Atelier Mobilité et Résidence, 16 & 17 novembre 2004, Nogent-sur-Marne
Compte-rendu de la
séance :
Logements multiples, territoires éclatés
Par
Matthieu GIROUD (Université de Poitiers –
Migrinter) et Marie-Caroline
SAGLIO-YATZIMIRSKY (INALCO)
Communication de
Catherine Bonvalet (CB) : De la résidence
principale à la
multi-résidence
L´intérêt
pour la pluri-résidence n´est pas
seulement une question de mode (‘il faut être
mobile’), mais vient de ce
qu´elle oblige à remettre en cause des
schémas de pensée et des concepts comme
ceux de ménage et de logement.
CB a abordé la question de la pluri-résidence en
travaillant sur le patrimoine immobilier au cours du cycle de vie et
selon les
catégories sociales (CS) (enquête biographique sur
l’Ile de France). Un des
questionnements était : pourquoi les ouvriers
qualifiés et les employés
étaient pour 16% propriétaires ? Il a
vite été nécessaire de
dépasser la
catégorie « résidence
principale » et de revoir la notion de
propriété (il est indispensable de reconstruire
nos catégories en fonction des
problématiques de travail).
Il est apparu que de nombreux individus ne
sont
pas propriétaires de leur résidence principale,
mais d´une autre résidence (au
« pays » pour les migrants, dans
la province d´origine pour les
provinciaux, etc.), ailleurs ; ce qui oblige à
penser la pluri-résidence.
De 16%, on passe alors à 48% de propriétaires.
Pour de nombreux individus de
nationalité étrangère, le projet de
retour était effectif (Portugais,
Espagnols, Italiens et un peu moins pour les Nord-africains ;
en 1986,
mais cela semble évoluer actuellement). Ceux qui ont
accédé à la nationalité
française ont plutôt eu une accession à
la propriété en France. Il a donc
été
indispensable de recalculer un taux de propriétaires en
prenant en compte tous
les logements. Ainsi, la différence entre
l’Ile-de-France et les autres régions
françaises s’estompe (en Ile-de-France :
moins de propriétaires de
résidence principale, mais plus de résidence
secondaire).
Ainsi on rompt avec l´analyse fondée sur le lieu
de logement pour réfléchir à la
multiplication des lieux d’habitat qu’expriment
des notions comme « espace
résidentiel » et «
système
résidentiel ». Ces notions renvoient non
pas à l’idée de succession, mais
bien à celle de double appartenance, avec ajustement
spatial.
Une
série de questions mériteraient
d’être
travaillées :
- En quoi la
résidence secondaire explique la
résidence principale ? (système
très fort en Espagne où la résidence
principale est vécue comme un prolongement du travail, et la
résidence
secondaire comme le lieu des loisirs)
- Comment travailler sur le « système
résidentiel » ?
(propriété, attachement, etc)
- Sur les comportements familiaux : pratique
de groupe / pratique individuelle ; maison
secondaire comme le
lieu de l’espace et de la recréation du lien dans
la famille ; faire
« maison à
part » :
l’investissement par un des conjoints de la
résidence secondaire de la
famille ; les enfants / familles
divorcées (avant :
fractionnement avec le passage chez les grands parents).
Discussion
Jean-Pierre
Lévy (JPL) :
Que se
passe-t-il s´il n´y a pas de résidence
secondaire ? Comment comprendre la
résidence principale quand on n’a pas de
résidence secondaire ?
CB répond qu´il y a toujours un
échappatoire.
Beaucoup de gens ont un ailleurs : une caravane, un jardin
ouvrier. Et si
la ségrégation était
précisément ne pas pouvoir
s´échapper de sa résidence
pour une autre (ceux qui peuvent sortir de la résidence
principale et ceux qui
ne peuvent pas) ?
Monique
Bertrand (MB) : Il n´y a pas
pour autant ubiquité résidentielle. Par ailleurs,
est précisé au sujet du
travail de CB au milieu des années 80, qu’il
n’y a pas eu d’erreur (dire
« c’est faux, on s’est
trompé »), mais un regard inscrit dans un
temps donné et dans un type de questionnement.
CB répond que par rapport à une
interrogation sur
les logiques d’accumulation du patrimoine, les chiffres
obtenus n’étaient pas
bons. C’est pour cela qu’a
été présentée ici une
démarche. Par ailleurs, il est
nécessaire d’intégrer
d´autres notions que celle de la
propriété, dont celle de
jouissance et d´attachement. Il est question de
l´utilisation, plus que de la
possession. Il faut différencier la résidence
secondaire et l’utilisation d’un
autre lieu, un autre lieu d’attachement.
Michelle Guillon (MG) remarque
que la résidence importante est
celle « où on met ses
billes ». Typiquement, dans la cité de
classes
moyennes, il y a fréquemment une
propriété ailleurs, qu´on
fréquente de manière
alternée, celle qui est héritée,
qu´on rénove, où on retrouve les
enfants, etc.
Jean
Pierre Guengant (JPG)
remarque
qu´il est nécessaire de préciser ce
qu´on mesure et pourquoi, et de prendre en
compte d´autres critères importants (par exemple,
le lieu de vote, des impôt
locaux).
André
Quesnel (AQ) fait valoir que
l´idée de restituer la multiplicité des
lieux fréquentés (pour plusieurs usages) permet
d´éclairer la valeur
patrimoniale de la résidence. Dans le temps, les
référents résidentiels
changent (valorisation dépendante de la stratégie
de constitution du
patrimoine, pour la retraite, etc.).
Bernard
Bensoussan (BB) demande
si on peut faire fi des catégories de désignation
traditionnelles (ou des catégories
réappropriées par la population) et
intégrer
les notions de temps-durée-rythme soulignant la
représentation du lieu et de
l´historicité. L´investissement
symbolique des lieux (par exemple dans le cas
des populations étrangères ou des migrants
internationaux) est fondamental.
CB rappelle qu’A. Tarrius a
montré que de nombreux
cadres ayant besoin de l’avion de manière
récurrente avaient leur résidence
principale à proximité de
l’aéroport, mais leur investissement
était ailleurs,
dans leur résidence secondaire.
VG revient sur la définition des
lieux de
résidence. Avoir une résidence secondaire peut
entrer dans la définition de la
pluri-résidence, mais est-ce suffisant ? Il faut
une circulation minimale
entre plusieurs résidences pour faire sens. Par ailleurs, le
critère important
est la fréquentation du lieu (plus que le lieu où
l´on paye les impôts locaux,
ou celui où l’on vote, etc). Un
parallèle est fait avec l’Afrique :
combien de migrants en ville ont gardé une
parcelle ? et circulent ?
FD remarque qu´une des
difficultés de la notion
de pluri-résidence est qu´elle convoque
à la fois des travaux quantitatifs et
qualitatifs (sur les pratiques et représentations des
lieux). La question de
fond est bien l´observation de pratiques de lieux :
comment observer une
fréquentation, une présence dans des
lieux ? Il faut donc avancer sur le
qualitatif et le quantitatif. Mieux observer la
multi-résidence permet une
meilleure gestion au niveau local : comment observer la
multi-résidence
pour produire de l’information qui permette de
gérer les lieux ?
CB fait remarquer que l´INSEE a
évolué dans sa prise
en compte de la notion ; il intègre
désormais : la résidence
secondaire, le logement occasionnel, le logement des enfants.
JPL souligne le progression thématique et
théorique
vers
l´ « habiter ».
Il rappelle que le passage de l’assignation
au point fixe vers le point multiple est à replacer dans son
contexte
historique, en rapport à la recomposition sociale et
à l´emploi. En
l´occurrence, au début du siècle, le
patronat a eu tendance à fixer la famille
sur le lieu de travail, puis lieu de résidence et lieu de
travail se sont
déconnectés progressivement (vers la
multi-résidence et la multiplicité des
lieux habités). Cantonner la réflexion dans les
cadres fixes de la résidence
représente un danger. Il faut faire
référence aux mouvements sociétaux
plus
larges. La transformation du rapport à l’espace et
au travail est un signifiant
profond.
BB remarque qu’à Lyon, au XIXe,
il y a eu
l’assignation à des territoires de
l’ensemble des strates qui font les
dimensions de l’activité des personnes :
l’emploi, la formation, les
réseaux de relation (réseaux de relations,
familiaux, professionnels). On avait
une superposition des réseaux, une articulation entre les
réseaux qui amenaient
à réfléchir en termes de micro
territoire (peu de mobilité). Autant de
situations qui excluaient la multi-résidence (sauf chez les
journaliers, qui
étaient des nomades).
En réponse à JPL, CB note
que « on » a voulu
assigner la
famille à un lieu pour fabriquer « de la
famille » et moraliser.
Aussi, la fixation par le patronat a une dimension plus politique
qu’économique. Elle souligne
l’importance du politique et de la morale.
Actuellement, on n’a plus besoin de cela :
actuellement pour travailler
sur la famille, il est impossible de partir du lieu, il faut partir des
réseaux, aller voir ailleurs.
JPL remarque que tout cela n’exclut pas
l’économique.
Tout est relié..
Communication
de Roselyne de Villanova (RdV) : L´alternance
résidentielle des migrants portugais :
investissements affectifs et
économiques
Depuis
1976, RdV effectue un travail sur les
trajectoires résidentielles des immigrés
portugais en France. Au cours des ses
enquêtes qualitatives à Paris (sur
différents groupes/durée intéressante
pour
travailler sur les migrations) sur les maisons construites au pays,
puis sur
l’accession à la propriété
en France, RdV met en lumière les systèmes de
résidence et les pratiques d´alternance.
Les Portugais sont exemplaires des
stratégies
résidentielles et de mobilisation des ressources
financières pour nourrir ces
stratégies (stratégies résidentielles
plus importantes que recherche
d’ascension professionnelle). Dans l’ouvrage « D’une maison
l’autre », il a
été montré que les
pratiques de l’alternance sont plus visibles pour les
Portugais mais ne sont
pas forcément plus spécifiques que pour les Turcs
ou les Africains d’Afrique de
l’ouest par exemple (lié au fait que les Portugais
sont présents de puis plus
longtemps en France).
Le travail sur la
« double-résidence »
pour les immigrés allait contre le discours dominant en
France (les immigrés
sont des personnes vivant dans un habitat
précaire ; pessimisme ;
ignorance). A partir d’un travail sur quatre villages au
Portugal, il est
apparu qu’il existe un décalage entre le logement
possédé au pays et celui en
France (renversement de la hiérarchie et des alternatives).
Au fil du cycle de
vie, les projets évoluent, mais la famille portugaise
(surtout du Nord) reste
un pouvoir local et représente une puissance affective qui
sous-tend les
stratégies résidentielles.
Second
point : RdV travaille aujourd´hui sur
les enfants des ces immigrés et regarde ce qu´ils
font ou vont faire de la
maison des parents. Par ailleurs, il est remarqué que les
enfants sont nombreux
à acheter (avec le capital des parents) plutôt en
France ; même si les
stratégies résidentielles sont
compliquées.
La double résidence permet que
la famille se
regroupe, mais selon des stratégies
différenciées. Il y a des différences
entre
les hommes (qui veulent plus volontiers rentrer au pays) et les femmes.
Les
enfants peuvent choisir un autre pays (autre que la France ou le
Portugal).
La double-résidence permet de
pratiquer l´alternance, l´alternative des
lieux préférentiels, et de mettre à
proximité les membres d’une même
famille.
Le lien avec les ancêtres reste important ; tout
comme le fait que le lieu
d’origine est aussi le lieu de la mort (surtout pour la
première génération) :
Donc alternatives
de lieux préférentiels pour s’adapter
aux projets des uns et
des autres.
RdV
fait un aparté sur l’intérêt
porté aux
pratiques de semi-nomadisme de populations qui ont
été nomades (populations
agro-pastorales) : évocation de la
mémoire des pratiques anciennes
répercutées
dans des stratégies résidentielles actuelles
(comme par exemple le travail de
Castro, sur les gitans au Portugal : population
assignée à résidence, mais
qui circule encore...ou plante des tentes dans les cours des
immeubles :
travail sur la Mauritanie ; sur les yourtes).
L’intérêt est porté sur la
mémoire et les emprunts culturels dans les formes de
l’habitat (organisations
des espaces, matériaux, etc.).
RdV pense qu’il est important
de revenir sur la question de la double-résidence. Par
exemple; les Portugais
des USA construisent une maison au pays mais n’y vont que
rarement (en
France : trois retours par an en moyenne). Il est important de
regarder
les critères comme la distance géographique ou le
choix des métiers. A ce
sujet, les Portugais émigrés au Brésil
ont investi leurs capitaux dans des
boulangeries, et en tant que bailleurs. Les deux critères,
recherche
d’ascension résidentielle et/ou
d’ascension professionnelle, entrent en jeu. En
France, celui de l´ascension résidentielle a
été prioritaire pour de nombreux
immigrés.
Il est nécessaire de voir
aussi d’autres variables influant comme la politique de
crédit (exemple du
Portugal : taux zéro pour construire une maison);
la nature de l’accueil
dans les pays d’accueil ; la situation dans le pays
d’origine...
Discussion
FD remarque que le Portugal a beaucoup
changé sur
les vingt dernières années. Comment ce changement
s´est-il répercuté sur les
stratégies résidentielles ? En quoi les
pratiques résidentielles et les
investissements changent ? Comment les immigrés
participent à ce
changement plus global ?
RdV
répond qu´on observe en effet un nouveau type
d´achat dans le
Nord du Portugal ou sur la côte (ce peut être un
troisième achat, un logement
qu´on va louer par exemple) : après les
deux maisons (au pays et dans le
pays d’accueil), on trouve des investissements immobiliers
pour devenir
bailleurs. La préférence régionale
joue encore, ainsi que le choix de la
proximité. La maison au village n’est elle jamais
louée. A Lisbonne, ceux qui
achètent sont ceux de la région de Lisbonne. Mais
le développement massif de
Lisbonne est un phénomène récent. On
connaît le cas d’une famille qui a
acheté
un appartement à Lisbonne pour leur fille qui
prévoyait d’y travailler. Elle
est revenue au bout de trois ans.
MG demande si il
y a un rôle des lieux d’origine des
immigrés
portugais quant aux multiples investissements au pays ?
Beaucoup de
Portugais du Canada viennent des Açores et cherchent moins
à investir au
pays...RdV
répond par l’affirmative.
Communication
de Abdelkader Hamadi (AH) : Trajectoire
spatiale et mobilité résidentielle :
l’exemple des rapatriés
d´Algérie à
Roubaix
AH
étudie à Roubaix la première
génération des
rapatriés (harkis) (50-60 ans) et la seconde
génération. Ses sources sont les
recensements de 1968 et les archives départementales. Il
revient sur l´arrivée
à Roubaix, ville vétuste, industrielle et
populaire. Les rapatriés se logent
dans le parc roubaisien de l´époque :
maison en courée et en front de rue.
Il conclut que le parcours
est calqué
sur l´offre de la ville ; offre qui
évolue aujourd´hui puisque Roubaix
fait l´objet d´une politique de
rénovation. Ceci va modifier les stratégies
résidentielles des enfants des rapatriés.
Discussion
VG
demande
s’il y a des expériences de résidences
multiples caractéristiques de ce groupe ?
CB conclue que dans ce cas la double
résidence est
interdite : c’est l’antithèse
du cas portugais. Il y a une conduite
d’auto-censure. La résidence d’origine
est interdite.
MG A propos du sentiment partagé chez ces
individus
de se sentir « plus roubaisiens que
roubaisiens », cela rappelle le
sentiments partagés par les naturalisés,
à Paris (« plus parisiens que
parisiens »). On est dans le cas où les
liens avec les lieux d’origines
sont coupés. Par ailleurs, est précisé
qu’il y a eu des cas de Portugais qui
ont investi dès leur arrivée en France.
L’investissement en France a même
précédé le réinvestissement
au Portugal (exemple des bidonvilles à Paris
réaménagés et des maisons
auto-construites ; exemple de villages
délabrés
près de Clermont-Ferrand, complètement
« rénovés »
par les migrants).
Enfin, à propos des achats sur la côte, cela
rappelle certains investissements
des Espagnols de Paris, ayant acheté sur la côte,
mis n’ayant jamais habité
leur maison. Cela représente un revenu.
VG dit que ces deux présentations sont
caractéristiques de la multi-résidence dans le
cadre des migrations
internationales (retour possible et retour impossible,
d’où des investissements
différentiels dans la résidence principale).
L’aspect politique dans les pays
d’accueil et d’origine est important.
JPL souligne qu´il y a effectivement une
différence
importante entre les
deux : les
Harkis sont dans l´impossibilité de revenir. Du
coup, les schémas décrits (de
mobilités résidentielles) sont des
schémas proches de ceux des non immigrés.
AH répond que dans les cas des
rapatriés, on est
plus dans l´investissement symbolique, à
l’intérieur du logement notamment.
Toutefois, on observe des cas de retours très
récents, dans le cas des
investissements de la seconde génération
à Agadir.
AQ fait remarquer qu’on parle maintenant non
plus
d’individus, mais de lieux bâtis. Ces multiples
lieux, de natures différentes,
sont investis et valorisés différemment, et sont
aussi fonction des politiques
urbaines
RdV souligne que les enfants vivent
l´interdit des
parents, d’un retour potentiel,...même
s’il a été dit que ceux de la seconde
génération y vont en vacances. Sur trois
générations parfois, le retour n’est
plus forcément un interdit...
AH précise
que les harkis ne conçoivent pas de constituer un patrimoine
en Algérie, et
comptent sur le réseau familial pour y revenir
ponctuellement au pays.