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Estimation d’une échelle d’équivalence prenant en compte les personnes âgées de 60 ans et plus

Cas du Maroc

Ilham DKHISSI, Université de Caen, Faculté des Sciences économiques et de gestion et CREM, UMR 6211, France, Maroc. Groupe international de recherche ESIRAMed [1]

Ce travail a été réalisé avec le soutien de la Chaire AG2R-La Mondiale "Finance Autrement : Investissement - Solidarités - Responsabilité" d’Euromed-Marseille.

Introduction

La pauvreté est un phénomène social complexe, qui a fait l’objet de nombreux débats théoriques. Il en ressort en effet plusieurs approches d’identification et de mesure de la pauvreté et qui constituent les stratégies de base de lutte contre ce problème. Mais l’une des questions souvent omise par ces différentes approches est le lien entre l’identification du niveau de vie des ménages (niveau du revenu ou de la dépense) et l’appréciation du bien-être des individus selon le sexe et l’âge par personne, en relation avec celui des adultes d’une part, et les économies d’échelle d’autre part. En général, les politiques de lutte contre la pauvreté dans les pays développés prennent en compte les différences dans les besoins des individus selon leur âge. Qu’en est-il du Maroc ? Est ce que les approches de mesure de la pauvreté qui y sont utilisées se basent sur la composition démographique des ménages [2], et par conséquent, utilisation du principe des échelles d’équivalence afin de comparer les niveaux de vie des ménages de composition démographique différente et de calculer des seuils de pauvreté ? Si la question des échelles d’équivalence reste très largement posée dans un cadre théorique déjà bien connu, des approches complémentaires permettant de prendre correc-tement en compte le revenu d’une personne âgée au sein d’une structure familiale élargie reste largement à développer. Doit-on considérer un adulte supplémentaire âgé de 60 ans et plus avec le même coefficient quel que soit son âge ? Si la différenciation de consommation couramment retenue selon les groupes d’âge entre enfants et adultes, ne faut-il pas en introduire une entre les jeunes adultes et les personnes âgées de 60 ans et plus ? Ne faudrait-il pas s’intéresser au “coût de la personne âgée” afin d’appréhender de manière correcte le revenu au sein des ménages élargis aux ascendants ?

Pour répondre aux différentes questions posées, trois sections sont proposées, la première décrit le contexte socio-démographique du Maroc. La seconde section détaille le modèle théorique relatif à l’estimation des échelles d’équivalence ; et enfin la troisième et dernière section s’intéresse à l’application de ce modèle théorique à la réalité en utilisant les données de l’Enquête sur la Consommation des Ménages de 2000/2001 réalisée au Maroc.

1. Comment mesurer de manière appropriée le niveau de vie des ménages marocains ?

1.1 Une population de plus en plus âgée au Maroc

À l’instar des pays en pleine transition démographique, le Maroc a connu une baisse de la fécondité d’une manière accélérée accompagnée d’une baisse de la mortalité. Ce sont les deux principales causes du vieillissement de la population.

1.1.1 La fécondité

Selon les enquêtes et les recensements menés depuis 1982, la fécondité a baissé en passant de 5,52 enfants par femme en 1982 à 2,5 seulement en 2004, soit une baisse d’un peu plus de 50%. Le tableau ci-après retrace l’évolution de l’indice synthétique de fécondité [3] à travers le temps selon le milieu de résidence.

Tableau 1 : Indice Synthétique selon le milieu de résidence

Cette baisse est la conséquence de divers facteurs à savoir le recul de l’âge au premier mariage, la pratique contraceptive qui est devenue une méthode de plus en plus adoptée par les jeunes couples. Sans oublier la progression du statut de la femme au Maroc.

a. Recul de l’âge au premier mariage

Ce facteur [4] a conduit au raccourcissement de la durée de procréation. Ceci a été observé depuis les années 70, dans lesquelles la société marocaine a entamé son processus de modernisation.

Tableau 2 : Age moyen au premier mariage de la population âgée de 15 ans et plus selon le milieu de résidence

b. La contraception

Le second élément déterminant du vieillissement ou de la transition est relatif à la baisse de la fécondité, celui de la contraception. Cette méthode a pris de l’ampleur aussi depuis les années 70. En plus de ces deux facteurs cités, d’autres participent à ce vieillis¬sement, parmi lesquels on cite la période d’allaitement ainsi que l’avortement.

1.1.2 La mortalité

Concernant la mortalité, seconde principale cause du vieillissement, elle a commencé sa baisse à partir des années 70 et ce grâce au progrès du développement des techniques médicales et de l’efficacité d’accès aux soins, ce qui a conduit à l’allongement de l’espérance de vie à la naissance de la population totale. En effet, le taux de la mortalité générale a connu une baisse au Maroc depuis le début des années 70.

Tableau 3 : Évolution du taux de mortalité par milieu de résidence

Plus spécifiquement, le quotient de la mortalité infanto-juvénile [5], une composante de la mortalité, représente un indicateur pertinent en vue de l’évaluation d’un contexte socio-démographique d’un pays donné. Ce taux a baissé d’une manière remarquable en passant de 104 pour mille en 1987 à moins de 50 pour mille sur la période 99-03.

1.2 Une évaluation insuffisante du niveau de vie des ménages

Au Maroc, les coutumes et les traditions obligent les jeunes adultes à prendre soin de leurs parents et de veiller sur leur bien-être. En effet, on remarque que près de 70% de la population âgée fait partie des ménages comportant au moins deux personnes contre seulement 5% vivant seuls. Selon le CERED, les ménages constitués de personnes âgées se répartissent comme montré dans le Tableau 4.

Tableau 4 : Répartition des ménages dirigés par des personnes âgées selon le type de ménage et le milieu de résidence

Quel que soit le milieu de résidence, les personnes âgées vivent toujours en compagnie d’une ou plusieurs personnes de leurs familles. Selon l’Enquête Nationale sur le Niveau de Vie des Ménages (ENNVM) 98/99, 21% des hommes âgés vivent dans des ménages de taille inférieure ou égale à 3 et 59% dans des ménages de taille supérieure ou égale à 6. Quant au sexe féminin, ces mêmes parts sont respectivement de 26% et 55%. Ainsi, il apparaît que le contexte sociodémographique marocain est complètement différent des autres pays de l’occident, puisque la majorité des personnes âgées dans ces pays vit seule ou dans un établissement pour personne âgée. Or les échelles d’équivalence, quand elles sont utilisées dans les analyses du niveau de vie et de la pauvreté au Maroc [6] sont les mêmes que les échelles Européennes, type échelle d’Oxford [7]. Elles ne prennent pas en compte la présence d’adultes âgés dans le ménage et ne sont pas, de ce fait, adaptées au contexte sociodémographique marocain. Dans les ENNVM 90/91 et 98/99, le niveau de vie est évalué en divisant le revenu du ménage par le nombre de personnes vivant dans le ménage, et la dépense annuelle moyenne par ménage ne constitue pas un bon indicateur de la mesure du niveau de vie car elle est affectée par l’effet taille du ménage et par sa composition démographique. Les statisticiens ont remédié à ce problème de mesure de pauvreté et de comparaison des niveaux de vie des ménages de composition démographique différente en utilisant les échelles d’équivalence qui permettent d’obtenir un revenu par équivalent adulte. En effet, l’échelle d’équivalence permet de relier entre la consommation d’un ménage et le nombre d’individus composant ce même ménage pour un niveau de vie fixé. Pratiquement, la comparaison entre les ménages se fait en divisant les ressources du ménage par un coefficient, le nombre d’unités de consommation, qui tient compte du nombre et de l’âge des personnes composant le ménage. L’ensemble des unités de consommation ou coefficients constitue l’échelle d’équivalence ; Cette dernière permet de tenir compte des économies d’échelle engendrées par l’interaction des membres du ménage qui mettent en commun leurs ressources et réduisent ainsi leurs coûts de financement. En effet, les échelles d’équivalence sont un moyen d’employer les données réelles pour comparer les niveaux d’utilité entre des membres des ménages de composition et de taille différentes. En d’autres termes, ces échelles visent à rendre compte du fait que les individus au sein d’un ménage n’ont pas tous les mêmes besoins. Afin d’estimer ce genre d’outils statistiques, le modèle le plus utilisé pour modéliser la consommation d’une population est le modèle de Prais-Houthakker créé en 1955. Le développement de ce modèle fera l’objet de la section suivante.

2. Modèle théorique de Prais-Houthakker d’estimation des échelles d’équivalence

Le modèle de Prais-Houthakker, introduit en 1955, modélise les variations de consommation d’un ménage en fonction de sa taille ainsi que de sa composition démo-graphique. Son principe étant d’introduire une échelle d’équivalence spécifique à chaque bien de consommation. L’échelle globale s’en déduit en se basant sur certaines hypothèses identifiantes.

2.1 Présentation du modèle théorique

En premier lieu, les notations [8] utilisées tout au long de cet exposé seront mises en avant. La consommation de chaque ménage est répartie en “k” postes budgétaires, (appelés également biens de consommation), caractérisés par un indice allant de 1 à k. Quant à la taille du ménage, elle est désignée par N.

Le principe de base du modèle théorique de Prais-Houthakker est d’introduire des échelles spécifiques pour chaque poste budgétaire sous la forme de coefficients relatifs au bien “k” et fonction de la taille du ménage. L’échelle globale est obtenue à partir de ces échelles spécifiques. L’idée de base de ce modèle est que pour un niveau de vie fixé, la consommation du ménage pour un bien “k” varie proportionnellement à son échelle spécifique . Cette dernière rend compte de toutes les économies d’échelle réalisées dans le ménage de taille N. A ce niveau là, il ne faut pas omettre de mettre en valeur les deux types des biens partagés pour que ces économies d’échelle soient réalisées. Au sein d’un ménage, un individu consomme des biens collectifs avec tous les autres membres du ménage, ainsi que les biens individuels qui lui appartiennent. Les biens individuels sont des biens destinés à un seul individu du ménage. Autrement dit, ce bien ne peut être utilisé par un autre membre du même ménage. Quant au bien collectif, chaque membre du ménage en en tire profit. Les échelles spécifiques permettent de rendre compte du caractère des biens consommés. Plus concrètement, pour un ménage de taille N, si =1, ceci représente un bien collectif. Alors que si =N, dans ce cas le bien “k” est individuel.

2.2 Développement du modèle

Selon le modèle de Prais-Houthakker, la consommation d’un ménage varie proportion-nellement à l’échelle spécifique en fonction de la taille du ménage, à niveau de vie fixé.

indique la consommation du bien “k”. désigne une fonction de demande.

Cette fonction indique combien consomme une personne seule en fonction de son niveau de vie.

2.2.1 Détermination de la fonction de demande :

Afin de déterminer les fonctions de demande de chaque bien de consommation, une spécification en logarithme est nécessaire pour faciliter l’estimation du modèle. Pour ce fait, l’expression de la fonction de demande, en utilisant le modèle de Stone de 1954, devient :

Avec l’élasticité-revenu du bien “k”. P est un indice des prix, donc, le rapport représente le revenu déflaté de l’indice des prix.

L’indice des prix selon le même modèle utilisé (Stone 1954) est :

désigne le coefficient budgétaire du bien “j” [9].

2.2.2 Une spécification des échelles en

Les échelles spécifiques à chaque bien de consommation ont été définies avec le modèle de Prais-Houthakker sous la forme suivante :

Avec est l’élasticité-taille du bien “k” [10].

La détermination de l’échelle spécifique sous la forme de la formule (4), démontre que plus la taille du ménage est grande, plus des économies d’échelle sont réalisées dans le ménage. D’où l’intérêt du modèle de Prais-Houthakker ainsi que l’estimation des échelles d’équivalence qui tiennent compte de ces économies d’échelle.

Après avoir spécifié la fonction de demande ainsi que l’échelle spécifique de chaque bien de consommation, le modèle de Prais-Houthakker sera le suivant :

Puisque le modèle de Prais-Houthakker prend en compte la taille du ménage, P’ est l’indice de Stone des prix correspondant à . On retrouve la formule de P’ :

En remplaçant P’ par sa valeur d’une part. D’autre part, en normalisant à P=1 en guise de simplification des calculs, le modèle de Prais-Houthakker devient le suivant :

En poursuivant les calculs, le modèle de Prais-Houthakker se transforme en la fonction suivante :

En observant l’expression du modèle de Prais-Houthakker, deux remarques ressortent. En effet, le terme représente l’effet du niveau de vie et permet de conclure que si la taille du ménage “N” augmente avec un niveau de revenu fixé “R”, le niveau de vie baisse. La seconde remarque concerne le log(N) qui décrit quant à lui, l’effet direct de la taille du ménage. Si cette taille croît, les biens individuels, (ce sont les biens avec =1), auront une part budgétaire assez importante dans le budget du ménage, et par conséquent, les biens collectifs, (ce sont les biens avec =0 ), auront une tendance à se réduire.

En termes de coefficients budgétaires, l’équation 8 devient :

L’expression semi-logarithmique de l’équation 9 donne avec approximation, le résultat suivant :

2.3 Les hypothèses identifiantes du modèle de Prais-Houthakker

Le modèle de Prais-Houthakker a un problème d’identification. En effet, il permet d’estimer la valeur des k élasticité-taille  [11] en fonction de α, mais le niveau de ce dernier reste indéterminé. C’est pour cette raison que les statisticiens recourent à l’usage des hypothèses identifiantes, à savoir celle d’Engel et celle de Rothbard.

2.3.1 Loi d’Engel : l’alimentation est un bien nécessaire par excellence

Les premiers travaux consacrés aux échelles d’équivalence remontent à plus d’un siècle, suite à l’observation en 1890, du statisticien allemand Ernst Engel que la part budgétaire consacrée à l’alimentation est d’autant plus faible que le ménage est plus aisé. En effet, l’hypothèse de base du modèle d’Engel est la suivante : le coefficient budgétaire de l’alimentation est un bon indicateur de bien-être. Autrement dit, deux ménages ont le même niveau de bien-être s’ils consacrent la même fraction de leurs revenus à l’alimentation, et cela est valable même pour les ménages de composition démographique différente. L’inconvénient relatif à cette méthode de comparaison du niveau de vie des ménages de composition démographique différente, qui mérite d’être pris en compte est celui de l’insuffisance de la dépense alimentaire pour observer toutes les économies d’échelle réalisées dans les ménages. C’est pour cette raison que le modèle de Prais-Houthakker prend cette loi comme hypothèse identifiante à l’échelle d’équivalence estimée. Cette hypothèse stipule que :

2.3.2 Hypothèse de Rothbard (1943)

En 1943, Rothbard a stipulé dans son modèle que la dépense du premier adulte du ménage en biens exclusivement consommés par les adultes (vêtements, tabac, boissons alcoolisées, etc) constitue un indicateur de bien-être. L’hypothèse de Rothbard s’écrit comme suit :

3 Estimation du modèle de Prais-Houthakker à partir de données réelles

Le seul moyen permettant de fournir une bonne information concernant les dépenses et la consommation des ménages, est celui des enquêtes statistiques réalisées par les organismes spécialisés. Ces enquêtes permettent de collecter des données de base sur le niveau de vie des ménages, afin d’analyser par la suite les disparités entre la population par milieu de résidence et aussi par régions du pays.

3.1 Présentation de l’enquête sur la consommation et les dépenses des ménages menée au Maroc en 2000/2001

L’enquête sur la consommation et les dépenses des ménages (ENCDM) a été menée au Maroc en 2000/2001 [12].Cette enquête a concerné un échantillon de 15 000 ménages, répartis selon le milieu de résidence comme montré dans le Tableau 5.

Tableau 5 : Répartition de l’échantillon des ménages par milieu de résidence

L’ENCDM s’est basée sur trois types de questionnaires. Le premier dénommé “Questionnaire A”, a pour vocation la collecte des données concernant les caractéristiques individuelles des personnes et des ménages enquêtés (démographie, enseignement, santé, emploi, habitat, etc.). Le second questionnaire, “Questionnaire B”, quant à lui est réservé exclusivement aux données sur les dépenses alimentaires des ménages. Enfin, le “Questionnaire C”, destiné à recueillir toutes les informations relatives aux dépenses non alimentaires des ménages. Sur le fichier que nous avons reçu, seuls 14 243 questionnaires complets ont été exploités, à cause de la non-réponse avec un taux de 5% [13].

Pour une meilleure analyse des résultats de l’enquête, une compréhension des concepts utilisés est nécessaire. En effet, au niveau de cette enquête, la notion de ménage utilisée signifie que le ménage est un groupe de personnes, parentes ou non, qui dorment habituellement dans une même résidence principale et, dans une mesure plus ou moins grande, pourvoient en commun aux besoins essentiels de leur existence (dépenses pour se loger, se nourrir, s’habiller et se soigner essentiellement). Le ménage peut être un ménage d’une seule personne (ménage individuel) ou multiple (composé de plusieurs personnes) [14]. Nous nous intéressons aux dépenses des ménages, ainsi qu’aux différents postes budgétaires qu’elles recouvrent, afin de pouvoir estimer l’échelle d’équivalence propre au contexte démographique marocain. Les dépenses totales observées au niveau de l’ENCDM 2000/2001 recouvrent les deux composantes suivantes : Les dépenses destinées à la consommation et les dépenses non destinées à la consommation.

a. Dépenses destinées à la consommation

Ce type de dépenses regroupe les dépenses réalisées par les ménages en vue de satisfaire leurs besoins essentiels. Cette catégorie de dépenses joue un rôle primordial dans l’analyse du niveau de vie courant des différents ménages. Les groupes de la nomenclature des biens et services qui y sont inclus [15] :

  • Alimentation, Boisson : il s’agit des dépenses concernant les céréales et produits à base de céréales, le lait et produits laitiers, les œufs, les corps gras, les viandes, les poissons, les légumes et fruits, le sucre et produits sucrés, le thé et autres plantes aromatiques, les boissons non alcoolisées et alcoolisées, les aliments et boissons pris à l’extérieur.
  • Habillement : ce poste regroupe les dépenses relatives aux vêtements et aux chaus¬sures (y compris les services de réparation et de confection).
  • Habitation et dépense d’énergie : cette catégorie de groupe de biens et services contient le loyer et les charges locatives, entretien et réparation du logement, chauffage, éclairage, eau, dépenses d’énergie.
  • Équipements ménagers : mobilier et linge de maison, ustensiles de cuisine, appareils ménagers, biens et services pour l’entretien des équipements ménager.
  • Hygiène et soins médicaux : ce poste regroupe les dépenses consacrées aux produits et services de toilette, d’hygiène et soins médicaux.
  • Transport et communication : il s’agit des achats et dépenses de fonctionnement et de réparation des moyens de transport privé, prix des billets et frais annexes afférents aux transports en commun, facturation des services de télécommunication (poste, téléphone, etc.
  • Loisirs et culture : ce poste englobe les dépenses relatives aux biens durables de loisirs et divertissement, dépenses de divertissement de culture, frais d’enseignement, etc.
  • Autres biens et services : tabacs et cigarettes, achat de bijoux et horlogerie, articles personnels, frais d’assurance, de cotisation et autres dépenses diverses.

b. Dépenses non destinées à la consommation

Ce sont toutes les dépenses ayant pour effet la diminution du revenu disponible du ménage, sans que ce dernier ne bénéficie directement de cette sortie de fond. Ce groupe de dépenses contient les éléments suivants :

  • Paiements fiscaux non liés à l’exercice d’une activité professionnelle.
  • Transferts d’argent n’ayant pas un caractère de transfert en capital. Mais notre travail empirique ne concernera que les dépenses destinées à la consommation.

3.3 Application du modèle de Prais-Houthakker au Maroc

En utilisant les données de l’Enquête Nationale sur la Consommation des Ménages (ENCDM) de 2000/2001, une échelle d’équivalence propre au contexte démographique marocain, sera estimée. Une étude préalable de ce contexte permettrait de justifier nos choix pris dans la suite de ce travail.

3.3.1 Des ménages dans leur majorité de grande taille

Ce sont des ménages qui peuvent regrouper 14 individus, voire plus sous le même toit. Puisque la société marocaine est traditionnelle, i-e une société qui encourage la cohabitation intergénérationnelle [16] puisque 97% des ménages sont composés de deux individus ou plus, parmi ces ménages, 41,8% sont élargis aux ascendants ou personnes âgées de 60 ans et plus. La répartition des ménages est présentée dans le Tableau 6.

Tableau 6 : Répartition de l’échantillon des ménages selon la taille

La question posée à ce niveau là est relative à la consommation ainsi qu’à l’existence des économies d’échelle au sein de ces ménages. Le point suivant sera consacré en effet à la réponse à cette question en étudiant les coefficients budgétaires.

3.3.2 Des économies d’échelles réalisées essentiellement dans le poste habitat et énergie

En calculant les coefficients budgétaires de chaque poste de consommation par taille du ménage, il s’avère que les économies d’échelles sont réalisées essentiellement sur le poste "Habitat et énergie".

Une seconde constatation à ressortir est relative au poste "Alimentation sans tabac", il absorbe presque la moitié du budget des ménages, quelle que soit leur taille. C’est pour cette raison, que l’hypothèse identifiante pour estimer le modèle de Prais-Houthakker adoptée sera celle d’Engel. Les coefficients budgétaires de chaque poste de consommation figurent sur le Tableau 7.

Tableau 7 : Coefficients budgétaires en pourcentage par taille du ménage [17]

Afin de répondre à notre question centrale, à savoir l’estimation d’une échelle d’équivalence prenant en compte la composition démographique différente des ménages marocains, une répartition par âge s’impose. La répartition adoptée dans ce travail est la suivante :

  • Personnes âgées de 60 ans et plus
  • Adultes de 25 à 59 ans
  • Jeunes adultes de 15 à 24 ans
  • Enfants ayant moins d’un an à 14 ans

Cette répartition présente l’avantage de distinguer entre les différents membres des ménages selon l’âge afin de démontrer l’existence de différences dans les niveaux de consommation entre les personnes âgées de 60 ans et plus et les plus jeunes. L’analyse de la consommation des grands postes de dépenses selon l’existence d’une personne âgée au sein des ménages approuve cette idée, et le Tableau 8 décrit les coefficients budgétaires de chaque poste de consommation pour chaque type de ménage.

Tableau 8 : Coefficients budgétaires des ménages par poste de dépense selon l’existence des personnes âgées

Quel que soit le poste de dépense ou de consommation, les coefficients budgétaires diffèrent selon l’existence ou non des personnes âgées de 60 ans et plus dans le ménage.

Pour les ménages avec personnes âgées, les coefficients budgétaires des deux postes “alimentation sans tabac” et “hygiène et soins médicaux” sont un peu plus élevés. Alors qu’au niveau des postes “loisirs et enseignement” et “habillement”, les coefficients sont plus faibles en comparaison avec les ménages sans personnes âgées. Ces résultats décrivent parfaitement la réalité, et montrent que les dépenses des ménages avec ou sans personnes âgées diffèrent quel que soit le poste de dépense.

3.3.3 Estimation du modèle

Nous rappelons que le modèle de Prais-Houthakker est estimé pour les huit postes budgétaires suivants :

  • Alimentation sans tabac
  • Habillement
  • Habitat et énergie
  • Équipements ménagers
  • Hygiène et soins médicaux
  • Transport et communication
  • Loisirs et enseignement
  • Autres dépenses avec tabac

Le ménage de référence de notre étude étant celui composé d’un seul individu. Nous supposons que les échelles spécifiques à chaque poste de dépense, ainsi que l’échelle globale de ce ménage sont égales à l’unité.

Comme ceci a été expliqué un peu plus haut, le modèle de Prais-Houthakker n’est pas identifiable ; pour notre cas, l’hypothèse qui sera adoptée est celle d’Engel, puisque tous les ménages consacrent une grande partie de leur revenu à la dépense alimentaire. Dans ce cas de figure, l’hypothèse d’Engel se traduit par : étant la dérivée logarithmique de la consommation du bien “k” à la taille du ménage.

L’équation définitive du modèle de Prais-Houthakker à estimer est la suivante :

Avec est le coefficient budgétaire de la dépense du poste de consommation “k”.

R est le revenu du ménage, remplacé par la dépense totale par ménage dans notre travail.

est le coefficient budgétaire moyen du poste de consommation “k”.

représente l’élasticité-taille.

est l’élasticité-revenu.

le nombre d’adultes âgés de 25 à 59 ans (référence de notre étude).

le nombre de personnes âgées de 60 ans et plus.

le nombre de jeunes adultes âgés de 15 à 24 ans.

le nombre d’enfants ayant moins d’un an à 14 ans.

La première étape à franchir avant d’estimer le modèle de Prais-Houthakker est celle d’homogénéisation des données de la base fournie par le HCP. Pour ce faire, nous allons travailler sur un ensemble de ménages de caractéristiques quasi-identiques. Ces ménages seront homogénéisés d’abord par CSP et puis par composition démographique.

Conclusion

En partant du principe théorique des échelles d’équivalence et en prenant comme cas pratique le Maroc, nous pouvons tirer deux conclusions. D’une part, le niveau de vie des ménages marocains est approché de manière incorrecte, puisque dans les enquêtes auprès de ménages réalisées au Maroc, le niveau de vie est mesuré en utilisant le revenu par tête [18], ceci signifie qu’il y a une absence de l’application du principe des échelles d’équivalence. D’autre part, selon les deux contextes démographique et traditionnel marocains, des économies d’échelle sont réalisées dans les ménages suite à la forte cohabitation, mais qui ne sont pas prises en compte dans le calcul des seuils de pauvreté par exemple, donc, les résultats obtenus à partir des recherches et enquêtes réalisées s’avèrent biaisés.

C’est dans ce cadre que s’établit l’objectif principal de nos travaux de recherche, à savoir l’estimation d’une échelle d’équivalence appropriée au contexte socio-démographique marocain. Le travail empirique étant en sa phase finale, les résultats de l’estimation du modèle théorique de Prais-Houthakker seront présentés lors du colloque.

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[1] Le groupe de recherche ESIRAMed a pour vocation de réaliser des recherches sur les thèmes de l’Économie sociale, l’Investissement responsable, l’Assurance en Méditerranée. Il comprend des chercheurs de l’Université de Caen-Basse-Normandie, EUROMED Management (Marseille), le CREAD (Alger), l’Université Mohamed V (Rabat), du LEGI (École polytechnique de Tunisie).

[2] Les ménages marocains sont des ménages de grande taille et sont élargis aux ascendants.

[3] L’indice synthétique de fécondité est le nombre moyen d’enfants qu’aurait une femme à la fin de sa vie féconde.

[4] Le mariage est le cadre exclusif de la procréation au Maroc.

[5] Ce quotient regroupe tous les décès avant l’âge de 5 ans.

[6] Dans une étude dénommée `Répartition des niveaux de vie au Maroc’’, menée par la direction de la statistique en 2002, il y a eu une approche de mesure du niveau de vie des ménages par unités de consommation, mais en utilisant les échelles d’équivalence utilisées en Europe, ce qui ne facilite pas la tâche puisque les contextes sociodémographiques sont totalement différents.

[7] L’échelle d’Oxford attribue un poids de 1 au premier adulte du ménage, de 0,7 à chaque adulte supplémentaire (âgé de 14 ans et plus) et de 0,5 à chaque enfant de moins de 14 ans.

[8] Nous allons utiliser les mêmes notations que celles utilisées par J.-M. Hourriez et L. Olier

[9]

[10] est la dérivée logarithmique de l’échelle spécifique par rapport à la taille du ménage N.

[11] Selon le nombre de postes budgétaires étudiés.

[12] Cette enquête a été réalisée plus précisément du 01/11/2000 au 31/10/2001.

[13] Ce taux de non réponse de 5% regroupe 7,7% en milieu urbain et 1.6% en milieu rural.

[14] Rapport de synthèse de l’ENCDM de 2000-2001

[15] Rapport de synthèse de l’ENCDM de 2000/2001.

[16] Quand on parle de cohabitation intergénérationnelle, ceci signifie qu’il y a des membres appartenant à de différentes générations vivant sous le même toit.

[17] La somme de chaque ligne ne donne pas 100% car le poste des dépenses non destinées à la consommation est exclu. Cette exclusion est relative au fait que l’échelle d’équivalence à estimer sera appliquée à des revenus disponibles ou dépenses de consommation.

[18] Le revenu du ménage divisé par le nombre des individus composant le ménage.

VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION DANS LES PAYS DU SUD

Famille, conditions de vie, solidarités publiques et privées... État des lieux et perspectives

ACTES DU COLLOQUE INTERNATIONAL DE MEKNÈS

Maroc 17-19 mars 2011