Atelier Mobilité et Résidence, 16 & 17 novembre 2004, Nogent-Sur-Marne
Compte-rendu de la séance : Observer des pratiques résidentielles complexes
Par Florence BOYER (Université de Poitiers – Migrinter) et Véronique DUPONT (CSH)
Communication de Karine Peyronnie (KP) : Dynamisme entrepreuneurial et pluri-résidentialité des commerçants chinois : considérations à partir de Vientiane
Le point de
départ de
l’analyse concerne la mobilité
résidentielle et non la
pluri-résidence ;
par conséquent les interrogations ont porté sur
les parcours résidentiels.
Autrement dit, que signifie rester durablement à
Ventiane ? La réponse ne
se situe pas dans une catégorie précise car les
commerçants s’adaptent en
fonction de la conduite de leurs affaires : ils
résident là où
l’activité
économique est la plus intéressante.
La province
du Yunnan
commence à prendre de l’importance dans
l’économie du Laos, plus
particulièrement
avec la signature d’un accord politique pour la promotion des
échanges :
une entreprise de gestion d’origine chinoise incite les
Chinois à venir
s’installer au Laos.
Dans le
cadre de l’analyse
de la pluri-résidence, la durabilité de
l’installation dépend de la réussite
économique, elle-même dépendante de la
complémentarité entre le Laos et la
Chine. Les réseaux familiaux confèrent
à cette organisation une très grande
souplesse et une marge de manœuvre relativement importante.
Aussi est-il difficile
de déterminer le lieu de résidence tant le groupe
familial est dispersé et les
permutations rapides.
Les travaux sur la diaspora chinoise dans le continent asiatique mettent essentiellement en évidence les logiques entrepreneuriales au cœur de la dynamique économique moderne. La logique d’entrepreneuriat s’adapte au contexte économique du pays d’accueil suivant une logique commerciale transnationale sans attachement au patrimoine. La question principale peut alors être reformulée : combien de lieux de résidence faut-il retenir étant données les fortes fluctuations ?
Discussion
Eva Lelièvre (EL) :
Si d’un côté, il y a des migrations
encadrées par
la Chine, qu’en est-il des migrations avec la
Thaïlande ? Par ailleurs, il
semble nécessaire de préciser les conditions
d’une bonne observation de la
pluri-résidence dans le contexte de la diaspora chinoise
dont le système
résidentiel est fluctuant.
KP : La
Thaïlande intervient
plus particulièrement dans le secteur tertiaire
(constructions
d’hôtels…) : les
commerçants chinois originaires de la Thaïlande ont
des
moyens financiers plus importants que ceux originaires de Chine. Plus
spécifiquement, certaines familles investissent à
l’échelle du Laos, ayant un
rôle majeur dans la tenue des affaires. A Ventiane, au
contraire, les affaires,
au sens de grands investissements, sont tenues par des Vietnamiens, des
Laosiens, des Hong-Kongais… Afin d’observer au
mieux la pluri-résidence, il
faudrait demander les lieux de résidence de tous les membres
du ménage (parents
et enfants), voire même au-delà.
Françosie Dureau (FD) :
Dans ce cas, s’agit-il véritablement de
pluri-résidence ? A-t-on affaire
à
une succession ou une alternance de séjours dans plusieurs
lieux ?
KP :
Au sein d’une famille, on
compte deux à trois lieux de résidence, avec des
individus qui circulent en
fonction des opportunités sur des laps de temps
d’une semaine à plusieurs mois.
Dans la mesure où toutes les activités sont
solidaires, c’est-à-dire dépendent
des parents et des enfants, la mobilité entre les lieux de
résidence peut aussi
être rattachée à la division familiale
du travail.
Communication de Bonayi Dabire
(BD) : La
double résidence des migrants saisonniers au
Burkina : un dilemme pour la
caractérisation univoque de la résidence des
individus
A l’échelle du Burkina-Faso, la problématique des migrations ne dépend plus exclusivement de la Côte d’Ivoire ; cette dernière n’est en effet plus la destination unique (l’Italie s’impose progressivement comme une destination importante), au contraire puisque les migrations de retour prennent une importance inconnue jusque là. Au niveau interne, le plateau Mossi a perdu son monopole c’est-à-dire que les anciens lieux d’accueil sont aujourd’hui devenus des lieux de départ. L’objectif de l’intervention est l’étude des migrations saisonnières vers certaines villes et certaines zones rurales pendant la saison sèche : migrations saisonnières des départements de Bougouriba et de Ioba vers Banfora. Des investissements sont survenus à Banfora dans les années 1970 dans le domaine de l’industrie de la canne à sucre ; cette ville est également située sur l’axe de la Côte d’Ivoire, constituant une zone de transit pour l’ensemble des migrants venant du nord.
Les
migrations vers Banfora
sont installées dans le cadre de l’alternance
saisonnière : chaque année,
à la saison sèche, qui correspond à la
période de coupe de la canne à sucre (de
novembre à mai), des migrants Lobi et Dagona viennent
travailler là.
Les
différentes opérations
de collecte de données ne prennent pas en compte la
résidence à Banfora. D’où
la difficulté de répondre à ce
questionnement : quelle est la date
d’établissement de cette migration ?
Quelle est son importance
numérique ? Quelles sont les
caractéristiques de ces individus migrants,
alternant entre la ville et le rural ? Quel est le milieu
déterminant pour
ce qui est des comportements démographiques, de
santé… ? Afin de
comprendre ces processus migratoires, des entretiens furent
réalisés à Banfora
auprès des autorités administratives et
économiques, ainsi qu’avec les migrants
dans l’espace de départ.
Les
résultats préliminaires font
apparaître :
Au sein de
cette population
migrante des profils se dégagent, distinguant
d’une part ceux qui effectuent la
navette chaque année, d’autre part ceux qui ont
arrêté la navette pour
s’installer d’un côté ou de
l’autre : sous quelles conditions la migration
devient-elle définitive ?
Pour ce qui
est des migrants
saisonniers, ils louent une maison chaque année, disposent
d’un service de
santé à l’usine, leur permettant
d’acquérir quelques notions dans ce domaine.
Comment
comprendre et saisir
leurs comportements en matière démographique et
de santé ?
Une
première approche
consiste donc à différencier ceux qui migrent et
ceux qui ne migrent pas pour
voir s’il y a une différence : dans la
mesure où la migration débute vers
16 ou 17 ans, quels sont les effets de la vie en ville ?
Discussion
EL: En cas de double résidence, la difficulté est d’éviter les doubles comptes.
[Voir communication par l’auteur]
Discussion
MB : Ce lien, en particulier pour les activités économiques saisonnières, s’est retrouvé dans les travaux effectués au Mali. L’effet « home town » ne joue pas ici (à Accra) pour les circulations saisonnières liées à l’activité économique, mais pour les fêtes. La « home-town » a un rôle familial, social. Les familles sont mises en scène même dans les motifs de mobilité économique : logiques de parents, de tuteurs…
Dieudonné Ouadraogo (DO) : Une enquête effectuée à Bamako en 1992 (dans le cadre du Réseau Migration Urbaines Ouest Africaines) consistait à analyser les processus d’insertion résidentielle et d’insertion économique des migrants. Dans cette enquête, l’itinéraire résidentiel fut recueilli mais non traité. Actuellement, toujours selon les mêmes logiques d’analyse, un observatoire des populations est en test à Ouagadougou.
MB : Au Ghana, il faut asseoir la question de la mobilité urbaine car il n’y a pas d’étude spécifique sur les migrations ; il est nécessaire d’adopter une conception plus souple de l’espace en prévoyant en ville un maillage plus fin que les unités administratives. Quand on collecte les itinéraires migratoires, les lieux sont multiples, d’où cette interrogation : quel serait le lieu à partir duquel se déploie la pluri-résidence ? En fait, il faudrait collecter tous les lieux avant de pouvoir interpréter en termes de pluri-résidence.
Roselyne Da Villanova (RdeV) :
Quels sont effets de la culture urbaine sur
les comportements des ruraux ? Comment habitent les migrants
au cours de
leurs migrations saisonnières en ville à
l’usine ?
BD : Les
migrants vivent en groupe,
partagent le loyer et rendent ensemble le bail à la fin de
leur séjour. On
ignore s’ils reprennent ou non le même logement
d’une année sur l’autre.
Pour ce qui
est de l’analyse
des effets de la culture urbaine, c’est le nœud de
la recherche : il faut
disséquer entre ceux qui font des migrations
saisonnières et les
« sédentaires ». Il
existe un système de réseau de
solidarité entre
migrants en ville et ceux restant au village (par exemple, des
‘arrivées-payées’ sont
possibles).
Des
changements sont
perceptibles au regard des migrations féminines :
les jeunes femmes
partent autour de l’âge de 15 ans, soit comme
femmes de ménage, soit comme
serveuses avec comme objectif de constituer leur dot pour un mariage
futur. Une
des conséquences de ces mouvements est la hausse de la
fécondité en dehors du
mariage.
Egalement,
dans les espaces
de départ, des changements sont visibles au niveau des
styles de vie et de
l’habitat entre ceux qui
n’ont jamais
quitté leur village et les migrants saisonniers, avec par
exemple l’arrivée des
tôles dans l’habitat.
DO :
Il apparaît nécessaire
d’ouvrir les perspectives, d’élargir le
champ géographique au-delà d’un seul
pays et d’intégrer les flux dans
l’ensemble de la sous-région. Il y a quelques
années, les migrants venaient du village
d’à côté, alors
qu’aujourd’hui les
flux ne sont compréhensibles que de façon plus
globale, d’où la nécessité
de
s’intéresser aux migrations et aux liens avec
Ouagadougou, Bobo-Dioulasso ou le
nord de la Côte d’Ivoire. Dans cette optique, il
apparaît nécessaire de
dépasser l’approche strictement
démographique, qui ne peut suffire.
EL :
L’observation est guidée : en cas de
multi-résidence, comment attribuer un
comportement à l’influence d’un lieu de
résidence? La pluri-résidence a un
impact au niveau des comportements individuels dans la ville
d’immigration, et
un effet en retour sur le village d’origine. Peupler et
dépeupler des lieux est
l’une des fonctions de la multi-résidence. Le
terme de lieu peut se replacer
dans le contexte des occupations saisonnières
particulières aux populations
nomades.
Florence Boyer (FB) :
Dans un contexte de
nomadisme, le lieu présente cependant la
particularité d’être permanent et
récurrent, c’est-à-dire
qu’à chacune des saisons correspond un trajet et
un
lieu d’établissement particulier. Succession des
passages dans les lieux,
répétition de ces passages et de ces
établissements sur un plus long terme,
restent les caractéristiques des pasteurs nomades. Ainsi,
paradoxalement et
malgré une organisation fondée sur la pratique de
la mobilité, les populations
nomades sont aussi des populations casanières. Si le lieu,
au sens de localisation,
se modifie au fil des saisons et des parcours, à une
échelle géographique plus
grande, il reste identique : identité des modes
d’habiter. En effet, le
campement se construit systématiquement selon les
mêmes modalités, que ce soit
sur le plan de son organisation interne globale (la
répartition des tentes
reproduit notamment la hiérarchie sociale) ou sur le plan de
l’organisation
interne de chacune des tentes (reproduction à
l’identique de l’intérieur, des
décorations, de la place des lits...). Le passage
systématique dans les mêmes
lieux, qui est la caractéristique du mode
d’habiter nomade, est l’une des
différences fondamentales entre ce dernier et la
migration ; également le
nomadisme peut s’appréhender comme une forme de
mobilité sans projet, alors que
celui-ci est présent à
l’échelle sociale comme individuelle dans les
migrations
internes et / ou internationales.
André Quesnel (AQ) : Il apparaît nécessaire de préciser ce que l’on entend par lieu. Si, à l’échelle individuelle on est renvoyé à la pluri-résidence, à l’échelle familiale, le lieu devient le quartier, le village. Ainsi, quand on passe de l’individu à l’unité collective, on passe de la notion de lieu à celle de localité. Aussi il est nécessaire de se préoccuper de la localité où l’on habite. Par exemple, les Mexicains aux Etats-Unis ont construit un champ migratoire au sud du Golfe du Mexique : la migration est rendue possible et facilitée selon des temporalités diversifiées en fonction du projet migratoire. Lorsque l’on aboutit à des durées de résidence de 2 à 3 ans aux Etats-Unis, les temporalités changent : les migrants deviennent résidents aux Etats-Unis. Temporalités et résidence doivent s’observer de façon concordante : pour ce qui est des migrations temporaires, se pose la question des échelles temporelles. Peut-être est-il alors nécessaire de revenir à la notion de résidence-base, et d’appréhender les migrations temporaires en référence à un point d’ancrage. Il faut alors pouvoir qualifier les lieux, en prenant en compte des éléments relatifs à la famille et aux investissements.
Ardjouma Ouattara (AO) : Dans
le cas du Burkina, quelles sont les localités qui
fournissent le plus de
main-d’œuvre à la ville ? Que
font les migrants quand l’activité
économique en ville cesse ? Il faut pouvoir
distinguer les étapes
migratoires jusqu’à Ouagadougou, et les
déplacements au sein de la ville en vue
de l’accession à une parcelle. Les
enquêtes à passages
répétés permettrent de
saisir ces différentes mobilités.
Communication
de Françoise Dureau (FD) : L’observation
des systèmes résidentiels dans les villes
colombiennes
Il
s’agit d’une expérience
d’enquêtes dans des villes colombiennes :
comment ces enquêtes ont elles
été conçues,
réalisées ? Quels sont les
résultats ? Deux contextes
urbains ont été abordés : une
métropole de 6 millions d’habitants et des
villes champignons de petite taille dans une zone
pétrolière. Le système
d’enquête consistait à observer
différentes formes de résidence, en croisant
une approche quantitative et des entretiens semi-directifs. Au niveau
des choix
méthodologiques, l’univers concerné par
les enquêtes inclut tous les individus
pour lesquels le logement enquêté est un des
logements de son système
résidentiel, c’est-à-dire tous ceux qui
ont dormi là pendant au moins trente
jours au cours de l’année
précédent l’enquête.
Systèmes
de résidence et
mobilités furent observés tant à
l’échelle individuelle qu’à
l’échelle
familiale. La définition adoptée du
système résidentiel familial est celle
donné par Le Bris, c’est-à-dire
similaire à celle du ménage
confédéré. Le
système de résidence de l’individu se
définit comme l’ensemble des logements
habités, en fonction de l’intensité et
du rythme de présence. Les modalités
d’observation de la résidence ne concernent que le
logement. Au cours de ces
enquêtes, trois épaisseurs temporelles furent
observées : d’une part,
l’ensemble de la vie des individus de la naissance au moment
de l’enquête,
d’autre part les 12 mois précédent le
moment de l’enquête et enfin le moment de
l’enquête. Les informations recueillies concernent
toutes les résidences
principales d’ego ainsi que les dates de changement de
résidence, le système de
résidence de tous les résidents du
ménage, le lieu de résidence du ménage
et de
ses ascendants au moment de l’enquête. Cette forme
de segmentation fut imposée
par les limites de l’information recueillie par
questionnaire. Trois éléments
permettent de relier les informations : la relation de
parenté, la date et
la localisation. D’autres sources d’informations
tels que les recensements ont
été utilisées pour
caractériser ‘objectivement’ les
lieux : qualifier la
pluri-résidence implique de qualifier les lieux.
En termes de technique de collecte, furent interrogés ego ainsi que sa parenté afin de mettre en évidence le système de résidence individuel, notamment un calendrier où sont notés l’ensemble des séjours d’au moins 30 jours. L’information recueillie pour chacun des logements concerne le nombre de jours passés, le rythme de fréquentation, la localisation, la nature du logement ainsi que la raison du séjour. A partir de ces données de base, des variables synthétiques ont été construites, telles que la densité de résidence (nombre de jours dans le logement par rapport au nombre de jours d’observation), le système de résidence.
Au niveau
des résultats,
pour ce qui est des villes pétrolières, les
systèmes résidentiels bipolaires
sont plus fréquents chez les hommes, selon un mode de vie au
long cours, avec
des séjours dans l’autre résidence
selon des rythmes variés (fréquence
lié à
l’emploi et non à la distance).
L’hébergement des non permanents par les
permanents est également très
fréquent, en fonction d’une dynamique du
marché
du logement dépendante des temporalités
pétrolières. A Bogota, apparaissent des
systèmes résidentiels familiaux avec une grande
concentration résidentielle des
familles, une concentration des familles, des trajectoires
résidentielles
individuelles conservant l’accès à la
famille, un statut d’accédant à la
propriété se distinguant par la moindre
proximité familiale, un jeu entre
l’histoire de la ville et celle de l’individu.
L’objectif de ce type d’analyse est de comprendre les dynamiques des territoires : en quoi la pluri-résidence transforme les territoires ?
Bernard Bensoussan (BB) : Mobilité et éléments de la pluri-résidence chez les jeunes de la région lyonnaise
[Voir communication par l’auteur]
Discussion générale
EL : Le questionnement s’articule autour de la qualification et de l’usage des lieux de résidence, mais qu’en est-il lorsqu’il y a de l’itinérance sans logement ? Qu’en est-il des sans logis ?
FD : Le terme de logement peut se
réduire au lieu où les gens dorment
sans qu’il y ait nécessairement de toit et de
murs.
Véronique Dupont (VD) évoque des enquêtes menées auprès des sans-abri dans la vieille ville de Delhi, qui avaient permis d’appréhender le système résidentiel de cette population particulière. La population cible de l’enquête était constituée des personnes dépourvues de logement, si précaire soit-il, et dormant dans les espaces publics ou dans les asiles de nuit gérés par la Municipalité, dans l’enceinte de la vieille ville. L’identification de cette population faisait référence à une situation de fait (l’absence d’abri) à un moment donné dans un endroit donné (pendant la période d’observation à Delhi). Mais cette situation observée à Delhi ne correspondait pas nécessairement un état permanent et pouvait être compatible avec l’existence d’un domicile et d’un foyer dans un autre lieu, en particulier dans le village d’origine.
Dans cette
enquête, le
concept de résidence et de logement a dû
être adapté à la situation des sans
abri : en
guise de ‘logement’ , ont
été considérés les lieux ou
aires de couchage à l’extérieur
(segment de trottoir,
aire de marché, etc.), les asiles de nuit ainsi que les
lieux de travail
(chantier, boutique, carriole, etc.). Pour appréhender le
système résidentiel
des sans abri, trois échelles de temps ont
été considérées :
l’année, de
manière à appréhender et les
migrations saisonnières et certaines circulations
entre Delhi et le village d’origine ; une
période pluri-annuelle, dans la
mesure où certains migrants sans logis n’ont pas
les moyens de revenir chaque
année dans leur village d’origine ; tout
le cycle de vie de l’individu, de
manière à appréhender les retours au
village après la période
d’activité en
ville. Deux cadres spatiaux ont également
été considérés pour
l’analyse : l’espace
de vie
englobant Delhi (lieu
de travail et de
résidence – l’espace de vie du
quotidien) et le village ou la ville d’origine
(lieu d’implantation de la famille – un
pôle de référence pour le migrant) afin
d’appréhender les circulations au sein de cet
espace ; l’agglomération
urbaine de Delhi, afin de saisir la succession des lieux de couchages
ou, dans
certains cas, une combinaison de lieux de couchage avec une alternance
régulière selon la saison par exemple.
Le terme de
« pluri-résidence »
peut-il alors s’appliquer au cas de
succession de lieux de couchage dans la ville? ou ne doit-on
pas plutôt le
réserver au cas d’alternances de lieux de couchage
ou de
résidence (au sein de Delhi, ou entre
Delhi et
d’autres localités
extérieures) ?
MB :
Le terme de système
résidentiel pose problème dans la mesure
où les logements résultent d’un
bricolage économique. Peut-on donc parler de
système résidentiel ? Est-ce
qu’il faut caractériser les membres
d’une même famille ? Qu’en
est-il du
statut du logement ?
FD : Il faudrait le prendre en compte : dans les villes pétrolières on s’est intéressé seulement à la localisation, à l’activité et aux transferts d’argent. Mais il faudrait aussi prendre en compte le statut d’occupation du logement, bien qu’il ne soit pas constitutif de la notion de résidence. Il faudrait voir comment l’individu compose avec un lieu ou plusieurs lieux, comment il s’y ajuste, et quelles sont les fonctions assignées à ses lieux.
Michelle Guillon (MG) évoque
l’exemple des Tsiganes à partir d’une
étude
réalisée sur une aire de stationnement. Le
règlement municipal impose de ne pas
rester plus de 6 mois sur cette aire : certaines familles
partent
simplement 5 ou 6 jours avant de revenir. Par ailleurs la
mobilité avec une
caravane, qui n’est pas considérée
comme un logement, pose problème puisqu’elle
n’ouvre pas de droits locaux : pour la commune
d’accueil, ces populations
ne sont pas considérées comme des
« résidents », alors
qu’en fait,
elles habitent la commune en permanence.
Jean-Pierre Lévy (JPL) : Croiser pluri-résidence et territoire conduit à s’intéresser à l’inscription de l’ensemble des pratiques des lieux habités. Etudier la pluri-résidence amène alors soit à se fixer sur des populations particulières (migrants, commerçants, étudiants) en faisant l’hypothèse de l’existence à minima d’un système de bi-résidence, soit à se focaliser sur des lieux susceptibles d’attirer ces populations particulières. Au final, n’a-t-on pas affaire à des territoires ou des lieux qui, au vu de leurs caractéristiques, attirent des populations ? D’où alors le passage à la question de la polarisation. Il est nécessaire d’inscrire l’analyse de la pluri-résidence dans une réflexion sur les formes d’appropriation des territoires.
BB : Question des territoires et de la pluri-résidence : certains territoires, comme certains quartiers d’agglomération, se vident de leurs populations le vendredi soir jusqu’au lundi ; par conséquent le territoire s’en trouve transformé, le régime d’activités étant bas. C’est le cas par exemple dans les villes ou quartiers attirant une importante population d’étudiants. Il faut alors également analyser ce qui se passe du côté des communes d’origine, lorsque les étudiants (par exemple) rentrent chez eux : le fonctionnement des communes se trouvant transformé lors de ces retours.
EL :
Le croisement entre pluri-résidence et territoire oblige
à mettre en place un système
de collecte qui prévoit de recenser l’ensemble des
lieux fréquentés avec le
nombre de jours passés dans chaque lieu –
d’où une ouverture vers les pratiques
résidentielles. Dans le cas des vacances, se pose le
problème de la fixation
d’un nombre minimum de jours passés en un lieu
pour que ce dernier soit
recensé. Il serait intéressant de voir comment,
en fonction du seuil choisi,
varierait la fréquence des pratiques de
pluri-résidence ; cette donnée
serait à confronter avec les perceptions que les populations
en question ont de
leurs pratiques.
Philippe Hamelin (PH) : On ne dispose pas de mesure générale de la pluri-résidence. La pluri-résidence est souvent découverte à l’occasion d’études centrées sur autre chose. Selon le niveau auquel on choisit de la décrire, elle concerne ou non un nombre important de personnes ; tout dépend également de la période d’observation.
JPL : En France,
l’INSEE a tenté de mesurer la
pluri-résidence des ménages
bi-actifs. Par ailleurs, on connaît aussi le nombre de
résidences secondaires
(une forme de pluri-résidence potentielle), mais sans le
nombre de nuitées
passées.
Nicolas D’Andrea (ND) :
Sur la
frontière entre la Bolivie et l’Argentine
(contexte de villes minières), la
pluri-résidence apparaît comme volatile. La
pluri-résidence intervient dans un
contexte de croissance : la pluri-résidence est
fonctionnelle, elle peut
alors disparaître ou se déplacer ailleurs. La
contextualisation de l’étude, le
moment où l’on fait l’enquête,
sont ainsi primordiaux.
BD : La définition de
la pluri-résidence n’est toujours pas
évidente.
Comment allier –et peut-on allier–
pluri-résidence et nomadisme ? Les
questionnements méthodologiques dépendent aussi
de l’objet de la recherche.
EL :
L’objectif est de se mettre d’accord sur
les éléments constitutifs d’une
définition de la pluri-résidence.
Il
semble ainsi nécessaire de prendre en compte tout lieu dans
lequel on dort pour
définir la pluri-résidence.
FD : Dans le cas des villes
minières et pétrolières, il est
obligatoire de
prendre en compte la multi-résidence.
Il
s’agit aussi d’apporter des réponses
à la demande de ceux qui gèrent ces lieux.
La réflexion doit s’inscrire dans le cadre de la
problématique de construction
et d’appropriation des territoires. La notion de
‘densité de résidence’ (ou
présence relative en un lieu) permet de proposer une mesure
opératoire. On peut
faire varier le critère de nombre de nuitées
minimum en fonction du contexte.
Les grosses enquêtes statistiques permettent de mettre en
œuvre ce type de
collecte et de mettre
ainsi en évidence
la multi-résidence.
Valérie Golaz (VG) :
Il faut
peut-être réfléchir à
différentes définitions possibles (de la
pluri-résidence)
en fonction du contexte de l’étude et de
l’objectif de la recherche, et ne pas
s’en tenir à une définition unique.
Selon le seuil minimum de nuitées fixées,
le nombre de pluri-résidents va nécessairement
varier. Par exemple, dans le
sud-ouest du Kenya a été effectuée une
enquête concernant les lieux de passage
avec une durée de plus de 7 jours. Sur
l’année, seront pluri-résidents ou non
certains types de populations. On observe ainsi des mouvements
saisonniers, des
mouvements entre terres possédées et terres
louées et des mouvements liés à la
polygamie (hommes naviguant entre les domiciles de leurs
différentes épouses
–ce qui correspond à un certain type de
pluri-résidence ).
JPL :
L’enquête sur les rapports résidentiels
dans les centres-villes anciens a
produit des données sur les durées de
résidence dans le quartier, les usages,
ainsi que les durées de plus de 24 heures passées
hors du domicile. Certaines
familles cumulent une faible présence dans le quartier et
dans le logement, et
inversement d’autres familles sont très stables.
La pluri-résidence renvoie à
un système d’appropriation des lieux : il
s’agit du rapport de la société
au territoire.
MG :
A propos de la caractérisation des lieux par la
pluri-résidence : les
villes universitaires font effectivement apparaître la
pluri-résidence. Autre
exemple, à partir d’enquêtes
effectuées dans le 16e arrondissement :
en semaine les enfants et les bonnes étaient
présentes et visibles dans les
jardins publics, alors qu’au cours du week-end, ces derniers
étaient occupés
par les populations espagnoles et portugaises, car les
Français étaient dans
leur résidence secondaire. On a donc deux formes de
pluri-résidence qui
agissent sur un lieu. Il y a changement
de l’usage des lieux en fonction des formes de la
pluri-résidence.
BB : (En
référence à
l’enquête sur les rapports résidentiels
dans les
centres-villes anciens). Il est nécessaire de recueillir les
temporalités des
pratiques et des lieux– d’où un premier
écueil, étant donné la
diversité de
perception du fait de résider. Enfin, un des enjeux de la
pluri-résidence
apparaît en situation de crise : on va habiter chez
d’autres, on retourne
chez ses parents en cas d’échec. Des
réseaux conjoncturels sont produits par la
pluri-résidence.
MB : Il faut
décloisonner le rapport aux lieux. Le critère
objectif de la
durée ne peut suffire dans l’approche de la
pluri-résidence. S’en tenir à la
mesure de la fréquence de présence en
différents lieux n’est pas satisfaisant
si l’on ne prend pas également en compte
d’autres pratiques, en particulier
l’activité économique et les pratiques
de pluri-activités.
DO : Un des premiers objectifs
est d’amener les responsables des grosses
enquêtes et des recensements à intégrer
certaines questions pour appréhender la
pluri-résidence ; il reste à
définir quelles questions. Un deuxième point
est que l’on mesure pour comprendre et expliquer. En
conséquence, on ne peut
mesurer la pluri-résidence qu’en fonction de la
problématique de la recherche.
En fait, la mesure dépend de ce que l’on veut
étudier ; les conditions de
la mesure peuvent diffèrer.
FD : Certains questionnements ne
sont pas adaptés à des grosses enquêtes
statistiques, comme appréhender l’attachement aux lieux et
l’investissement dans différents
lieux .