Atelier Mobilité et Résidence, 16 & 17 novembre 2004, CEPED, Nogent-Sur-Marne
Trajectoire
spatiale et
mobilité résidentielle :
l’exemple des rapatriés d'Algérie
à Roubaix
Par Abdel
Kader HAMADI (Université de Poitiers - Migrinter)
Résumé :
Etudier la
mobilité résidentielle des harkis et leurs
familles implique de suivre l’ensemble de cette trajectoire
spatiale sur le long terme pour embrasser l’ensemble des
lieux habités. Ce
texte propose à partir d’une enquête de
terrain qui a pour cadre géographique
la ville de Roubaix, d’analyser les relations entre
mobilité et territoire pour
mieux comprendre les enjeux dans
les stratégies
résidentielles.
Mots clés :
mobilité, dynamisme, harki, lieu, urbain,
logement
Introduction
La
décolonisation des départements
français d’Algérie entraîne
l’arrivée, entre
juin et décembre 1962, d’un important contingent
de
« réfugié s».
En
1963, cette population se chiffre à plus de 40 000
personnes selon
A.N.I.F.O.M
[1]
dont
10 000 personnes arrivées par leurs propres moyens.
Ce flux présente des
caractères originaux par sa structure et par sa composition
sociologique. Il
s’agit dans la grande majorité de familles
complètes ou quasi-complètes
originaires du monde rural et /ou de villages entiers. Cette population
se
retrouve transplantée sur un nouveau territoire et
regroupée dans des lieux
d’accueils qualifiés de
« centres de transit ». Dans un
premier
temps, l’armée oriente le choix de localisation de
cette population en
proposant des lieux d’accueil comme le camp de Rivesaltes ou
du Larzac.
Par la suite, les
autorités françaises
reprennent en main la gestion de cette population et organisent son
insertion.
La trajectoire de cette population a été
fortement marquée par cette expérience
et ce
passage « forcé »
par les « camps » et leurs
choix de localisation résidentielle. Les enquêtes
biographiques soulignent le
caractère récurent à cette
référence pour la première
génération. La seconde
génération en est parfois très
imprégnée à travers le discours direct
et/ ou
indirect, à tel point qu’elle revendique cette
expérience sans l’avoir
elle-même vécue. Ce cadre
référentiel intervient-il dans les
stratégies
résidentielles ? Doit-on y voir autre chose
qu’un simple dénominateur
commun ?
La ville de Roubaix
située
dans le département du Nord constitue le cadre spatial de
notre enquête. En
1968, l’Insee recensait à Roubaix une population
totale de 114 834 personnes
(Tableau 1), dont 6 715 Algériens et 830
« rapatriés ». Ce
dernier contingent est désigné sous le terme de
« harkis », qui
désigne les ex-supplétifs de
l’armée française pendant le conflit.
Il
représente le plus important regroupement de
rapatriés de la région après
Tourcoing. En dehors du recensement général de la
population de 1968, les
sources statistiques font défaut. C’est pourquoi
ma recherche doctorale
s’appuie en partie sur un travail de terrain pour
compléter les données
statistiques. A partir d’exemples, j’essaierai de
restituer l’ensemble de la
trajectoire résidentielle, puis d’analyser cette
mobilité résidentielle
intra-urbaine et de comprendre en quoi les
« lieux » peuvent influer
sur les comportements. Pour ce faire, ce travail présente
dans un premier
temps, le cadre spatial urbain dans lequel s’organise et se
structure la ville
de Roubaix. Puis, nous verrons comment cette recomposition a
influencé la
mobilité résidentielle et modifié les
trajectoires et en quoi ce travail
propose une clé de lecture originale pour mieux saisir les
formes de
ré-organisation spatiales en œuvre dans la ville.
I - Un cadre socio-spatial
caractéristique des villes industrielles du
XIXème siècle
1.1 -
Les différentes étapes de la construction
urbaine
La ville de Roubaix
s’est
construite sur un temps très court. En 70 ans, la ville est
passée de
1 600 maisons en 1826, à 24 800 maisons et
690 courées en 1899, sur
un territoire d’une superficie de 13 km2. La ville
s’est bâtie par
juxtaposition d’espaces organisés en fonction du
rythme des
« fabriques », puis des
unités de production. Les quartiers
d’habitations se sont organisés
indépendamment d’une trame cohérente.
On peut
lire en suivant la chronologie des projets urbains, les
différents rythmes qui
ont généré la trame urbaine de
Roubaix. Ces grands moments correspondent à des
contextes différents qui coïncident avec de
profondes transformations de la
société.
La ville de Roubaix
prend son essor avec
l’industrie textile. Les
nombreux ateliers présents dans toute la ville travaillent
et sous-traitent
pour les grandes filatures familiales. L’ensemble de
l’économie se structure
sur cette seule industrie textile. Bien entendu, cette industrie
entraîne la
création d’activités tertiaires de type
financières, avec la présence
d’institutions bancaires comme La Banque de France, et dans
le domaine du
courtage et l’assurance, avec des compagnies telles que
Verspeiren. Mais
l’économie de la ville est entièrement
dépendante du textile. Par ailleurs, le
patronat local a recours de manière systématique
à la main d’œuvre la moins
coûteuse. Cette main d’œuvre est le plus
souvent d’origine étrangère.
L’accroissement démographique de la population
attirée par un marché du travail
en expansion est largement lié à cet apport de
population.
Le
maillage urbain s’organise
de façon désordonnée au rythme des
besoins et croit sans aucune planification.
La ville ne fait pas l’objet d’un plan
d’urbanisme cohérent. A la fin du
siècle, le foncier est dominé par
l’emprise industrielle et les logements
s’imbriquent dans les interstices laissés par les
usines. Ce développement
urbain commencé au XIXème siècle se
poursuit pour s’achever à la fin des
années
cinquante. Les quartiers se dégradent et deviennent
insalubres ; l’habitat
en courée est abandonné par les populations au
profit de nouveaux logements
construits en périphérie de la ville. En 1964, la
population rapatriée arrive
dans ce contexte particulier qui facilite pour un temps son insertion.
Elle
vient remplacer à des postes de travail
délaissés dans l’industrie une main
d‘œuvre qualifiée qui est
attirée par la création de nouveaux emplois dans
le
secteur tertiaire.
1.2
Attraction et
dépeuplement
L’essor
démographique de la ville est étroitement
lié au développement économique de la
ville qui s’industrialise. Pour se loger,
cette population trouve un marché du logement qui
n’est pas organisé à
l’échelle de la ville : il est aux mains
de petits entrepreneurs souvent
commerçants, employés ou de la petite bourgeoisie
locale. En 1896, la ville
atteint 124 661 habitants, son maximum
historique. La population décroît
ensuite, pour remonter ponctuellement
en 1968 à 114 547 habitants. Depuis, la tendance
générale à la baisse se
maintient et se confirme : en 1999 la ville compte un peu plus
de
96 000 habitants (Tableau.1)
Tableau 1
Evolution
de la population de
Roubaix
Année
|
1954
|
1962
|
1968
|
1975
|
1982
|
1990
|
1999
|
Population
|
110 067
|
112 856
|
114 547
|
109 553
|
101 602
|
97 769
|
96 984
|
Source
: RGP, Observatoire urbain de la ville de Roubaix,
1999 |
Les
migrations de travail représentent la principale source de
peuplement de la ville :
avant 1914, plus de
50 % de la population de Roubaix était originaire de
Belgique. La frontière
toute proche constituait un atout pour les industriels qui trouvent une
main
d’œuvre abondante attirée par une
rémunération plus intéressante
qu’en Belgique
et qui fuit la crise agricole et le chômage. Jusque dans les
années 60, Roubaix
continue à attirer de la main d’œuvre
pour son industrie. L’arrivée des harkis
et leur famille s’inscrit dans cette logique. Mais les
changements liés à la
crise économique et à la fermeture des
frontières en 1974 modifient la
donne : le regroupement familial introduit des changements qui
vont peser
fortement dans le futur de cette ville.
Ce
recours à une main d’œuvre bon
marché, les
industriels roubaisiens l’ont de tout temps
pratiqué. Si bien qu’aujourd’hui,
la ville de Roubaix réunit une population aux origines
très diverses, comptant
plus d’une trentaine de nationalités.
L’installation de cette population se
fait principalement dans le parc privé ancien, plus
accessible, ou à l’aide de
structures de type foyers de travailleurs tels que la
SONACOTRA ou l’Association d’Aide aux
travailleurs Etrangers de la région Lilloise qui dispose de
16 centres ou
foyers d’hébergement dans le district. En ce qui
concerne les harkis et leurs
familles, les maisons-courées constituent la principale
‘porte d’entrée’ dans
le parc de logements de Roubaix. Une note rédigée
à l’intention du M. le Préfet
du Nord fait état de la situation « Les
harkis implantés de 1962-1963 dans le secteur de Roubaix
–Tourcoing sont au
nombre de 500 environ. Leur moyenne d’âge est de 35
ans. Ils travaillent pour
la plupart dans les filatures de ce secteur ». Pour
comprendre cette
situation, il faut revenir à la formation du tissu urbain.
1.3
Structure et organisation de
la ville
Jusqu’à la
première Guerre Mondiale, le marché de la
construction est libre et s’organise
autour de petits propriétaires et artisans,
commerçants et notables de la
ville. Les premiers quartiers résidentiels de haut standing
font leur
apparition au sud-ouest de la ville. Les maisons-rue sont
occupées par le
propriétaire des maisons-courées, tandis que les
ouvriers habitent les maisons-courées
ou ‘forts’, situées au cœur
des îlots. Cette configuration
préfigure la mise en place d’une
organisation
socio-spatiale qui va perdurer. La ville s’est construite
dans la partie nord avec
des quartiers composés de maisons-rue ou
des maisons en courées ; au sud, autour du parc
Barbieux, elle se compose
de maisons de type pavillonnaires, de résidences de standing
et de maisons
bourgeoises.
La crise du
logement au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale
nécessite la construction
de nouveaux logements. Entre 1945 et 1960, le patronat de
l’industrie textile
intervient dans la construction des logements. Les industriels
s’organisent et
créent des instances : en 1949, le CIL
(Comité Interprofessionnel du
Logement) et le GIL (regroupement de Société
Anonyme d’HLM) sont créés pour
programmer la construction de logements et gérer ce parc. Le
patronat organise
la collecte de fonds pour mieux planifier la production du logement
(Lévy J.P.,
1991). Le CIL loge les populations les plus qualifiées et
exclut les populations
aux revenus plus faibles, notamment les immigrés.
L’accès aux logements neufs
ou récents par les populations les plus
qualifiées permet la libération de
logements dans le parc ancien dégradé. Ces
logements libérés sont vites
réoccupés par une population immigrée
qui y trouvent un loyer accessible et
qu’ils finissent parfois par acquérir.
(Lévy, 1991)
.
En 1960, le
PACT, (Propagande et Action Contre les Taudis) a pour objectif la
destruction
des logements vétustes. Le PACT achète des
logements anciens pour les valoriser
et y loger les exclus de l’habitat social. Cette structure
est rapidement
devenue le principal propriétaire de logements anciens
à Roubaix. Les harkis
accèdent à la propriété
dans ce secteur du logement comme le laisse supposer cette
note qui date de décembre 1962 « Ils
ont tous obtenu des
prêts, grâce à
l’Association de lutte contre les taudis et au CIL. Ils ont
fait l’apport comme
mise initiale, de leur prime de rapatrié et leurs
mensualités de remboursement
sont faibles. Elles s’échelonnent sur 15 ou 20
ans. ».
Depuis 50
ans, la ville de Roubaix a connu toutes les procédures de
politique urbaine.
Les différentes opérations commencent en 1954
avec le Square Mulliez et le
Galon d’eau. Puis une première OPAH
qualifiée d’opération
« bulldozer »
est réalisé dans le quartier Edouard Anseele avec
la construction de Roubaix
2000 et de l’ensemble collectif de l’Os
à Mœlle en 1962 et
l’opération
concertée de la l’Alma-Gare en 1967. Ces grands
projets urbains tentent de
redéployer la population et d’introduire une
mixité sociale dans les quartiers.
Ces programmes entraînent une mobilité
intra-urbaine des ménages les plus aisés
vers le parc de logements le plus récent ou neuf et fait
entrer les familles
les plus modestes dans le parc ancien rénové ou
réhabilité.
En 1998, la
reconversion du secteur de la Zone de l’Union
(2004) en « zone
verte » contribue à redistribuer la
population des anciens quartiers dégradés vers
d’autres types de logements.
Mais l’habitat en courée ne disparaît
pas. Il sert désormais d’accueil aux
populations les plus défavorisées et fait
fonction de logement
« refuge ». Cette situation
regroupe des populations en situation de
précarité sociale et constitue des poches de
pauvreté qui s’enkystent avec des
taux de chômage ou un niveau de Rmistes les plus
élevés de l’arrondissement.
Tableau 2
La construction des
logements à Roubaix : récapitulatif 1920-1999
Période
|
Organisation et structure |
Type d’habitat |
Jusque 1920
|
On construit
essentiellement des
logements individuels en courées sur l’initiative
de petits propriétaires (commerçants et artisans)
|
Maison
en
courée, front
de rue,
|
De 1920 à
la Seconde Guerre
Mondiale |
L’initiative
de la
construction des logements revient aux grandes entreprises du textile
ainsi qu’à l’office municipal des HBM
|
Zone
résidentielle,
début des
logements
sociaux |
De 1945 à
1960 |
Dés la fin
de la guerre,
le CIL construit la majorité des logements, principalement
des immeubles d’habitat collectif
|
Multiplication des
logements
sociaux de masse |
A partir de 1960
|
La
municipalité reprend
l’initiative. Un effort est porté sur la
destruction et la reconstruction de logements ( RHI et OPAH*)
|
Rénovation
du tissu urbain
|
Depuis 1983
|
Poursuite des
destructions et
effort de la réhabilitation
|
Mixité
résidentielle dans le tissu urbain
|
A partir de 1999
|
Réhabilitation
et
reconversion des sites industriels |
Lofts,
appartements
de standing |
*RHI :
Résorption de l’Habitat Insalubre
OPAH : Opération
Programmée pour l’Amélioration de
l’Habitat |
La crise
économique des années 70 et 80 ralentit le rythme
des programmes urbains et
retient les populations les plus défavorisées
dans ce type de logement. Ils
deviennent « captifs » sur ce
marché du logement ancien et se
trouvent limités pour un temps dans leur mobilité
résidentielle. Mais la
reprise des programmes de destruction et
de réhabilitation élimine lentement
les poches d’insalubrités : en
40 ans, plus de 5 000 maisons en courée ont
été détruites sur l’ensemble
de la métropole soit plus de 300 à Roubaix.
II-
Un itinéraire linéaire et
polarisé
La trajectoire résidentielle
des rapatriés est à la fois linéaire
et polarisée. Elle est linéaire dans la
mesure où cette trajectoire se fait suivant le type de
structures dans
lesquelles les familles ont vécu. Les harkis ont
d’abord été
hébergés dans des
centres de regroupement ; ils ont ensuite
accédé à des logements en
immeubles collectifs tels que les Camus à
Condé-sur-Escaut et en
maisons-courées dans la métropole lilloise ou
à Roubaix. Ce parcours semble simple
et classique, mais les harkis accèdent plus tôt au
statut de propriétaire que
les Algériens. Désormais, l’habitat en
courée sert d’accueil aux populations
défavorisées et une partie de la
génération suivante accède
à l’habitat social
qui accueille la fraction la plus qualifiée mais se retrouve
captive de cet
habitat en raison d’une augmentation des loyers sur le
marché locatif. Pour les
parents, l’habitat sur rue offre en accession à la
propriété un stock de
logements disponibles qui leur permet d’évoluer
dans leur cursus résidentiel.
Ces logements sur rue constituent également
une opportunité pour les locataires du parc
social qui souhaitent
accéder à la propriété
(Lévy, 1991) ; mais cette situation s’est
modifiée
en raison d’un changement dans la composition sociologique de
la population
roubaisienne. (tableau 2).
Tableau 3
Evolution de la
population actives à
Roubaix 1962-1999
Catégories/
effectifs en %
|
1962
|
1975
|
1982
|
1990
|
1999
|
Patrons industries
|
12, 1
|
8,2
|
6,1
|
4,4
|
4,7
|
Prof. Lib., cadres sup.
|
4,4
|
4,3
|
4,5
|
5, 8
|
12,8
|
Cadres moyens
|
7,4
|
9,5
|
7,9
|
14, 6
|
25, 6
|
Employés
|
14,7
|
17
|
23,6
|
28, 1
|
31
|
Ouvriers, pers. de serv.
|
59,2
|
55,2
|
57,2
|
47
|
26
|
Sources :
INSEE RGP population au lieu de
résidence.
|
On assiste à des
micro-changements de population, par l’arrivée de
nouveaux ménages qui
modifient la sociologie du quartier : ces ménages
sont à la recherche d’un
logement en milieu urbain et sont motivés par la
proximité de Lille.
Ces transformations sont responsables d’une
augmentation des prix de l’immobilier et du coût
des loyers. Le marché privé
est devenu spéculatif en raison de la forte
attractivité de Roubaix. La politique
de ZFU a vu arriver des activités du secteur tertiaire
supérieur spécialisé de
type profession libérale ou artistique. Ce
redéploiement s’est accompagné
d’une
demande de logement de haut standing de type lofts dans des anciens
quartiers
centraux.
2.1 Des
pratiques de mobilités résidentielles
renouvelées
On observe pour les familles
enquêtées une stratégie
différenciée. Population transplantée,
les chefs de
ménage cherchent très tôt à
acquérir un logement car ils sont à la recherche
d’une assurance et d’une
sécurité pour leur famille. Les harkis et leur
famille
sont les premiers à acheter des maisons en courée
à d’autres populations
immigrées, portugaises ou espagnoles, qui quittent ces
quartiers. Cette
installation dans ces maisons courées freine le projet de
rénovation de la
ville (Cornuel et Duriez, 1983). Ces populations se dirigent ensuite
vers le
parc privé de meilleure qualité, les maisons en
front de rue qui ne constitue
plus un logement de fin de parcours mais un itinéraire
intermédiaire voir de transit.
Ce processus s’est engagé avec la mise
à disposition du stock de logements
libéré par la désaffection du logement
ancien par les catégories les plus
mobiles.
D’une manière générale, on
observe sur la longue durée plusieurs étapes dans
le cursus résidentiel des
familles de la première génération.
Les centres d’accueil constituent des lieux
de refuge ou lieu
« forcé ». Puis,
l’habitat en maison-courée fait
fonction de lieu d’accueil et d’orientation comme
logement de transit et,
enfin, l’habitat en front de rue constitue le lieu de
localisation et
d’ancrage. Cette description constitue la première
phase de la mobilité
résidentielle des harkis. On observe ensuite un changement
des trajectoires
résidentielles. Les maisons de rue ne constituent plus une
fin de trajectoire
comme dans les années 80 et 90. Dans les années
90 et 2000, elles deviendraient
une étape intermédiaire dans le cursus
résidentiel vers la maison bourgeoise ou
vers le logement social. La trajectoire résidentielle et
spatiale
des
familles de harkis observées dans notre
enquête s’articule au marché local de
l’habitat et se calque sur ses
évolutions. Par ailleurs, l’aire de
mobilité des familles correspond à une
proximité du réseau familial : certaines
familles se concentrent dans certaines
rues ou dans des quartiers spécifiques. Cette tendance
conforte l’idée d’une
territorialisation de l’habitat. Cette stratégie
renforce le poids
démographique de cette collectivité dans certains
secteurs du logement ancien.
2.2 Lieux et
recomposition urbaine[2]
A l’échelle de la ville, la
distribution fait apparaître dans les premiers temps de la
migration, une
polarisation dans certains quartiers du parc ancien privé
dégradé
[3]
,en particulier, au nord de la ville. La distribution de cette
population
évolue ensuite vers d’autres quartiers et un autre
type d’habitat. Elle se
trouve à la fois plus dispersée sur
l’ensemble du territoire communal et
concentrée dans certaines rues. Parallèlement, le
statut d’occupation du
logement évolue rapidement vers la
propriété. La première
génération a
longtemps occupé la fraction du parc ancien le plus
dégradé, avec un
allongement du parcours résidentiel vers
l’accession à la propriété
aidée.
L’acquisition de maison en front de rue, puis d’une
maison bourgeoise, selon le
rythme des opérations de réhabilitation et du
contexte social, a contribué à
construire un parcours résidentiel instable et ascendant
dépendant des projets
urbains. Il arrive qu’en raison de la composition familiale
et du coût de
l’immobilier des chefs de familles propriétaires
de leur logement s’orientent
vers le parc locatif social.
Le parcours
de la seconde génération est plus
complexe ; ses choix sont limités pour
accéder directement à la
propriété. Il existe des raisons à la
fois
structurelles et conjoncturelles qui orientent la mobilité
des jeunes adultes.
Les raisons structurelles sont liées à la fois
à la difficulté d’accès au
secteur social en raison des critères de
solvabilité, mais aussi au faible
turn-over
dans ce secteur, voir
peut-être à la discrimination pour
l’accès au logement social. Les raisons
conjoncturelles tiennent au marché qui a longtemps
stagné et même reculé tout
en disqualifiant certains quartiers. Cette situation était
favorable à
l’arrivée ou au maintien de populations qui ne
pouvaient pas ou plus accéder au
logement social. Le
marché privé est
très coûteux pour les jeunes entrant dans la vie
active ; de ce fait, la
demande de logements dans le secteur social augmente, alors que
l’offre est
limitée.
Dans un tel
contexte, le désir de décohabitation
précoce chez les jeunes adultes de sexe
masculin devient difficile à réaliser.
Quand elle a lieu, cette décohabitation est le
plus souvent associée au
mariage ou à l’obtention d’un contrat de
travail. La mobilité se fait vers
l’extérieur de la ville, dans les communes
voisines. Les jeunes adultes ont de
grandes difficultés à se maintenir dans la
commune de Roubaix en raison d’une
absence d’opportunités professionnelles. Quant aux
populations les moins
dynamiques ou en situation de précarité, elles
continuent à cohabiter en
famille et de ce fait fabriquent des poches de pauvreté.
Chez les femmes, la
décohabitation, souvent liée au mariage, est plus
tardive : elle est
retardée par un allongement du cursus scolaire vers des
études supérieures.
Enfin, l’identité des quartiers se modifie avec un
contenu renouvelé. L’arrivée de
nouvelles populations concourt à métamorphoser
le lieu habité. En 1964, les premiers commerces
s’installent Grand Rue, rue
Fosses aux chênes et rue de l’Epeule. Ces axes
commerçants font offices de
pivots entre les quartiers. Cette dynamique intra-urbaine
s’articule avec
l’ensemble des activités économiques et
socio-culturelles. A partir des années
80, les lieux de cultes musulmans ouvrent dans les rues adjacentes des
quartiers
nord-est de la ville : on dénombre six lieux de
cultes dirigés par des
associations et autant de lieux de prières dans les
arrière-boutiques d’un
coiffeur ou d’une boucherie hallah. Cette appropriation donne
une identité
nouvelle aux quartiers, en même temps qu’elle
élargit l’espace de vie de la
population, les lieux pratiqués au quotidien.
Conclusion
L’étude de la
trajectoire des harkis et leurs familles avec comme toile de fond les
quartiers
nord de la ville de Roubaix constitue une bonne introduction au
questionnement
sur mobilité et résidence. Saisir la biographie
résidentielle d’un individu,
c’est rendre compte d’un ensemble
d’événements qui doivent être
replacés et
articulés à
un contexte. Le rôle central
que joue le logement pour les harkis constitue une
opportunité pour appréhender
les relations entre mobilité et territoire. Le
marché du logement joue un rôle
essentiel dans l’organisation de l’espace
résidentiel des populations. Les
nombreux programmes urbains menés à Roubaix ont
introduit des formes de
sélection et de ségrégation qui ont
pour effet de segmenter le parc du
logement. Ils introduisent dans d'anciens quartiers populaires une
nouvelle
catégorie de population, jeune, plus aisée, et
plus exigeante en terme de
qualité de vie. Cette présence nouvelle contribue
à requalifier dans leur
contenu et dans leur forme ces quartiers, hébergeant de
nouveaux
équipements ; elle a aussi pour effet
l’augmentation la
fiscalité
et des prix de l’immobilier le prix
du mètre carré, chassant les populations les plus
fragiles vers la périphérie
de Roubaix ou vers d’autres communes.
Références bibliographiques
- Cornuel D. et Duriez B.,
1983. Le mirage urbain. Histoire du logement à Roubaix.
Paris, Anthropos.
- Guillon M., 1989.
« Banlieues et concentration des
étrangers, l’exemple de l’Île
de
France »., in : N. Boumaza (dir) Banlieues,
immigration et gestion urbaine, Grenoble, Institut de
Géographie Alpine,
Université J. Fourier.
- Lévy J.P., 1991. Les
contextes locaux de l’habitat en France. Thèse de
Doctorat de l’Université de
Paris 1, 303 p.
[1]
Agence Nationale
d’Indemnisation des Français d’Outre-Mer
[2]
La ville est depuis
dix
ans
entrée dans une nouvelle phase
dans son projet de « rénovation
urbaine »
[3]
Michelle Guillon 1989,
« Banlieues et concentration des
étrangers, l’exemple de l’Île
de
France »