compte–rendu

introduction

Henri Leridon
(U569, INED et INSERM, Paris)

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Certaines évolutions démographiques focalisent l’attention plus que d’autres. La croissance de la population mondiale a ainsi longtemps tenu la vedette. La hausse de l’espérance de vie, surtout dans les pays développés où elle a atteint des niveaux insoupçonnés, la baisse de la fécondité dans les pays industrialisés, les ravages du Sida dans un certain nombre de pays en développement, ont marqué l’opinion ces dernières années. Une évolution est passée presque inaperçue : l’arrêt de la baisse tendancielle de la mortalité infantile et infanto–juvénile (en dessous de cinq ans) dans nombre de pays africains. Les courbes présentées lors du Séminaire l’ont montré de façon spectaculaire : à une tendance très régulière à la baisse a succédé dans ces pays une stabilisation brutale, voire une remontée, et ceci presque simultanément (vers 1985–1990). Cette inflexion ne peut aucunement marquer le terme normal d’une évolution qui aurait conduit les taux de mortalité à des niveaux qu’il serait difficile d’abaisser encore : la stabilisation de la mortalité avant 5 ans est intervenue, souvent, alors que le taux était encore au dessus de 150 pour 1000, ce qui reste très supérieur aux valeurs observées dans d’autres pays en développement.

Une telle évolution contrevient complètement aux objectifs fixés par la communauté internationale dans le cadre du Programme du Millénaire. Les Nations Unies avaient fixé pour objectif (numéro 4) de réduire des deux tiers, entre 1990 et 2015, la mortalité des moins de 5 ans. Pour l’Afrique subsaharienne, cela signifiait faire passer ce taux de mortalité de 185 p. 1000 (en 1990) à 62 p. 1000 (en 2015) ; or à mi–parcours, en 2003, le taux est encore de 172 p.1000 : presque tout reste à faire, et l’objectif fixé semble hors de portée[1].

L’intérêt pour la mortalité infantile se justifie d’autant plus que son niveau et son évolution sont considérés comme des révélateurs très performants de l’état de santé d’une population, et du fonctionnement du système de santé du pays concerné. On peut donc en tirer des leçons qui vont bien au–delà du seul problème de la mortalité des jeunes enfants.

Il s’est donc passé quelque chose au début des années 1990. Mais quoi ? Les soupçons peuvent se porter sur un grand nombre de facteurs, tant la situation s’est, hélas, dégradée dans de nombreuses régions d’Afrique : guerres civiles et entre pays, instabilité politique, famines et malnutrition, dégradation des systèmes de santé, recul de certains programmes de vaccination, réémergence d’anciennes pathologies (notamment le paludisme, avec les résistances acquises à certains vaccins), raréfaction de l’eau potable, et venant couronner le tout – si l’on peut dire – une épidémie d’un type nouveau faisant ses propres ravages, le VIH–Sida. Celle–ci est d’une telle intensité, dans plusieurs pays, qu’il a fallu revoir complètement les projections de mortalité. Par rapport aux évolutions espérées en l’absence de Sida, on prévoit maintenant des espérances de vie diminuées de 15 ou 20 ans, ce qui constitue une chute sans précédent en dehors des périodes de guerre ou d’épidémies sévères, qui ne durent habituellement que quelques années. Le Sida concerne aussi, malheureusement, les enfants :

directement quand ils contractent eux–mêmes le virus (le plus souvent par transmission maternelle, et avec très peu de chances de survie), indirectement quand leur père ou surtout leur mère est malade ou vient à décéder. Même si les sociétés africaines sont peut–être plus aptes que d’autres à organiser la prise en charge des orphelins, le système ne peut plus fonctionner convenablement au–delà d’un certain seuil.

Le problème est que la mortalité infanto–juvénile s’est dégradée même dans des pays très peu touchés par l’épidémie de Sida : il faut donc incriminer d’autres facteurs.

Le but du séminaire était double. D’une part, poser convenablement le constat, et d’autre part passer en revue les causes possibles. Pour le premier objectif, on bénéficie d’une situation assez favorable, dans la mesure où le niveau de la mortalité des enfants est l’une des variables démographiques les mieux connues en Afrique, grâce à trois sources principales. La première est constituée de la série des enquêtes de Démographie et de santé (EDS, ou DHS en anglais), construites pour être représentatives au plan national. Plus de 100 ont été réalisées dans 38 pays d’Afrique subsaharienne, et dans 25 d’entre eux on dispose d’au moins deux enquêtes successives : cette situation permet de mieux s’assurer de la qualité des données recueillies et de la réalité des tendances observées rétrospectivement dans chacune des enquêtes. La seconde source concerne des populations plus localisées mais permet de disposer de données encore plus fiables et plus riches : il s’agit des observatoires de population. Dans chacun d’entre eux la population d’une région précise (ensemble de villages, par exemple) fait l’objet d’un premier recensement complet, puis d’observations répétées à des intervalles aussi courts que possibles. A chaque fois on interroge l’ensemble des adultes sur divers événements ayant pu se produire depuis le dernier interview : naissance ou décès d’un enfant, mariage, décès ou émigration d’un proche, mais aussi cas de maladie, vaccinations etc. On peut par exemple s’assurer qu’une femme s’étant déclarée enceinte à une certaine date a ensuite accouché ou non d’un enfant vivant, et si celui–ci a survécu ou non. La troisième source résulte d’enquêtes épidémiologiques, ou d’essais cliniques, dans lesquels on suit le devenir d’un groupe d’enfants soumis à un risque particulier ou supposés avoir été protégés contre un risque par vaccination. Les résultats de ces diverses méthodes d’estimation de la mortalité sont présentés ci–après dans les communications de Magali Barbieri, de Benoît Ferry et de Gilles Pison.

Pour atteindre le second objectif, nous avons demandé à plusieurs experts d’analyser un facteur particulier. Peter Aaby a évoqué la situation des vaccinations en Afrique : ses constats ont particulièrement marqué les discussions, et nous y reviendrons. Marie–Claude Dop a souligné le rôle persistant des diarrhées et de la malnutrition parmi les toutes premières causes de mortalité. Dominique Roberfroid a dressé un tableau de la lente dégradation des systèmes de santé, sous l’effet de causes diverses qui ne tiennent pas qu’à une réduction globale des fonds disponibles. En commentant cette présentation, Claire Brisset a insisté sur le rôle dévastateur des conflits armés pour les infrastructures de soins, effets qui ne se limitent pas à la durée du conflit mais perdurent le plus souvent longtemps après. Enfin, Fatoumata Touré a montré que la lutte contre la paludisme était toujours d’actualité, même si les estimations du nombre de décès attribuables à cette maladie restent incertaines.

On a d’ailleurs vu là une limite de l’exercice : si les niveaux de mortalité sont, nous l’avons dit, assez bien connus, il n’en va pas du tout de même pour les causes de décès, le plus souvent non disponibles ou mal renseignées dans les sources statistiques habituelles.

La Table ronde et les discussions ont permis d’approfondir tous ces points ; il en est rendu compte plus loin.

[1]United Nations (2005). The Millenium Development Goals Report. New York.

 

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