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Les structures et les associations de soutien aux personnes âgées au Cameroun

Enjeux et défis

Moïse TAMEKEM NGOUTSOP, Université de Yaoundé I, Cameroun

En guise d’introduction

Dans le paysage camerounais, la création des structures et associations de « soutien aux personnes âgées » est une réalité. Ces structures et associations sont le fait des politiques publiques et des initiatives privées. Au niveau des politiques publiques, le Ministère des Affaires sociales (MINAS) se présente comme le principal acteur dans le « suivi et l’amélioration » des conditions de vie des personnes âgées. Sur le plan des initiatives privées, on note des associations, des mutuelles, à l’instar des la MUPAC (Mutuelle des Personnes Agées du Cameroun) mise sur pied depuis quelques années par un groupe de personnes. Il est toutefois urgent de nourrir des interrogations, suite à des observations empiriques faites dans le contexte camerounais. En effet, en Afrique subsaharienne, les pays comme le Cameroun, pays qui portent encore les « stigmates de l’Ajustement structurel  » (Aminata Diaw, 2010 :27), connaissent un exode rural massif des jeunes, et un retour vers les campagnes d’anciens fonctionnaires qui ont passé toute une carrière à redouter l’idée de la retraite. La conséquence très évidente est le vieillissement accru de la population rurale. Des observations faites dans « L’Afrique des villages  » (Ela, 1982) montrent qu’elle est en majorité peuplée de personnes de troisième âge, et on y dénombre une forte proportion de vieilles femmes souvent veuves et chefs de ménage [1]. Or, dans un contexte où ces associations et ces structures de « soutien aux personnes âgées » se concentrent dans les villes peuplées essentiellement de jeunes, des « questions sociologiques » se font jour. Au-delà des objectifs avoués, quels sont les enjeux sous-jacents à l’adhésion dans ces associations ? Les vieillards confinés en grand nombre dans les zones rurales ont-ils les mêmes chances que leurs congénères citadins de bénéficier des services de ces structures publiques et privées de soutien aux personnes âgées ? Quelles réponses ces structures donnent-elles à la situation spécifique des vieilles femmes rurales qui sont majoritairement des veuves démunies ? Quels sont alors les défis qui interpellent ces acteurs institutionnels ? Voilà quelques questions urgentes et légitimes auxquelles la présente communication a tenté de trouver des réponses. L’analyse des données socio-anthropologiques, essentiellement qualitative, s’est inscrite dans une perspective sociocritique, et a examiné la problématique des enjeux qui sont sous-jacents à la création des structures de prise en charge des personnes âgées aux Cameroun.

I. Quelques données démographiques sur les personnes âgées au Cameroun

« Forte croissance démographique » ; « Accroissement rapide de la population » ; « Démographie galopante », etc. Telles sont des expressions qui, depuis quelques années, ponctuent à la fois les discours scientifiques et les déclarations politiques dans les pays du Sud, dès lors que ces discours et déclarations politiques se focalisent sur la population. En effet, qu’il s’agisse du scientifique ou du politicien, leurs points de vue respectifs se rapportent assez souvent à une sorte d’alarmisme qui se justifie selon eux par la nécessité d’une prise en compte des enjeux du futur, notamment en termes d’équilibre entre les ressources disponibles et les potentiels consommateurs.

Tels sont des discours globaux et très englobant qui tendent au Cameroun, à détourner l’attention des problèmes spécifiques que vivent les différentes catégories sociales, à l’instar des personnes âgées, au sein de la population. Avant de scruter ces problèmes ainsi que des tentatives de solutions, un aperçu sur la distribution géographique des personnes âgées au Cameroun serait édifiant.

1. Aperçu sur la distribution géographique des personnes âgées au Cameroun

Au Cameroun, les personnes âgées constituent une catégorie sociale, qui, minoritaire, intéressent le sociologue par leur distribution géographique dans l’espace. Suite aux observations conduites sur le terrain camerounais, il ressort que le lieu de résidence des personnes de troisième et de quatrième âge est principalement le milieu rural.

Selon les résultats officiels du dernier recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) réalisé au Cameroun en 2005, on observe des variations assez nettes dans la structure par âge de la population selon le milieu de résidence. Les chiffres suivants renseignent sur cette situation : Pour les personnes âgées de 60 ans et plus, le Cameroun compte 870 642 habitants, soit un poids démographique de 5,0 %. Pour les 60-79 ans, le Cameroun a 752 632 habitants, soit un poids démographique de 4,3 %. Pour les 80 ans et plus, 118 010 habitants soit un poids démographique de 0,7 %.

Pour ce qui est précisément du lieu de résidence, ces mêmes résultats sont assez expressifs. Le rapport stipule : « Les personnes âgées (60 ans et plus), qui représentent 5,0% de la population totale du pays, sont particulièrement plus représentées en milieu rural qu’en milieu urbain : 6,5% en milieu rural contre 3,4% en milieu urbain  ». Il apparait donc le milieu rural est le cadre ou le « biotope » par excellence où se construit le quotidien des personnes âgées du Cameroun. Une telle distribution géographique n’est pas le fait du hasard.

2. Brève explication d’une telle distribution

Plusieurs éléments permettent d’expliquer le vieillissement de la population rurale au Cameroun. En premier lieu vient l’exode massif des jeunes vers les villes pour des raisons de scolarité ou d’insertion socioprofessionnelle. En matière de scolarité, la création des lycées et collèges à cycles complets dans les campagnes est récente au Cameroun. Après l’obtention du Baccalauréat de l’enseignement secondaire, des centaines de jeunes migrent chacun vers l’une des villes universitaires sur les huit que compte le Cameroun. Leurs parents pour la plupart, restent au village, travaillent la terre pour nourrir leurs progénitures en ville.

Les raisons économiques concernent prioritairement les jeunes qui sont à la recherche d’un emploi salarié ou indépendant dans les villes. En effet, les milieux ruraux sont caractérisés entre autres par une réelle précarité au niveau des conditions de vie. Par rapport à la ville, les construits sociaux élaborées autour de la notion de « campagne », de « village », ne sont pas de nature à retenir les jeunes en milieu rural. C’est la ville qui est le symbole de la réussite sociale. Le village rappelle l’ « échec », et plus tard la « mort ». Les ruraux sont généralement considérés comme ayant « échoué dans la vie », ou n’ayant pas pu tenir en ville. Les villages se dépeuplent de jeunes qui sont victimes de la préférence urbaine.

En second lieu, cette situation s’explique par le retour vers les campagnes d’anciens fonctionnaires ou d’anciens « débrouillards » qui désirent passer leurs vieux jours sur leurs terres au village. Cette dernière catégorie est constituée de personnes ayant généralement 60 ans et plus, l’âge officiel de la retraite étant de 60 ans au Cameroun.

Telles sont entre autres, et de façon très sommaire, quelques raisons qui renseignent sur le vieillissement de la population rurale au Cameroun. La question de la « prise en charge » ou du « soutien » aux personnes âgées se pose alors dans un contexte global de pauvreté financière. Pour atténuer les souffrances, la famille se présente comme la première sphère de soutien aux personnes âgées dans les campagnes camerounaises.

II. Le soutien aux personnes âgées à travers les dynamiques familiales

1. Les solidarités intergénérationnelles

Si en Occident le troisième âge se vit souvent dans les maisons de retraite, la réalité est différente dans les pays africains subsahariens où les solidarités familiales et intergénérationnelles restent vivantes. S’occuper de son grand-père et/ou de sa grand-mère, que ceux-ci soient en ville ou en campagne, est une sorte de « devoir » pour les petits-enfants. Les suivants propos d’une jeune fille interrogée à Yaoundé sont assez illustratifs de cette situation :

« Je pense qu’il est important de prendre soin de nos grands-parents. Ma mère m’a dit que quand j’étais bébé, c’est ma grand-mère qui l’a beaucoup aidé à m’élever. Aujourd’hui que je suis grande, alors que ma grand-mère est si fatiguée, je dois rester auprès d’elle pour veiller sur elle et lui rendre tous les services nécessaires. Je pense que c’est plus juste comme ça. Je ne peux pas accepter qu’on envoie ma grand-mère vivre dans un foyer comme ça se passe en Europe. Je ne veux pas qu’elle y aille pour vivre avec des personnes qu’elle ne connait pas (…) » (Marie, 18 ans, Yaoundé, Janvier 2011).

La grand-mère dont parle l’informatrice, assise juste à coté, déclare au sujet de sa petite-fille, avec le sourire aux lèvres : « Vraiment elle est la moitié de mon cœur  ». Ces déclarations permettent de comprendre que dans le contexte camerounais, les solidarités familiales restent vivaces en matière de soutien aux personnes âgées. Il n’est pas rare de voir en milieu rural des ménages constitués par des individus de générations différentes : « grand-père et petit-fils  » ; « grand-mère et petits-fils  » ; « grand-mère et petite-fille », etc. Très peu de personnes de troisième âge désirent aller vivre en ville chez leurs enfants. Celles qui se retrouvent dans les villes, quittent souvent le milieu rural sous la contrainte de leurs enfants (résidants en ville), et n’y restent que pendant de courtes périodes de temps. Le petit-fils est souvent obligé de poursuivre ses études en milieu rural, pour pouvoir prendre soin de son grand-père et/ou de sa grand-mère aux heures extra-scolaires. En plus du soutien familial, les personnes du troisième âge se soutiennent mutuellement.

2. Un soutien mutuel et réciproque entre personnes âgées en milieux rural

En milieu rural, surtout à l’Ouest-Cameroun, des observations empiriques dévoilent des relations interindividuelles essentiellement « communautaires ». Ce sont des communautés dans lesquelles « tout le monde est au courant de tout le monde ». En plus des solidarités intergénérationnelles évoquées précédemment, se notent d’autres solidarités qui se nouent entre personnes âgées elles-mêmes. Dans un même village, les personnes de troisième âge, pour la plupart, se connaissent depuis leur enfance, et ont d’ailleurs passé plus de 50 ans de voisinage. C’est ce qui ressort des propos suivants d’un informateur :

« Ici au village, nous les vieillards ; nous sommes mieux placés pour connaitre nos problèmes spécifiques, et les résoudre entre nous. Si mon fils qui est en Europe m’envoie un peu d’argent, je sais que je ne peux pas manger tout seul. J’aide mon ami d’âge qui n’en a pas  » (Raphaël, 102 ans, Dschang, Décembre 2010).

Ils se soutiennent donc mutuellement dans la mesure du possible, dans un contexte de précarité financière généralisée. Une telle entraide entre personnes âgées ne saurait être perçue superficiellement. C’est en réalité une solidarité agissante solidement ancrée dans la culture du terroir, à telle enseigne que celui qui, pauvre ou riche, voudrait vivre replié sur soi-même, est considéré comme un déviant. Son intégration effective dans le groupe social passe par une reconnaissance et une acceptation des membres du groupe tout entier.

Interrogés sur l’état de leurs connaissances sur les structures chargées de leur encadrement, la réponse est tranchée :

« Ceux d’entre nous qui avaient travaillé comme fonctionnaires et qui se reposent actuellement, vont souvent trois ou quatre fois par an en ville, à la caisse de prévoyance sociale, pour recevoir un peu d’argent donné par l’État. En ce qui me concerne, ce sont mes enfants vivant en ville qui s’occupent de moi. Donc, en dehors de l’État, il n’y a plus rien  ». (Jean, 70 ans, Dschang).

En substances, les personnes âgées dans les zones rurales ne sont pas informées de l’existence dans le pays d’une multitude de structures ou d’associations dont les objectifs se résument en la protection de leurs droits. Une telle méconnaissance des structures d’encadrement trouve son explication dans une absence d’informations et d’éducation des personnes âgées sur les dynamiques qui se déploient en leur faveur ou en leur nom. Par le biais d’observations directes du terrain, cette absence d’informations serait due à la localisation géographique de ces structures, qui se confinent principalement dans les villes.

III. L’entrée en scène des dynamiques institutionnelles modernes

Dans le contexte camerounais, l’existence des solidarités familiales et inter-générationnelles n’épargne pourtant pas les vieillards de certains problèmes spécifiques liés à leur âge, à leur statut de « retraité », bref à leur principale caractéristique qui est celle de la « dépendance » à la société. Les personnes âgées sont donc des « cas sociaux » ; ils constituent une catégorie sociale autour de laquelle se déploient des dynamiques institutionnelles multiformes.

1. Les dynamiques gouvernementales : le MINAS

Au Cameroun, les enfants de la rue, les orphelins, les personnes handicapées (handicapés-moteurs, albinos, aveugles…), etc., auxquelles s’ajoutent les personnes âgées, constituent des catégories sociales concernées par ce qu’on appelle communément les « affaires sociales ». L’organigramme de l’État camerounais prévoit tout un ministère pour les Affaires sociales, le MINAS. C’est ce ministère qui est chargé de l’élaboration et de la mise en œuvre de la politique du gouvernement en matière de prévention et assistance sociale, protection sociale de l’individu, ainsi que de la mise en œuvre de la solidarité nationale. Il s’agit pour ce ministère de s’occuper prioritairement des couches sociales vulnérables [2], sur la liste desquelles les personnes âgées.

L’examen de l’organigramme de ce ministère dévoile la présence d’une direction de la protection sociale des personnes handicapées et des personnes âgées. Cette direction comprend une sous-direction chargée spécifiquement des personnes âgées.

Placé sous l’autorité d’un sous-directeur, la sous-direction de la protection des personnes âgées est responsable entre autres, de la « coordination des actions menées en faveur des personnes âgées », de l’ « élaboration des normes relatives à la création et au fonctionnement des institutions sociales publiques ou privées pour personnes âgées  » ; du « suivi et du contrôle des organisations et associations des personnes âgées ». Cette sous-direction comprend deux services : celui de l’ « assistance et de l’appui à la reconversion des personnes âgées », et celui de la « protection et de la promotion des droits des personnes âgées ». A côté de cette structure gouvernementale, on note l’existence de plusieurs initiatives privées de soutien aux personnes âgées.

2. Les initiatives privées : état des lieux

En matière de protection des personnes du troisième âge au Cameroun, les initiatives privées font partie de ce qu’on appelle les « œuvres sociales privées ». Les conditions de création et de fonctionnement de ces Œuvres Sociales Privées ont été fixées par un décret présidentiel [3].

Sur le terrain au Cameroun ces œuvres sociales privées sont constituées d’associations, des structures d’encadrement des personnes âgées, ainsi que des ONG internationales qui incluent dans leurs objectifs divers une rubrique consacrée aux personnes âgées. Pour avoir une idée de l’état des lieux en termes de nombre de structures et d’associations, le service de coordination qui se trouve au MINAS serait normalement à même de fournir ce nombre avec exactitude. Cependant, à l’issue des entretiens conduits dans ces services, le chercheur n’est pas à mesure de produire le nombre exact de ces structures et associations. Selon le responsable chargé (à juste titre) du suivi et du contrôle des organisations et associations des personnes âgées, « Il est difficile de donner le nombre exact des structures ou associations qui travaillent en faveur du troisième âge. Je ne peux même pas vous donner un chiffre approximatif. Nous avons lancé un recensement en 2008, et nous n’avons pas encore les résultats. Mais ce que je sais, c’est qu’il en existe beaucoup au Cameroun  » (Entretien du 31 Janvier 2011 à Yaoundé).

Une telle discordance entre les déclarations du responsable et les textes ministériels traduit davantage l’ambivalence ou les insuffisances d’une bureaucratie déconnectée des réalités sociales. Dans un tel contexte, le phénomène bureaucratique va au-delà des lenteurs administratives habituelles pour présenter le bureaucrate confiné dans son seul bureau, mal informé des réalités sociales qui l’interpellent du dehors. Entre les discours et les faits réels, le fossé est toujours très grand. Comment comprendre que ceux et celles chargés du suivi des associations ne soient pas en mesure d’en fournir le nombre exact ? La question reste entière.

Il est néanmoins impossible de ne pas se rendre compte de l’existence de « grandes associations » présentes sur le sol camerounais, et qui ont d’ailleurs déjà acquis une envergure internationale. La MUPAC (Mutuelle des Personnes Agées du Cameroun) fait partie de celles-là. Elle a son siège à Douala, capitale économique du Cameroun. La présidente de la MUPAC occupe actuellement le poste de Trésorière Générale de la F.I.A.P.A, la Fédération Internationale des Associations des Personnes Agées, dont le siège se trouve en France.

Au Cameroun on note également les actions menées par des ONG internationales, à l’instar de « Help Age International ». Il s’agit d’un réseau global d’organisations déterminées à promouvoir le bien-être des personnes âgées des deux sexes. Leur mission est de travailler avec et pour les personnes âgées défavorisées dans le monde entier pour atteindre une amélioration durable dans la qualité de leur vie.

Qu’il s’agisse des initiatives privées ou des dynamiques gouvernementales, la constance sociologique est qu’elles se déploient en milieux urbains pour la plupart. Leurs interventions en milieu rural ne sont que sporadiques, sinon inexistantes. Si le MINAS par exemple dispose des Centres sociaux répartis dans les délégations régionales de ce ministère, ces centres sociaux y sont toujours implantés dans les villes, sièges des institutions, chefs-lieux des départements ou des arrondissements.

Pour ce qui est des associations, il s’agit en réalité des groupes de personnes qui se mettent ensemble pour rechercher un bien-être collectif. Les observations ont montré que ces groupes se construisent le plus souvent dans les villes, et bénéficient souvent des subventions diverses de l’État, dès lors qu’elles remplissent un certain nombre de conditions. Le confinement de ces différentes dynamiques publiques et privées dans les villes soulève la question des enjeux souterrains liés à ces actions, ainsi que celle des défis qui les interpellent.

IV. La « prise en charge » des personnes âgées en question : enjeux et défis

L’une des tâches les plus urgentes qui interpelle la sociologie aujourd’hui, quelque soit le sujet abordé, est celle d’analyser les rapports de pourvoir qui structurent les relations ville-campagne dans le champ sociopolitique. Sur ce plan notamment, il est facile aujourd’hui de noter ou de remarquer une sorte de « violence symbolique »ou de « domination » (Bourdieu, 1998) que les villes exercent sur les campagnes. En effet, la ville, siège des institutions politiques, « lieu de pouvoir » selon Ela (1995 :154), est aussi et surtout considérée comme le lieu de l’intelligentsia, le milieu des « gens qui ont réussi », de telle sorte que la migration-retour ville-campagne est souvent considérée comme un échec total. Il en est de même pour des séjours en zones rurales. Les citadins habitués à la ville ne supportent pas des séjours prolongés en zone rurale, fussent-ils des personnes travaillant pour le « développement rural » [4]. C’est sur ce socle que se pose la question de la prise en charge des personnes âgées qui peuplent les campagnes camerounaises. Plusieurs enjeux et défis entourent cette question.

1. Les enjeux souterrains à la création et au fonctionnement des structures et associations des personnes âgées au Cameroun

Les populations des pays d’Afrique sub-saharienne dans leur majorité, expérimentent la pauvreté au quotidien. Ce fait se vérifie tant en milieu rural qu’en milieu urbain. C’est une minorité qui dispose de plus de 80% de ressources disponibles. Cette répartition inégale des ressources contraint les camerounais défavorisés à déployer des stratégies plurielles pour éviter les ravages de la pauvreté. Dans un contexte où les diplômés de l’enseignement supérieur ont du mal à trouver un emploi rémunérateur, ils se concentrent désormais sur des « pistes » qui peuvent leur ouvrir de nouveaux horizons. Pendant que les uns se consacrent au petit commerce, les autres élaborent de stratagèmes pour « profiter » de l’État, ou pour attirer positivement les organismes internationaux « de développement ». Le concept de « développement », allié à celui de « projet », devient le maitre-mot qui légitime des initiatives multiples sur le terrain, en faveur de certaines « couches sociales défavorisées », et ce, avec le soutien des grands « développeurs » nationaux et internationaux.

Dès que ces anciens diplômés savent que tel projet de développement pertinent sur le fond et la forme peut être financé par tel organisme international de développement, ils se hâtent de se mettre ensemble, de constituer des Groupes d’Initiatives Communes (les GIC), et se concertent pour trouver un label humanitaire qui va légitimer leur projet, qui va séduire le bailleur de fonds et favoriser l’acceptabilité du projet par ce dernier.

Les enfants de la rue, les filles-mères, les adolescents, les handicapés, les personnes vivant avec le VIH-Sida, … ainsi que les personnes âgées, sont autant de « cibles » vers lesquelles ces projets de développement sont dirigés. Ils sont donc les potentiels bénéficiaires de ces initiatives philanthropiques. Dans un contexte social délétère où la crise économique touche la majorité de personnes dans la population active, il devient urgent de s’interroger réellement sur les motivations intrinsèques de l’élan humanitaire (ou humaniste) des personnes qui ne peuvent que subsister au quotidien. En un mot, l’un des enjeux souterrains qui préside à la création des associations ou des structures « en faveur des personnes âgées », et un enjeu financier.

Les promoteurs des ces structures, le plus souvent, évoluent dans un contexte où « chacun se cherche », pour emprunter une terminologie employée par ces acteurs compétents. En réalité, lorsque ces initiateurs parviennent à construire un partenariat avec de grands « financeurs » locaux et étrangers, lorsqu’ils légitiment une collecte de fonds pour les « nécessiteux », il devient évident que l’enjeu financier qui couve en-dessous des ces actions est réel. Ils deviennent des véritables « courtiers en développement ». Les personnes âgées en question deviennent en effet des paravents, des vitrines qui servent d’appât aux multiples fonds escomptés. L’indicateur pertinent de cet état de chose est un enrichissement parfois visible (grosses voitures …) des promoteurs, qui est la résultante d’une gestion opaque des fonds engrangés. Le plus souvent, suite à des observations empiriques, le bureau exécutif de ces associations « à but non lucratif » est constitué par les membres d’une même famille : le chef de famille est président, la mère trésorière, les enfants et les oncles des chargés de la coopération, etc. En outre, il n’est pas rare de trouver dans la société, de structures fictives, qui ont un statut légal sur les papiers, mais qui n’existent pas réellement sur le terrain.

En plus de l’enjeu financier, il y a un enjeu de prestige. Etre membre d’une association dans laquelle on peut retrouver certaines entités influentes du pays, c’est se hisser au sommet de l’échelle sociale. Les dirigeants de la MUPAC par exemple, ne cachent pas leur souhait de voir le Président de la République du Cameroun, « personne âgée », venir s’inscrire à la MUPAC, avec les autres membres du sérail gouvernemental du même âge. Il est sans doute facile de comprendre les motivations profondes d’un tel souhait, exprimé dans les antennes de télévision.

Les enjeux politiques ne sont pas en reste. En effet, ces structures et associations sont souvent des plates-formes investis par des hommes politiques qui sont à la conquête d’une visibilité sociale à l’approche des échéances électorales. Tel candidat à la députation ou à la mairie a « offert un don en médicaments et en produits de première nécessité, d’une valeur d’un million de Fcfa, à l’association X qui œuvre depuis trois ans pour le bien-être quotidien des personnes âgées dans l’arrondissement Y ». Les cérémonies officielles de remises de ces dons sont toujours filmées par les média convoqués pour la cause, et présentées au journal télévisé.

Au regard de ce qui précède, le constat est clair : les couches sociales dites défavorisées à l’instar des personnes de troisième âge en situation de pauvreté, sont instrumentalisées par des tiers, ou plutôt instrumentalisent eux-mêmes leur propre statut des personnes âgées, pour chercher à triompher de la précarité qui est quotidienne.

Il apparait de façon indubitable que les sociétés fonctionnent en réalité sous le poids des contre-valeurs. Les normes, les règles établies, ne sont qu’assez superficielles et n’ont pas d’emprise réelle sur la dynamique souterraine et révélatrice du système social. A l’intérieur de la société officielle, il y a presque toujours une « contre-société » qui s’édifie avec l’aide des acteurs sociaux compétents. Ceux-ci, selon Balandier (1986 :63), « détiennent le pouvoir d’agir sur le système social, de le manipuler, et en conséquence de contribuer de manière permanente à sa définition  ». En substances, les sociétés humaines, selon Balandier, ne sont jamais ce qu’elles paraissent être. Face aux pressions du système social, les chômeurs ou les sans emplois, qui sont eux aussi des « acteurs à part entière » (Crozier, et Friedberg ; 1977 :29), façonnent au quotidien des ruses diverses pour échapper non seulement au contrôle social, mais aussi et surtout pour éviter les formes brutales de la conjoncture économique.

La compréhension et l’élucidation (non exhaustive ici) des enjeux souterrains aux dynamiques institutionnelles de prise en charge des personnes âgées au Cameroun, appelle également un bref examen des défis qui interpellent les différents acteurs.

2. Au-delà des enjeux, bref examen des défis

Au regard de tout ce qui précède, le tout premier défi qui interpelle les différents acteurs de cette dynamique, est celui de la reconsidération ou de la refondation du type de rapport qui existe entre la ville et la campagne dans les pays d’Afrique sub-saharienne. Pendant longtemps, les milieux ruraux ont été considérés comme des espaces de pauvreté. Mais qu’est-ce que la pauvreté ? La pauvreté n’est pas seulement le seuil en dessous duquel le minimum vital n’est pas assuré. Le pauvre n’est pas seulement celui dont le niveau de vie est nettement en dessous de celui de la société où il vit. Il est aussi celui dont l’instruction est faible, l’accès au pourvoir impossible, les relations sociales chargées d’anomalies. Ces caractéristiques sont celles des centaines de personnes âgées qui peuplent les campagnes camerounaises.

Si ce type de pauvreté (intellectuelle) se rencontre aussi en ville, il est fort pertinent de remarquer que dans les campagnes, cette « pauvreté » des ruraux est plutôt instrumentalisée par une certaine élite urbaine, à la quête et à la conservation du pouvoir et du bien-être. Une telle situation appelle l’humanisme des promoteurs des personnes âgées, qui doivent régulièrement quitter la ville pour investir réellement le milieu rural afin de toucher le plus grand nombre qui s’y trouve.

Un autre défi est celui de la gouvernance étatique. Le Programme National de Gouvernance (PNG) a été mis sur pied depuis quelques années au Cameroun. Les dynamiques multiformes qui se déploient autour des personnes âgées au Cameroun bénéficieraient du regard régulateur de ce programme.

Conclusion

Une revue de la littérature sur la présente thématique montre que les travaux sur la démographie africaine se sont très peu intéressés à l’intensité et aux problèmes spécifiques du troisième âge (Nzita Kikhela, 2002 : 84). Le présent travail visait premièrement à participer au débat scientifique actuel sur la situation des personnes âgées en Afrique. L’histoire de l’Homme montre que ce sont les générations qui scandent, chacune à sa façon, le rythme de progression de la société. Ce travail a donc constitué une petite et modeste contribution à la « sociologie des générations » (Attias-Donfut, 1988) appelée à se construire en contexte africain. Il s’est agi de jauger la maturité des systèmes institutionnalisées de protection sociale, qui restent assez rares dans les pays d’Afrique subsaharienne (Vandermeersch, 2002 : 322), pays dans lesquels les sociétés rurales surtout tendent progressivement à devenir des « sociétés âgées ». L’examen de la problématique de la prise en charge ou du soutien aux personnes âgées en contexte camerounais, a dévoilé les caractéristiques d’une « société aux repères ambigus » (Zambo Belinga, 2003), dans laquelle la crise économique constitue un levain favorable aux pratiques souterraines de toutes sortes. Une vision très optimiste de cette situation essaierait d’établir une équivalence entre la « partie à moitié vide » et celle « à moitié pleine » du verre. Mais, il est fort pertinent de remarquer qu’en contexte camerounais, la partie vide du verre ne constitue pas l’équivalent de la partie pleine ; elle est beaucoup plus importante. Logiquement, « comme tout homme, le sociologue doit choisir son camp » (Ziegler, 1981), notamment celui de ceux qui, à l’instar des personnes âgées du Cameroun dans leur majorité, n’ont pas le pouvoir de prendre la parole et de se faire entendre dans la société. En définitive, une telle étude de la relation ville-campagne dans le contexte africain, en se situant dans une perspective sociocritique, met au jour des dynamiques urbaines et rurales qui renseignent amplement sur les « convulsions  » d’une société en effervescence, mieux, sur « les mythes et les délires d’une société en crise » (Nga Ndongo, 1993).

Références bibliographiques

Aminata Diaw, C., 2010- « De la responsabilité des élites », in Adebayo Olukoshi, Ouedraogo, J.B., Ebrima Sall, (Sous la Dir.), Afrique : Réaffirmation de notre engagement, Dakar, CODESRIA.

Attias-Donfut, C., 1988- Sociologie des générations : l’empreinte du temps, Paris, PUF.

Balandier, G. : 1986 – Sens et puissance : Les dynamiques sociales, Paris, PUF.

Bourdieu, P., 1998, La Domination masculine, Paris, Seuil.

Bienscherk, T. et Al., Courtiers en développement. Les villages africains en quête de projets,

Crozier, M. et Friedberg, H. : 1977 – L’Acteur et le système, Paris, Seuil.

Ela, J.- M., 1982- L’Afrique des villages, Paris, Karthala. Ela, J.- M., 1995- Innovations sociales et renaissance de l’Afrique noire. Les défis du « monde d’en bas », Paris, L’Harmattan.

République du Cameroun, Décret N° 2005/160 du 25 Mai 2005 portant organisation du Ministère des Affaires Sociales.

République du Cameroun, Décret N° 77/495 du 07 Décembre 1977 fixant les conditions de création et de fonctionnement des Œuvres sociales Privées.

Nga Ndongo, V. : 1993 – Les Media au Cameroun. (Mythes et délires d’une société en crise), Paris, L’Harmattan.

Nzita Kikhela, P. D., 2002- « Le vieillissement dans les politiques de population en Afrique subsaharienne », in Gendraux, F., Tabutin, D., Poupard, M., (Sous la Dir.), Jeunesse, vieillesse, démographie et sociétés, Louvain-la-Neuve, L’Harmattan, pp. 83-97.

Vandermeersch, C., 2002- « La prise en charge des vieux jours dans le village de Montezo en Côte d’Ivoire (2000) », in Gendraux, F., Tabutin, D., Poupard, M., (Sous la Dir.), Jeunesses, vieillesses, démographies et sociétés, Louvain-la-Neuve, L’Harmattan, pp.321-335.

Zambo Belinga, J.-M. : 2003- « Une société aux repères ambigus », in L’Anthropologue Africain, Vol.10, n°1, Pp. 23-37.

Ziegler, J. : 1981- Retournez les fusils : manuel de sociologie d’opposition, Paris, Seuil.

[1] Les résultats officiels du 3e Recensement Général de la Population au Cameroun (2005) révèlent que les femmes, majoritaires dans le pays (50,6%), le sont aussi en zones rurales où elles représentent 51,3% de la population. Ces résultats révèlent également que les personnes âgées (60 ans et plus), « sont particulièrement plus représentées en milieu rural qu’en milieu urbain : 6,5% en milieu rural contre 3,4% en milieu urbain ».

[2] Décret N° 2005/160 du 25 Mai 2005 portant organisation du Ministère des Affaires Sociales.

[3] Décret N° 77/495 du 07 Décembre 1977 fixant les conditions de création et de fonctionnement des Œuvres sociales Privées.

[4] Malgré l’existence d’un ministère chargé du « Développement rural », les campagnes continuent de subir au quotidien des exclusions diverses. La notion de « Développement rural » dans le contexte actuel semble relever du mythe. Les projets dits « de développement » se sont presque soldé par des échecs en milieu rural.

VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION DANS LES PAYS DU SUD

Famille, conditions de vie, solidarités publiques et privées... État des lieux et perspectives

ACTES DU COLLOQUE INTERNATIONAL DE MEKNÈS

Maroc 17-19 mars 2011