Atelier Mobilité et Résidence, 16 & 17 novembre 2004, CEPED, Nogent-Sur-Marne



Mobilité et éléments de la pluri-résidence chez les jeunes de la région lyonnaise

 

Par Bernard BENSOUSSAN (ISH -GRS)

 

Résumé

C’est dans le cadre d’une problématique d’analyse de la mobilité et des pratiques résidentielles que sera envisagée la question de la pluri-résidence pour la population des jeunes que nous avons étudiés. Outre de multiples enquêtes conduites sur ces questions, nous nous appuierons principalement sur une recherche réalisée en Rhône-Alpes avec le soutien de la région, entre 2000 et 2003 auprès d’une population de jeunes ayant entre 18 et 30 ans. Celle-ci abordait la question de la mobilité dans le cadre d’une analyse des formes d’autonomisation des étudiants et des actifs.

 


Inscrits dans le cadre des travaux conduits à l’Institut des Sciences de l’Homme (programme « Les Étudiants et la Ville »), nous avons développé nos analyses contextualisées des logiques de transformations des milieux localisés de jeunes adultes en privilégiant deux entrées complémentaires : celle des pratiques des espaces résidentiels, qui fait part aux questions de la mobilité et des transformations, et celle de l’autonomisation, dans laquelle la question de l’émancipation de la sphère parentale tient une place importante. L’enquête visait à saisir la spécificité des populations de jeunes de 18-30 ans de l’agglomération lyonnaise, et à décrire les flux de mobilité qui les affectent dans un contexte général d’allongement de la durée d’étude et de prolongement de la résidence au domicile des parents.

La méthodologie, pluridisciplinaire, est fondée sur trois approches : le traitement secondaire d’une extraction du recensement de 1999 – réalisé en collaboration avec l’INSEE Rhône-Alpes – et de grandes enquêtes statistiques, le suivi longitudinal filmé d’une dizaine de jeunes adultes, et enfin la réalisation d’une enquête ad hoc par questionnaire passés auprès de 850 jeunes lyonnais.

Ainsi, avons nous pu décrire, pour les populations mobiles, les caractéristiques respectives de leurs communes d’origine et de résidence au recensement de 1999, pour comprendre comment le type de commune, la structure sociale de sa population, le taux de chômage, ses équipements et sa distance à Lyon permettait de rendre raison pour partie de ces mouvements. En comparant les populations selon leur statut, leur niveau et type de diplôme, leur âge et leur distribution dans l’agglomération, nous avons pu montrer que la population diplômée résidait principalement en centre ville, s’opposant à celle qui, scolairement peu dotée, habitait en banlieue. En utilisant la cartographie comme outil d’analyse, nous avons également pu établir que la population des jeunes qui habitent chez leurs parents se concentre massivement dans les banlieues alors que les décohabitants, quelle que soit leur origine géographique, se localisent au centre de l’agglomération et plus particulièrement, pour les étudiants, dans des quartiers très spécifiques.

Nous avons pu développer, à partir de l’enquête ad hoc, les conséquences de ces premiers résultats en comparant les genres de vie urbains de populations résidant dans différents quartiers de l’agglomération, échantillonnées à partir de l’exploitation du recensement.  

Cette enquête longitudinale rétrospective comportait 750 questions qui ont permis d’examiner les formes de différenciation locales des pratiques résidentielles, des itinéraires scolaires et professionnels et des sociabilités, d’une part, et les itinéraires conduisant à la mise en couple d’autre part. Nous avons retenu comme contexte d’enquête des quartiers très contrastés de l’agglomération, différenciés tant par leur bâti que par la composition de leur population.

 

Mobilité et pluri-résidence : habiter dans un logement « à soi »,  et / ou chez ses parents

La visée de l’étude des pratiques résidentielles est en premier lieu descriptive : elle permettait de contextualiser précisément les genres de vie des jeunes ; en second lieu interprétative : elle visait la connaissance des différentes façons dont ces populations se saisissaient des contextes (processus d’appropriation, construction de représentations des lieux) dans la structuration différentielle de leurs itinéraires.

Les métropoles universitaires, telle l’agglomération lyonnaise, présentent des caractères spécifiques, en raison de l'inégale répartition des sites d’enseignement et des contextes d’emploi. Elles se constituent en territoires de recrutement d’une population souvent mobile dès le début des études supérieures.

L’agglomération lyonnaise compte 283 060 jeunes (281 588 hors militaires), dont 116 388 vivent à Lyon. La part des étudiants est plus importante dans l'agglomération que dans l’ensemble de la région, tendance particulièrement nette pour ceux qui ont entre 21 et 24 ans (15,2 contre 10,7%), la part des actifs, plus importante dans la région que dans l’agglomération. Les jeunes qui habitent la ville même de Lyon se différencient des jeunes du reste de l’agglomération : ils sont plus fréquemment étudiants, particulièrement à l’âge des études supérieures ; quand ils sont actifs, ils sont plus fréquemment diplômés.

La population de jeunes ayant migré dans l’agglomération lyonnaise entre 1990 et 1999 présente deux caractères. Elle draine des jeunes venant d'un grand nombre de communes, près du tiers des communes françaises et elle est formée pour plus de la moitié, de jeunes rhône-alpins. Les communes de Rhône-Alpes ont un taux de départ vers Lyon plus élevé que celui de l’ensemble des communes (7,6% contre 3%). Plus précisément, dans les limites de la région, la probabilité que les communes aient envoyé plus de 10% de leurs jeunes vers Lyon est inversement proportionnelle à leur distance par rapport à l’agglomération. Au-delà des frontières régionales, la probabilité de la migration devient dépendante du niveau d’enclavement et du niveau d’équipement des communes. Les communes qui voient partir le plus de jeunes sont celles qui sont les plus enclavées. D'autres caractéristiques, l'appartenance d'une commune à l’espace rural (selon la typologie de Nicole Tabard), la présence relativement élevée de catégories sociales moyennes ou supérieures, ou d’un équipement universitaire de second cycle dans la commune, augmentent les chances de départ. En revanche, l'augmentation du taux de chômage concorde avec la réduction des chances de départ des jeunes.

Dans cette période de la vie où les sociabilités extérieures au logement sont intenses, la population opère des choix résidentiels liés à la densité des pratiques urbaines. Lorsque ces jeunes viennent à Lyon pour étudier puis travailler, leur distribution dans l’agglomération est le résultat de compromis associant plusieurs intérêts : proximité aux établissements d’études, recherche de centralité, recherche de vie « entre-soi », et accessibilité du parc immobilier. Aussi la répartition des établissements de formation structure-t-elle pour partie la distribution résidentielle des jeunes qui n’habitent plus chez leurs parents. Proximité du lieu d’études, présence de résidences universitaires, types d’habitat et loyers accessibles sont autant de facteurs expliquant leur surreprésentation à l’échelle de certains micro-quartiers.

De telle concentrations des jeunes dans des secteurs spécifiques de l’agglomération autoriseraient à faire l’hypothèse que leur intégration à la vie urbaine lyonnaise soit extrêmement importante, et qu’ils passent en ces lieux de résidence l’essentiel de leur temps à l’échelle de l’année.

C’est pourtant sans compter avec l’attachement les liens considérables avec le milieu des parents et les réseaux d’amis laissés dans les communes d’origine. En effet, pendant l’année, les retours au domicile des parents sont extrêmement fréquents, introduisant une forme de double résidence dont l’ampleur varie selon des dimensions à la fois personnelles et contextuelles.

Ainsi si l’on prend le cas des étudiants décohabitants délocalisés (qui ne résident donc pas chez leurs parents en semaine), environ un tiers y dorment une ou plusieurs fois par semaine, et seulement 7% n'y dorment jamais. Les deux tiers des décohabitants dorment au moins une fois par mois chez leurs parents.

La fréquence des nuits passées au domicile familial est un indicateur de la régularité avec laquelle les étudiants rentrent chez leurs parents et donc des liens qu'ils entretiennent avec eux. Cette fréquence des retours varie en fonction de l'âge des étudiants. Plus ils sont âgés, moins ils dorment fréquemment chez leurs parents : le quart des étudiants âgés de 25 ans et plus dorment moins d'une fois par mois chez leurs parents, alors que près de 30% des 19-20 ans et 20% environ des 21-23 ans y dorment plusieurs fois par semaine.





La fréquence des nuits passées chez les parents dépend également fortement de la distance entre la ville d'études et le lieu de résidence des parents. En effet, 60% des étudiants décohabitants dont les parents habitent à une distance comprise entre 30 et 100 km passent une ou plusieurs nuits par semaine chez ces derniers alors qu'ils ne sont plus que 36% lorsque leurs parents habitent à plus de 100 Km.

Le fait de laver son linge chez ses parents permet de mesurer la densité des liens et les formes de transactions entre les étudiants décohabitants et leur famille. En effet, nombreux sont ceux qui, bien qu'ayant un logement indépendant rentrent chez leurs parents et y lavent leur linge. Ainsi, seuls 39% des étudiants décohabitants lavent leur linge chez eux. Il le lavent chez leurs parents  d'autant plus fréquemment  qu’ils rentrent souvent dormir au foyer parental.

Les formes d'accès à l'indépendance des étudiants vis-à-vis de leur famille peuvent se mesurer à travers la façon dont ils investissent leur logement. Ainsi le fait de conserver son logement pendant l'été peut être considéré comme l'indice d'une décohabitation véritable et non plus seulement comme une délocalisation momentanée, nécessaire lors de la poursuite des études.

Les étudiants conservent pour la majorité d'entre eux leur logement pendant l'été (61%).

Cette proportion varie fortement suivant le type de logement qu'ils occupent puisque seulement 23% de ceux qui résident en cité universitaire, en foyer ou en internat gardent leur logement pendant l'été contre près de 70% de ceux qui ont un logement indépendant, seul ou à plusieurs. Opter pour un mode de résidence collectif implique donc souvent un investissement moindre de son logement.

Le logement en semaine dans la ville d'études peut par conséquent être, selon les cas, un simple pied-à-terre pour ses études ou bien un logement à part entière.

Les rapports au logement des étudiants varient aussi selon leur âge. Les plus jeunes, en particulier ceux qui sont âgés de 20 ans et moins, conservent moins souvent leur logement pendant l'été : 48% d'entre eux le gardent contre 61% dans l'ensemble de la population des décohabitants. A l'inverse, les étudiants qui sont âgés de 25 ans et plus sont nettement sur-représentés parmi les décohabitants qui gardent leur logement pendant l'été : en effet, 85% d'entre eux le conservent. Au fur et à mesure des années, les étudiants semblent donc accéder à l'autonomie résidentielle, processus qui passe par l'investissement d'un logement indépendant de celui de leurs parents.

 

Les processus d’autonomisation

La seconde entrée dans l’analyse (par les processus d’autonomisation) permet de saisir des processus vécus comme enjeux majeurs de cette période la vie. Considérant que ces processus mettaient en jeu une pluralité de dimensions, notre premier dessin consistait à dresser l’inventaire des divers chemins empruntés pour accéder à l’autonomie économique, résidentielle. L’analyse compréhensive des situations d’arbitrage a principalement porté sur des conjonctures particulières de l’existence que nous considérions comme spécialement exemplaires.

C’est ainsi que nous avons plus particulièrement interrogé les situations et contextes de décohabitation. En effet, le moment de la décohabitation constitue non seulement un analyseur des façons de négocier les conditions départ du domicile parental (au cours desquelles s’explicitent les rapports de dépendances), mais montre également les formes de mobilisation des proches, ce qui permet d’apprécier la configuration relationnelle des jeunes et l’importance respective prise par leurs réseaux familiaux et amicaux lors de cette transition majeure de l’existence.

Une autre dimension de la décohabitation concerne l’élection des lieux de résidence à venir (ville, quartier) et le choix des conditions de résidence envisagées (seul, en couple, en colocation) : étudier ces projets et la distance à leurs conditions possibles de mise en œuvre a permis de comprendre la façon dont, selon leurs milieux, leurs ressources et leurs itinéraires dans le secondaire (dimensions le plus souvent corrélées), les différentes catégories de jeunes ajustaient les représentations qu’ils avaient de leur condition aux modèles d’itinéraires résidentiels.

Nous avons alors remarqué qu’en tant que transition, la décohabitation était autant une prise de distance qu’un processus de relocalisation largement dépendant de la représentation des lieux de destination envisagés. Ces derniers étaient le plus souvent perçus à partir de la représentation que les jeunes enquêtés avaient des espaces urbains de destination potentielle (hiérarchie des lieux), de l’accessibilité (coût) supposée ou connue de ces derniers, de leurs projets de formation ou d’emploi, et enfin de la présence en ces lieux de leurs proches, parents, frères et sœurs ou amis.

La complexité des itinéraires apparaît, dans cette recherche, comme la règle. En lieu et place d’un passage linéaire du célibat à la vie de couple, l’enquête montre que les périodes de mises en couple peuvent fréquemment être suivies de périodes de vie solitaire. Elle met en lumière les pluralités de situations de couples non installés que la mobilité des conditions d’étude ou d’emploi concourt à diversifier. Au plan des conditions de résidence, l’enquête montre que se développent colocation et hébergement partiel ou momentané, autant de situations dans lesquelles les réseaux de sociabilité jouent un rôle très important. C’est ici que la localisation différencie notoirement le champ des possibles de ce « bricolage » des existences auquel n’échappent le plus souvent que les cohabitants issus de famille fortement dotées qui leur garantissent, outre des conditions matérielles d’études favorables, des possibilités de transition entre formation et emploi largement aménagées par leurs réseaux sociaux, souvent denses et anciens.