Atelier Mobilité et Résidence, 16 & 17 novembre 2004, CEPED, Nogent-Sur-Marne



Trajectoire spatiale et mobilité résidentielle : l’exemple des rapatriés d'Algérie à Roubaix

 

Par Abdel Kader HAMADI (Université de Poitiers - Migrinter)

 

Résumé : Etudier la mobilité résidentielle des harkis et leurs familles implique de suivre l’ensemble de cette trajectoire spatiale sur le long terme pour embrasser l’ensemble des lieux habités. Ce texte propose à partir d’une enquête de terrain qui a pour cadre géographique la ville de Roubaix, d’analyser les relations entre mobilité et territoire pour mieux comprendre les enjeux  dans les stratégies résidentielles.
 
Mots clés : mobilité, dynamisme, harki, lieu, urbain, logement

 

Introduction

La décolonisation des départements français d’Algérie entraîne l’arrivée, entre juin et décembre 1962, d’un important contingent de « réfugié s». En 1963, cette population se chiffre à plus de 40 000 personnes selon A.N.I.F.O.M[1] dont 10 000 personnes arrivées par leurs propres moyens. Ce flux présente des caractères originaux par sa structure et par sa composition sociologique. Il s’agit dans la grande majorité de familles complètes ou quasi-complètes originaires du monde rural et /ou de villages entiers. Cette population se retrouve transplantée sur un nouveau territoire et regroupée dans des lieux d’accueils qualifiés de « centres de transit ». Dans un premier temps, l’armée oriente le choix de localisation de cette population en proposant des lieux d’accueil comme le camp de Rivesaltes ou du Larzac. Par la suite, les autorités françaises reprennent en main la gestion de cette population et organisent son insertion. La trajectoire de cette population a été fortement marquée par cette expérience et ce passage « forcé » par les « camps » et leurs choix de localisation résidentielle. Les enquêtes biographiques soulignent le caractère récurent à cette référence pour la première génération. La seconde génération en est parfois très imprégnée à travers le discours direct et/ ou indirect, à tel point qu’elle revendique cette expérience sans l’avoir elle-même vécue. Ce cadre référentiel intervient-il dans les stratégies résidentielles ? Doit-on y voir autre chose qu’un simple dénominateur commun ?
 
La ville de Roubaix située dans le département du Nord constitue le cadre spatial de notre enquête. En 1968, l’Insee recensait à Roubaix une population totale de 114 834 personnes (Tableau 1), dont 6 715 Algériens et 830 « rapatriés ». Ce dernier contingent est désigné sous le terme de « harkis », qui désigne les ex-supplétifs de l’armée française pendant le conflit. Il représente le plus important regroupement de rapatriés de la région après Tourcoing. En dehors du recensement général de la population de 1968, les sources statistiques font défaut. C’est pourquoi ma recherche doctorale s’appuie en partie sur un travail de terrain pour compléter les données statistiques. A partir d’exemples, j’essaierai de restituer l’ensemble de la trajectoire résidentielle, puis d’analyser cette mobilité résidentielle intra-urbaine et de comprendre en quoi les « lieux » peuvent influer sur les comportements. Pour ce faire, ce travail présente dans un premier temps, le cadre spatial urbain dans lequel s’organise et se structure la ville de Roubaix. Puis, nous verrons comment cette recomposition a influencé la mobilité résidentielle et modifié les trajectoires et en quoi ce travail propose une clé de lecture originale pour mieux saisir les formes de ré-organisation spatiales en œuvre dans la ville.

I - Un cadre socio-spatial caractéristique des villes industrielles du XIXème siècle

1.1 - Les différentes étapes de la construction urbaine

La ville de Roubaix s’est construite sur un temps très court. En 70 ans, la ville est passée de 1 600 maisons en 1826, à 24 800 maisons et 690 courées en 1899, sur un territoire d’une superficie de 13 km2. La ville s’est bâtie par juxtaposition d’espaces organisés en fonction du rythme des « fabriques », puis des unités de production. Les quartiers d’habitations se sont organisés indépendamment d’une trame cohérente. On peut lire en suivant la chronologie des projets urbains, les différents rythmes qui ont généré la trame urbaine de Roubaix. Ces grands moments correspondent à des contextes différents qui coïncident avec de profondes transformations de la société.

 

La ville de Roubaix prend son essor avec l’industrie textile. Les nombreux ateliers présents dans toute la ville travaillent et sous-traitent pour les grandes filatures familiales. L’ensemble de l’économie se structure sur cette seule industrie textile. Bien entendu, cette industrie entraîne la création d’activités tertiaires de type financières, avec la présence d’institutions bancaires comme La Banque de France, et dans le domaine du courtage et l’assurance, avec des compagnies telles que Verspeiren. Mais l’économie de la ville est entièrement dépendante du textile. Par ailleurs, le patronat local a recours de manière systématique à la main d’œuvre la moins coûteuse. Cette main d’œuvre est le plus souvent d’origine étrangère. L’accroissement démographique de la population attirée par un marché du travail en expansion est largement lié à cet apport de population.

 

Le maillage urbain s’organise de façon désordonnée au rythme des besoins et croit sans aucune planification. La ville ne fait pas l’objet d’un plan d’urbanisme cohérent. A la fin du siècle, le foncier est dominé par l’emprise industrielle et les logements s’imbriquent dans les interstices laissés par les usines. Ce développement urbain commencé au XIXème siècle se poursuit pour s’achever à la fin des années cinquante. Les quartiers se dégradent et deviennent insalubres ; l’habitat en courée est abandonné par les populations au profit de nouveaux logements construits en périphérie de la ville. En 1964, la population rapatriée arrive dans ce contexte particulier qui facilite pour un temps son insertion. Elle vient remplacer à des postes de travail délaissés dans l’industrie une main d‘œuvre qualifiée qui est attirée par la création de nouveaux emplois dans le secteur tertiaire.

 

1.2 Attraction et dépeuplement

L’essor démographique de la ville est étroitement lié au développement économique de la ville qui s’industrialise. Pour se loger, cette population trouve un marché du logement qui n’est pas organisé à l’échelle de la ville : il est aux mains de petits entrepreneurs souvent commerçants, employés ou de la petite bourgeoisie locale. En 1896, la ville atteint 124 661 habitants, son maximum  historique. La population décroît ensuite, pour remonter ponctuellement en 1968 à 114 547 habitants. Depuis, la tendance générale à la baisse se maintient et se confirme : en 1999 la ville compte un peu plus de 96 000 habitants (Tableau.1)

 

Tableau 1
Evolution de la population de Roubaix

Année

1954

1962

1968

1975

1982

1990

1999

Population

110 067

112 856

114 547

109 553

101 602

97 769

96 984

Source : RGP, Observatoire urbain de la ville de Roubaix, 1999

 

Les migrations de travail représentent la principale source de peuplement de la ville : avant 1914, plus de 50 % de la population de Roubaix était originaire de Belgique. La frontière toute proche constituait un atout pour les industriels qui trouvent une main d’œuvre abondante attirée par une rémunération plus intéressante qu’en Belgique et qui fuit la crise agricole et le chômage. Jusque dans les années 60, Roubaix continue à attirer de la main d’œuvre pour son industrie. L’arrivée des harkis et leur famille s’inscrit dans cette logique. Mais les changements liés à la crise économique et à la fermeture des frontières en 1974 modifient la donne : le regroupement familial introduit des changements qui vont peser fortement dans le futur de cette ville.
  Ce recours à une main d’œuvre bon marché, les industriels roubaisiens l’ont de tout temps pratiqué. Si bien qu’aujourd’hui, la ville de Roubaix réunit une population aux origines très diverses, comptant plus d’une trentaine de nationalités. L’installation de cette population se fait principalement dans le parc privé ancien, plus accessible, ou à l’aide de structures de type foyers de travailleurs tels que la  SONACOTRA ou l’Association d’Aide aux travailleurs Etrangers de la région Lilloise qui dispose de 16 centres ou foyers d’hébergement dans le district. En ce qui concerne les harkis et leurs familles, les maisons-courées constituent la principale ‘porte d’entrée’ dans le parc de logements de Roubaix. Une note rédigée à l’intention du M. le Préfet du Nord fait état de la situation « Les harkis implantés de 1962-1963 dans le secteur de Roubaix –Tourcoing sont au nombre de 500 environ. Leur moyenne d’âge est de 35 ans. Ils travaillent pour la plupart dans les filatures de ce secteur ». Pour comprendre cette situation, il faut revenir à la formation du tissu urbain.

1.3 Structure et organisation  de la ville

Jusqu’à la première Guerre Mondiale, le marché de la construction est libre et s’organise autour de petits propriétaires et artisans, commerçants et notables de la ville. Les premiers quartiers résidentiels de haut standing font leur apparition au sud-ouest de la ville. Les maisons-rue sont occupées par le propriétaire des maisons-courées, tandis que les ouvriers habitent les maisons-courées ou ‘forts’, situées au cœur des îlots. Cette configuration  préfigure la mise en place d’une organisation socio-spatiale qui va perdurer. La ville s’est construite dans la partie nord  avec des quartiers composés de maisons-rue ou des maisons en courées ; au sud, autour du parc Barbieux, elle se compose de maisons de type pavillonnaires, de résidences de standing et de maisons bourgeoises.
 
La crise du logement au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale nécessite la construction de nouveaux logements. Entre 1945 et 1960, le patronat de l’industrie textile intervient dans la construction des logements. Les industriels s’organisent et créent des instances : en 1949, le CIL (Comité Interprofessionnel du Logement) et le GIL (regroupement de Société Anonyme d’HLM) sont créés pour programmer la construction de logements et gérer ce parc. Le patronat organise la collecte de fonds pour mieux planifier la production du logement (Lévy J.P., 1991). Le CIL loge les populations les plus qualifiées et exclut les populations aux revenus plus faibles, notamment les immigrés. L’accès aux logements neufs ou récents par les populations les plus qualifiées permet la libération de logements dans le parc ancien dégradé. Ces logements libérés sont vites réoccupés par une population immigrée qui y trouvent un loyer accessible et qu’ils finissent parfois par acquérir. (Lévy, 1991) .
 
En 1960, le PACT, (Propagande et Action Contre les Taudis) a pour objectif la destruction des logements vétustes. Le PACT achète des logements anciens pour les valoriser et y loger les exclus de l’habitat social. Cette structure est rapidement devenue le principal propriétaire de logements anciens à Roubaix. Les harkis accèdent à la propriété dans ce secteur du logement comme le laisse supposer cette note qui date de décembre 1962 « Ils ont tous obtenu des prêts, grâce à l’Association de lutte contre les taudis et au CIL. Ils ont fait l’apport comme mise initiale, de leur prime de rapatrié et leurs mensualités de remboursement sont faibles. Elles s’échelonnent sur 15 ou 20 ans. ». 
 
Depuis 50 ans, la ville de Roubaix a connu toutes les procédures de politique urbaine. Les différentes opérations commencent en 1954 avec le Square Mulliez et le Galon d’eau. Puis une première OPAH qualifiée d’opération « bulldozer » est réalisé dans le quartier Edouard Anseele avec la construction de Roubaix 2000 et de l’ensemble collectif de l’Os à Mœlle en 1962 et l’opération concertée de la l’Alma-Gare en 1967. Ces grands projets urbains tentent de redéployer la population et d’introduire une mixité sociale dans les quartiers. Ces programmes entraînent une mobilité intra-urbaine des ménages les plus aisés vers le parc de logements le plus récent ou neuf et fait entrer les familles les plus modestes dans le parc ancien rénové ou réhabilité.
 
En 1998, la reconversion du secteur de la Zone de l’Union  (2004) en « zone verte » contribue à redistribuer la population des anciens quartiers dégradés vers d’autres types de logements. Mais l’habitat en courée ne disparaît pas. Il sert désormais d’accueil aux populations les plus défavorisées et fait fonction de logement « refuge ». Cette situation regroupe des populations en situation de précarité sociale et constitue des poches de pauvreté qui s’enkystent avec des taux de chômage ou un niveau de Rmistes les plus élevés de l’arrondissement.


Tableau 2 
La construction des logements à Roubaix : récapitulatif   1920-1999


 
 Période   Organisation et structure   Type d’habitat
  Jusque 1920 On construit essentiellement des logements individuels en courées sur l’initiative de petits propriétaires (commerçants et artisans) Maison en courée, front de rue, 
  De 1920 à la Seconde  Guerre Mondiale   L’initiative de la construction des logements revient aux grandes entreprises du textile ainsi qu’à l’office municipal des HBM   Zone résidentielle,
début des logements sociaux  
  De 1945 à 1960 Dés la fin de la guerre, le CIL construit la majorité des logements, principalement des immeubles d’habitat collectif   Multiplication des logements sociaux de masse
  A partir de 1960 La municipalité reprend l’initiative. Un effort est porté sur la destruction et la reconstruction de logements ( RHI et OPAH*)   Rénovation du tissu  urbain
 
Depuis 1983
 
  Poursuite des destructions et effort de la réhabilitation Mixité résidentielle dans le tissu urbain
  A partir de 1999   Réhabilitation et reconversion des sites industriels Lofts, appartements de standing
*RHI : Résorption de l’Habitat Insalubre
OPAH : Opération Programmée pour l’Amélioration de l’Habitat



 
La crise économique des années 70 et 80 ralentit le rythme des programmes urbains et retient les populations les plus défavorisées dans ce type de logement. Ils deviennent « captifs » sur ce marché du logement ancien et se trouvent limités pour un temps dans leur mobilité résidentielle. Mais la reprise des programmes de destruction et  de réhabilitation élimine lentement les poches d’insalubrités : en 40 ans, plus de 5 000 maisons en courée ont été détruites sur l’ensemble de la métropole soit plus de 300 à Roubaix.


II-  Un itinéraire linéaire et polarisé

La trajectoire résidentielle des rapatriés est à la fois linéaire et polarisée. Elle est linéaire dans la mesure où cette trajectoire se fait suivant le type de structures dans lesquelles les familles ont vécu. Les harkis ont d’abord été hébergés dans des centres de regroupement ; ils ont ensuite accédé à des logements en immeubles collectifs tels que les Camus à Condé-sur-Escaut et en maisons-courées dans la métropole lilloise ou à Roubaix. Ce parcours semble simple et classique, mais les harkis accèdent plus tôt au statut de propriétaire que les Algériens. Désormais, l’habitat en courée sert d’accueil aux populations défavorisées et une partie de la génération suivante accède à l’habitat social qui accueille la fraction la plus qualifiée mais se retrouve captive de cet habitat en raison d’une augmentation des loyers sur le marché locatif. Pour les parents, l’habitat sur rue offre en accession à la propriété un stock de logements disponibles qui leur permet d’évoluer dans leur cursus résidentiel. Ces logements sur rue constituent également  une opportunité pour les locataires du parc social qui souhaitent accéder à la propriété (Lévy, 1991) ; mais cette situation s’est modifiée en raison d’un changement dans la composition sociologique de la population roubaisienne. (tableau 2).

 

Tableau 3
Evolution de la population actives à Roubaix 1962-1999


Catégories/ effectifs en %

1962

1975

1982

1990

1999

Patrons industries

12, 1

8,2

6,1

4,4

4,7

Prof. Lib., cadres sup.

4,4

4,3

4,5

5, 8

12,8

Cadres moyens

7,4

9,5

7,9

14, 6

25, 6

Employés

14,7

17

23,6

28, 1

31

Ouvriers, pers. de serv.

59,2

55,2

57,2

47

26

Sources : INSEE RGP population au lieu de résidence.



On assiste à des micro-changements de population, par l’arrivée de nouveaux ménages qui modifient la sociologie du quartier : ces ménages sont à la recherche d’un logement en milieu urbain et sont motivés par la proximité de Lille.
 
Ces transformations sont responsables d’une augmentation des prix de l’immobilier et du coût des loyers. Le marché privé est devenu spéculatif en raison de la forte attractivité de Roubaix. La politique de ZFU a vu arriver des activités du secteur tertiaire supérieur spécialisé de type profession libérale ou artistique. Ce redéploiement s’est accompagné d’une demande de logement de haut standing de type lofts dans des anciens quartiers centraux.


2.1 Des  pratiques de mobilités résidentielles renouvelées

On observe pour les familles enquêtées une stratégie différenciée. Population transplantée, les chefs de ménage cherchent très tôt à acquérir un logement car ils sont à la recherche d’une assurance et d’une sécurité pour leur famille. Les harkis et leur famille sont les premiers à acheter des maisons en courée à d’autres populations immigrées, portugaises ou espagnoles, qui quittent ces quartiers. Cette installation dans ces maisons courées freine le projet de rénovation de la ville (Cornuel et Duriez, 1983). Ces populations se dirigent ensuite vers le parc privé de meilleure qualité, les maisons en front de rue qui ne constitue plus un logement de fin de parcours mais un itinéraire intermédiaire voir de transit. Ce processus s’est engagé avec la mise à disposition du stock de logements libéré par la désaffection du logement ancien par les catégories les plus mobiles.

 
D’une manière générale, on observe sur la longue durée plusieurs étapes dans le cursus résidentiel des familles de la première génération. Les centres d’accueil constituent des lieux de refuge ou lieu « forcé ». Puis, l’habitat en maison-courée fait fonction de lieu d’accueil et d’orientation comme logement de transit et, enfin, l’habitat en front de rue constitue le lieu de localisation et d’ancrage. Cette description constitue la première phase de la mobilité résidentielle des harkis. On observe ensuite un changement des trajectoires résidentielles. Les maisons de rue ne constituent plus une fin de trajectoire comme dans les années 80 et 90. Dans les années 90 et 2000, elles deviendraient une étape intermédiaire dans le cursus résidentiel vers la maison bourgeoise ou vers le logement social. La trajectoire résidentielle et spatiale  des familles de harkis observées dans notre enquête s’articule au marché local de l’habitat et se calque sur ses évolutions. Par ailleurs, l’aire de mobilité des familles correspond à une proximité du réseau familial : certaines familles se concentrent dans certaines rues ou dans des quartiers spécifiques. Cette tendance conforte l’idée d’une territorialisation de l’habitat. Cette stratégie renforce le poids démographique de cette collectivité dans certains secteurs du logement ancien.



2.2 Lieux et recomposition urbaine[2]

A l’échelle de la ville, la distribution fait apparaître dans les premiers temps de la migration, une polarisation dans certains quartiers du parc ancien privé dégradé[3] ,en particulier, au nord de la ville. La distribution de cette population évolue ensuite vers d’autres quartiers et un autre type d’habitat. Elle se trouve à la fois plus dispersée sur l’ensemble du territoire communal et concentrée dans certaines rues. Parallèlement, le statut d’occupation du logement évolue rapidement vers la propriété. La première génération a longtemps occupé la fraction du parc ancien le plus dégradé, avec un allongement du parcours résidentiel vers l’accession à la propriété aidée. L’acquisition de maison en front de rue, puis d’une maison bourgeoise, selon le rythme des opérations de réhabilitation et du contexte social, a contribué à construire un parcours résidentiel instable et ascendant dépendant des projets urbains. Il arrive qu’en raison de la composition familiale et du coût de l’immobilier des chefs de familles propriétaires de leur logement s’orientent vers le parc locatif social.

 

Le parcours de la seconde génération est plus complexe ; ses choix sont limités pour accéder directement à la propriété. Il existe des raisons à la fois structurelles et conjoncturelles qui orientent la mobilité des jeunes adultes. Les raisons structurelles sont liées à la fois à la difficulté d’accès au secteur social en raison des critères de solvabilité, mais aussi au faible turn-over dans ce secteur, voir peut-être à la discrimination pour l’accès au logement social. Les raisons conjoncturelles tiennent au marché qui a longtemps stagné et même reculé tout en disqualifiant certains quartiers. Cette situation était favorable à l’arrivée ou au maintien de populations qui ne pouvaient pas ou plus accéder au logement social. Le marché privé est très coûteux pour les jeunes entrant dans la vie active ; de ce fait, la demande de logements dans le secteur social augmente, alors que l’offre est limitée.

 

Dans un tel contexte, le désir de décohabitation précoce chez les jeunes adultes de sexe masculin devient difficile à réaliser.  Quand elle a lieu, cette décohabitation est le plus souvent associée au mariage ou à l’obtention d’un contrat de travail. La mobilité se fait vers l’extérieur de la ville, dans les communes voisines. Les jeunes adultes ont de grandes difficultés à se maintenir dans la commune de Roubaix en raison d’une absence d’opportunités professionnelles. Quant aux populations les moins dynamiques ou en situation de précarité, elles continuent à cohabiter en famille et de ce fait fabriquent des poches de pauvreté. Chez les femmes, la décohabitation, souvent liée au mariage, est plus tardive : elle est retardée par un allongement du cursus scolaire vers des études supérieures.

 

Enfin, l’identité des quartiers se modifie avec un contenu renouvelé. L’arrivée de nouvelles populations concourt à métamorphoser le lieu habité. En 1964, les premiers commerces s’installent Grand Rue, rue Fosses aux chênes et rue de l’Epeule. Ces axes commerçants font offices de pivots entre les quartiers. Cette dynamique intra-urbaine s’articule avec l’ensemble des activités économiques et socio-culturelles. A partir des années 80, les lieux de cultes musulmans ouvrent dans les rues adjacentes des quartiers nord-est de la ville : on dénombre six lieux de cultes dirigés par des associations et autant de lieux de prières dans les arrière-boutiques d’un coiffeur ou d’une boucherie hallah. Cette appropriation donne une identité nouvelle aux quartiers, en même temps qu’elle élargit l’espace de vie de la population, les lieux pratiqués au quotidien.

Conclusion

L’étude de la trajectoire des harkis et leurs familles avec comme toile de fond les quartiers nord de la ville de Roubaix constitue une bonne introduction au questionnement sur mobilité et résidence. Saisir la biographie résidentielle d’un individu, c’est rendre compte d’un ensemble d’événements qui doivent être replacés et articulés à  un contexte. Le rôle central que joue le logement pour les harkis constitue une opportunité pour appréhender les relations entre mobilité et territoire. Le marché du logement joue un rôle essentiel dans l’organisation de l’espace résidentiel des populations. Les nombreux programmes urbains menés à Roubaix ont introduit des formes de sélection et de ségrégation qui ont pour effet de segmenter le parc du logement. Ils introduisent dans d'anciens quartiers populaires une nouvelle catégorie de population, jeune, plus aisée, et plus exigeante en terme de qualité de vie. Cette présence nouvelle contribue à requalifier dans leur contenu et dans leur forme ces quartiers, hébergeant de nouveaux équipements ; elle a aussi pour effet l’augmentation la  fiscalité et des prix de l’immobilier le prix du mètre carré, chassant les populations les plus fragiles vers la périphérie de Roubaix ou vers d’autres communes.


Références bibliographiques





[1] Agence Nationale d’Indemnisation des Français d’Outre-Mer
[2] La ville est depuis dix  ans entrée dans une nouvelle phase dans son projet de « rénovation urbaine »
[3] Michelle Guillon 1989, « Banlieues et concentration des étrangers, l’exemple de l’Île de France »