table ronde, discussions et recommandations

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Les discussions ont d’abord porté, bien évidemment, sur le contenu des présentations. La première question était celle de la qualité des données disponibles. Sur les tendances de la mortalité, les démographes se sont montrés confiants, les données étant relativement nombreuses, concordantes et sûres. Il n’en va pas de même pour les prévalences des diverses maladies. Si la répartition des décès d’enfants par grandes causes n’est guère contestée, les chiffres mentionnés n’ont pas toujours une origine bien claire. Le « million » de décès annuels attribués au paludisme, par exemple, chiffre que l’on répète année après année, n’est pas compatible avec l’idée d’une incidence constante : le nombre total d’enfants de moins de cinq ans ayant beaucoup été presque multiplié par 2 en 20 ans, l’incidence aurait alors diminué de moitié... L’imprécision sur les chiffres n’est pas désastreuse en elle-même, mais elle rend plus difficile l’évaluation de l’effet des programmes mis en place pour lutter contre telle ou telle maladie.

Imprécision des chiffres, mais aussi insuffisance des analyses. On dispose ainsi de peu d’études permettant de comprendre pourquoi certains pays, pourtant plus avancés sur le plan sanitaire, ont connu des effets plus dévastateurs du VIH-Sida que d’autres au système de soins moins performant (cas du Botswana). Il faudrait aussi s’intéresser davantage aux conséquences durables des conflits sur le système de soins : totalement déstructuré pendant le conflit lui-même, il semble se rétablir très difficilement au cours des années suivantes. Les effets passent aussi, d’ailleurs, par les difficultés alimentaires et la désorganisation économique du pays (cas du Mozambique, par exemple).

Parmi les variables non prises en compte dans les diverses présentations, on a mentionné la santé de la mère. Le cas des mères décédées du Sida a bien sûr été évoqué, mais la mauvaise santé des mères peut plus généralement affecter la santé des enfants. Il faudrait aussi mieux distinguer entre la mortalité néonatale précoce et les autres décès infantiles, les causes et les méthodes de prévention pouvant être assez spécifiques. D’autres variables ont été évoquées par les intervenants, mais pas toujours suffisamment aux yeux des participants. Le rôle central de l’éducation de la mère, par exemple, est revenu à plusieurs reprises : pourtant, dans certains des exemples cités, ce niveau n’avait pas baissé et ne pouvait donc pas être directement responsable de l’arrêt de la baisse de la mortalité infantile. Dans l’ensemble, l’amélioration de l’éducation des mères reste néanmoins un objectif essentiel (voir l’initiative WHEP évoquée plus haut).

Des discussions très intéressantes ont porté sur l’impact des politiques de santé trop ciblées sur une pathologie ou une forme d’intervention. Il peut arriver, par exemple, que la mortalité des enfants séropositifs convenablement suivis et traités devienne inférieure à celle des enfants séronégatifs, qui ne bénéficient pas de la même attention. Plus généralement, on a mis en cause la tendance aux politiques entièrement axées sur le Sida, qui peuvent entraîner une détérioration des structures de soins non spécialisées et contribuer à une hausse des autres causes de décès (on a même mentionné des cas où la priorité donnée au Sida se faisait dans des pays très peu touchés par l’épidémie de VIH). Concernant le Sida lui-même, il semble que certaines politiques négligent trop la prévention, ne contribuant pas ainsi à une évolution saine sur le moyen terme.

Plus largement, c’est l’incapacité de nombreux Etats à prendre en charge les questions de santé qui a été souligné. Certes, il y a d’abord un problème de financement, y compris de la part des donneurs externes : trop souvent, comme on l’a dit, ces donneurs misent tout sur des programmes très ciblés et négligent les systèmes de soins « ordinaires » qui sont pourtant des outils essentiels pour améliorer durablement la santé des populations. On a aussi évoqué l’émigration fréquente des personnels hospitaliers, en particulier après qu’ils aient participé à certains des programmes internationaux. Mais il y a aussi des problèmes de gouvernance internes aux pays, liés à des défauts de gestion et à la corruption.

La contribution qui a suscité le plus de débats est certainement celle de P. Aaby. D’une part, il a insisté sur les effets bénéfiques non spécifiques des vaccinations : la protection contre la rougeole, par exemple, a souvent diminué la mortalité bien plus que l’élimination de cette seule maladie pouvait le laisser espérer. De ce point de vue, l’abandon ou la réduction des programmes de vaccination aura des effets négatifs. D’un autre côté, il semble que les nouveaux vaccins inactivés (tels le DTC) aient réduit les effets non spécifiques de la vaccination, spécialement chez les filles. Leur diffusion pourrait donc avoir joué un rôle dans l’arrêt de la baisse de la mortalité infanto-juvénile. Ce point est majeur, puisqu’il conduit à remettre en cause les politiques actuelles de vaccination pratiquées par les grands organismes internationaux.

Au cours de la Table ronde, Gilles Brücker (InVS) a souligné l’importance - au plan mondial - des systèmes d’information en matière de santé. On ne peut pas lutter efficacement contre une nouvelle épidémie si l’on ne dispose pas d’un bon système d’alerte en amont. A cet égard, il est instructif de comparer la situation des pays les plus avancés, où l’on monte parfois en épingle le moindre cas de telle ou telle maladie, avec celle des PED, soumis à des crises permanentes non anticipées.

Michel Brugière a rapporté l’expérience de Médecins du Monde, qui se situe essentiellement pendant des situations de crise : guerres, catastrophes naturelles, déplacements de populations... Dans ces contextes difficiles, la situation se trouve aggravée par l’éclatement des familles (du fait des morts et des déplacements) et par les crises chroniques (malnutrition) touchant souvent les mêmes populations : il faut donc traiter tous les problèmes simultanément.

Danielle Coudreau (AFD) a mentionné la faible part des fonds de l’aide française au développement allant à la santé : 4 %. L’AFD est en train de définir sa stratégie pour les années à venir, qui doit allier des aides bilatérales, des approches sectorielles, la participation à certaines actions multinationales, et l’harmonisation avec l’ensemble de ces actions. On a vu que les avis divergent sur le choix des priorités en la matière.

Guy de Thé a plaidé pour les actions multilatérales, en particulier celles soutenues par les institutions onusiennes. Il a informé de la parution prochaine, sous les égides de l’IAMP (Inter-Academy Medical Pannel), d’un important ouvrage sur la situation sanitaire dans les PED et la promotion des systèmes de soins.

Auparavant, Claire Brisset (Défenseur des enfants) avait regretté le désengagement de l’Unicef des grands programmes de vaccination, souligné le rôle majeur des guerres et celui de l’éducation des filles (déjà mentionnés plus haut). Elle a conclu en rappelant que la constitution idéale de la descendance suppose d’avoir des enfants « ni trop tôt, ni trop tard, ni trop longtemps, ni trop souvent ».

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Au total, un consensus parait s’être dégagé sur le fait qu’il importe de :

  1. suivre et d’analyser de manière plus précise l’évolution inquiétante de la mortalité infanto-juvénile en Afrique subsaharienne,
  2. mettre en garde contre les campagnes sanitaires trop « ciblées » qui détournent souvent l’attention des nombreux autres facteurs de morbidité et de mortalité et drainent parfois les aides financières de façon trop unilatérale,
  3. trouver les moyens de soutenir, surtout en zones rurales, les systèmes de santé non spécialisés, au plan financier comme à celui du mode de fonctionnement : formation médicale des personnels, statut et mode de rémunération de ceux-ci, formation au « management »,
  4. mieux évaluer les effets à moyen terme, directs et indirects, des campagnes de vaccination, notamment selon le sexe des enfants.

Résumé préparé par Henri Leridon

 

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