Atelier Mobilité et Résidence, 16 & 17 novembre 2004, CEPED, Nogent-Sur-Marne



Qualification socio-spatiale préalable des migrants/migrations, pour l’appréhension des processus migratoires

 

Par André QUESNEL (IRD - CEPED)

 

Dans le cadre de cet atelier qui porte sur la résidence et sur la pluri-résidence des individus,  Françoise Dureau et Valérie Golaz m’ont demandé de participer à la réflexion portant sur la qualification de la résidence en m’appuyant sur les différentes enquêtes, sur la mobilité et les migrations, que j’ai pu réaliser en Afrique et en Amérique latine.

La résidence ainsi que les autres lieux où l’individu exerce ses activités sociales, économiques, politiques, etc., sont qualifiés ici dans le but de mieux appréhender les déplacements qu’effectue un individu entre ces différents lieux (l’atelier 3 portant directement sur la qualification des lieux). Il s’agit de reconsidérer la résidence et de prendre en compte la pluri-résidence des individus, afin de pourvoir considérer les mouvements de population qui sont d’une complexité croissante et dont la plupart sont de l’ordre de la circulation. L’idée générale est de discuter de l’intérêt et du type de qualification socio-spatiale de la résidence (et par extension des lieux construits et fréquentés au cours de ces processus de circulation) préalablement à toute enquête des déplacements des individus.

Il semble que dans une première approche on puisse appréhender les déplacements des individus d’au moins deux manières : d’une part, en qualifiant leur occupation des lieux et d’autre part, en délimitant le groupe social ou les groupes sociaux en référence desquels sont réalisés ces déplacements.

La situation de résidence d’un individu est caractérisée dans l’espace et dans le temps par un lieu, une date et éventuellement une durée effectuée dans le lieu considéré. Cette situation de résidence peut être définie avec ces seuls éléments temporels et spatiaux. Cependant on peut préciser des temporalités qui font sens en référence à différentes activités économiques et sociales comme habiter, travailler, étudier, se divertir, etc. ; on peut également considérer la qualité des lieux : rural, urbain, etc. Enfin, la situation de résidence d’un individu peut être plus largement qualifiée encore à travers son statut et à sa situation socio-politique (célibataire, marié ; propriétaire, locataire, hébergé ; national, étranger ; etc.) en référence à un groupe (familial, social, économique, politique, culturel).

L’idée première pour cet atelier était de présenter la méthode suivie aujourd’hui dans les enquêtes menées au Mexique qui consiste à identifier les lieux et les déplacements qui se construisent à partir du groupe familial et  du groupe social d’appartenance ou des groupes sociaux de référence. Cependant il m’a semblé intéressant de revenir sur l’enquête migration mossi au Burkina (ex-Haute-Volta) réalisée en 1973 (Quesnel, Vaugelade,1975), pour l’exemple qu’elle offre d’une multiplicité des déplacements depuis le Pays mossi du point de vue de leur temporalité et de leur objectif d’une part, et d’un changements des lieux constitutifs de l’espace migratoire et des temporalités des déplacements, d’autre part.

Je veux aussi revisiter cette enquête dans la mesure où elle permet de rappeler  la nécessité de contextualiser non seulement les déplacements mais aussi les concepts et les instruments d’analyse au moment de l’étude (Diapositive 1). Je présenterai l’étude et ses instruments de collecte (Diapositive 2). Dans une troisième diapositive, il s’agira de distinguer les déplacements à travers la résidence (et multi-résidence) des individus durant la période d’observation; puis, dans une quatrième, les éléments de distinction des différents déplacements. Enfin, je voudrais terminer en tirant les enseignements d’une telle identification et qualification des déplacements pour cette étude et les études que je mène aujourd’hui (Diapositive 5).

Pour cette « publication » j’ai opté pour un commentaire (texte en italique) des diapositives du Power-point qui a été présenté lors de l’Atelier (texte en caractères gras).

 

D1. Titre : Qualification socio spatiale préalable des migrants/migrations. Pour l’appréhension des processus migratoires.

 

D2. Contextualisation des déplacements, d’une part et des concepts et des instruments d’analyse, d’autre part

L’enquête sur « les mouvements de population à partir du pays mossi » (1972-73)

 

D3. Carte du Pays mossi et déplacements anciens et récents

 

D4. Enquête sur les mouvements de population à partir du Pays mossi

Pour ce faire deux instruments : 

- Un suivi des séjours

- Un suivi des emplois lors du dernier séjour à l’extérieur ;

            - Un suivi des visites (moins de 3 mois au village) lors du dernier séjour.

 

D5. La distinction des déplacements depuis le Pays mossi à partir de la résidence

- Migrant absent : individu en migration de travail à l’intérieur ou à l’extérieur des frontières, sans considération de durée

. La durée d’absence sera en fait considérée lors du passage du questionnaire démographique. Il s’agira du dernier séjour ouvert

. Rappelons que l’enquête renouvelée nous donne la situation de résidence (Présent ou Absent) lors du passage en 1960

  - Emigrant : individu sorti de la population pour des motifs matrimoniaux, agricoles, sociaux

 

- Séjour : intervalle de temps de plus de trois mois entre un départ et un retour au village

  - Migration : séjour dans le même lieu entrecoupé de visites de moins de trois mois

 

D6. L’identification des déplacements

- La notion de projet migratoire est heuristiquement pertinente dans la mesure où elle permet de renvoyer à différents niveaux : macro (situation nationale, régionale, de tout ordre), meso (localité, groupe social d’appartenance, famille) et individuel (statuts). Tels que nous les examinons ci-dessous.

On y intègre deux critères qui, selon nous, distinguerons les migrants « porteurs de projet » : le lieu de destination et la durée. Autrement dit, on rassemble  des caractères présentant a priori une corrélation et porteurs d’une forte distinction.

            - Unité collective de référence du projet migratoire  

. On distingue les unités collectives locales des unités de production et des unités résidentielles. Par rapport à l’unité collective, le projet migratoire du migrant s’inscrit dans un processus de rupture, de survie, de patrimonialisation et/ou plus largement de reproduction sociale.

            - Statut de l’individu en déplacement

. On distingue : chef d’unité résidentielle, d’exploitation agricole; rang dans le segment de lignage ; marié accompagné par sa(ses) femmes, marié seul, célibataire.

L’analyse montrera la rupture dans la diachronie d’accès aux différents statuts, notamment le fait que le mariage se trouve dissocié de l’accès à la terre, et le fait que la migration internationale n’est plus le fait des hommes célibataires dans l’attente d’accéder aux statuts supérieurs.

            - Lieu de départ et de destination ou d’arrivée

. Les lieux sont différenciés selon leur statut et selon les  contraintes et opportunités qu’ils présentent : au Burkina (l’ouest de la colonisation agricole ; les vallées des Voltas au Sud et au Sud-est des aménagements hydro-agricoles ; Ouagadougou, la capitale ; les capitales régionales ; au Ghana (les différentes régions rurales ; les capitales régionales ; Accra) ;  en Côte-d’Ivoire (les régions de l’est ; les zones de l’ouest et du centre-ouest ; le sud-ouest ; Abidjan)

- Durée du déplacement ou du séjour est en conséquence dépendante des éléments précédents constitutifs du projet migratoire.

 Ces référents permettent de distinguer :

- Déplacements de travail et migrations agricoles

On a distingué simplement dans un premier temps les déplacements liés aux recherches de terre et les déplacements  de travail,  des autres déplacements dont les  raisons sont liées à des raisons sociales (mariage, étude, confiage, etc.). Les installations avec accès à la terre dans les zones de colonisation agricole seront considérées comme des migrations.

-  Les migrations saisonnières.

On verra à l’analyse qu’elles sont en diminution, les déplacements le temps de la saison sèche se font moins nombreux. Ils sont déconnectés du calendrier agricole du Pays mossi.

-  Les migrations de travail pluriannuelles.

A l’analyse on constatera qu’elles sont les plus importantes et surtout que les durées de séjour sont de plus en plus longues, entrecoupées de visites de moins en moins fréquentes.


D7. Quels enseignements, quelle formalisation ?

Il faut reconnaître que  par cette identification a priori des différents déplacements l’analyse se trouve alor  enfermée par et dans ces aspects de la mobilité. Cependant on retiendra les résultats de cette étude :

On aura retenu que les déplacements saisonniers de travail, même s’ ils persistent encore,  ont laissé la place la plus importante aux déplacements pluriannuels ; autrement dit, dans les années soixante, des séjours longs en Côte d’Ivoire se mettent en place, entrecoupés de visites de moins en moins fréquentes. Les hommes célibataires ne sont plus les seuls à effectuer les déplacements vers l’étranger, les hommes mariés, d’abord seuls puis accompagnés de leur femme, prennent une place croissante dans les cohortes de départ et dans les séjours de longue durée. Les destinations privilégiées changent progressivement sur la période d’observation (1960-1972) et rétrospectivement par rapport à la période antérieure : le Ghana  est abandonné au profit de la Côte d’Ivoire ; le Sud-ouest ivoirien (alors peu peuplé) émerge comme nouvelle destination au détriment du Centre-ouest ; l’ouest du Burkina connaît ses premières  installations qui servent aujourd’hui de point de référence à ceux qui s’étaient installés en Côte d’Ivoire et qui reviennent (ou leurs enfants) du fait de la guerre civile en cours.
Partant d’une situation de résidence en référence à la famille d’origine, les autres lieux fréquentés se définissent et sont définis en référence à des éléments constitutifs du projet migratoire. La pluri résidence des individus  est  ici abordée sur la période d’observation de l’enquête renouvelée (12 ans) et elle prend en considération, par le biais du questionnaire biographique, la succession et l’alternance des lieux dans le temps.  Elle a d’abord pour objectif d’appréhender à travers les déplacements  la transformation du processus et du champ migratoire de la société considérée. Appliquée ici au milieu rural, la qualification des différents déplacements sur une période d’observation  correspond d’une certaine façon à la qualification des déplacements intra-urbains à travers des critères d’usage et de durée de fréquentation des lieux (Dureau,1987)

La qualification  des lieux de résidence et des activités sociales et économiques réalisées dans différents lieux par les individus d’un groupe social durant une période donnée d’observation, a pour objectif de rendre compte de l’espace migratoire de ces individus. La qualification, plus avant, de ces lieux en référence aux contraintes  et aux opportunités  qu’ils présentent, d’une part, et aux usages qui en sont faits en référence à des unités sociales, d’autre part, permet alors d’aborder les déterminations de ces déplacements à différentes échelles :

- Territoires et inégalités territoriales

La prise en compte des différents lieux et de leur qualification du point de vue de leur intérêt et de l’usage qu’ils ont constitué, et peuvent constituer, encore pour un individu et son groupe familial et social d’appartenance, permet d’appréhender la valorisation de ces lieux au cours du temps. Ces lieux  constituent ainsi l’archipel de la famille et/ou du groupe d’appartenance à un moment donné et dans le temps.(Quesnel,Del Rey, 2001)

- Localité et institutions (communautaires et familiales)

La référence à une localité et à des institutions est essentielle pour appréhender l’usage et la fréquentation des lieux constitutifs de l’archipel et la nature des  différents déplacements qui s’y inscrivent.

- Individu / statut comme acteur, porteur d’intérêts

Le statut de l’individu en référence à ces différentes unités sociales permet d’appréhender son inscription dans le système résidentiel de la famille et de la localité, ainsi que sa transformation.

 

En guise de conclusion

La multi-résidence, ou mieux, la multi-localisation des activités sociales, économiques et résidentielles d’un individu ou d’un groupe d’individus, permet d’appréhender les déplacements de ceux-ci, et la transformation de leur champ migratoire, dès l’instant qu’elles sont examinées en référence à une période d’observation suffisamment longue et en référence à des unités sociales où s’inscrivent les individus.

En faisant ce retour en arrière, nous avons voulu souligner que le recours à une notion de résidence, socialement et temporellement construite, aussi simplifiée soit-elle, comme dans le cas de l’enquête Migrations mossi, s’avère efficace pour appréhender les déplacements.

Dans notre dernier travail, en milieu rural mexicain, nous nous sommes intéressés aux lieux fréquentés par le groupe familial sur trois générations, partant de l’idée que les lieux du passé (histoire migratoire des ascendants) ont pu, et peuvent, constituer une ressource migratoire potentielle (examen des lieux de résidence actuelle des ascendants, des collatéraux et des enfants d’égo, d’une part et de  son épouse, d’autre part), notamment dans les années qui suivent  l’entrée du Mexique dans l’Alena (examen des déplacements des membres de l’unité domestique, les deux dernières années précédant l’enquête réalisée en  1999).

 

Références bibliographiques citées