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L’état des lieux de la population vieillissante en Algérie

Djilali SARI, Université Alger 2, Algérie.

Indépendamment de complexes problèmes tant d’ordre socio-économique que d’une urbanisation souvent désurbanisante, l’évolution de la population vieillissante (60 ans et plus) est des plus préoccupantes avec les effectifs ayant plus que triplés de 1966 à 2008 en passant respectivement de 0,819 M à 2,540 M d’habitants, − représentant respectivement 6,77 % − et 7,48 %, alors que les projections sont estimées à 4,3 M d’âmes en 2020 et 6,7 M d’habitants en 2030, en sus de la dynamique démographique entamée en 2003, soutenue par la recrudescence des mariages et par contrecoup des naissances rappellent le maximum de 845 000 enregistré en 1985, de surcroît en le dépassant en 2009…

Plus que jamais, dans le contexte d’une gouvernance tant décriée par des émeutes juvéniles crescendo, ne devant son maintien, voire sa survie qu’au maintien de la rente pétrolière, la prise en charge de cette population demeure des plus critiques aux différents plans. Aussi convient-il de s’interroger des conditions d’ordre aussi bien matériel que moral à même d’assurer une mort dignement. Auprès ou loin des intimes et des proches, alors que les pensions versées à une très faible minorité ne couvrent, tant bien que mal, que des besoins alimentaires minimaux, de surcroît s’agissant d’une population composée massivement, de malades chroniques, de non voyants, d’handicapés mobiles et de poly-handicapés ?

Aussi, l’approche proposée est-elle axée sur les trois points suivants :

1. majoritairement, la population vieillissante, la plus précarisée
2. massivement, la population parmi les plus démunis
3. des structures d’accueil extrêmement limitées

MAJORITAIREMENT, LA POPULATION LA PLUS PRÉCARISÉE

Désormais de plus en plus croissante, cette population demeure non seulement majori-tairement handicapée et précarisée.

L’irréversible accroissement des effectifs vieillissants

Effectivement, la population âgée de 60 ans et plus a triplé ses effectifs en passant de 813 000 à 2,535 M habitants respectivement de 1966 à 2008, alors que les projections à moyen et long terme sont estimées à 4,3 M d’habitants en 2020 et 6,7 M d’âmes en 2030 (tableau 1), compte tenu de l’allongement soutenu de l’espérance de vie s’élevant à 75,7 ans en 2007 contre 52,4 ans en 1970. En s’approchant des valeurs de pays développés, retombées et implications sont multiples s’accompagnant par une prise d’une prise en charge des plus hypothétiques, précisément au cours de cette phase transitoire interpellant vivement tout un chacun.

Tableau 1 – L’accroissement des effectifs vieillissants (en milliers)

C’est ainsi que les personnes âgées de 70 ans et plus (tableau 2) atteignent 1,201 M contre 0,353 M en 1966, soit 0,848 M de plus, soit un taux de 238 %. Sans conteste, un si fort accroissement face à des conditions socioculturelles aggravantes subies et supportées plus que le reste de la pyramide des âges.

Tableau 2- La pyramide de la population vieillissante en 2008 (= 1000 hab.)

Des conditions socioculturelles des plus défavorables

Assurément, ces mêmes conditions (tableaux 3 et 4) affectent davantage les femmes car veuvage et divorce les pénalisent avec le risque croissant d’exclusion au sein de familles nucléaires, objectivement inconciliable avec la cohabitation d’ascendants, vu l’exiguïté des logements collectifs…

Tableau 3 - Situation matrimoniale en 1998

De fait, cohabitation ou pas, le handicap est bien le lot de toute population vieillissante, majoritairement souffrante d’un ou plus d’handicaps (tableau 4) ; le recensement de 1998 a dénombré 317 421 personnes soit 35,1 % de l’ensemble des handicapés. Sous-évaluées, ces données sont révélatrices de la détresse de cette population, d’autant qu’elle est affectée de maladies chroniques, handicapés, soit respectivement 35,3 % et 38,5 % contre 4,45 % pour l’ensemble de ces population respectives.

Tableau 4 - Les principaux handicaps de la population vieillissante en 1998

D’autant que les non-voyants représentent 47,5 % contre 8,91 % pour l’ensemble de la population, alors que ces données sont à mettre à jour. Quant à l’instruction (tableau 5), elle ne peut y remédier car ceux de niveau moyen et secondaire se réduisent à 2,28 % contre respectivement 31,1 % et 21,37 % pour la population totale même si le supérieur représente 12,44 %, hormis une faible minorité relativement privilégiée dans l’hypothèse d’attitudes et comportements en mesure de gérer tant bien que mal la quotidienneté…

Tableau 5- Niveau d’instruction de la population vieillissante (2007)

MASSIVEMENT, LA POPULATION PARMI LES PLUS DÉMUNIS

Indépendamment des conditions générales aggravant davantage la population vieillis¬sante, les conditions particulières en mesure d’atténuation des effets demeurent des plus difficiles.

Des pensions assez proches du seuil de la pauvreté monétaire

Les affiliés à la CNR (Caisse Nationale de la Retraite), organisme chargé des retraites et retraites anticipées, représentent en 2007 les trois quarts de la population en question (tableau 6), avec un accroissement de 30,6 % entre 2002 et 2007 (tableau 6) face à des pensions proches du seuil de la pauvreté monétaire ne couvrant guère que les besoins alimentaires minimaux. En effet, même avec 4,9 $ US/jour, soit à peine le double du seuil fixé par les institutions internationales, cette valeur ne peut couvrir les besoins qu’exigent les équilibres alimentaires, notamment en légumes et fruits frais, en protéine… avec un pouvoir d’achat érodé sans cesse par l’inflation galopante. Du reste, l’augmentation des pensions de 33 % de 2002 à 2007 (tableau 6) est sans effet, même à l’issue de la défiscalisation récente des revenus inférieurs au SNMG (Salaire National Minimum Garanti).

Tableau 6 - Évolution du nombre de retraités et de leurs pensions

Plus que jamais, dans le cadre d’une économie nationale réduite à la mono-exportation d’hydrocarbures (97,5 %), de surcroît face à l’informel représentant jusqu’à 40 %, voire plus, l’augmentation de 33 %, les pensions demeurent négligeable face aux effets ravageurs de l’inflation. En fait, l’abandon récemment de l’IRG (Impôt sur les Revenus Généraux) est l’aveu non seulement très tardif mais aussi flagrant alors que dernièrement - mi-janvier 2011 - pour acheter la paix sociale au terme de cinq journées d’émeutes généralisées, les pouvoirs publics ont dû céder, de faire baisser la hausse des deux produits de base, sucre et huile, en gelant temporairement TVA et droits de douane. Temporairement jusqu’au 31 août 2011…

Les non assurés, des laissés pour compte

Angoissante est la situation des non assurés sociaux, des laissés-pour-compte que sont les malades chroniques, poly-handicapés et non voyants contraints à une survie insuppor¬table, dès lors que l’ensemble des handicapés assurés, toutes tranches d’âge confondues, ne représentent que 35 %. En effet, seuls 13 307 sont des ascendants sans doute vieillissant. Un nombre dérisoire !

Quant au « filet social » (encadré 1) s’élevant à 3 000 DA/mois (30 euros), il est pratiquement d’aucun secours, au demeurant ne touchant qu’une infime minorité contrainte de survivre de lait et de pain, produits subventionnés, avec au mieux un à deux légumes frais parfois remplacés, soit par des pâtes alimentaires, soit d’haricots secs ou de lentilles, produits non subventionnés …

Encadré 1– Les laissées-pour-compte

« (…) les vieux n’ont qu’une goutte de sang dans les veines, à la moindre émotion, elle leur saute au visage. Personne n’a d’yeux pour eux (…). Dans notre pays, les personnes âgées sont gérées par la direction de l’action sociale (DAS) qui les fait bénéficier d’une modique pension de 3 000,00 DA par mois selon l’esprit de la loi (…). Le dossier doit comprendre 12 pièces à renouveler à la fin de chaque année. Et laissez-moi vous dire que pour obtenir certaines pièces, la présence de témoins est obligatoire et ce n’est pas chose facile (…) sans l’intervention de personnes connues, la constitution d’un tel dossier est pratiquement impossible. Et c’est là le commencement du calvaire. Et c’est le but de cet article. Une tribulation qui tue le moral, pourquoi exiger toute cette paperasse ? (…).

A. Ch. de Tiaret, le Quotidien d’Oran du 30/01/11, p 12

En définitive, hormis des individualités parmi d’anciens hauts cadres, de rentiers en mesure de vieillir dans la dignité, la population vieillissante est des plus précarisées contrainte de survie et d’agoniser à huit clos.

DES STRUCTURES D’ACCUEIL EXTRÊMEMENT LIMITÉES

Bénéficier ne serait-ce que du strict minimum, matériel et moral, loin des siens, est vœux pieux, en dehors de cas de figures rarissimes (encadré 2).

Encadré 2 - Un cas précis observable sur le terrain

Aïcha, veuve s’est remariée au début des années 1970 avec un veuf nanti. Rapidement, à la suite du divorce de son beau-fils, tacitement elle adopte la fille nourrisson en veillant à sa scolarisation jusqu’à son admission à l’université ainsi qu’une dote conséquente grâce au reversement de la pension de son mari décédé au début de 1980. Reconnaissant, le jeune couple accueille Aicha et s’en charge d’autant que ses dernières années ont nécessité la mobilisation d’une aide jusqu’au dernier souffle de la centenaire, le décès étant survenu auprès de la fille adoptive, ses enfants et son mari.

Source : observations suivies attentivement sur le terrain avec d’autres similaires avec quelques variantes

Pour ce qui est des structures d’accueil gérées par les pouvoirs publics, on en compte 42 réparties implantées dans 29 wilayas hébergeant 2 679 personnes âgées de plus de 65 ans, soit 0,06 % de la population vieillissante dont 1 204 femmes (46 %), ces centres n’ayant démarré qu’à la suite du lancement, au début de 1990, d’une campagne baptisées Diar Er Rahma (Maisons de Clémence), surmédiatisée pour leur financement.

En conséquence, dérisoires sont ces capacités d’accueil même si le programme comporte 8 centres d’une capacité théorique de 1 000 places.

L’exemplarité d’une double initiative

De par l’ancrage de vieilles traditions, Tlemcen a toujours abrité une sorte d’asile entretenu par de bonnes volontés, « la seule maison hospitalière musulmane de toute l’Algérie » financée par les autorités coloniales grâce aux fonds habous (Ch. R. Ageron, 1968, I : 525).

En somme, une tradition pérennisée par le mouvement associatif animant un centre d’accueil pour séniles et un autre de loisirs et de récréation, avant les Diar Er Rahma. Datant de 1974, le premier est l’œuvre d’un mécène issu d’une veille famille d’origine andalouse. D’une architecture recherchée et adaptée aux hébergé(e)s, le centre est géré par l’APC et financé par d’autres canaux. Là, ont rendu leurs derniers souffles, entre autres, un virtuose de musique classique et un éminent avocat n’ayant pu achever dignement la phase finale de leur sénilité parmi leurs intimes, à cause d’héritiers cupides.

Quant au centre aéré fort attrayant et avantageux, il ne désemplit pas à longueur de journées ; les concernés y passent d’agréables heures avec leurs compagnons, amis d’enfance ou de rencontre fortuite. Depuis sa création en 1985, implanté à la Place Ibrahim intra muros, le foyer est géré par l’Association Socioculturelle des Personnes Agées de Tlemcen qui leur propose conférences, concerts de musique, voyages organisés. D’emblée, l’observateur est touché par la bonne ambiance, non sans surprise par la bonhomie d’un boxeur centenaire de par la mobilité de son bras gauche, sa gloire d’antan.

Conclusion

Ainsi, hormis de rarissimes individualités en mesure de s’assumer tant bien que mal jusqu’à leurs derniers jours, massivement demeure la population vieillissante s’identifiant aux plus démunis de la société, des laissés-pour-compte, n’échappant guère aux maladies chroniques et la non voyance, d’handicaps et de poly-handicaps, ne pouvant espérer mourir dignement.

D’autant qu’en raison d’une double transition, démographique et épidémiologique, les perspectives ne sont guère optimistes en raison notamment de la quasi-absence de structures d’accueil adéquates, d’autant aussi que la cohabitation des ascendants séniles est incompatible avec des logements collectifs standardisés, partout conçus et destinés plutôt à des familles nucléaires, du reste rapidement en surnombre. D’autant que cette même démarche généralisée à d’autres secteurs ne vise tout au plus qu’à parer au plus pressé, non sans de graves préjudices et conséquences incalculables, particulièrement l’annihilation d’initiatives, non sans d’incalculables conséquences se soldant de plus en plus par l’expatriation des compé¬tences ? N’engendre-t-elle pas d’autres exclusions, dans le but inavoué : la reproduction du système politique en place tant décrié par des révoltes juvéniles crescendo  ?

Références bibliographiques

Ageron Ch. R., 1968, Les Algériens musulmans et la France, 1871-1919, Paris, PUF, 2 t.

Office National des Statistiques, 2010, Démographie algérienne, Alger, Direction Technique chargée des statistiques de la population et de l’emploi.

Rapport sur la conjoncture économique et social, 2006, 2e semestre, Alger, 85p., multig.

Sari Dj., 1998, L’après-ajustement structurel : un appauvrissement périlleux, Alger, El Watan, 28, 29 et 30 septembre.

VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION DANS LES PAYS DU SUD

Famille, conditions de vie, solidarités publiques et privées... État des lieux et perspectives

ACTES DU COLLOQUE INTERNATIONAL DE MEKNÈS

Maroc 17-19 mars 2011