Atelier Mobilité et Résidence, 16 & 17 novembre 2004, Nogent-Sur-Marne



Migrations et systemes residentiels familiaux : le cas des familles cochabambinas

Par Audrey GAUVIN (Université de Poitiers - Migrinter)

 

Contexte

Le département bolivien de Cochabamba est à la fois un important département d’immigration à l’échelle nationale (les migrants proviennent majoritairement des zones rurales et minières de l’Altiplano) et un foyer d’émigrants à l’échelle internationale. L’émigration internationale cochabambina  temporaire ou durable est due à de multiples facteurs donc celui de la pression démographique croissante dans les campagnes[1]. L’ancienneté, l’intensité et la diversité des dynamiques migratoires et territoriales à Cochabamba, font de ce département et de sa capitale en particulier, un riche laboratoire d’observation en matière de migration nationale et internationale. 

Afin de survivre dans les vallées de Cochabamba, de nombreux Boliviens migrent en Argentine[2] durablement  (plusieurs années en forme continue) ou temporairement et saisonnièrement, en confiant à leurs épouses le soin de s’occuper des enfants et de l’exploitation agricole (Cortes, 1998 :267). En quête d’une source de revenu complémentaire ou d’un emploi de substitution à l’étranger, de nombreux Cochabambinos ruraux comme bien d’autres populations sud-américaines[3], ont développé au moyen de leurs migrations temporaires, de leurs « systèmes de mobilité [4]» (Cortes, 1998), des stratégies de subsistance élaborées et réactualisées au gré des conjonctures locales, nationales et internationales, au sein desquelles les membres de leurs familles, migrants comme non migrants, participent activement. De nombreux auteurs ont souligné la dimension circulatoire[5] des migrations internationales des Cochabambinos ruraux (Anderson 1981; Blanes, 1986; Balan et Dandler, 1987; Dandler et Medeiros, 1991; Benencia et Karasik, 1995; Cortes, 1998 ; Hinojosa et al, 2000) autrement dit la « réversibilité de la migration » (Domenach et Picouet, 1987). La dimension circulatoire des migrations internationales des Cochabambinos ruraux, permet aux migrants et à leurs familles de multiplier leurs activités rémunératrices en divers lieux, de compter sur la complémentarité de leurs activités pour assurer leur survie parfois même l’enrichissement de celle-ci (Cortes, 1998). Au niveau spatial,  la circulation des migrants ruraux se traduit par la dynamique de « regroupement-dispersion » spatial des membres de la famille.

 

Objectifs et problématique

Dans le cadre de ma thèse, j’ai cherché à analyser, dans une vision multiscalaire et sur des temporalités variées, les migrations (internes et internationales) et les modes d’habiter les villes des Cochabambinos urbains (présence dans la ville, rôle dans la production de l’urbain, etc.). J’ai fait l’hypothèse que la localisation résidentielle de la parentèle de ces migrants pouvait y jouer un rôle important. Expliciter la manière selon laquelle les migrants internationaux Cochabambinos urbains se déplacent, utilisent et s’insèrent successivement ou simultanément dans des villes en Bolivie et à l’étranger,  rendre compte de l’éclatement résidentiel des familles élargies de ces migrants, déceler des systèmes résidentiels familiaux[6] et leurs évolutions, tels sont les objectifs de ma recherche.

La ligne de questionnement de cette étude s’inscrit dans la problématique suivante. Quelles sont les trajectoires[7] et les pratiques résidentielles[8] des migrants internationaux cochabambinos urbains ? Dans quelle mesure leurs trajectoires et leurs pratiques résidentielles s’inscrivent t-elles dans les dynamiques migratoires internes boliviennes et dans le système migratoire bolivien-argentin ? Quels modes d’habiter les migrants urbains ont –ils adopté dans chacune des villes dans lesquelles ils ont résidé ? Plus exactement, comment participent-ils à la production des villes, en particulier d’Ushuaia, de Buenos Aires et de Cochabamba ? Dans quelle mesure les trajectoires et les pratiques résidentielles des migrants cochabambinos urbains mettent –elles en évidence des pratiques multi-résidentielles ? Des phénomènes de circulation (transfrontalière, interurbaines en Argentine) ? Les circulations des migrants ont-elles pour support les logements des membres de leurs familles ? Autrement dit,  peut-on observer des systèmes résidentiels familiaux ? Auquel cas, comment, sur le temps long, les morphologies des systèmes résidentiels familiaux boliviens évoluent-elles ?

 

Aspects généraux de la méthodologie

J’ai choisi de mener une analyse multi-sites. C’est dans le cadre de la triade urbaine internationale : Buenos Aires (pole traditionnel de l’immigration bolivienne) - Ushuaia  (pôle migratoire, qui selon nous, n’a pas fait l’objet d’étude) - Cochabamba (capitale du département d’origine des migrants) que mes recherches ont été menées (15 mois de terrain réparties sur les années  2002, 2003 et 2004).

Au point de vue de la démarche méthodologique, j’ai mené une double observation des migrations : longitudinale et transversale. En bref, l’observation longitudinale s’attache à reconstituer la succession la trajectoire résidentielle (Figure 1. Trajectoire résidentielle d’un membre de la famille Santa Cruz) et professionnelle de la personne (depuis sa naissance jusqu’au moment de l’enquête) ainsi que d’évènements tels que mariage, naissance des enfants, etc. Ce type d’observation permet d’analyser la trajectoire de la personne enquêtée et de la relier le cas échant à de grands courants migratoires, à des pratiques résidentielles particulières, à la comparaison entre différentes trajectoires migratoires résidentielles et professionnelles entre les personnes enquêtées et  à mettre en évidence parfois de régularités caractérisées par une certaine « communauté  de destin » (Grafmeyer,1994 :23)..Le terme de « communauté de destin » fait ici écho à des logiques collectives de mobilité et à la question des filières migratoires : à leurs existences, consolidations ou au contraire à leurs disparitions progressives et probablement à l’émergence de nouvelles filières migratoires. L’observation transversale consiste à observer la situation familiale, professionnelle et résidentielle de chacun des membres co-résidents avec la première personne enquêtée à un moment donné, mais aussi de recueillir des informations sur les parents proches de la première personne enquêtée dans le foyer telles que prénom, âge, lieu de résidence actuelle, activité.

Fig. 1. Trajectoire résidentielle d’un membre de la famille Santa Cruz

  

 
Source : Elaboration propre à partir des résultats de l’enquête de Célia  réalisée a Ushuaia le 15/12/2003.

Bref aperçu des résultats

Entre autres, les résultats de ma recherche tendent à montrer :

 

Bibliographie



[1] La pression démographique est due à l’accroissement naturel et à la parcellisation des exploitations agricoles résultant de la réforme agraire de 1953.

[2] Les Cochabambinos ruraux migrent majoritairement vers l’Argentine et en moindre nombre vers les Etats-Unis, l’Europe, l’Israël ou encore le Japon (Cortes, 1998 : 267).

[3] Nous faisons en particulier référence aux actes du colloque intitulé ‘’Se fue a volver’’ portant sur les migrations temporaires de différentes populations sud-américaines (Reboratti, 1986).

[4] Le système de mobilité se définit par “l’identification des liens ou relations qu’établissent les acteurs migrants-circulants entre les différents espaces qu’ils fréquentent” (Cortes, 1998 : 267).

[5] J’entends par « circulation » l’ensemble des migrations répétitives et périodiques, des allers-retours entre au moins deux lieux impliquant des séjours alternés dans ces lieux.

[6] Le concept de système résidentiel familial fut défini comme l’ « ensemble articulé de lieux de résidence ou unités d’habitation au sein d’une famille élargie » à travers les travaux d’Emile LE BRIS et al, 1985, 1987) portant sur les stratégies résidences des familles africaines. Voir aussi à ce propos : Dureau, 2002 ; Barbary, Dureau, Hoffmann, 2004.

[7] Trajectoire résidentielle : Ensemble des lieux de résidence (pays, province, ville, village...) et des caractéristiques des logements occupés - durant au moins 1 mois en forme continue -  successivement ou simultanément par un individu au cours de sa vie (depuis sa naissance jusqu’au moment de l’enquête).

[8] Pratique résidentielle : Manière dont l’individu utilise successivement ou simultanément des logements.