Les dynamiques migratoires dans les zones de fronts pionniers

Province de la Comoé, Burkina Faso

 

Zongo Mahamadou

Université de Ouagadougou

 

Les migrations au Burkina Faso sont très anciennes. Les mouvements de populations ont englobés à la fois les dimensions externes et internes. Dés le début de la colonisation, ayant été considérée économiquement peu viable, la colonie de la Haute - Volta (actuel Burkina Faso) sera qualifiée de "réservoir de main d’œuvre". A ce titre la population de la colonie sera utilisée pour la mise en valeur des colonies de l'AOF (Afrique occidentale française), notamment dans tous les grands chantiers de l'époque (chemins de fer Abidjan – Niger, Thiès – Kayes, la construction du port autonome d’Abidjan, l'Office du Niger, etc.). Mais c’est essentiellement vers la colonie de Côte d’Ivoire que les autorités coloniales vont orienter les déplacements des populations dès les années 1930 (par l’implantation de colonies de peuplement dans les zones de faibles densités). La colonie sera démantelée en 1932 au profit de celles de la Côte d'Ivoire (qui hérite des 2/3 des territoires) du Soudan (actuel Mali) et enfin du Niger. En dépit de la reconstitution du territoire (en 1947) et  des indépendances en 1960, le mouvement migratoire  enclenché vers la Côte d'Ivoire va se perpétuer et se transformer progressivement en vaste mouvement de colonisation agricole. Toutes les tentatives d'organisation administrative initiées sous la colonisation (Syndicat interprofessionnel d'acheminement de la main d’œuvre: SIAMO), et par les nouvelles autorités dès les indépendances (convention de 1960 signée par les gouvernements de la Côte d'Ivoire et de la Haute - Volta) ont toutes échoué.

 

Parallèlement à la migration internationale, un front intérieur de colonisation agricole s’est développé, dès le début des années 60 à partir du plateau central (provinces du Bulkiemdé, du Kadiogo, du Passoré du Oubritenga, du Yatenga, du Zandoma, du Kourittenga, du Namentenga) vers la quasi-totalité de l’ouest du pays (provinces du Houet, du Mouhoun, du Tuy, des Banwa.) caractérisé à la fois  par des conditions climatiques favorables et une faiblesse de l’occupation humaine.

L’ensemble de ces deux fronts migratoires (interne et externe), par l’intensité, l'importance et la durée du mouvement a contribué à modifier à la fois les caractéristiques socio - démographiques (densité, composition ethnique, etc.), écologiques et économiques des zones d’accueil.

 

Jusqu'à la fin des années 80, l'installation des migrants et des immigrés n'avait pas rencontré de problèmes particuliers ni à l'intérieur du pays qu'à l'extérieur. Particulièrement en Côte d'Ivoire, les autorités avaient favorisé l'installation, dans les zones forestières, des populations septentrionales du pays ainsi que celles des pays voisins du nord (Mali et Burkina Faso) à la fois pour surmonter la faiblesse de l'occupation humaine mais surtout pour soutenir la politique de l'extension des plantations de cacao et de café (qui constituaient la base de l’économie du pays). Depuis la période coloniale, la protection administrative dont bénéficiaient les immigrés était fondée sur leur plus forte réceptivité des innovations agricoles.

Le front intérieur bénéficiait également d'un soutien explicite de l'Etat burkinabè dont les objectifs visaient une affection rationnelle de la main d’œuvre sur l'ensemble d territoire. Ces orientations ont reçu un écho favorable dans les zones d'accueil à cause de la faiblesse de l'occupation humaine.

 

Depuis le début des années 90, l'ensemble du mouvement migratoire a commencé à enregistrer de profondes modifications qui portent à la fois sur les destinations que sur les formes. En effet, les migrations internationales ont commencé à se réorganiser à partir d'Abidjan vers l'Europe (d'abord l'Italie) et l'Amérique du Nord puis progressivement d'autres destinations (Libye, le Soudan, l'Arabie Saoudite). Actuellement, les départs s'organisent à partir du Burkina Faso. Sur le plan des migrations internes, le plateau central a perdu progressivement son rôle de principal foyer d'alimentation du flux migratoire de longue durée (avec cependant l’émergence des nouvelles migrations saisonnières. Dans le même temps s'opérait un redéploiement des populations des anciennes zones d’accueil vers des zones qui jusque là, étaient restées en dehors des turbulences migratoires. Parallèlement, le milieux des années 90 marque le début des migrations de retour à partir de la Côte d'Ivoire qui vont s'accélérer après le déclenchement de la rébellion dans ce pays en septembre 2002.

 

Les causes de ces redéploiements sont multiples mais résident principalement dans la modification du contexte socioéconomique et ou politique dans les zones ou les pays d'accueil.

Sur le plan interne, les zones de colonisation agricole des années 70 sont actuellement caractérisées par une forte saturation foncière dont les implications sont essentiellement le développement de l' insécurité foncière qui se manifeste par:

 - les compétitions intra-familiales pour l'appropriation des bonnes terres des domaines fonciers lignagers;

 

 - la récurrence des conflits fonciers entre agriculteurs mais qui opposent plus spécifiquement les migrants (ou leurs enfants )         aux autochtones; ces conflits se manifestent soit par des retraits de terre soit par des perpétuelles renégociations des contenus des anciennes transactions foncières;

 

- les conflits entre agriculteurs et éleveurs.

 

L'insécurité foncière dans ces zones sont la résultante de la conjugaison de plusieurs facteurs dont les principaux sont:

- la forte croissance démographique alimentée surtout par la migration: ainsi les structures démographiques de presque tous les villages dans les provinces des Banwa ainsi que du Mouhoun sont caractérisées par un déséquilibre en faveur des migrants; cette forte croissance s'accompagne sur le plan sociologique par le renouvellement des générations aussi bien chez les autochtones que chez les migrants;

- la modernisation de l'équipement agricole grâce à une politique de subvention initiée par l'Etat dans le courant de la décennie 70. Le passage de la culture manuelle à la culture attelée, voire motorisée, s'est effectuée avec le maintien des logiques extensives, ce qui va entraîner une forte extension des superficies emblavées;

 

- une instabilité institutionnelle avec notamment l'adoption de la RAF (réorganisaton agraire et foncière) en 1984 (révisée en 1991 et en 1996) dont l'objectif fondamentale a été la proclamation du monopole foncier de l'Etat et la delégitimation des régimes fonciers coutumiers. Cependant la forte la forte résistance, sinon même la prévalence, des règles foncières traditionnelles a entraîné la prolifération d'instances et d'autorités foncières qui s'inscrivent dans des registres normatifs différents voire contradictoires;

 

- l'émergence de nouvelles transactions foncières, principalement monétarisées, (notamment la location et la "vente"), jusque inconnues;

 

- l'émergence des nouveaux acteurs (les citadins qui ont des projets d'investissement, très souvent sur des grandes superficies, en milieu rural).

L'insécurité foncière qui en résultera sera la principale cause du déclenchement d'un important flux migratoire vers les zones moins saturées,  d'abord vers l'Est de la province du Houet puis progressivement vers les provinces de la Comoé, du Poni, du Ziro, de la Sissili et du Nahouri.

 

En Côte d'Ivoire, la crise des années 80 a entraîné une détérioration généralisée des conditions de vie, mais plus encore en milieu rural, le retour des jeunes vers leurs villages d'origine, la libéralisation de la vie économique ainsi qu'une remise en cause de la place des étrangers, ou ceux considérés comme tels, dans la société ivoirienne. La promotion de "l'ivoirité" et son pendant rural - l'autochtonie - par certains animateurs de la classe politique ivoirienne à des fins électoralistes aboutira en 1998 à:

- l'indexation des étrangers comme la principale source de problèmes des ivoirien (voir déclaration du Conseil économique et social en 1998);

 

- l'adoption d'une loi foncière excluant les étrangers et leurs ayant-droits de la propriété foncière (loi révisée en 2004) ;

 

- à la remise en cause des transactions foncières entre autochtones et étrangers par les jeunes ivoiriens.

 

Les conflits fonciers qui en résultent se transformeront progressivement en affrontements intercommunautaires violents et parfois meurtriers; en 1999, un conflit foncier à Tabou entre un autochtone et un immigré Burkinabè se transforme en affrontement intercommunautaire et l'expulsion de plus de 12000 Burkinabè de Tabou vers le Burkina Faso. Le déclenchement du conflit armée en Côte d'Ivoire en septembre 2002 s'accompagne de la désignation  du Burkina Faso par les autorités ivoiriennes comme "le parrain local" de la rébellion. L'insécurité qui se développe dans les zones gouvernementales et les incertitudes dans les zones contrôlées par les rebelles déclenchent un vaste mouvement de retour de plusieurs milliers de Burkinabè vers le pays d'origine. Contrairement aux hypothèses des autorités du Burkina Faso, plutôt que de repartir dans les zones dont ils sont originaires, les "rapatriés" ont préféré s'installer dans les provinces frontalières, notamment la Comoé, le Poni, le Ziro, le Sissili, le Nahouri.

 

La province de la Comoé est l'une des provinces qui constituent le point de convergence de ce triple flux migratoire: le premier, animé par le courant en provenance de la vieille zone de colonisation  agricole (la vielle zone cotonnière), le second par les migrants de retour - notamment les rapatriés- et l troisième, de loin la moins importante -voire résiduelle- en provenance du plateau central. Les deux premiers courants diffèrent des vagues migratoires traditionnelles dans la mesure où elles sont alimentées par des acteurs ayant déjà une expérience migratoire.

La modification du contexte dans la zone d'accueil génère des implications importantes qui ne sont pas encore documentées.

 

Les constats

 

- La modification brutale de la démographie ainsi que l'extension des espaces habités aussi bien dans les centres urbains que dans le milieu rural;

 

- les lieux de départ de la Côte d'Ivoire se concentrent principalement dans l'ouest et le sud forestier ivoirien (Danané, Man, Blolekin, Duekué, Guiglo, Issia, Gagnoa, Soubré, Divo, Sassandra, San Pedro, Tabou, etc.).

- l'éclatement des familles :

 

        - les femmes et les enfants ont été rapatriés dans les villages du plateau central;

        - les chefs de familles et une partie des actifs s'installent dans les nouvelles zones d'accueil;

        - une autre partie des actifs restent en Côte d'Ivoire pour la surveillance des investissements et des biens immobiliers qui y sot sont restés;

 

- l'extrême mobilité à la fois entre les zones de provenance et à l'intérieur des zones d'installation actuelles;

 

- une tentative de structuration par la création d'associations;

 

- une évolution très rapide des transactions foncières, évolution qui contribue à remettre en cause les fondements des piliers de l'organisation foncière traditionnelle;

 

- actuellement, on n'observe pas de contestation ou d'opposition ouverte à l'installation des rapatriés mais de plus en plus de jeunes autochtones manifestent leurs inquiétudes sur les conséquences de ces installations massives.

 

Les questions

 

Quel est l'impact de la mobilité sur les stratégies de sécurisation que les migrants adoptent dans un contexte d'insécurité?

 

Quels sont les différentes logiques qui sous tendent les rapports avec les différents lieux (zones de départ, d'accueil et d'origine)?

 

Quels sont les dynamiques que l'installation subite et massive des migrants va t'elle contribuer à révéler ?

 

Les aspects à documenter

 

Origine et statut social (trajectoire migratoire)

-         Qui sont ils?

-         D’où viennent ils ?

-         Quelles activités pratiquaient ils ?

 

L’accès aux ressources dans les zones d’accueil (en milieu rural)

-         mode d’accès;

-         contenus des transactions;

-         instances ou autorités de validation des transactions;

-         stratégies de sécurisation des différentes catégories);

-         conflits:

·      causes ;

·      acteurs ;

·      manifestations ;

-         instances et autorités de résolution des conflits.

 

Les rapports avec les différentes zones

-         zones de départ (CI, zone cotonnière);

-         zone d’accueil (quel type d’activité et quel type d’investissement);

-         zone d’origine (au BF).