Peuplement et décentralisation au Mali

Le traitement cartographique des données censitaires au Rwanda  de 1978 à 2002

Etat des lieux

 Yannick Védaste Banturiki

Institut de démographie UCL

Louvain-la-Neuve Belgique

 

Introduction 

 

Avec une population de 8.128.553 habitants répartis sur un territoire de 26.338 km², le Rwanda présente une densité brute de 308 hab/km² au 3e Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) de 2002 et reste l’un des pays les plus densément peuplés d’Afrique noire. Soustraction faite des lacs, des parcs nationaux et des forêts,  la densité de la population serait de 378 hab/km² sur les 21504 km² effectivement habitables. La forte densité de la population rwandaise ne date pas d’aujourd’hui.  Comme le souligne Gourou (1953), « les fortes densités du Ruanda-Urundi sont antérieures à l’intervention européenne ». Se basant sur les données de l’enquête démographique du Ruanda de 1948, il a montré qu’avec une densité de 77 hab/km² en 1948, le Rwanda constituait une concentration d’hommes exceptionnelle en Afrique tropicale.

Malgré cette forte densité, la population est restée essentiellement rurale. La population urbaine estimée à 5,5% en 1991 est passée à 16,7% en 2002. Cette forte croissance de la population urbaine survenue après les massacres et génocide de 1994, peut être attribuée à la redéfinition des limites de la plupart des villes pour englober des espaces et des populations aux caractéristiques typiquement rurales, à l’exode rural quasiment incontrôlé pendant la période après ces événements de 1994 et au retour massif des anciens réfugiés de 1959 dont une bonne partie a choisi la ville.

Connu sous le nom de « Pays aux mille collines», le Rwanda est remarquable par une très grande diversité géoclimatique, fonction de l’altitude et du niveau des précipitations. On distingue généralement trois régions climatiques : une région de savanes semi-aride à l’Est comprise entre 1000 et 1500 m d’altitude, le plateau central compris entre 1500 et 2000 m où sont parsemés des collines arrondies et la Crête Congo-Nil au delà de 2000 m et son abrupt sur le lac Kivu à l’ouest, dominée par la chaîne des volcans au Nord-Ouest et caractérisée par un climat doux des montagnes. C’est d’ailleurs dans ce triptyque qu’il faudrait replacer les conséquences majeures de l’expansion démographique sur l’organisation de l’espace rwandais. Il existe deux saisons de pluie et deux saisons sèches. La pluviométrie annuelle varie de 700 à 2000 mm selon les régions et la température moyenne est de 20° tout au long de l’année.

L’économie du Rwanda est essentiellement tournée vers l’agriculture de subsistance et de rares cultures de rente (café et thé principalement). L’habitat rural rwandais est caractérisé par l’absence de villages, les ménages étant dispersés au milieu de parcelles cultivées. L’habitat rural repose sur la production agricole et reproduit le morcellement continu des propriétés foncières, consécutif aux principaux modes d’acquisition des terres au Rwanda à savoir les pratiques sociales de transfert de terre par héritage qui supposent une subdivision de l’exploitation familiale en autant de petites exploitations qu’il y a d’enfants de sexe masculin arrivant à l’âge de fonder un foyer. Les résultats de l’enquête intégrale sur les conditions de vie des ménages de 2000-2001 montrent que la taille moyenne d’une exploitation familiale au niveau national est de 76 ares soit moins de 18 ares par personne. Les plus grandes exploitations familiales se trouvent dans la province de Kibungo (en moyenne 1 ha par ménage), d’Umutara (0,99 ha) et les plus petites exploitations familiales sont dans Butare (0,36 ha) et Gikongoro (0,50 ha). Mais malgré les massacres et génocide de 1994 ayant causé plus d’un million de perte en vies humaines et des déplacements massifs tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, les résultats du Recensement général de la population de 2002 montrent que dix ans après ces événements, les terroirs rwandais sont de nouveau très sursaturés et se pose déjà le problème d’accès à la terre dans ces espaces exigus et convoités. Les projections démographiques ne laissent aucun doute que dans un proche avenir, les risques de confronter un blocage du système de production ne sont pas à écarter, causant des incertitudes socio-économiques à la population. C’est face à cette réalité que nous nous sommes posés ces questions suivantes : comment ont évolué les densités de la population rwandaise ? Cette évolution a-t-elle été la même sur tout le territoire ? Quel a été l’effet de la guerre et des massacres de la population de la dernière décennie sur l’évolution de ces densités de la population ?

Quelques précisions méthodologiques

Cette étude cherche à faire un état de lieux de l’évolution des densités au Rwanda aux trois derniers recensements de la population par une approche cartographique dans les différentes communes du pays. Pour mieux saisir la concentration de la population, nous avons opté de considérer seulement les densités sur les superficies habitables. Les surfaces couvertes par les forêts, les parcs nationaux et les lacs ne sont pas pris en compte dans nos calculs.

La comparaison de l’évolution de la population selon les régions est à nuancer à cause de la réforme administrative intervenue après les événements de 1994, occasionnant des modifications des limites administratives et des transferts de population entre les communes et préfectures. Il s’agit entre autres de la création de la 12e préfecture d’Umutara à partir des préfectures de Byumba et Kibungo après la guerre de 1994, l’élargissement des limites de la ville de Kigali au dépens de la Préfecture de Kigali Rurale qui, en plus va céder certains de ces secteurs à la Préfecture de Kibungo. Les autres préfectures ont pratiquement maintenu les limites de 1991. Depuis 2002, les préfectures sont devenues des provinces et les communes fusionnées en districts. Le Rwanda qui comptait 11 préfectures et 146 communes au RGPH de 1991, au RGPH de 2002 compte 12 provinces subdivisées en 106 districts. Vu ce changement administratif, dans notre analyse nous utiliserons la terminologie de « commune et préfecture » pour la période intercensitaire 1978-91 et celle de « district et province » pour la période intercensitaire 1991-2002 et nous attirons l’attention de nos lecteurs à ce sujet. C’est dans ce contexte particulier que nous entreprenons de faire ce travail sur l’état des lieux de l’évolution des densités intercensitaires aux trois recensements de la population de 1978, 1991 et 2002.

Quant à la catégorisation des densités, cinq groupes ont été retenus pour tenir compte des disparités régionales et de l’évolution des densités aux trois recensements :

 

-        Densité très faibles (moins de 200 hab/km²)

-        Densités faibles (entre 200 hab/km² et 350 hab/km²)

-        Des densités moyennes (entre 350 et 500 hab/km²)

-        Des densités fortes (entre 500 et 1000 hab/km²)

-        Densités très fortes (plus de 1000 hab/km²)

 

Nous tenons à préciser que ces classes retenues de densités faibles, moyennes et fortes, doivent être considérées dans le contexte local rwandais car dans la plupart des pays africains, même 50 hab/km² constitue déjà une forte densité (Cambrézy, 1984).

 

Evolution des densités durant la période censitaire 1978 – 1991 

 

En 1978, les régions à faibles densités (<350 hab/km²) couvrent 83% de la superficie habitable mais n’abritent que 72% de la population, celles à densités moyennes (350 à 500 hab/km²) couvrent 13% de la superficie et abritent 20% de la population tandis que celles à fortes densités (plus de 500 hab/km²) couvrent 7% de la superficie et abritent 3 % de la population. En 1991 par contre, les régions à faibles densités (<350 hab/km²) ne couvrent plus que 45% de la superficie habitable et n’abritent que 17% de la population, les densités moyennes (350 à 500 hab/km²) ont connu une augmentation, couvrent 39% de la superficie et abritent 56% de la population. Quant aux régions à fortes densités (plus de 500 hab/km²), elles couvrent 16% de la superficie et abritent 24% de la population (voir figure 1 et 2  les annexes 1 , 23 et  4 et cartes 1).
 

Durant cette période intercensitaire 1978-1991, le taux d’accroissement annuel est de 3,1% au niveau national (voir carte 2 ). La part relative de chaque préfecture a augmenté dans les préfectures de Kibungo (4,7%), Kigali (y compris Kigali-Ville) (3,9%), Cyangugu (3,4%) et Gisenyi (3,5%). Par contre la part des préfectures de Butare, Gikongoro, Gitarama, Kibuye et Ruhengeri a relativement diminué. Il faut signaler que les préfectures dont la part relative a augmenté et qui présentent des taux d’accroissement annuels moyens supérieurs à la moyenne nationale sont celles qui constituent les zones d’immigration en raison de la disponibilité des terres cultivables ou de l’urbanisation et d’autre part des zones à forte croissance naturelle (Gisenyi et Cyangugu). L’analyse de l’évolution de l’Indice Synthétique de fécondité par préfecture permet de constater que lors des recensements de 1978 et 1991, c’est surtout dans les préfectures les plus densément peuplées de Ruhengeri, Gisenyi, Cyangugu que l’on trouve des ISF les plus élevés. En 1978, toutes les préfectures à l’exception de celles du plateau central (Butare et Gitarama) ont des ISF supérieurs à 8 enfants par femme. Mais ces ISF vont continuer à diminuer de façon qu’en 2000, aucune préfecture du pays n’avait un ISF supérieur à 7 enfants par femme (voir figure 3). 

Une distribution inéquitable des densités dans les grandes régions du pays

Le plateau central, qui couvre les provinces de l’axe Butare-Gitarama- Kigali, est considéré comme le vieux pays suite à la présence notamment de la résidence du roi à Nyanza. La province de Butare avec 183 hab/km² en 1948, était la plus densément peuplée du Rwanda. Ceci était dû notamment à la bonne fertilité de ses terroirs, à la précocité des implantations européennes tant dans le centre urbain de Butare que dans la région de Save où s’est installée la première mission catholique au Rwanda en 1900. Cette forte concentration humaine va se poursuivre notamment après l’indépendance suite à l’implantation de l’Université Nationale du Rwanda à Butare. Ces fortes concentrations de la population auxquelles il faut ajouter le système de production et d’organisation agricole, vont pousser une bonne partie de la population à émigrer dans les basses terres peu peuplées de la vallée de la rivière Akanyaru dans le Mayaga et d’autres vont traverser pour s’installer dans le Bugesera dans la préfecture de Kigali où furent organisés les premiers et les plus grands paysannats du pays en 1963.

Au recensement de 1978, la densité moyenne de la préfecture de Butare était de 343 hab/km² sur les superficies habitables et six des vingt communes de cette préfecture avaient une densité de la population supérieure à 400 hab/km² (voir annexe 5). En 1991, la densité de la population était passée à 435 hab/km² avec de fortes concentrations dans la commune urbaine de Ngoma (867 hab/km²) et dans les communes périurbaines de Huye (707 hab/km²), Shyanda (643 hab/km²) et Mbazi (641 hab/km²). Avec une densité de 388 hab/km² en 1978 et 480 hab/km² en 1991, la commune Nyabisindu qui couvre pratiquement l’ancienne résidence royale de Nyanza a maintenu également des densités élevées même si elles sont de loin inférieures à celle des communes urbaines et périurbaines de la ville de Butare.

Mais en terme d’accroissement annuel, toutes les communes de Butare à l’exception de Mugusa (3,4%), présentent des taux d’accroissement annuels inférieurs à la moyenne nationale de 3,1%. Soulignons qu’au niveau national, les communes à faible taux d’accroissement de la population se concentrent dans les préfectures de Butare et Gikongoro ; sur les 28 communes à taux d’accroissement annuel moyen inférieur à 2% par an durant la période 1978-1991, la préfecture de Butare en compte 13 et celle de Gikongoro 10.

La partie nord du Plateau central couvre la préfecture de Gitarama et présente des comportements semblables à ceux de Butare mais moins accusés notamment au niveau des densités sensiblement plus bas. Les densités moyennes dans cette préfecture sont passées de 281 hab/km² en 1978 à 395 hab/km² en 1991. Au niveau communal, c’est dans la commune de Mugina, proche de la région aride du Bugesera, que l’on trouve des densités faibles dans cette préfecture (200 hab/km² en 1978 et 327 hab/km² en 1991), les plus fortes densités étant localisées dans la commune de Rutobwe (363 hab/km² en 1978 et 506 hab/km² en 1991). Avec une densité de 258 hab/km² en 1991, la commune urbaine de Nyamabuye est l’une des communes les moins densément peuplées de cette préfecture. Le taux d’accroissement annuel moyen dans la préfecture de Gitarama durant la période intercensitaire 1978-1991 était de 2,6% et variait de 1,7% en commune Murama à 3,6% en commune Mugina.

La préfecture de Kigali, au centre du pays, dominée par la rivière Nyabugogo était traditionnellement moins peuplée que l’axe Butare-Gitarama. Sa densité de 84 hab/km² en 1948, s’est vite accélérée après l’indépendance pour atteindre 226 hab/km² en 1978 et remonter à 338 hab/km² en 1991. Cette augmentation de la population serait due notamment à la mise en valeur de la vallée de Nyabugogo, aux renforcements des activités minières et à l’ouverture des grands chantiers routiers et à la présence de la capitale dans la préfecture. La lutte contre la mouche tsé-tsé et l’amélioration des conditions de vie dans la partie sud-est du pays notamment à Bicumbi et dans le Bugesera va attirer beaucoup de monde. Entre 1978 et 1991, la densité de la population va passer de 199 hab/km² à 292 hab/km² à Bicumbi, de 77 hab/km² à 200 hab/km² à Gashora, de 190 à 325 hab/km² à Kanzenze et de 204 à 340 hab/km² à Ngenda. Dans le nord-ouest de Kigali, la Commune Musasa et Rushashi ayant de pentes très raides et peu favorables à l’agriculture, présente des densités relativement basses par rapport aux autres communes environnantes. En terme de taux d’accroissement annuel moyen, la préfecture de Kigali présente une très grande disparité régionale de la croissance de sa population avec des taux variant de 0% en commune Rubungo à 7,6% en commune Gashora.

Quant à la ville de Kigali, le taux d’accroissement annuel moyen de la population notamment dans la commune Nyarugenge a été de 7,9% durant la période intercensitaire de 1978-1991, la densité de la population ayant passé de 2919 hab/km² en 1978 à 4000 hab/km² en 1991. Signalons que si ville de Kigali attire beaucoup de monde dans la capitale, il est surprenant de constater que les communes de la périphérie urbaine de Kigali présentent pratiquement toutes des taux d’accroissement annuels relativement faibles et inférieurs même au taux national de 3,1%. Il s’agit de Butamwa (3,1%), Shyorongi (2,8%), Kanombe (2,3%), Rutongo (1,8%) et Rubungo (0,0%).

L’arrière pays de Cyangugu avait une densité de 115 hab/km² en 1948 relativement moins forte que celle de Butare au centre sud du pays, excepté dans les abords du lac Kivu notamment dans la zone Cyangugu-Nyamasheke (couvrant la zone de la ville de Cyangugu à la commune Gafunzo) où la densité de la population en commune Gafunzo était de 269,4 hab/km² à l’enquête démographique de 1948 (Gourou, 1953 ; Prioul, 1981). Cette faible pression démographique dans la région du Bushi va d’ailleurs faciliter le développement des grandes plantations industrielles de quinquina et de thé qui dans la suite vont attirer une main-d’œuvre importante. En 1978, la densité de la population avait beaucoup augmenté surtout dans les communes qui touchent sur le lac Kivu comme Kamembe et Gafunzo où la densité était déjà supérieure à 500 hab/km². Cette commune rurale de Gafunzo, presqu’île dans le lac Kivu, va d’ailleurs maintenir des densités très élevées passant de 510 hab/km² en 1978 à 706 hab/km² en 1991. Cette forte croissance démographique va pousser une bonne partie de la population à la recherche des terres dans les basses altitudes du Bugarama et dans les défrichements forestiers des communes Karengera et Kirambo aux abords de la forêt naturelle de Nyungwe. Ce qui a poussé l’augmentation des densités de la population passant de 188 hab/km² en 1978 à 315 hab/km² dans la commune de Kirambo et de 216 hab/km² à 378 hab/km² en commune Karengera. Le développement des plantations rizicoles et d’une cimenterie dans le Bugarama va attirer une grande main-d’œuvre et va voir sa population augmenter rapidement. Sa densité de la population qui était de 47 hab/km² en 1948 est passée à 201 hab/km² en 1978 pour finalement atteindre 366 hab/km² en 1991, soit un accroissement annuel moyen de 4,7% entre les recensements de la population de 1978 et 1991.

La préfecture de Kibuye caractérisée par une forte fécondité (ISF de 9 enfants par femme en 1978) a vu sa densité augmenter rapidement pour atteindre 363 hab/km² en 1978. Ce comportement nataliste va faire croître la densité de la population surtout dans les communes bordières du lac Kivu. Ceci va pousser une partie de la population à la recherche des possibilités de nouvelles terres en altitude dans les abords de la forêt de Nyungwe en commune Gisovu et dans les abords de la forêt de Gishwati en commune Rutsiro. Ces dernières communes, ont vu elles aussi leur population augmenter très rapidement passant de 204 hab/km² en 1978 à 281 hab/km² en commune Gisovu et de 201 hab/km² en 1978 à 315 hab/km² en commune Rutsiro soit un taux d’accroissement annuel moyen de 3,4%.

La préfecture de Gisenyi, plus particulièrement la grande forêt de bananeraie de Bugoyi est le pôle des densités rwandaises. La densité moyenne sur sols habitables est passée de 356 hab/km² en 1978 à 560 hab/km² en 1991. Toutes les communes ont vu leur densité de la population augmenter rapidement. La commune Nyamyumba en bordure du lac Kivu profitant de sa position à la ville de Gisenyi, de la présence de la Bralirwa (la seule grande brasserie du pays), de ses riches plantations de bananeraie est de loin la commune rurale la plus densément peuplée du pays. Sa densité est passée de 564 hab/km² en 1978 à 867 hab/km² en 1991. Le district de Nyamyumba qui a pratiquement gardé les mêmes limites administratives de la commune de Nyamyumba, a vu sa densité de la population augmenter pour atteindre 1035 hab/km² au recensement de 2002. Ces fortes densités dans cette préfecture vont pousser une partie de la population à émigrer à la recherche de nouvelles terres soit à l’intérieur même de cette préfecture surtout dans les abords de la forêt de Gishwati et du Parc national des Virunga, soit dans d’autres préfectures et même dans les pays voisins.

Le nord centre du pays dans la préfecture de Ruhengeri est caractérisé par de fortes concentrations de la population favorisées par des sols volcaniques très riches avec un climat paisible toute l’année ainsi qu’une forte natalité (l’ISF était de 9,9 enfants par femme en 1978). La densité de la population qui était de 108 hab/km² en 1948 va beaucoup augmenter surtout dans les communes de la vallée du Mulera et la mise en place des paysannats de pyrèthre sur les coulées et l’installation de grands projets agricoles dans la région va contribuer à limiter les mouvements migratoires de la population vers d’autres régions du pays. La densité moyenne de la population dans cette préfecture de 366 hab/km² en 1978 sur superficies habitables, va passer à 530 hab/km² en 1991. Ceci va pousser une bonne partie de la population à la recherche des nouvelles terres dans le Bugesera et dans la préfecture de Kibungo dans le sud et est du pays. D’autres vont gagner les pays voisins notamment l’Uganda, la République Démocratique du Congo et la Tanzanie, à la recherche de nouvelles terres. Malheureusement, faute de statistiques, il est difficile d’estimer ceux qui ont traversé la frontière pour s’installer dans les pays voisins durant cette période intercensitaire.

Les hautes terres du Buberuka et de Byumba, situées au dessus de 2000 m, se caractérisent par l’impossibilité d’y pratiquer les cultures d’étage moyen. Au sorgho et au haricot va succéder rapidement le maïs et le haricot et le bananier est presque inexistant malgré la volonté paysanne de le pousser le plus haut possible (Charley de la Masselière, 1993). En terme de densité, cette région est relativement moins concentrée que la partie occidentale des lacs Bulera et Ruhondo dans les coulées volcaniques du Mulera et du Bugoyi. Dans les hautes terres du Buberuka, les densités les plus élevées se trouvent notamment en commune Kivuye (574 hab/km²), Cyumba (564 hab/km²) et Cyeru (531 hab/km²). Comme le souligne Prioul (1981), la forte concentration de la population sur les hautes collines va pousser la population à la mise en valeur des marais qui contribuent également à fixer des ménages et les principaux blocs des cultures en bas des versants. Sur les sommets et les fortes pentes, les sols pauvres et peu profonds s’apprêtent mal à l’agriculture et sont surtout utilisés pour le pâturage et le reboisement.

L’Est du pays ou le fief des taux d’accroissement très élevés

L’éradication de la mouche tsé-tsé dans les zones arides d’Umutara, de Kibungo et du Bugesera, conjuguée avec la crise économique du début des années 80, vont accélérer le mouvement migratoire de la population vers ces nouvelles terres agricoles. Le développement des projets agro-pastoraux dans ces régions va attirer une main-d’œuvre agricole importante. C’est d’ailleurs dans ces régions que l’on trouve des taux d’accroissement annuels moyens supérieurs à 5% et où la commune de Rusumo a connu un taux d’accroissement annuel moyen de 8% durant la période intercensitaire 1978-1991, dépassant même le taux de la capitale (7,9% par an). Dans ces régions de l’est et du sud-est du pays qui présentaient des densités de la population pratiquement inférieures partout à 200 hab/km² au RGPH de 1978, vont connaître un accroissement rapide de leur population durant cette période intercensitaire 1978-1991. Si on prend le cas de deux communes les moins densément peuplées en 1978, on observe qu’en commune Rusumo la densité est passée de 57 hab/km² en 1978 à 154 hab/km² en 1991 et en commune Gashora, elle est passée de 77 hab/km² à 200 hab/km² en 1991.

 

 

Commune

Préfecture

Taux d’accroissement annuel moyen

Gashora

Kigali

7,6%

Ngarama

Byumba

7,2%

Rukira

Kibungo

6,0%

Rusumo

Kibungo

8,0%

Sake

Kibungo

5,3%

 

Source : RGPH 1991

 

Parlant des mouvements migratoires, il y a lieu de signaler que les rwandais sont beaucoup attachés à leur terre ancestrale et n’aiment pas beaucoup migrer. Mis à part des conflits internes qui poussent des milliers d’habitants à traverser les frontières pour retrouver refuge dans les pays voisins, les résultats des recensements 1978 et 1991 ont montré que les mouvements migratoires internes de la population sont relativement peu élevés. Lors du recensement de 1991, il est apparu que 91,3% de la population rwandaise résidaient dans leur préfecture d’origine. L’analyse régionale montre que les valeurs les plus élevées se trouvent dans les préfectures de Ruhengeri (97,1%), Kibuye (96,7%), de Cyangugu (96.5%) et Cyangugu (95,8%) qui traduit que dans ces préfectures ont accueilli très peu de migrants. Par contre, les préfectures de Kigali-ville (50,3%), Kigali rurale (80,8%) et Kibungo (80,6%), semblent avoir accueilli un grand nombre d’immigrants vu les faibles proportions des personnes nées et résidant dans leur préfecture d’origine.

S’agissant de l’origine des migrants, les résultats du RGPH 1991 montrent que c’est la préfecture de Gikongoro qui fournissait le plus de migrants (15,9%), suivie par Ruhengeri (15,4%), Butare (13,6%) et Gitarama (12,2%). Ces quatre préfectures à elles seules représentent 57,2% du total des migrants. Les préfectures ayant fourni le moins de migrants sont Kibungo (3,0%) et Cyangugu (1,9%). La faible proportion de migrants de Cyangugu pourrait s’expliquer par le fait que cette préfecture, séparée du reste du pays par la forêt de Nyungwe, est restée longtemps à l’abri du mouvement migratoire vers le reste du pays. Selon les résultats du RGPH 1991, plus de 52% des migrants originaires de cette préfecture de Cyangugu se dirigent vers les villes.

Quant aux régions de destination, les résultats du RGPH de 1991 montrent que 64,4 % des migrants se dirigent dans trois préfectures à savoir  Kigali (27,3%), Kibungo (19,7%), Kigali-Ville (17,4%). Les préfectures qui reçoivent moins d’immigrants étant Gikongoro (2,3%), Cyangugu (2,7%) et de Ruhengeri (2,8%). Les raisons qui expliquent ce manque d’attraction sont loin d’être uniformes. Au moment où la préfecture de Ruhengeri semble peu attractive pour cause de densités très élevées, celle de Gikongoro par contre ne reçoit pas beaucoup d’immigrants à cause de la pauvreté dans cette préfecture. Selon les résultats de l’enquête intégrale sur les conditions de vie des ménages au Rwanda (2000-2001), la province de Gikongoro est classée comme la plus pauvre du pays.

Evolution des densités de la population pour la période intercensitaire 1991- 2002

Alors que la période intercensitaire 1978-1991 avait été marquée par une forte croissance de la population avec un taux d’accroissement annuel moyen de 3,1%, la période 1991-2002 a vu ce taux chuter pour atteindre 1,2%. Ce ralentissement de la croissance de la population au cours de la seconde période intercensitaire s’explique par des bouleversements au sein de la population durant toute la décennie 1990 ; la guerre depuis 1990 suivie par le génocide et les massacres de 1994 occasionnant de fortes pertes en vies humaines et des déplacements massifs de la population tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.

Comme nous l’avons déjà souligné très haut, l’analyse comparative de l’évolution de la population entre les deux périodes intercensitaires 1978-91 et 1991-2002 est à nuancer pour plusieurs raisons. Au recensement de 2002, les structures administratives avaient changé par rapport à celles d’avant la guerre de 1994. Le terme Commune a laissé place au district et la préfecture est devenue province. Les 146 communes que comptait le pays en 1991 ont été regroupées en districts de façon au recensement de 2002, le pays comptait au total 106 districts répartis dans 12 provinces. Le regroupement des communes en districts ne s’est pas fait de façon homogène. Certains districts ont gardé carrément les limites des anciennes communes, d’autres districts ont regroupé des secteurs émanent de plusieurs communes. Les préfectures de Byumba et de Kibungo ont contribué à la création de la nouvelle province d’Umutara, perdant ainsi leurs communes en bordure du parc national Akagera.

En matière de population, le Rwanda a connu des grands bouleversements de la population durant la décennie 1990 ayant causé de pertes en vies humaines estimées à environ 800.000 morts selon différentes sources. Mais si en plus on tient compte du fait qu’après le génocide le Rwanda a connu un retour massif d’anciens réfugiés de 1959 surtout au cours des deux années ayant suivi le génocide entre 1994 et 1996, estimés également selon différentes sources autour de 800.000 et qui n’étaient pas comptabilisés dans le recensement de 1991, considérant que malgré le retour de ce grand nombre d’anciens réfugiés, le taux d’accroissement intercensitaire de 1,2% pour la période 1991-2002 est de loin inférieur à 3,1% de la période 1978-91, il y a lieu de se poser des questions : le Rwanda aurait-il connu de grandes pertes en vies humaines durant les massacres et le génocide des années 1990 qui seraient de loin supérieures aux chiffres déclarés ? Cette analyse n’étant pas l’objet du présent travail ne sera pas abordée dans ce travail. Cependant nous pensons qu’elle mérite une attention particulière et devrait faire l’objet d’une recherche approfondie.

Revenons sur les densités de la population pour signaler que malgré le ralentissement du taux d’accroissement de la population durant la période intercensitaire 1991-2002, plus de 34,6% de la population rwandaise vivait dans des districts où la densité de la population est supérieure à 500 hab/km² et couvraient 17% de la superficie au RGPH de 2002 (voir figure 4).

 

Ces fortes concentrations de la population (plus de 500 hab/km²) se localisent surtout dans la province de Ruhengeri où 84,6% de la population habitent dans des districts avec plus de 500 hab/km², suivie par celles de Gisenyi (67,4%) et Cyangugu (45,4%). Par contre dans les provinces de l’Est et du Sud-Est du pays, de fortes densités de la population sont relativement rares. Au RGPH de 2002, seuls 7% de la population vivait dans des districts avec plus de 500 hab/km² dans les provinces de Kigali Ngari, Kibungo et de Gikongoro (voir carte 3).

L’analyse comparée des taux d’accroissement des deux périodes intercensitaires montre que le taux d’accroissement de la population. La province de Butare aura connu une diminution significative des densités de sa population. Alors qu’en 1991, plus de 93% de la population vivait dans les communes à plus de 350 hab/km², au RGPH de 2002, la population vivant dans les districts de 350 hab/km² ne représente plus que moins de 50% de la population. Comme déjà mentionné, la comparaison des données de deux périodes intercensitaires est à nuancer vu les changements des limites administratives.

 

 

Cette forte diminution des densités de la population est attribuable notamment aux massacres de 1994 qui ont fait beaucoup de victimes dans Butare. D’ailleurs, la population résidente de la province de Butare en 2002 est inférieure à celle de 1991. Le taux d’accroissement annuel moyen entre 1991 et 2002 est de -0,5% dans cette province. Partout dans le pays les taux d’accroissement ont été très bas comparés à ceux de la dernière période intercensitaire 1978-1991, excepté dans la ville de Kigali où l’on observe un taux d’accroissement de 8,9% durant la période intercensitaire 1991-2002 suite entre autres à l’exode rural quasiment incontrôlé pendant la période après les événements de 1994, au retour massif des anciens réfugiés de 1959 dont une bonne partie a choisi la capitale, etc.

 

Conclusion

 

Ce travail si modeste soit-il nous aura permis de nous rendre compte que la croissance de la population rwandaise a été assez rapide sur la période considérée, malgré les bouleversements survenus durant la décennie 1990. Cependant cette croissance n’a pas été uniforme entre les différentes régions du pays en raison notamment de la pression démographique et du mouvement naturel dans chaque région. Dans l’ensemble c’est l’axe Gisenyi-Ruhengeri-Gitarama-Butare et Cyangugu qui est le plus densément peuplé tandis que les régions de l’Est du pays dans l’Umutara, Kibungo et le sud de Kigali dans le Bugesera demeurent relativement moins peuplées et continuent d’attirer la population des autres régions. Entre 1978 et 1991, les densités de la population ont beaucoup augmenté passant de 258 hab/km² à 382 hab/km² sur les superficies cultivables. Alors qu’en 1978, les communes à densités faibles (<350 hab/km²) couvraient 83% de la superficie habitable et abritaient 72% de la population, en 1991 les communes à faibles densités ne couvrent plus que 45% de la superficie habitable et n’abritent plus que 17% de la population.

S’agissant de la situation après la guerre de 1994, les résultats du recensement de 2002 montrent que les taux d’accroissement annuels moyens ont beaucoup chuté suite notamment aux massacres et génocide de 1994 qui auraient fait plus d’un million de morts, selon différentes sources. Certaines provinces comme Butare présentent même des taux d’accroissement négatifs. Le taux d’accroissement annuel moyen de la population rwandaise qui était de 3.1% entre 1978 et 1991, a chuté pour atteindre 1,2% par an entre 1991 et 2002.

Cependant ce ralentissement des taux d’accroissement annuels moyens ne doit pas laisser penser sous silence que les densités de la population rwandaise restent très fortes et que les terroirs rwandais sont fortement exploités. Les projections démographiques ne laissent aucun doute que dans un proche avenir, les risques de confronter un blocage du système de production ne sont pas à écarter, causant des incertitudes socio-économiques à la population.

 

Bibliographie

 

 

Figure 1

 

 

Figure 2

 

 

Source : nos calculs à l’aide des données des RGPH de 1978 et 1991

 

 

Figure 3 

 

Source : données du RGPH 1978, 1991 et EDS 2000.

 

 

Figure 4

 

Annexe 1. Répartition de la population selon les densités
des communes au RGPH 1978

 

Préfecture

<200 hab/km²

200-350 hab/km²

350-500 hab/km²

500-1000 hab/km²

>=1000 hab/km²

 

Total

Butare

 

60%

28%

13%

 

100%

602550

Byumba

21%

69%

10%

 

 

100%

521894

Cyangugu

8%

54%

19%

19%

 

100%

333187

Gikongoro

 

100%

 

 

 

100%

370596

Gisenyi

 

52%

32%

16%

 

100%

468882

Gitarama

 

76%

24%

 

 

100%

606212

Kibungo

65%

25%

9%

 

 

100%

361249

Kibuye

 

91%

9%

 

 

100%

336588

Kigali

29%

56%

15%

 

 

100%

610874

Kigali-Ville

 

 

 

 

100%

100%

87568

Ruhengeri

 

47%

48%

6%

 

100%

531927

 

 

 

 

 

 

 

 

Total

11%

61%

20%

5%

2%

100%

4831527

 

 

Annexe 2: Répartition de la superficie disponible en fonction des densités de la population
par commune au RGPH 1978

 

Préfecture

<200 hab/km²

200-350 hab/km²

350-500 hab/km²

500-1000 hab/km²

>=1000 hab/km²

 

Total

Butare

 

68%

24%

8%

 

100%

1759

Byumba

41%

54%

5%

0%

 

100%

2606

Cyangugu

13%

61%

15%

11%

 

100%

1119

Gikongoro

 

100%

 

 

 

100%

1563

Gisenyi

 

61%

30%

9%

 

100%

1312

Gitarama

 

81%

19%

 

 

100%

2157

Kibungo

82%

14%

3%

 

 

100%

2667

Kibuye

0%

94%

6%

 

 

100%

1297

Kigali

42%

50%

8%

 

 

100%

2703

Kigali-Ville

0%

0%

0%

 

100%

100%

116

Ruhengeri

0%

53%

43%

4%

0%

100%

1452

Total

24%

59%

13%

2%

1%

100%

18751

 

Source : RGPH 1978


 

Annexe 3. Répartition de la population selon les densités des communes  au RGPH 1991

 

Préfecture

<200 hab/km²

200-350 hab/km²

350-500 hab/km²

500-1000 hab/km²

>=1000 hab/km²

 

Total

Butare

 

 

83%

17%

 

100%

764448

Byumba

15%

15%

61%

9%

 

100%

782427

Cyangugu

 

 

65%

35%

 

100%

514656

Gikongoro

 

54%

46%

 

 

100%

467332

Gisenyi

 

 

18%

74%

8%

100%

734658

Gitarama

 

 

94%

6%

 

100%

851451

Kibungo

19%

52%

29%

 

 

100%

652941

Kibuye

 

18%

73%

9%

 

100%

470643

Kigali

 

23%

71%

6%

 

100%

914034

Kigali-Ville

 

 

 

 

100%

100%

235664

Ruhengeri

 

 

27%

73%

 

100%

769297

Total

3%

14%

56%

23%

4%

100%

7157551

 

 

Annexe 4. Répartition de la superficie disponible en fonction des densités de la population
par commune au RGPH 1991

 

Préfecture

<200 hab/km²

200-350 hab/km²

350-500 hab/km²

500-1000 hab/km²

>=1000 hab/km²

 

Superficie (km²)

Butare

 

7%

83%

10%

 

100%

1759

Byumba

29%

42%

25%

5%

 

100%

2606

Cyangugu

 

13%

61%

25%

 

100%

1119

Gikongoro

 

84%

16%

0%

 

100%

1563

Gisenyi

 

 

23%

72%

4%

100%

1312

Gitarama

 

13%

82%

5%

 

100%

2157

Kibungo

30%

58%

12%

 

 

100%

2667

Kibuye

 

49%

45%

6%

 

100%

1297

Kigali

 

64%

32%

4%

 

100%

2703

Kigali-Ville

 

 

 

 

100%

100%

116

Ruhengeri

 

 

31%

69%

 

100%

1452

Total

8%

37%

39%

15%

1%

100%

18751

 

 

Annexe 5 : Répartition de la population selon les densités des districts au RGPH 2002

 

Province

<200 hab/km²

200-350 hab/km²

350-500 hab/km²

500-1000 hab/km²

>=1000 hab/km²

 

Butare

 

51%

39%

11%

 

100%

Byumba

 

22%

44%

34%

 

100%

Cyangugu

 

 

55%

36%

10%

100%

Gikongoro

 

61%

33%

7%

 

100%

Gisenyi

 

 

33%

52%

15%

100%

Gitarama

 

19%

65%

16%

 

100%

Kibungo

17%

62%

15%

7%

 

100%

Kibuye

 

51%

39%

10%

 

100%

Kigali Ngari

 

67%

27%

7%

 

100%

Ruhengeri

 

 

16%

76%

8%

100%

Umutara

58%

42%

 

 

 

100%

Ville de Kigali

 

 

5%

 

95%

100%

Total

4%

29%

32%

24%

10%

100%

 

 

 

Carte 1 : Densités de la population par commune au Rwanda : RGPH 1978

 

 

 

Carte 2 : Taux d'accroissement annuel moyen : 1978 à 1991

 

 

 

Carte 3 : Densités de la population par commune au Rwanda : RGPH 2002