4 - vaccination et survie des enfants en afrique

Peter Aaby
(Statens Serum Institute, Danemark, et Bandim Health Project, Bissau)

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Les observations effectuées dans le cadre d’enquêtes communautaires de santé en Guinée-Bissau depuis 1978 conduisent à remettre en cause certaines hypothèses qui sous-tendent les stratégies de prévention dans les pays à faibles revenus. À la fin des années 1970 le taux de mortalité des moins de 5 ans était voisin de 500 p.1000 ; au début des années 1980, la mortalité est remontée brutalement (Figure 1). Mais depuis 1985 les taux n’ont plus guère changé, du moins jusqu’en 2000, en dépit d’un investissement important de la part d’agences internationales dans divers programmes de santé primaire pour réduire la mortalité infanto-juvénile.

Dans les premières études communautaires conduites à la fin des années 1970, nous n’avions trouvé aucune association entre le statut nutritionnel et le risque de décès par rougeole. Ce sont surtout la forte densité de population et la sur-exposition qui apparaissaient comme les déterminants majeurs des cas de rougeole sévères. La rougeole est considérée comme un exemple typique dans lequel la vaccination pourrait n’avoir qu’un effet limité si les enfants fragiles risquent tout simplement de mourir d’une autre cause quand ils sont protégés (par vaccination) contre la rougeole. Pourtant, nous avons observé une association entre l’introduction de la vaccination contre la rougeole (MV= Measles Vaccine) au début des années 1980 et une division par trois de la mortalité, réduction qui ne peut donc pas s’expliquer par la seule prévention de la rougeole (Figure 2). Des observations similaires ont été faites en plusieurs endroits du tiers monde, et quelques enquêtes randomisées ont confirmé ces observations. On a aussi constaté que les effets de la vaccination étaient plus favorables chez les filles que chez les garçons. Il apparaît donc que la vaccination pourrait avoir des effets non spécifiques, en stimulant l’ensemble des défenses immunitaires. Des études ultérieures ont d’ailleurs suggéré que le BCG pourrait aussi avoir des effets bénéfiques au-delà de la prévention de la tuberculose, au moins chez les filles.

L’introduction de la MV a sûrement joué un rôle majeur dans le déclin de la mortalité au début des années 1980. Mais la couverture vaccinale n’a pas diminué par la suite, et la vaccination ne peut donc pas être responsable de la stagnation ou de la légère augmentation de la mortalité au cours des années 1980 et 1990.

D’autres études réalisées en Guinée-Bissau ont montré que les vaccinations pourraient avoir aussi des effets non spécifiques négatifs. Déjouant tous les pronostics, l’introduction d’un nouveau vaccin très protecteur et à titre élevé contre la rougeole (HTMV), administré aux enfants de 4-5 mois (selon une recommandation de l’OMS en 1989), a été associée à un doublement de la mortalité chez les filles – et pas chez les garçons – selon des travaux conduits à Bissau et au Sénégal (figures 3 et 4). L’OMS a retiré le HTMV en 1992. Des études ultérieures ont aussi montré que les vaccins inactivés (DTC= diphtérie, tétanos, coqueluche, ou HBV) étaient associés à une plus forte mortalité des filles comparativement aux garçons. La hausse de la mortalité féminine observée après introduction du HTMV pourrait en fait résulter de l’administration du DTC après le HTMV. Parmi les enfants qui ont reçu le DTC après le HTMV, les filles ont eu une mortalité deux fois plus élevée que les garçons, alors que l’on n’a observé aucune différence liée au sexe chez les enfants qui n’avaient pas reçus de DTC. Dans un nombre croissant d’études on n’observe aucun effet bénéfique d’une administration simultanée de DTC et de MV. Ces études montrent que l’ordre dans lequel les vaccinations ont lieu pourrait être très important quant aux effets non spécifiques de la réponse immunitaire. Il en résulte notamment que la mortalité féminine doit être élevée entre 2 et 8 mois quand le DTC est le vaccin prédominant : c’est bien ce qu’il ressort de plusieurs études en Afrique, où le taux de mortalité des filles est supérieur à celui des garçons dans ce groupe d’âge. S’il en est bien ainsi, les filles pourraient bénéficier d’une vaccination plus précoce contre la rubéole qui réduirait leur exposition au DTC comme dernière vaccination. Les résultats préliminaires d’études randomisées semblent le confirmer.

Les agences internationales ont privilégié le DTC3 dans l’évaluation de l’efficacité des programmes de vaccination dans les pays en développement. Au cours des années 1990, une majorité des pays africains ont eu une meilleure couverture avec le DTC3 que le MV, ce qui constitue une inversion de la tendance antérieure. Etant donné que nos études concluent systématiquement à un effet délétère du DTC pour les filles, la politique actuelle de vaccination pourrait avoir contribué à l’arrêt de la baisse de la mortalité infanto-juvénile en Guinée-Bissau comme dans plusieurs autres pays africains.

En conclusion, les enquêtes disponibles en Afrique de l’ouest suggèrent que les vaccinations pourraient avoir joué un rôle à la fois dans la baisse rapide de la mortalité dans les années 1970 et dans la stabilisation surprenante de celle-ci au cours des décennies suivantes. Une analyse approfondie des effets de vaccinations non spécifiques et différenciés selon le sexe pourrait permettre de proposer des moyens d’améliore la situation à l’avenir.

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