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Capacité fonctionnelle des personnes âgées au Maroc

Mohammed FASSI FIHRI, Statisticien Démographe, CERED-HCP ; Maroc

Introduction

Le Maroc connaît une mutation de sa démographie, marquée par l’amorce d’un vieillissement de sa population conséquence du fléchissement de la fécondité et de l’allongement de la durée de vie. La proportion des personnes âgées représentait 8% en 2004, elle serait de 15,4% en l’an 2030. En termes absolus, leur effectif passerait de 2,4 millions à près de 5,8 millions entre les deux dates. Le rythme de l’évolution de l’effectif des personnes âgées connaîtrait une croissance accélérée, notamment à partir de 2010 et une augmentation plus vite que les autres segments de la population. De ce fait elle nécessitera des soins spécifiques croissant. La structure sanitaire nationale aura donc à faire face à un profil des malades marqués par leur fragilité et leur vulnérabilité, et réclameront de ce fait une prise en charge particulière.

L’objectif de cette étude est d’évaluer une des facettes de l’état de santé des personnes âgées. La mesure précise de l’état de santé des personnes âgées est chose difficile, surtout dans les pays en développement, pauvres en diagnostic et dossiers médicaux. Par ailleurs, l’état de santé des personnes âgées ne se mesure pas seulement par la prévalence des problèmes de santé, mais aussi par la capacité des individus à exercer pleinement et de façon autonome des activités élémentaires de la vie quotidienne connues chez les anglo-saxons par Activities of Daily Living, ADLs. L’incapacité chez les personnes âgées devient de plus en plus un sujet d’étude de première importance afin de mieux prévoir les coûts sociaux et médicaux qui seront associés à cette population.

L’enquête nationale sur les personnes âgées au Maroc, la première du genre, constitue une source statistique nouvelle sur les questions d’autonomie et de capacité fonctionnelle des sujets âgés, établie à travers une batterie d’informations sur des aspects liés à la perte d’autonomie fonctionnelle. Des études antérieures ont montrées que les ADLs peuvent constituer une bonne mesure de la capacité fonctionnelle, elle-même étroitement liée aux besoins de soins (Robine et al., 1993).

La première partie de cette étude sera consacrée à l’examen de la capacité fonction¬nelle des personnes âgées en utilisant des mesures standard de la capacité fonctionnelle, obtenues à travers des questions sur la possibilité de réaliser certaines tâches de la vie quotidienne rapportées par les personnes enquêtées (soins corporels, habillement, toilette, déplacement, alimentation). Il s’agira d’une échelle d’évaluation utilisée pour mesurer le degré d’autonomie des sujets âgés, soit l’indicateur de Katz sans la question sur l’incon¬tinence. L’analyse permettra de dégager le profil des personnes âgées en situation d’incapacité fonctionnelle.

Dans une deuxième partie nous tenterons de cerner les facteurs associés à la capacité fonctionnelle des personnes âgées grâce à une analyse multi-variée (régression logistique). Les facteurs associés au risque de tomber dans l’incapacité fonctionnelle sont de plusieurs ordres, individuel (sexe, âge, état matrimonial, niveau d’éducation etc.), comportemental (activité, pratique du sport) et contextuelle (milieu urbain/rural) le milieu de résidence constitue un indicateur de l’environnement socio-sanitaire. De plus certaines études ont montré une forte association entre le mode de vie familial et la capacité fonctionnelle (Idler et Benyamini, 1997), on distinguera, ainsi, entre les personnes âgées vivant seules et ceux vivant en famille.

1. Revue de la littérature

De la déficience à l’handicap

La déficience, l’incapacité et le handicap sont des notions centrales pour la compréhension de la santé des personnes âgées. Ces termes prennent différents sens selon les pays. C’est pourquoi l’Organisation Mondiale de la Santé a proposé en 1980 une classification connue sous le nom de modèle de Wood, la « Classification Internationale des Handicaps : déficiences, incapacités et désavantages. ». La déficience (synonyme d’infirmité) du fonctionnement d’un organe ou d’un système est évaluée par rapport au fonctionnement habituel de cet organe. Par exemple, l’extension de l’avant-bras sur le bras est de 180°. Une pathologie de l’articulation du coude peut limiter cette extension à 100°, causant une infirmité ou déficience. L’incapacité, quant à elle représente les conséquences de la déficience d’un organe ou d’un système sur le fonctionnement de l’individu en termes de limitation de fonctions ou de restriction d’activités. Par exemple, certaines personnes diabétique insulinodépendantes sont capables de vivre “normalement” ; ils ont des contraintes mais n’ont pas d’incapacité, ils ne sont pas handicapés. Enfin, le handicap (ou désavantage) est l’écart ou l’intervalle entre l’incapacité de l’individu et les ressources personnelles, matérielles et sociales dont il dispose pour pallier ces incapacités. Cet écart lui confère un désavantage social. Par exemple, quand on ne disposait pas des prothèses de hanche, se fracturer le col du fémur conduisait à un handicap. Ce n’est plus le cas actuellement au Maroc alors qu’il est encore dans d’autres pays.

Certains auteurs estiment que le handicap n’existe qu’aux yeux de la société et que l’incapacité ne résulte pas tant de l’état de la personne que des attitudes d’autrui et des conditions qui l’empêchent d’utiliser pleinement ses capacités. Chez les personnes âgées le handicap peut prendre deux formes. Le premier type est le handicap qui apparaît chez des personnes âgées valides au cours du processus de vieillissement. Le vieillissement en lui-même n’est pas nécessairement générateur de handicap, cependant, il existe des maladies qui accompagnent la vieillesse et qui vont s’accumuler avec l’avance en âge et devenir chroniques. Les maladies qui déterminent des incapacités ne deviennent handicap que si la personne en cause est incapable d’élaborer des “stratégies de compensation”. Le deuxième type est le handicap supplémentaire subi par des personnes âgées déjà handicapées qui -tout comme dans la population normale- sont soumises à ce processus inexorable du vieillis¬sement, bien que celui-ci ne les touche pas de la même manière. Ce type de handicap, dit “surajouté”, survient chez des handicapés vieillissants. Il s’agit des personnes ayant un handicap existant depuis des années. Celui-ci peut survenir tôt dans l’enfance, ou même à la naissance. Le handicap n’est pas un état stable. Beaucoup de handicaps sont compensés pendant un certain temps, mais s’aggravent ensuite avec l’âge, car l’organisme vieillit plus rapidement.

Comment mesurer l’incapacité ?

L’incapacité se réfère à la perte de la capacité d’effectuer les fonctions habituelles et nécessaires permettant à l’individu de se maintenir dans un environnement donné, tel que se lever du lit ou faire des emplettes pour se nourrir etc. (Deeg, Verbrugge, and Jagger, 2003 ; Verbrugge and Jette 1994 ; OMS 1990). Aussi, le statut fonctionnel se rapporte à la capacité d’exécuter des tâches considérées comme nécessaire dans un environnement particulier. Une limitation fonctionnelle peut être considéré comme un espace entre la capacité physique et les exigences particulière de l’environnement où l’activité est exécutée (Verbrugge et Jette, 1994). Par exemple, pour de se lever du lit, un individu doit avoir une certaine capacité physique, cependant le type de lit peut aussi avoir une influence sur l’exécution de cette tâche.

Il existe plusieurs indicateurs d’évaluation de l’incapacité. Ils ont pour objet de décrire la situation des personnes subissant les effets du vieillissement physiologique ou les atteintes de maladies chroniques invalidantes, fondées sur les activités de la vie quotidienne et destinées surtout à l’évaluation épidémiologique. Parmi ces indicateurs, il y a les activités de la vie quotidienne (Activities of Daily Living, ADLs de KATZ [1]) pour suivre les patients en institution. Elles comportent les activités suivantes : se laver entièrement, s’habiller, aller aux toilettes et les utiliser, se déplacer à l’intérieur du domicile, contrôler ses sphincters et se nourrir. Cette échelle est surtout utilisée pour déterminer le montant de l’allocation forfaitaire de soins octroyée par l’assurance-maladie. Un second indicateur utilisé dans le contexte des pays industrialisés, est nommé ‘Activités instrumentales de la vie quotidienne (IADL de LAWTON [2])’. Cet indicateur explore huit activités qu’un sujet âgé doit être en mesure de réaliser pour rester à domicile, soit : faire ses courses, répondre au téléphone, préparer le repas, tenir la maison, laver son linge, utiliser les moyens de transports, gérer son argent, prendre ses médicaments.

Dans cette étude, et comme il ne s’agit que de personnes âgées en ménage et non en institution, nous allons utiliser des mesures standard de la capacité fonctionnelle celle de Activities of Daily Living (ADLs) obtenues à travers des questions sur la possibilité de réaliser certaines tâches de la vie quotidienne rapportées par des personnes enquêtées. Il s’agit évidemment de l’indicateur de Katz à l’exclusion de la continence qui ne peut être considérée comme une incapacité mais plutôt comme une déficience. Les mesures d’ADLs ont été employées dans de nombreuses enquêtes parmi de nombreux types de populations. Il s’agit d’une grille bien validée, simple et rapide à renseigner, considérée comme une référence dans la littérature internationale. De plus cette grille prédit fortement le pronostic en termes de morbidité et de mortalité.

2. Incapacité des personnes âgées, cas du Maroc

L’enquête sur les personnes âgées au Maroc de 2006 était l’occasion de collecter des informations sur les cinq aspects de l’activité de la vie quotidienne qui seront utilisées dans cette étude. Spécifiquement, les personnes âgées enquêtées ont été interrogées sur le fait qu’ils ont eu de la difficulté pour se laver le corps, s’habiller, marcher sur une distance de 200 à 300 mètres, se lever du lit, se coucher et manger tout seul. Pour les cinq tâches quotidiennes, les personnes enquêtées avaient à spécifier s’ils pouvaient exécuter la tâche tout seul ou s’ils avaient besoin d’aide pour l’exécuter. Chaque question est codée sur deux degrés : un score de 0 est attribué quand la personne se déclare capable d’exécuter, elle-même, la tâche de façon autonome ; un score de 1 quand la personne âgée a besoin d’une tierce personne pour accomplir cette tâche (cette personne peut être un membre du ménage ou en dehors du ménage).

Ces items serviront pour la construction d’un instrument de mesure de la capacité fonctionnelle. Mais avant il faut s’assurer de la représentativité adéquate des items de l’ensemble des facettes du concept mesuré, soit l’incapacité. Pour ce faire on va examiner successivement, la cohérence interne ou la fiabilité de la mesure entre les cinq items en calculant le coefficient Alpha de Cronbach, puis la dimensionnalité de l’échelle au moyen de l’analyse en composante principale (ACP). L’Alpha de Cronbach (α) se base sur la covariance entre les items, il se situe entre 0 et 1. Les valeurs proches de l’unité indiquent une plus grande constance interne, il se calcule selon la formule suivante :

Les calculs donnent un Alpha de Cronbach d’une valeur de 0,78, ce qui est satisfaisant selon Georges et Mallery, 2003 [3], on peut donc avancer que les cinq items sont convergents. Pour tester l’association entre les items, une analyse factorielle en composantes principales, est appliquée sur les cinq items sans spécifier le nombre d’axes demandés. Selon le critère de Kaiser [4] (on ne retient que les valeurs propres supérieures à la valeur propre moyenne), un seul facteur est extrait et permet de restituer un facteur simple, avec une valeur propre 3,036 expliquant 60,7% de la variance totale. En se basant sur le critère des communalités, tous les items sont expliqués à plus de 57% par les autres énoncés. Aucun item ne présente de score inférieur à 0,57. Ces résultats sont donc satisfaisants. Les corrélations des items avec l’axe extrait de l’ACP, sans rotation, sont comme suit :

Tableau 1 : Matrice des composantes

La structure factorielle obtenue est claire, permettant de conclure que les cinq items sont bien associés, bien qu’ils ne soient pas complètement corrélés.

Prévalence de l’incapacité

Après avoir montré dans ce qui précède que les cinq items représentent différentes facettes d’un seul concept qui est l’incapacité, on va établir, dans ce qui suit, une classification des personnes âgées sur une échelle de l’incapacité. Ainsi, un sujet est considéré comme ayant une incapacité selon l’échelle des ADLs s’il a une incapacité pour au moins un des 5 items. Lorsque le sujet présente une incapacité totale pour une ou deux activités de base, il est considéré comme ayant une incapacité légère. En revanche, est considéré comme ayant une incapacité lourde tous sujet présentant une incapacité totale pour au moins 3 des 5 activités de base. Les personnes âgées sont, ainsi, réparties en trois groupes :

1- personnes sans incapacité, ce groupe est formé de personnes capables d’exécuter les cinq tâches quotidiennes elles-mêmes. Il représente 80,4% des personnes âgées ;

2- personnes avec une incapacité légère, il s’agit des sujets ayant une ou deux incapacités selon l’échelle des ADLs. Ce groupe représente 12,7% des personnes âgées ;

3- personnes avec une incapacité lourde, il s’agit des sujets ayant au moins trois des incapacités selon l’échelle des ADLs. Ce groupe représente 6,9% des personnes âgées.

Tableau 2 : Répartition (en %) des personnes âgées selon la sévérité de l’incapacité par sexe et âge

Source : Enquête nationale sur les personnes âgées, HCP, (CERED), 2006 et calcul de l’auteur.

En 2006, 19,6% de la population marocaine âgée de 60 ans et plus, vivant en ménage, présente une incapacité (tableau 2), cette incapacité est surtout légère (12,7%) et 6,9% une incapacité lourde. La plus forte prévalence de la limitation concerne le fait de marcher avec 14,8%, suivie de celle se laver le corps avec 14,5%. Peu de personnes âgées rapportent une limitation liée à l’activité de manger seul (2,3%).

Les personnes ayant rapporté seulement une des cinq limitations mentionnaient surtout les problèmes liés à la marche (48,5%) à se laver le corps (43,3%) et dans une moindre mesure à celle de manger seul (5,2%). Ceux ayant rapporté quatre ou cinq limitations avaient moins de difficulté pour manger seul tout en ayant des difficultés à exercer les autres taches. L’altération du système locomoteur est une des composantes essentielles du processus de vieillissement. Elle entraîne une diminution de la masse et de la force musculaire, des arthroses, etc. et ultimement une perte d’autonomie. La perte d’autonomie peut survenir à tout moment, mais sa prévalence s’élève avec l’âge : la rupture s’opèrent à partir de 75 ans. Les résultats de l’enquête montrent que la prévalence de ceux ayant au moins une incapacité passe de 13,2% pour le groupe d’âge 60-74 ans à 35,6% pour le groupe 75 ans et plus, soit un triplement d’un groupe d’âge au suivant. De plus, la prévalence de l’incapacité lourde passe de 3,8% pour les personnes âgées de 60-74 ans à 14,6% pour celles de 75 ans et plus. L’analyse par sexe montre que les femmes souffrent de prévalence plus élevée pour chacun des items sauf pour l’activité de manger. Globalement, à cause de leur longévité les femmes sont plus exposées aux risques d’incapacité que les hommes. La prévalence chez les femmes est près du double de celle des hommes soit 24,8% et 13,9%. Cette différence vient essentiellement des incapacités légères, respectivement 16,7% et 8,3% pour les femmes et les hommes. La différence entre sexes augmente avec l’âge comme le montre le graphique ci-contre.

Pourcent des personnes âgées ayant au moins une incapacité par âge et sexe

Le Maroc devra donc faire face, au cours des prochaines décennies, à une augmentation de la proportion de personnes ayant une incapacité, incapacité légère ou lourde, en raison du vieillissement inéluctable de la population. En effet, même si les incapacités sont légères avec l’importance grandissante des personnes de 75 ans et plus, on peut penser que ce ne sera plus le cas au cours de prochaines décennies. Selon les projections du HCP, l’effectif 75 ans et plus va doubler entre 2006 et 2030, passant de 0,6 millions à près de 1,3 millions et leur proportion passer de 2,1% à environ 3,4% entre les deux dates. Si on suppose que le taux d’incapacité lourde reste inchangé entre 2006 et 2030, l’effectif des personnes avec incapacité lourde qui était de 93 milles en 2006 serait de 188 mille en 2030. Ce qui devrait exercer une pression accrue sur les services de santé.

3. Facteurs associés à l’incapacité

Pour analyser les facteurs associés à l’incapacité des personnes âgées au Maroc, on estimera l’effet propre (toutes choses égales par ailleurs) des variables susceptibles d’expliquer l’incapacité. Ce qui permettra de cibler les interventions les plus indiquées pour améliorer l’état de santé de cette tranche de la population.

Méthode d’analyse

Comme notre variable dépendante est dichotomique (codée 1 quand l’individu déclare avoir une incapacité quelconque selon l’échelle des ADLs et 0 dans le cas contraire) la technique qui permet d’ajuster une surface de régression à ce type de variable est bien la régression logistique binaire.

Contrairement au cas de la régression linéaire, les coefficients estimés ne sont pas directement interprétables comme l’influence marginale de la variable explicative. Pour saisir la portée analytique de ce modèle, on utilise plutôt les Odds-Ratio [5], également appelé « rapport de cote ». Un rapport de cote (RC) n’est autre que le rapport entre la chance associée à une modalité i (Ci) et celui d’une modalité de référence (Cr), soit Ci/Cr. Le RC permet d’examiner l’impact d’une modalité sur la probabilité d’occurrence de l’évènement dépendant et ce, en comparant les individus ayant cette modalité avec ceux ayant la modalité de référence.

Dans notre cas, les RCi supérieures à l’unité sont associées à des modalités qui maximisent la chance d’une personne âgée d’avoir une incapacité, relativement à la modalité de référence ou relativement à une modalité de la même variable qui a une C.Ri plus faible. Corrélativement, les RCi inférieures à l’unité sont associées à des modalités qui diminuent la chance de tomber dans l’incapacité, relativement à la modalité de référence ou relativement à une modalité de la même variable qui a un RC plus élevée. Plus l’écart entre RC et l’unité est grand, plus fort est l’effet de la modalité.

Les variables indépendantes utilisées sont de plusieurs types, individuelles, contextuelles, comportementales, ainsi que des variables mesurant le mode de vie familial et les conditions sanitaires. Les variables individuelles sont mesurées par l’âge (introduit dans le modèle multivarié comme variable catégorielle avec trois groupes, 60-69 ans ; 70-79 ans et 80 ans et plus, le dernier groupe étant celui de référence, le sexe (avec catégorie de référence les femmes), l’état matrimonial (on n’a considéré que les mariés versus les non mariés), l’instruction (mesurée par les trois catégories : sans niveau, niveau primaire/école coranique et niveau secondaire et plus). La variable contextuelle est mesurée par le milieu de résidence de la personne âgée, le milieu rural étant celui de référence. Deux indicateurs mesurent les variables comportementales sont : l’activité (travail ou pas actuellement) et le fait de déclarer faire du sport. Pour la variable mode de vie familial, on distinguera entre les personnes âgées vivant seules et ceux vivant en famille. En dernier lieu, les conditions sanitaires, sont mesurées par le fait de posséder une assurance maladie ; si la personne âgée a fait une chute ; si elle souffre d’une maladie chronique ainsi que le nombre de journées passées dans une situation de maladie passagère.

Dans ce qui suit on va examiner des équations multi-variées dans le but d’étudier l’effet des prédicateurs (démographique, contextuelle, comportementale et conditions sanitaires) sur les limitations des ADLs, on partant de l’hypothèse que les plus âgées, les femmes, les ruraux, les personnes vivantes seules, les personnes ne disposant pas de bonnes conditions sanitaires ont plus de chance d’avoir une incapacité.

Résultats

Comme on pouvait s’y attendre, l’incapacité est fortement associée à l’âge et à l’état matrimonial. Spécifiquement, les groupes d’âge jeunes ont moins de chance de tomber dans l’incapacité ; c’est un des résultats les plus documentés. Les personnes non marié ont deux fois plus de chance de tomber dans l’incapacité ; résultat corroboré par d’autres études (Mor et al., 1989 ; Picavet et Hoeymans, 2002). D’une manière générale, les études s’accordent sur le fait que le mariage protège ; les personnes mariées présentent des taux de morbidité et d’incapacité inférieurs. Une des explications est que l’état matrimonial influence l’état de santé à travers le support social dispensé par le partenaire. Par ailleurs, le fait de vivre en famille influe sur les limitations fonctionnelles. Les personnes vivant en famille ont moins de chance de tomber en incapacité que celles vivant seuls, quoique cet effet ne soit pas statistiquement fort (p-value < 0.10). Ce résultat suggère que la famille reste le principal fournisseur d’aide aux personnes âgées pour réaliser les activités de la vie quotidienne.

La famille fournit la majeure partie de l’aide dont les personnes ayant une incapacité ont besoin. Au Maroc l’abandon des personnes âgées par les familles est quasi inexistant et la famille a toujours constitué la plus importante source d’aide. Les données de l’enquête, confirment que les membres de la famille prodiguent plus de 90% d’aide pour les personnes âgées ayant besoin d’aide pour leurs activités quotidiennes et que ce rôle prend de l’importance à mesure que la gravité des incapacités augmente. Alors que les hommes aident principalement leurs conjointes, les femmes (conjointes, filles et belles-filles, etc.) constituent la majorité des aidants pour les personnes ayant une incapacité. Généralement, le type d’aide apportée est fortement lié au sexe de l’aidant : les femmes donnent plus de soins personnels, alors que les hommes accordent davantage d’assistance pour des tâches moins fréquentes et émotivement moins engageantes, telles le transport et la gestion financière du foyer (Lavoie, Lévesque et Jutras, 1995). Toutefois, le rythme rapide du vieillissement s’accompagnera sans nul doute de changements de grande ampleur du point de vue de la structure et du rôle des familles. L’urbanisation, la diminution de la taille des familles et l’entrée d’un plus grand nombre de femmes sur le marché du travail, ces trois facteurs feront qu’il y aura beaucoup moins de personnes disponibles pour s’occuper des personnes âgées ayant besoin d’aide.

Le milieu de résidence est associé à l’incapacité. Les citadins ont plus de chance de tomber dans l’incapacité que leurs homologues ruraux. Ce résultat suggère que la complexité du mode de vie urbaine rend les personnes âgées plus vulnérables. En effet, monter les escaliers, traverser une route, n’est toujours pas facile pour une personne âgée avec une démarche lente ou une vue altérée. En revanche, la vie en milieu rural est moins complexe. C’est pourquoi les citadins ont 50% plus de chance de tomber en incapacité par rapport aux ruraux.

On note par ailleurs que le sexe et le niveau d’études n’ont aucune influence sur la probabilité de tomber dans l’incapacité. Ce résultat ne corroborent pas avec plusieurs études qui toutes montrent une association entre le sexe, le niveau d’étude et le niveau socioéconomique avec l‘incapacité (Vita A.J., Terry R.B., Hubert H.B., Fries J.F., 1998). Ce qui suggère que les effets de ces variables sont médiatisés par les autres variables du modèle. Puisque un bas niveau socioéconomique est associée à des conditions de vie difficiles, une alimentation moins appropriée, des risques de blessures, un accès réduit aux services de santé et un degré moins élevé d’alphabétisation, ce qui est de nature à augmenter l’incapacité.

La variable comportementale a un effet significatif sur l’incapacité. Les personnes qui travaillent [6] ou ceux qui exercent une activité physique à caractère sportif restent le moins susceptibles de signaler une incapacité indépendamment des autres facteurs. La sédentarité et la réduction d’activité physique sont des marqueurs de fragilité et augmentent le risque de survenue d’une incapacité. D’autre part, la faiblesse musculaire accroit le risque de chute et de fracture. L’exercice physique s’oppose à la perte physiologique liée au vieillissement de la force musculaire, des capacités aérobies, et stimule indirectement la cognition, permettant une meilleure préservation de ces fonctions chez le sujet âgé.

Concernant les conditions sanitaires, le fait d’avoir fait une chute augmente les chances d’avoir une incapacité. Bien que la cause des chutes soit le plus souvent multifac¬torielle, plusieurs études ont montré que l’instabilité en position debout et à la marche augmentent le risque de chute chez les sujets âgés. L’instabilité posturale est associée à la peur de tomber et à l’incapacité de répondre de manière adaptée au déséquilibre. Elle s’accompagne à plus long terme d’une réduction d’activité et de mobilité. La prévention des chutes passe par : la prévention de l’ostéoporose ; l’aménagement du domicile ; la correction des troubles visuels aussi bien que le port des protecteurs des hanches.

D’autre part le fait de ne pas souffrir de maladie chronique diminue les chances de tomber en incapacité de près de 40%. En revanche, le fait d’avoir passé quelque jour en maladie passagère augmente les chances d’avoir une incapacité. Une association entre les maladies chroniques et l’incapacité chez les personnes âgées a été trouvée entre autre, pour certaines maladies comme l’arthrose, le diabète, l’hypertension et les maladies cardiaques ou pulmonaires. Ces maladies limitent directement la possibilité de pratiquer une activité physique, et sont de ce fait des causes directes bien connue de l’incapacité. D’où le rôle de la prévention de certains facteurs de risque et des décompensations. En effet, si une ou plusieurs maladies peuvent survenir au cours de l’avancée en âge, certaines d’entres elles vont se développer à partir de facteurs de risque présents. Ces facteurs de risque communs peuvent être l’hypertension artérielle, la sédentarité, l’isolement, une alimentation mal équilibrée etc. En agissant sur ces derniers, il est parfaitement envisageable de corriger la trajectoire de vie de la personne concernée en terme d’incapacité. Lorsque la maladie ou l’incapacité s’installe, la prévention se doit d’éviter les décompensations ou les complications qui peuvent survenir, souvent en cascade, dans un cercle vicieux. Par exemple, une chute, pourtant sans fracture, peut entraîner un repli sur soi, un état dépressif avec une limitation de l’autonomie, une alimentation irrégulière et insuffisante, etc.

Autre résultat important, le fait de disposer d’une assurance-maladie n’influe en rien les limitations fonctionnelles.

Tableau 3 : Régression logistique de l’incapacité des personnes âgées (N=3010)

Conclusion

Dans le contexte de l’allongement de l’espérance de vie, l’augmentation du nombre de personnes âgées et ceux très âgées peut être un facteur d’inquiétude puisque la longévité est souvent associée au déclin fonctionnel. Étudier l’incapacité chez les personnes âgées et ses facteurs est un sujet de grande importance si l’on veut prévoir les coûts sociaux et médicaux associés aux personnes âgées.

L’enquête sur les personnes âgées au Maroc en 2006 constitue une première source sur différents aspects des limitations fonctionnelles des personnes âgées. Cette étude tente d’évaluer le statut fonctionnel des personnes âgées à travers l’indicateur de Katz sur les activités de la vie quotidienne (ADLs). Les ADLs représentent un moyen approprié pour appréhender l’état de santé puisqu’elles évaluent la capacité de la personne âgée à réaliser des tâches habituelles et nécessaires dans son environnement social. Les résultats montrent qu’en 2006, environ 19,6% de la population marocaine âgée de 60 ans et plus, vivant en ménage, présente une incapacité fonctionnelle dont 12,7% avec une incapacité légère et 6,9% avec une incapacité lourde. Ce dernier groupe représente un effectif de 93 milles personnes, si on suppose que le taux d’incapacité lourde reste inchangé entre 2006 et 2030, l’effectif des personnes avec incapacité lourde atteindrait un effectif de près de 188 mille à l’horizon 2030. Ce qui devrait exercer une pression accrue sur les services de santé.

Dans le but de cerner les facteurs associés à cette incapacité, et qui sont de plusieurs ordres ; démographique ; contextuelle ; comportementale et conditions sanitaires, des analyses multi-variées ont été menées. Les résultats confortent les hypothèses, puisque le risque de tomber dans l’incapacité s’accroît quand la personne avance en âge, de sexe féminin, n’est pas actuellement mariée, vit seul, vit en milieu urbain, ne travaille pas actuellement, souffre d’une maladie chronique et ne dispose pas de bonnes conditions sanitaires.

L’incapacité pourrait être liée à deux phénomènes : d’une part une meilleure prévention primaire (notamment des facteurs de risque) amenant à une diminution de l’incidence des pathologies invalidantes et d’autre part une prise en charge médicamenteuse et sociale plus adaptée, une fois la maladie installée, conduisant à réduire leurs séquelles en terme d’incapacité. Ainsi, plusieurs recommandations pourraient être avancées afin d’accroître le bien être des personnes âgées à travers des mesures essentiels comme :

- L’amélioration de l’environnement physique. Un environnement physique adapté à l’âge est un facteur important d’autonomie et de dépendance pour certaines personnes âgées. Les personnes âgées pouvant sortir, rendre visite à des voisins et se promener dans la rue en toute sécurité entretiennent ainsi leur santé et sont moins susceptibles de souffrir d’isolement ou de dépression ;

- Agir sur certains facteurs comportementaux. En effet, une activité physique régulière, adaptée à l’âge, aux capacités physiques et aux désirs de la personne et un régime alimentaire sain sont bénéfiques pour la santé mentale et susceptibles de diminuer le risque de maladies chroniques et de retarder la perte de certaines fonctions ;

- L’amélioration de l’environnement social. Le maintien de relations sociales pour éviter l’isolement, le repli sur soi et la dépression. Aussi, la possibilité d’être formé et d’apprendre tout au long de la vie et une protection contre la violence et la maltraitance constituent des facteurs clés de l’environnement social qui améliorent la santé, l’autonomie à un âge avancé ;

- L’amélioration de la couverture médicale et sociale des personnes âgées (Systèmes de retraites, AMO, RAMED…). Les services de santé et sociaux doivent garantir un accès égal, notamment aux personnes âgées pauvres, et plus particulièrement, à ceux qui vivent en zones rurales. De plus, les centres de soins de santé primaire doivent être accessibles et adaptés aux besoins des personnes âgées ;

- La mise en place des structures d’aide aux aidants pour la prise en charge des personnes âgées avec incapacité en milieu familiale. Et Mettre à la disposition des malades âgées avec une incapacité des aides techniques (cannes, déambulateurs…).

Annexe : Statistiques descriptives

Tableau : Statistiques descriptives (N=3010)

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[1] KATZ S. Assessing self maintenance : activities of daily living, mobility and instrumental activities of daily living. J. Am Geriatr soc 1983 ; 31 721-7.

[2] cale for instrumental activities of daily living [IADL] (1971). Lawton MP. Mezey MD, Rauckhorst LH, & Stokes SA (1993). Health assessment of the older individual. 2nd ed. NY : Springer Publishing Company. Pg. 35.

[3] Georges et Mallery, 2003, estiment une échelle pour le α comme suit : α=0.9 excellent, α=0.8 bonne, α=0.7 acceptable et α=0.5 faible.

[4] Il s’agit d’un critère empirique pour sélectionner le nombre d’axes.

[5] On montre que le rapport de cote est égal à expB.

[6] D’autres études considèrent les personnes âgées les plus mobiles durant leur vie professionnelle.

VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION DANS LES PAYS DU SUD

Famille, conditions de vie, solidarités publiques et privées... État des lieux et perspectives

ACTES DU COLLOQUE INTERNATIONAL DE MEKNÈS

Maroc 17-19 mars 2011