3 - pourquoi la mortalité des enfants ne baisse-t-elle plus aussi vite depuis le début des années 1990 en afrique au sud du sahara ?
le cas du sénégal, un pays peu touché par le Sida

Gilles Pison
(Muséum d’Histoire naturelle et INED, Paris)

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Le ralentissement de la baisse de la mortalité des enfants en Afrique au sud du Sahara au cours des quinze dernières années, ou même sa remontée dans certains pays, ne sont pas uniquement dus au Sida. Pour savoir quels sont les autres maladies ou facteurs ayant également joué un rôle, nous avons choisi d’étudier le cas du Sénégal, un pays très peu touché par le Sida mais où la mortalité des enfants a évolué de façon assez proche de celle de l’ensemble de la région, stagnant notamment durant les quinze dernières années. Le Sénégal a l’avantage de disposer de sources d’information relativement nombreuses pour retracer l’évolution de la mortalité des enfants à l’échelle nationale, et également de trois observatoires de population en zone rurale où la mortalité des enfants a pu être suivie et les causes de décès étudiées de façon détaillée depuis près de 20 ans.

Il apparaît que le Sénégal a connu une baisse sensible et continue de la mortalité des enfants entre la fin de la deuxième guerre mondiale et la fin des années 1980 (figure 1). En 45 ans, de 1945 à 1990, le risque pour un nouveau-né de mourir avant 5 ans a été divisé par trois, passant d’environ 400 pour mille à 140 pour mille. La diminution de la mortalité a surtout concerné les enfants de plus de 1 an. La baisse s’est accélérée vers la fin des années soixante-dix et le début des années quatre-vingt, au moment où une nouvelle politique sanitaire orientée vers les soins de santé primaire était mise en oeuvre, se traduisant en particulier par la multiplication des infrastructures sanitaires dans les différentes régions, alors qu’elles étaient très concentrées jusque-là à Dakar, et par la mise en oeuvre du Programme élargi de vaccination (PEV).

Les villes et les campagnes ont connu des évolutions différentes. Les villes, Dakar en premier, avaient déjà connu une baisse importante de la mortalité dans la première moitié du siècle. Cette baisse s’est fortement ralentie dans les années soixante-dix et le début des années quatre-vingt. A l’inverse, la mortalité est restée élevée jusqu’assez tard dans les campagnes : la baisse ne s’y est amorcée de façon sérieuse qu’à partir des années soixante-dix ou quatre-vingt. Ce mouvement s’est diffusé progressivement des campagnes proches de Dakar à celles qui en étaient plus éloignées, suivant en cela l’équipement en services de santé. Une fois la baisse amorcée dans les campagnes, elle y a été rapide, avec pour résultat une réduction de leur retard par rapport aux villes. L’accélération du PEV en 1987 semble avoir beaucoup contribué à ce rapprochement. L’arrêt de la baisse de la mortalité des enfants au tournant des années 1980 et 1990 est concomitant d’une pause dans l’amélioration des infrastructures et des programmes sanitaires dans le pays, se traduisant notamment par une diminution de la couverture vaccinale.

Les trois observatoires de population rurale du Sénégal montrent que la baisse de la mortalité des enfants des années 1970 et 1980 (figure 2) est liée à la réduction de la mortalité infectieuse, grâce principalement aux vaccinations. La mortalité due à la rougeole, l’une des premières causes de décès d’enfant auparavant, a en particulier énormément régressé depuis l’introduction des vaccinations (figure 3). Mais, comme dans l’ensemble du pays, la couverture vaccinale n’a plus augmenté dans les années 1990 dans les observatoires de Bandafassi et de Niakhar, elle a même diminué à Bandafassi, et la mortalité par rougeole, sans revenir aux niveaux très élevés d’autrefois, n’a plus baissé non plus. En revanche, la mortalité palustre a beaucoup augmenté suite à l’arrivée et à la diffusion des résistances à la chloroquine dans le pays (figure 4). La stagnation de l’effort vaccinal et la remontée de la mortalité palustre liée aux résistances à la chloroquine expliquent l’arrêt de la baisse de la mortalité des enfants à Bandafassi et de Niakhar. À Mlomp, où pratiquement tous les enfants sont vaccinés depuis au moins 20 ans, c’est la remontée de la mortalité palustre qui explique que la mortalité des enfants ait réaugmenté dans les années 1990.

Ce constat vaut très probablement pour l’ensemble du pays. La mortalité palustre a dû réaugmenter de façon sensible. La pause dans l’effort vaccinal a dû stopper de son côté les progrès dans la lutte contre la mortalité infectieuse. Ces deux phénomènes sont les principales raisons expliquant que la mortalité des enfants ait cessé de baisser depuis une quinzaine d’années au Sénégal. C’est l’exemple d’un pays qui, bien qu’ayant échappé pour l’instant à l’épidémie de Sida et à ses conséquences sur la mortalité, connaît pourtant une crise sanitaire se traduisant par l’arrêt de la baisse de la mortalité des enfants. Cette crise tient à la conjonction de plusieurs facteurs, en particulier : une situation épidémiologique nouvelle créée par les résistances à la chloroquine ; une organisation sanitaire peu efficace, n’arrivant pas à assurer de façon convenable les services de santé de base comme les vaccinations ; une conjoncture économique défavorable. Ces facteurs sont communs à de nombreux pays d’Afrique au sud du Sahara et expliquent que beaucoup connaissent cette crise sanitaire, qu’ils soient ou non frappés par l’épidémie de Sida.

Références

Amouzou A. et Hill K. (2003), Child Mortality and Socio-Economic Status in Sub-Saharan Africa. Communication présentée à la 4èmeConférence africaine sur la population, Tunis, 8-12 décembre 2003.

Desgrées Du Lou A. et Pison G. (1995), "Le rôle des vaccinations dans la baisse de la mortalité des enfants au Sénégal ". Population, 3, 591-620.

Pison G., Hill K., Cohen B. et Foote K. (eds.), (1995), Population dynamics of Senegal. National Academy Press, Washington, 254 p. (publié également en version française : Les changements démographiques au Sénégal. 1997, PUF, Paris, Cahier de l’INED n° 138, 240 p.)

Pison G. (à paraître), "Why child mortality in sub-saharan africa has ceased declining since the early 1990s ? The example of Senegal, a country where the HIV epidemic has remained at a low level". In Michel Caraël et Judith Glynn (eds.) HIV, Resurgent infections and population change in Africa (à paraître).

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