âge et le nombre d’enfants à charge.

3.1.3. La répartition des personnes âgées selon leur statut dans le ménage

Pour appréhender le statut de la personne âgée dans le ménage, on a retenu comme indicateur le lien de parenté avec le chef de ménage. Selon le tableau 7 la plupart des personnes âgées sont déclarées comme chef de ménage. Ce statut est donc occupé par 60,3% en Algérie et 64,4% au Maroc, sachant que les enquêtés l’accordent de manière plus fréquente aux hommes [7]. Étant donné que dans la majorité extrême des cas, plus particulièrement dans des contextes comme le contexte de l’étude (monde arabo-musulman), les hommes constituent les principaux détenteurs de richesses au sein de leurs ménages. Ces derniers continuent par conséquent d’exercer leur rôle de chefs de ménage même lorsqu’ils atteignent des âges assez avancés. Dans ce type de sociétés, l’ordre coutumier exige que les femmes accèdent au statut de chef de ménage uniquement lorsque celles-ci vivent dans un ménage monoparental.

Tableau 7 : Répartition des personnes âgées selon le lien de parenté avec le chef de ménage par sexe.

En se référant toujours au tableau précédant, on peut s’en apercevoir des différences selon le milieu de résidence, en ce qui concerne l’occupation du statut de chef de ménage. En effet, si les hommes semblent conserver en majorité le statut en question aussi bien en milieu urbain que rural [8], les femmes du milieu urbain semblent beaucoup plus privilégiées étant donné que 46,1% d’entre elles au Maroc (28,9% en Algérie) sont des chefs de ménage, contre seulement 27,5% des femmes rurales marocaines (16,2% en Algérie).

Il y a lieu de préciser également que les parts relatives des autres statuts ne dépassent pas par contre les 25% chacun. Alors que les époux/épouses du CM s’accaparent un poids relatif de 24,3% en Algérie et 14,6% au Maroc, la catégorie pères/mères du CM conserve tout de même une part non négligeable. Ceci implique que les mutations économiques, sociales et culturelles qui ont affecté les ménages des deux pays n’ont pas réussi à changer le rôle de l’institution du ménage qui est restée le lieu privilégié de cohabitation, de relations et d’échanges intergénérationnels. Qu’il s’agit de l’Algérie ou du Maroc et à l’image des autres pays du monde arabo-musulman, la cohabitation des parents avec leurs enfants constitue une pratique courante bien encrée dans les us et coutumes de ces sociétés. Le tableau 7 reflète bien cette réalité puisque même si la personne âgée n’est pas le chef du ménage elle peut tout de même cohabiter avec ses enfants quand ces derniers occupent ce statut. La proportion des personnes âgées occupant le statut de parents du chef de ménage atteint 13,9% en Algérie et 17% au Maroc, avec des différences selon le sexe et le milieu de résidence. Ce phénomène concerne bien évidement beaucoup plus les femmes que les hommes. Ces derniers conservent le plus souvent la chefferie du ménage même si a titre honorifique, sachant également que c’est en milieu rural que le phénomène s’affirme davantage.

Les deux enquêtes, algérienne et marocaine, nous ont révélées également que le statut de chef de ménage chez les personnes âgées varie inversement en fonction de l’âge. Au Maroc, la part des personnes occupant ce statut passe de 71,4% chez le groupe des 60-69 ans, à 57% chez celui des 70 ans et plus, Alors qu’en Algérie cette part passe de 59,7% pour le premier groupe à 57,9%.

Tableau 8 : Statut de chef de ménage selon l’âge.

Ceci nous renseigne bien sur le fait que l’âge réduit la chance de la vieille personne d’occuper le statut de chef de ménage. Cette réalité trouve son explication dans la détérioration physique dont les premiers signes commencent généralement à se manifester chez les vielles personnes à partir de 70 ans. Cette dégradation est souvent accompagnée par la dépendance et la perte de l’autonomie et plus souvent pour certains une déchéance sociale notamment avec la diminution des ressources de ces derniers qui leurs procuraient dans le passé un statut privilégié.

3.1.4. La répartition des personnes âgées selon la taille du ménage

Le tableau 9 indique, aussi bien au Maroc qu’en Algérie, la proportion des personnes âgées, vivant seules, est très faible voire négligeable pour le cas de l’Algérie. Il nous renseigne que se sont beaucoup plus les femmes âgées qui vivent seules, sachant que la proportion de ces dernières est relativement plus importante au Maroc (9,8%). Le phénomène semble toucher davantage de citadins que de ruraux. Certes la différence est plutôt minime en Algérie tandis qu’elle est assez évidente au niveau du Maroc surtout chez les femmes. La proportion des femmes vivant seules en milieu urbain vaut à peu prés le double de celles enregistrée chez les rurales, soit 12,5% contre 6,6%.

Les données du tableau 9 nous révèlent aussi que la majorité des personnes âgées vivent dans des ménages de grande taille. La part des personnes âgées vivant dans des ménages de cinq membres et plus atteint 58,9% au Maroc contre 67,3% en Algérie. La crise de logement qui sévit en Algérie depuis de longues dates peut être avancée comme justification de l’écart observé. Cette réalité est également reflétée à travers la taille moyenne des ménages qui était de 6,2 personnes par ménage en Algérie en 2002, alors qu’au Maroc elle valait 5,8 personnes par ménage en 2006.

La différence selon le milieu de résidence n’est pas du tout évidente pour le cas de l’Algérie tandis qu’au Maroc on constate une différence assez nette entre la taille moyenne des ménages urbains (4,9) et ce du milieu rural (6,7). L’écart entre les deux pays peut s’expliquer en partie par la différence entre les niveaux d’urbanisation atteints par ces derniers (60,4% en Algérie, contre 52,4% au Maroc).

Tableau 9 : Répartition des personnes âgées selon la taille du ménage par sexe et milieu de résidence

3.2. Caractéristiques socioéconomiques des personnes âgées

3.2.1. Alphabétisation et scolarisation des personnes âgées

• L’analphabétisme

Pour les deux pays l’analphabétisme constitue toujours un réel défi. Les importants efforts consentis en matière de scolarisation et de lutte contre ce phénomène, n’ont pas réussi à l’éradiquer, compte tenu de son ampleur et de la spécificité des personnes les plus touchées par ce fléau. Les plus récents recensements réalisés dans les deux pays ont fourni des taux d’analphabétisme pour les dix ans et plus de 43% en 2004 au Maroc contre 22,1% en 2008 en Algérie [9]. Il semble que le phénomène touche davantage les vieilles personnes [10] et de manière plus excessive les femmes. En Algérie 94,2% des femmes âgées de plus de 60 ans sont analphabètes [11] selon l’enquête PAPFAM (2002), alors qu’au Maroc l’enquête de 2006 a donné un taux de 95,2% (71,3% pour les hommes).

• La capacité de lecture chez les personnes âgées

Il s’avère que cette capacité est relativement meilleure au Maroc qu’en Algérie bien qu’elle soit généralement faible puisque à peine deux personnes sur 13 ont la capacité de lire.

Tableau 10 : Capacité de lire selon le milieu de résidence

L’écart entre les deux pays peut être dû à l’existence assez importante des écoles coraniques au Maroc qui avaient joué et jouent encore un rôle très important en matière d’alphabétisation. Sachant que dans l’enquête algérienne, l’école coranique ne figurait pas parmi les items de la variable niveau de scolarisation, on a raison de penser que sa part peut correspondre fort probablement à l’écart entre la proportion de la population non scolarisée(88,0) et celle de la population analphabète (83,7%) soit 4,6%.

Tableau 11 : réparation des personnes âgées selon le niveau de scolarisation et la strate

3.2.2. Activité économique au moment de l’enquête

Le tableau 12 indique que les personnes âgées algériennes sont quatre fois moins actives que leurs homologues marocaines. Ce rapport varie selon le sexe et la strate. Il passe 1/10 chez les femmes à 2/5 chez les hommes. Entre milieu de résidence l’écart est moins plus important il varie de 1/3 en milieu urbain contre 1/4 en milieu rural.

Tableau 12 : Participation des personnes âgées à la vie active.

Quant à la répartition des personnes âgées selon le statut professionnel (tableau 13), on remarque que les structures se ressemblent approximativement. On constate la prédominance de la catégorie des indépendants dans les deux pays ce qui implique que la majorité des personnes âgées travaillent à leur compte. La part des employeurs chez les marocains vaut pratiquement le double de celle des algériens, chose qui peut s’expliquer probablement par l’importance de l’expansion du salariat en Algérie, notamment dans le secteur public, comparativement au Maroc (28,8% contre 10,9%).

En ce qui concerne la couverture sociale des personnes âgées et plus particulièrement le droit à la pension de retraite, le graphique ci-dessous révèle des différences substantielles entre les deux pays. Il semble que ce droit est beaucoup plus accessible en Algérie (52,3% contre16,1% au Maroc), sachant que cette couverture devrait normalement concerner toutes les personnes âgées comme c’est le cas dans les pays développés. Les écarts observés semblent se creuser davantage en passant des hommes vers les femmes et du milieu urbain vers le milieu rural. Ces écarts peuvent justifier en partie le maintien des personnes âgées marocaines sur le marché de travail comparativement à leurs homologues algériennes, sans oublier l’importance et l’expansion de l’artisanat et de l’activité agricole au Maroc, des occupations qui s’exercent de plus en plus longtemps.

4. État de santé des personnes âgées

Il semble que les Algériens se plaignent beaucoup plus que les Marocains et ce indépendamment du sexe et du milieu de résidence. La comparaison selon ces deux critères montre que les ruraux marocains se plaignent moins que les citadins alors que c’est le contraire qui est observé chez les algériens. Selon le sexe il paraît que se sont les femmes qui se plaignent d’avantages que les hommes quel que soit le pays d’origine.

Handicap et dépendance physique

Les protocoles des deux enquêtes exploitées étant distincts notamment en ce qui concerne le volet santé, on a été contraint par conséquent à restreindre l’analyse aux items comparables.

Le graphique 13 ci-après nous renseigne que c’est au Maroc qu’on enregistre la proportion la plus élevée de personnes âgées souffrant d’un trouble ou d’un problème sanitaire qui peut être à l’origine d’une incapacité d’effectuer certaines tâches quotidiennes.

L’écart semble plus important entre les citadins des deux pays. Seul l’accès aux bases de données des deux enquêtes pourra nous permettre d’interpréter ce résultat, en procédant à la comparaison notamment à l’historique professionnel des enquêtés des deux pays. Quant à la comparaison au sein d’un même pays il s’avère que le différentiel urbain-rural est beaucoup plus prononcé au Maroc. Les citadins semblent donc plus touchés par les troubles que les ruraux, alors qu’on observe l’inverse en Algérie bien que l’écart semble très atténué.

La couverture sociale médicale

La population âgée marocaine souffre d’une très faible couverture médicale comparativement à celle de l’Algérie. Le différentiel entre sexes paraît assez important au Maroc de même que pour ce qui concerne le différentiel urbain-rural.

5. Relations sociales

5.1. Échange de visites

Parmi les indicateurs qui servent à évaluer la solidarité familiale on utilise souvent la fréquence des rencontres (visites) entre les membres de la même famille.

Tableau 13 : répartition(en%) par sexe et milieu de résidence des personnes âgées ayant eu des enfants survivants et ne vivant pas avec elles selon le nombre de rencontres avec ses enfants.

Étant donné qu’on est en présence de deux sociétés qui partagent une même culture (arabo-berbero-musulmane) où le devoir de visite des parents est recommandé par la religion. De ce fait, on peut bien se rendre compte que la proportion de personnes âgées qui ne reçoivent pas la moindre visite de la part de ses enfants est quasiment minoritaire (7,8% au Maroc contre 4,1% en Algérie). Le différentiel observé entre les deux pays est dû à mon avis au contraste qui caractérise les conditions de vie dans lesquelles évoluent les enfants des personnes concernées, et qui sont bien évidement si dure pour les Marocains que pour les Algériens. Selon le sexe de la personne âgée la différence paraît plutôt faible voire négligeable pour le cas de l’Algérie.

Par ailleurs, on remarque que les citadins des deux pays rencontrent plus fréquemment leurs enfants que les ruraux, avec un certain avantage chez les voisins marocains. Il faut toutefois mentionner qu’en Algérie 28% des personnes âgées vivent avec leurs enfants, notamment à cause de la crise de logement. La primauté de l’urbain ne doit en aucun cas laisser présager l’idée selon laquelle, les liens intergénérationnels sont plus forts en ville. C’est surtout les facilités qu’offre la ville en termes de proximité résidentielle que les visites sont plus intenses que dans les campagnes. Les femmes Marocaines ont tendance à voire leurs enfants à des échéances un peu plus longues comparativement aussi bien à leurs compatriotes hommes qu’aux algériennes.

5.2. Aide matérielle reçue

Les personnes âgées reçoivent et fournissent l’aide matérielle. Pour ce qui concerne l’aide fournie par les enfants, on remarque que c’est au Maroc que cette pratique est beaucoup plus intense. Cette aide vient combler le déficit des institutions étatiques à prendre en charge cette catégorie comme on l’a bien montré plus haut en abordant la couverture sociale et médicale.

L’aide en question ne semble pas varier énormément entre les groupes d’âges mais l’écart entre pays en faveur du Maroc concerne l’ensemble du groupe.

5.3. Aide matérielle fournie

Comme on l’a déjà mentionné plus haut, beaucoup de personnes âgées continuent à assumer leur rôle de pourvoyeur de richesses dans leurs ménages (voire aussi ailleurs [12]) même à un âge assez tardif. Le graphique 17 montre que l’avantage des Algériens semble contrebalancer par celui des Marocaines. La distinction selon le milieu de résidence est pratiquement négligeable ce qui veut dire qu’il s’agit d’une pratique répondue de manière quasiment égale quelle que soit la strate géographique. Selon les groupes d’âge l’écart entre les deux pays, en faveur de l’Algérie, semble se creuser davantage au fur et à mesure que l’âge augmente.

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[1] Pour le Maroc l’indice en question se situait à 72,6 ans (71,4 ans pour les hommes contre 73,9 ans pour les femmes) alors que pour l’Algérie il était à 75,7 ans (74,9 ans pour les hommes contre 75,7 ans pour les femmes). Il y a lieu de préciser que la division de population des nations unies et l’OMS estiment que ses valeurs sous-estiment le niveau de mortalité. Ils situent l’espérance de vie pour la période 2005-2010 à 72,3 ans pour l’Algérie et 71,2 pour le Maroc.

[2] Les taux d’accroissement inter censitaire en Algérie sont passés respectivement de 3.21%, 3.06%, 2,15% et 1,72%.

[3] Ce n’est qu’en 1983 que l’Algérie a adopté, de manière explicite une politique nationale de population. Le Maroc a adopté sa politique démographique depuis 1967.

[4] Données de l’office National des statistiques qui semblent être contestées par l’OMS et la division de population des nations unies.

[5] En 2008, l’écart, en termes d’espérance de vie, entre les personnes de même sexe était estimé à près de deux ans pour les femmes des deux pays, contre 3,5 ans pour les hommes.

[6] Selon le milieu de résidence ces proportions atteignent respectivement 78,6% et 75,4% en milieu urbain contre 76,1% et 66,9% en milieu rural.

[7] La proportion de CM varie selon le sexe. Au Maroc, elle se situe à 94,0% pour les hommes et 37,4% pour les femmes, alors qu’en Algérie elle est de 94,2% pour les hommes et 24,2% pour les femmes.

[8] La proportion des CM parmi les citadins s’élève à 95,1% au Maroc et 93,8 % en Algérie alors pour les ruraux cette proportion est de 92,7% au Maroc et 94,9% en Algérie.

[9] Le taux d’analphabétisme féminin était de 54,7% au Maroc et 28,9% en Algérie. Pour les hommes les taux étaient respectivement de 30,8% et 15,5%

[10] Ces dernières étaient nées avant l’indépendance et n’ont pas été par conséquent scolarisées.

[11] Ce chiffre vaut à peine 11,8% chez les 15-29 ans

[12] En fournissant des aides pour des proches ne résidant pas dans le même ménage et parfois en dehors de leurs localités.

VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION DANS LES PAYS DU SUD

Famille, conditions de vie, solidarités publiques et privées... État des lieux et perspectives

ACTES DU COLLOQUE INTERNATIONAL DE MEKNÈS

Maroc 17-19 mars 2011